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     Date : 19990330

     Dossier : A-192-98

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

Entre :


BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE

DE COMMERCE - CENTRE VISA

Demanderesse


et

     SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS-LES

     ET DE BUREAU, SECTION LOCALE 57 (SIEPB) CTC-FTQ

Intimé

     Audience tenue à Montréal (Québec) le jeudi, 25 mars 1999.

     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le mardi, 30 mars 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE LÉTOURNEAU

     LE JUGE NOËL

     Date : 19990330

     Dossier : A-192-98

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

Entre :


BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE

DE COMMERCE - CENTRE VISA

Demanderesse


et

     SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS-LES

     ET DE BUREAU, SECTION LOCALE 57 (SIEPB) CTC-FTQ

Intimé


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]      Le Conseil canadien des relations du travail ("le Conseil") a été saisi, le 17 décembre 1997, d'une demande d'accréditation présentée par le syndicat intimé ("le syndicat"). Conformément à l'article 10 du Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations du travail1 ("le Règlement"), le Conseil sommait l'employeur (la présente demanderesse), le 18 décembre 1997, d'afficher un avis afin de permettre à quelque 150 employés visés de faire connaître au Conseil, dans les dix jours suivant la date d'affichage dudit avis, leurs observations relativement à la demande d'accréditation. Il appert du dossier confidentiel dont la Cour a pu prendre connaissance qu'un certain nombre d'employés se sont prévalus de cette opportunité.

[2]      Dans sa réponse à la demande d'accréditation déposée le 9 janvier 1998, l'employeur a prétendu avoir "reçu de nombreuses plaintes verbales et écrites de la part d'employés relativement à du harcèlement, à des menaces et de l'intimidation". Il a produit en annexe, au soutien de son affirmation, "quelques-unes des lettres ainsi reçues" et a offert au Conseil de lui fournir "le nom des personnes qui se sont plaintes verbalement de tels agissements". L'employeur demandait en conséquence au Conseil d'instituer une enquête à cet égard, puis, au terme de cette enquête, "de se saisir formellement des violations aux articles 95(d) et 96 du Code[2] commises par [le syndicat]" et, s'il en venait à la conclusion que de telles violations avaient eu lieu, de rejeter la demande d'accréditation. Subsidiairement, l'employeur demandait qu'un scrutin secret soit tenu.

[3]      Le 22 janvier 1998, le syndicat, dans sa réplique au Conseil, niait "vigoureusement" l'affirmation de l'employeur "qui ne repose sur aucun fait précis et qui ne peut avoir comme seul objectif que l'obstruction systématique à la demande d'accréditation". Il demandait au Conseil de ne pas tenir compte des affirmations de l'employeur, "non seulement [parce que] l'employeur ne précise aucun fait supportant son affirmation, mais plus grave encore [parce que] le Conseil ne dispose d'aucune plainte concernant une telle violation". Il est acquis qu'aucune plainte conforme aux exigences de forme et de fond imposées par l'article 32 du Règlement n'avait encore été déposée.

[4]      Le 23 janvier 1998, le Conseil informait l'employeur que le Conseil n'avait effectivement reçu aucune plainte formelle.

[5]      Le 4 février 1998, l'employeur déposait sa réponse à la réplique du syndicat. Il soutenait que le Conseil refuserait d'exercer sa juridiction s'il n'acceptait pas de considérer les lettres annexées à sa réponse originale, le 22 janvier 1998, comme des plaintes. Quoi qu'il en soit, il déposait dès lors cinq plaintes formelles dans lesquelles il dénonçait la "sollicitation sur les lieux de travail et durant les heures de travail" qu'aurait faite le syndicat sans son consentement, ainsi que les "menaces" ou "mesures coercitives" auxquelles se serait livré le syndicat.

[6]      Le 5 février 1998, le syndicat, dans une nouvelle réplique, soumettait que les plaintes, telles que formulées, "ne renferment aucun fait concret pouvant soutenir l'ombre du début d'une infraction [...]".

[7]      La demande d'accréditation portait le numéro 18487-C et c'est sous ce numéro que furent déposés les documents susdits.

