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     A-288-96

CORAM:      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROBERTSON

E N T R E :

         INDIAN MANUFACTURING LIMITED et 951268 ONTARIO LIMITED

     appelantes

     (demanderesses),

     et

         KIN MING LO, PHILLIP BANNON et MADAME UNE TELLE ET MONSIEUR UN TEL et D'AUTRES PERSONNES DONT LES NOMS SONT INCONNUS, QUI METTENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT, IMPRIMENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT, LANCENT, EXPÉDIENT, ENTREPOSENT OU AFFICHENT DES MARCHANDISES NON AUTORISÉES PORTANT LA MARQUE DE COMMERCE INDIAN MOTORCYCLE OU INDIAN MOTORCYCLE IN CANADA OU EN FONT D'UNE AUTRE MANIÈRE LE COMMERCE,

     intimés

     (défendeurs).

AUDIENCE tenue à Toronto (Ontario), le mardi 24 juin 1997.

JUGEMENT rendu à l"audience à Toronto (Ontario), le mardi 24 juin 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :      LE JUGE STONE

     A-288-96

CORAM:      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROBERTSON

E N T R E :

         INDIAN MANUFACTURING LIMITED et 951268 ONTARIO LIMITED,

     appelantes

     (demanderesses),

     et

         KIN MING LO, PHILLIP BANNON et MADAME UNE TELLE ET MONSIEUR UN TEL et D'AUTRES PERSONNES DONT LES NOMS SONT INCONNUS, QUI METTENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT, IMPRIMENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT, LANCENT, EXPÉDIENT, ENTREPOSENT OU AFFICHENT DES MARCHANDISES NON AUTORISÉES PORTANT LA MARQUE DE COMMERCE INDIAN MOTORCYCLE OU INDIAN MOTORCYCLE IN CANADA OU EN FONT D'UNE AUTRE MANIÈRE LE COMMERCE,

     intimés

     (défendeurs).

     MOTIFS DU JUGEMENT

     (Prononcés à l"audience à Toronto (Ontario), le mardi 24 juin 1997.)

LE JUGE STONE

         Il s"agit de l"appel d"une ordonnance par laquelle la Section de première instance a annulé, le 25 mars 19961, l"ordonnance que le juge en chef adjoint avait rendue en faveur des appelantes le 5 juin 1995, laquelle comprenait une injonction de type Anton Piller.

         Le 5 juin 1995, les appelantes ont intenté une action contre les deux défendeurs nommés, Madame Une Telle et Monsieur Un Tel, et d"autres personnes dont on ignorait alors les noms, relativement à leurs activités qui, prétendait-on, allaient à l"encontre des articles 7a ), 7b), 7c), 19, 20, 22(1), 53 et 53.1 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-14. La même journée, les appelantes ont déposé une requête ex parte en vue d"obtenir une injonction provisoire, soit une ordonnance enjoignant aux personnes intéressées de leur restituer les marchandises ou autres biens portant la marque de commerce " Indian Motorcycle " ou une marque de commerce dérivée de cette appellation, et de leur communiquer toute information relative à la circulation de tels biens ou marchandises, de même que les noms et adresses des personnes impliquées. L"ordonnance du 5 juin 1995 prévoyait la tenue d"une enquête, avant le 3 juin 1996, à l"égard de toute personne qu"elle visait. Nous croyons comprendre que l"ordonnance a été rendue selon la forme habituelle que prennent les ordonnances dans ce type d"affaire. Il n"est nécessaire de renvoyer qu"à quelques-unes des dispositions de cette ordonnance, laquelle comprenait un engagement des appelantes attestant qu'elles se considéreraient liées par toute ordonnance de la Cour [TRADUCTION] " en matière de réparation des dommages causés par l'exécution de la présente ordonnance, si celle-ci devait être annulée ultérieurement ". Les paragraphes 4 et 14 de l"ordonnance étaient particulièrement pertinents. En voici le libellé :

     [TRADUCTION]
         4.      Les conditions de la présente ordonnance seront applicables jusqu'au 3 juin 1996, à moins que l'ordonnance de la Cour ne soit annulée, renouvelée ou d'autre façon modifiée entre-temps.         
         [..]         
         14.      Les personnes avisées de cette ordonnance par signification peuvent présenter une requête à la Cour, à n'importe quelle séance de celle-ci, pour :         
              a)      faire modifier ou annuler l'ordonnance; ou         
              b)      exiger que le titre soit affiché;         