[8]      Le 5 février 1998, dans un dossier portant cette fois le numéro 18566-C, le Conseil envoyait au syndicat une copie des plaintes déposées la veille par l'employeur et invitait le syndicat à présenter sa réponse en conformité avec les exigences du Règlement. Le Conseil informait du même coup le syndicat qu'il avait chargé Lise Dumont, agente principale des relations du travail, d'aider les parties à régler les plaintes et qu'en cas d'impossibilité d'entente, une audience aurait lieu, ce que prévoit d'ailleurs l'article 98 du Code.

[9]      Il appert du dossier confidentiel que le Conseil a été informé par Lise Dumont, le 9 février 1998, dans le dossier 18487-C, de ce qui suit (que je me permets de citer puisque les extraits que je cite ne compromettent pas la confidentialité du processus):

     Nous avons reçu des interventions confidentielles de la part de [...] employés relativement à leur désir de ne pas être représentés par un syndicat. Certains mentionnent avoir été sollicités sur les lieux de travail et d'autres affirment avoir été harcelés.         

Un seul des employés en question avait signé une carte de membre. Madame Dumont confirme avoir vérifié les preuves d'adhésion syndicale et se dit d'avis que "[t]out est conforme aux exigences de l'article 24 du Règlement de 1992 du Conseil".

[10]      Il appert également du dossier confidentiel qu'à chacun des employés susdits le Conseil a répondu dans les termes habituels suivants:

     Vos observations seront portées à l'attention du Conseil, pour son usage confidentiel.         
     Puisque vous êtes une personne que l'affaire peut concerner, et puisque vous vous y êtes intéressée, vous serez avisée si le Conseil décide de tenir une audience dans cette affaire [...] En l'absence d'une audience, le Conseil tranche l'affaire en se fondant sur le contenu du dossier, y compris toutes les observations écrites au dossier, et sur les résultats des examens et des enquêtes qu'il aura jugé nécessaires.         

[11]      Le 13 février 1998, dans le dossier 18566-C, le syndicat répondait aux plaintes de pratique déloyale. Il se disait d'avis que les plaintes étaient abusives, dilatoires et manifestement mal fondées, du fait, particulièrement, qu'elles omettaient d'indiquer les faits qui les supportaient, semblable omission, selon la jurisprudence, constituant un manquement fatal aux exigences de l'article 32 du Règlement.

[12]      Le 15 février 1998, toujours dans le dossier 18566-C, le Conseil accusait réception de la réponse du syndicat.

[13]      Le 20 février 1998, de retour au dossier 18487-C, le Conseil "après enquête sur la demande et étude des observations des parties", se déclarait "convaincu que la majorité des employés veut que le syndicat les représente à titre d'agent négociateur" et accordait la demande d'accréditation. C'est la décision attaquée par cette demande de contrôle judiciaire.

[14]      Le 18 mars 1998, cette fois dans le dossier 18487-C, le Conseil informait le syndicat que l'audience relative aux plaintes de pratique déloyale se tiendrait les 29 et 30 juin 1998.

[15]      Le 20 mars 1998, l'employeur déposait au greffe de cette Cour la présente demande de contrôle judiciaire, par laquelle il attaquait la décision rendue par le Conseil le 20 février 1998 relativement à la demande d'accréditation et demandait à la Cour d'annuler ladite décision et de renvoyer le dossier au Conseil en lui ordonnant:

     a) d'enquêter à l'égard des plaintes logées en vertu des articles 95d) et 96 du Code [...] préalablement à toute décision relative à la demande d'accréditation;         
     b) de se saisir des plaintes déposées [...] préalablement à toute décision à l'égard de la demande d'accréditation;         
     c) de tenir une audition formelle à l'égard des plaintes [...] préalablement à toute décision à l'égard de la demande d'accréditation.         

[16]      Bien que les moyens d'attaque formulés par l'employeur soient mouvants et ambigus, je crois les refléter fidèlement en les énonçant comme suit:     1) le Conseil aurait violé la règle audi alternam partem en ne menant pas une enquête plus approfondie relativement à la vérification de la volonté des employés, en ne permettant pas à l'employeur de présenter de preuve à l'égard de ses allégations et plaintes de pratique déloyale, en ignorant des preuves au dossier et en ne décidant pas des plaintes de pratique déloyale avant de se prononcer sur la demande d'accréditation; et     2) le Conseil aurait excédé sa juridiction en rendant une ordonnance d'accréditation non motivée, ce second argument se transformant, lors de l'audience, en l'argument suivant: à la lumière des faits mis en preuve, la décision du Conseil ne peut être qu'absurde et irrationnelle en l'absence de motifs qui la soutiendraient.