sur préavis de 72 heures à l'avocat des demanderesses et signification à celles-ci de tout document d'appui relatif à cette requête et, dans tous les cas, tous les aspects de cette instance seront réexaminés par la Cour le 3 juin 1996 à Toronto, au 330, av. University, 9e étage, à 10h, ou aussitôt qu'il sera possible d'entendre cette instance par la suite.          Le 14 février 1996, par avis de requête, les appelantes ont demandé à la Section de première instance de [TRADUCTION] " réviser " l"ordonnance du 5 juin 1995 [TRADUCTION] " conformément à ce qu"elle prévoyait " afin que soient ajoutées, à titre de défenderesses, deux personnes et une entreprise qu"elles ont appelé " The Key Place ", et que l"injonction provisoire soit convertie en injonction interlocutoire visant ces trois nouvelles défenderesses. Aucune de ces parties n"a comparu ni n"était représentée par avocat dans le cadre de cette requête. Elles n"ont pas non plus comparu dans le cadre du présent appel. Le juge des requêtes a refusé d"accorder le redressement demandé; il a plutôt annulé l"ordonnance du 5 juin 1995 et ordonné la restitution des marchandises saisies des trois défenderesses et de tous les biens saisis en vertu de cette ordonnance. L"exécution de cette ordonnance a été en grande partie suspendue, aux termes de l"ordonnance rendues par la Section de première instance le 29 mars 1996, jusqu"à ce que le présent appel soit réglé : Indian Manufacturing Ltd. c. Lo (1996), 67 C.P.R. (3d) 139 C.F. 1re inst.).

         Au début de l"audition de l"appel, l"avocat des appelantes a accepté de faire porter ses observations orales sur la seule question de savoir si le juge des requêtes avait la compétence pour annuler l"ordonnance du 5 juin 1995, compte tenu de la requête que les appelantes ont déposé le 14 février 1996, soit presque quatre mois avant la tenue de [TRADUCTION] " l"enquête " que prévoyait cette ordonnance. En effet, si l"avocat obtenait gain de cause sur cette question, il n"aurait pas à plaider en ce qui concerne les autres questions soulevées dans ses observations écrites.

         L"injonction de type Anton Piller tire son nom de celui du demandeur dans Anton Piller K.G. v. Manufacturing Processes Ltd. , [1976] Ch. 55, un arrêt de la Cour d"appel d"Angleterre. Une telle injonction vise à conserver un bien à l"égard duquel il existe de forts éléments de preuve prima facie établissant qu"il s"agit d"articles enfreignant le droit d"auteur, la marque de commerce ou d"autres droits du demandeur. L"injonction est rendue ex parte , car l"essence même de cet exercice du pouvoir judiciaire [TRADUCTION] " est la surprise, si bien que le défendeur doit ignorer qu"une demande a été déposée ou que l"injonction a été rendue, de sorte qu"il n"aura pas l"occasion de détruire les documents pertinents ou de s"en débarasser2 ".

         Nous sommes convaincus que l"ordonnance faisant l"objet du présent appel doit être annulée pour défaut de compétence. En effet, il était prévu dans l"ordonnance du 5 juin 1995 qu"elle serait applicable jusqu'au 3 juin 1996 [TRADUCTION] " à moins d"être annulée [...] par une ordonnance de la Cour ". Le libellé des paragraphes 4 et 14 prévoyait qu"une partie pouvait demander, par requête, l"annulation de l"ordonnance. Or, aucune requête de cette nature n"a été déposée devant le juge des requêtes. Bien qu"aucune requête ne semble nécessaire en vue de la révision de l"ordonnance prévue au paragraphe 14, une telle révision ne pouvait néanmoins avoir lieu avant le 3 juin 1996. De toute évidence, il ne s"agit pas de la [TRADUCTION] " révision " que les appelantes demandaient dans leur requête. En effet, il semblerait étrange que les appelantes, ayant obtenu l"ordonnance du 5 juin 1995 et en étant les seules bénéficiaires, aient l"intention de la faire annuler ou même réviser avant la date stipulée dans celle-ci. En fait, cette ordonnance a été révisée par le juge en chef adjoint le 3 juin 1996, tel que prévu, et elle a été renouvelée en conséquence.

         Le tribunal qui rend une ordonnance ex parte a la compétence inhérente pour l"annuler : May & Baker (Canada) Ltd. c. The Motor Tanker Oak et al. , [1979] 1 C.F. 401 (C.A.). Voir également Becker v. Noel and another, [1971] 2 All E.R. 1248 (C.A.). Cependant, il est évident que la compétence de la Cour, qu"elle soit inhérente ou conférée par les Règles3 ou par le libellé de l"ordonnance elle-même, doit être formellement invoquée pour que la Cour puisse l"exercer. À notre avis, le juge des requêtes n"avait pas la compétence pour annuler l"ordonnance du 5 juin 1995, car cette compétence n"a pas été invoquée.