[17]      Les procureurs nous ont informés à l'audience que vu le dépôt de la demande de contrôle judiciaire, l'audition relative aux plaintes de pratique déloyale qui devait avoir lieu les 29 et 30 juin 1998 avait été ajournée sine die.

[18]      Il sera utile de noter, pour les fins de la discussion qui suit, que c'est la même personne, soit Lise Dumont, qui a été mandatée par le Conseil pour faire l'enquête relative à la demande d'accréditation (dossier 18487-C) et pour tenter de concilier les parties dans le dossier des plaintes de pratique déloyale (dossier 18566-C).

[19]      Bref, le Conseil, conformément à sa pratique, a ouvert deux dossiers, l'un, portant numéro 18487-C, lors du dépôt de la demande d'accréditation le 17 décembre 1997, l'autre, portant numéro 18566-C, lors du dépôt par l'employeur de cinq plaintes de pratique déloyale, le 4 février 1998.

[20]      Le processus a dès lors poursuivi son cours normal. Dans le dossier d'accréditation: affichage de l'avis dans les bureaux de l'employeur; réception des réponses et répliques de l'employeur et du syndicat; réception des observations des employés en réponse à l'avis et accusé de réception tel que susdit; vérification de la preuve d'adhésion syndicale en conformité avec l'article 24 du Règlement; prise en considération des observations écrites, des lettres des employés et du rapport d'enquête; décision implicite de ne pas tenir d'audience, de ne pas consolider l'examen des deux dossiers et de se prononcer sur l'accréditation avant de se prononcer sur les plaintes; décision formelle motivée de façon sommaire, accueillant la demande d'accréditation.

[21]      Dans le dossier des plaintes: refus, conformément à l'article 32 du Règlement, de considérer comme plaintes des allégations qui ne répondaient pas aux exigences dudit article; acceptation des plaintes dès que validement déposées; invitation au syndicat d'y répondre; réception de la réponse du syndicat; détermination de la date de l'audience; ajournement de l'audience vu les procédures judiciaires entreprises par l'employeur.

[22]      Tout cela m'apparaît avoir été fait dans la plus totale normalité. Le Conseil aurait pu réunir les dossiers, ainsi que le permet l'article 15 du Règlement, mais il ne l'a pas fait. Le Conseil aurait pu ordonner la tenue d'une audience relativement au dossier d'accréditation, mais il ne l'a pas fait, ainsi que le permet expressément le paragraphe 19(2) du Règlement. Le Conseil aurait pu ordonner la tenue d'un scrutin de représentation, ainsi que le permet l'article 29 du Code, mais il ne l'a pas fait. Le Conseil aurait pu exiger un complément d'enquête, ainsi que le permet l'article 16 du Code, mais il ne l'a pas fait.

[23]      Nous sommes ici en plein coeur du champ d'expertise du Conseil. Sous le couvert d'un manquement aux règles de justice naturelle, l'employeur s'attaque en réalité à la décision du Conseil d'avoir choisi de ne pas faire ce que ni le Code ni le Règlement ne lui imposent de faire, d'avoir choisi de faire ce que le Code et le Règlement lui demandent ou lui permettent de faire et d'avoir choisi de faire ce qu'il a fait d'une manière prévue par le Code et par le Règlement. C'est là, ainsi que je le rappelais dans Terminaux portuaires du Québec Inc. v. Association des employeurs maritimes et al. (No. 2)3, un domaine où cette Cour ne saurait intervenir que si les agissements du Conseil sont manifestement déraisonnables.

[24]      Le Conseil est maître de sa procédure. Il est maître, aussi, de l'établissement de ses priorités. L'employeur nous invite à nous immiscer et dans l'une et dans l'autre. Il revenait au Conseil de jauger la gravité et la pertinence des allégations de l'employeur et de celles des employés mécontents et, s'il le jugeait opportun, d'adapter sa procédure et ses priorités en conséquence. La Cour ne saurait intervenir en matière de procédure et de priorités que s'il lui était évident, dans des circonstances données, que le Conseil ne pouvait raisonnablement s'être convaincu du souhait de la majorité des employés visés sans avoir au préalable disposé des plaintes ou sans avoir au préalable ordonné la tenue d'une audience ou la tenue d'un scrutin de représentation.

[25]      Or, le seul élément de preuve sur lequel l'employeur s'appuie en réalité pour justifier ses prétentions est l'allégation faite par deux employées, dans des déclarations assermentées déposées à l'appui de la demande de contrôle judiciaire, à l'effet que l'agente du Conseil, Lise Dumont, leur aurait mentionné lors d'une conversation téléphonique que le Conseil n'avait pris en considération que les plaintes des gens qui avaient signé des cartes d'adhésion.

[26]      Cette "preuve" me laisse sceptique. D'une part, en effet, même dans l'hypothèse où les propos de Lise Dumont sur ce qu'aurait fait le Conseil pouvaient être assimilés à des propos émanant du Conseil, on ne sait pas sur lequel des deux dossiers dont madame Dumont avait charge la conversation portait; je note, par exemple, qu'il est fait état de "plaintes" alors qu'on sait que les employées elles-mêmes n'en avaient déposé aucune. D'autre part, ce que je comprends des propos qu'on impute à madame Dumont à la lumière de ce que j'ai vu dans le dossier confidentiel, c'est que le Conseil était au courant des doléances exprimées par un certain nombre d'employés et a considéré comme des opposants ceux d'entre eux qui avaient fait part de leurs doléances et qui n'avaient pas signé de cartes de membre. Bref, le Conseil s'est assuré, au moment d'établir la représentativité du syndicat, de ne pas inclure ces employés dans le groupe, par ailleurs majoritaire, de ceux qui étaient favorables à l'accréditation.

[27]      Retenir les prétentions de l'employeur aurait pour effet de forcer le Conseil, dès lors qu'un employeur ou quelques employés manifestent leur désaccord par des allégations de pratique déloyale, à retarder l'accréditation. Ce n'est pas ce que le Code a voulu et ce n'est pas non plus ce que le Conseil peut encourager.

[28]      De plus, pour reprendre les propos du juge en chef Laskin dans Conseil canadien des relations du travail c. Transair Limited4:

     Ce n'est pas comme si les employés opposés se trouvaient sans recours. Le souhait des employés régit non seulement l'accréditation d'un agent négociateur mais aussi le retrait de son accréditation en vertu des dispositions du Code canadien du travail, les art. 137 et 138 [maintenant 38 et 39] s'appliquant à cet égard.         

[29]      Ici, le Conseil a informé les parties, le 18 mars 1998, que l'audition relative aux plaintes aurait lieu les 29 et 30 juin 1998. Si le Conseil devait, au terme de cette audition qui a été ajournée en raison de la présente demande de contrôle judiciaire, juger les plaintes bien fondées, la question du retrait de l'accréditation pourrait alors se poser. Nous n'en sommes pas là.

[30]      Vu la conclusion à laquelle j'en arrive, il ne m'est pas nécessaire de m'attarder à l'argument relatif à l'absence ou à l'insuffisance des motifs. Le Conseil n'a pas l'obligation de motiver. Il a choisi, ici, de donner des motifs, encore que sommaires. Rien ne permet de dire que le Conseil n'a pas fait ce qu'il dit avoir fait. Rien ne permet de même suggérer que le résultat de l'exercice mené par le Conseil est à ce point absurde à la lumière des faits mis en preuve qu'il eût dû s'en expliquer par des motifs plus élaborés.

[31]      La demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée avec dépens.

     "Robert Décary"

     j.c.a.

"Je suis d'accord

     Gilles Létourneau j.c.a."

"Je suis d'accord

     Marc Noël j.c.a."

__________________

1      DORS/91-622.

2      Code canadien des relations du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 ("le Code").

3      (1992), 142 N.R. 44 (C.A.F.).

4      [1977] 1 R.C.S. 722 à la p. 743.

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