         Par ailleurs, il ressort clairement de la jurisprudence que, sauf dans des cas exceptionnels, c"est le juge qui a rendu l"ordonnance ex parte qui peut la réviser, la modifier ou l"annuler : Wilson c. La Reine , [1983] 2 R.C.S. 594, aux pages 607 et 608. Voir également Gulf Islands Navigation Ltd. v. Seafarers' International Union (1959), 18 D.L.R. (2d) 625 (C.A.C.-B.), Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Softkey Software Products Inc. (1994), 57 C.P.R. (3d) 480 (C.F. 1re inst.). En fait, il semble que selon la pratique anglaise, une injonction de type Anton Piller accordée ex parte ne peut être portée en appel avant que le juge qui l"a prononcée ait rendu une décision relativement à une affaire qui en relève : WEA Records Ltd. v. Visions Channel 4 Ltd. , [1983] 2 All E.R. 589 (C.A.)4.


         L"appel sera accueilli et l"ordonnance du 25 mars 1996 sera annulée.

     " A.J. STONE "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme              __________________________

                             Bernard Olivier, LL.B.

             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             N o du greffe : A-288-96

             ENTRE :
             INDIAN MANUFACTURING LIMITED et 951268 ONTARIO LIMITED

             et

             KIN MING LO, PHILLIP BANNON et MADAME UNE TELLE ET MONSIEUR UN TEL et D'AUTRES PERSONNES DONT LES NOMS SONT INCONNUS, QUI METTENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT, IMPRIMENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT, LANCENT, EXPÉDIENT, ENTREPOSENT OU AFFICHENT DES MARCHANDISES NON AUTORISÉES PORTANT LA MARQUE DE COMMERCE INDIAN MOTORCYCLE OU INDIAN MOTORCYCLE IN CANADA OU EN FONT D'UNE AUTRE MANIÈRE LE COMMERCE,

             _______________________________________________

             MOTIFS DU JUGEMENT

             _______________________________________________

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats et procureurs inscrits au dossier

    

NO DU GREFFE :                  A-288-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :              INDIAN MANUFACTURING LIMITED et

                         951268 ONTARIO LIMITED

                         - c. -

                         KIN MING LO, ET AL.

                

                

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 24 JUIN 1997
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR PAR :                  LE JUGE STONE, J.C.A.

Prononcés à l"audience à Toronto (Ontario),

le mardi 24 juin 1997

ONT COMPARU :

                         Joseph S. Garten

                                 pour les appelantes

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                         Joseph S. Garten

                         conseiller juridique

                         60, avenue Wingold

                         Toronto (Ontario)

                         M6B 1P5

                                 pour les appelantes


__________________

1      Le texte intégral de cette décision a été publié dans Indian Manufacturing Ltd. c. Lo (1996), 67 C.P.R. (3d) 132 (C.F. 1re inst.).

2      Halsbury's Laws of England (4th ed.), Vol. 37, paragraph 372 (à la page 271). Évidemment, les tribunaux anglais ont élaboré la procédure à suivre dans un tel cas. Voir Supreme Court Practice, 1997 (London: Sweet & Maxwell), 1996, Vol. 1, aux pages 534 à 539.

3      Voir la Règle 330 des Règles de la Cour fédérale .

4      À la page 593 de cette décision, sir John Donaldson, M.R., dit :
             [TRADUCTION] Comme je l"ai déjà dit, l"ordonnance rendue ex parte est de nature essentiellement provisoire. Elle est rendue par le juge compte tenu de la preuve et des observations déposées par une seule partie. Même si le requérant a l"obligation de communiquer tous les renseignements pertinents qu"il a en sa possession, que ceux-ci étayent ou non sa demande, cela ne constitue pas un fondement suffisant pour rendre une ordonnance finale et tous les juges le savent bien. Le juge s"attend à pouvoir réviser ultérieurement l"ordonnance provisoire qu"il a rendue en tenant compte de la preuve et des observations déposées par l"autre partie; ce faisant, il ne se trouve pas à entendre l"appel de sa propre décision, et rien ne l"empêche d"annuler ou de modifier son ordonnance originale.              À la lumière de ce qui précède, il est difficile, voire impossible d"imaginer des cas où il conviendrait de porter en appel, devant la Cour, une ordonnance rendue ex parte avant que le juge qui l"a rendue ou, si celui-ci n"est pas disponible, un autre juge de la Haute Cour, ait d"abord eu l"occasion de la réviser en tenant compte des observations du défendeur, et de rendre une décision.
     Voir également Konami Industry Inc. et al. c. Colour Wheel's Electronics Ltd. et al. (1985), 4 C.P.R. (3d) 231 (C.F. 1re inst.).

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