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     Date : 20000327

     Dossier : A-542-97

     (T-1710-96)

CORAM :      LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     appelant

     (défendeur)

     - et -


     BARRY GREEN

     intimé

     (demandeur)



     JUGEMENT


     La Cour fait droit à l'appel et rejette l'appel incident avec dépens, annule l'ordonnance du juge en date du 8 juillet 1997 et rejette le recours en contrôle judiciaire.

     Signé : J.T. Robertson

     ________________________________

     J.C.A.



Traduction certifiée conforme,





Bernard Olivier, LL.B.




     Date : 20000327

     Dossier : A-542-97

     (T-1710-96)

CORAM :      LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     appelant

     (défendeur)

     - et -


     BARRY GREEN

     intimé

     (demandeur)




Audience tenue à Ottawa (Ontario) le mercredi 15 mars 2000




Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 27 mars 2000




MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE ROBERTSON

     LE JUGE ROTHSTEIN




     Date : 20000327

     Dossier : A-542-97

     (T-1710-96)

CORAM :      LE JUGE ROBERTSON

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     appelant

     (défendeur)

     - et -


     BARRY GREEN

     intimé

     (demandeur)



     MOTIFS DU JUGEMENT


Le juge SHARLOW


[1]      Barry Green, contrôleur de la circulation aérienne au service de Transports Canada, avait été congédié par suite d'un incident survenu le 9 mai 1995, au moment où il était seul de garde à la tour de contrôle de Sudbury. Le renvoi a été décidé sur recommandation de M. Mel Cooper, surintendant des opérations des tours de contrôle de la région ontarienne. La lettre de renvoi porte notamment ce qui suit :

     [TRADUCTION]

     J'ai constaté que le 09 mai 1995, vous avez sciemment laissé la tour de contrôle de Sudbury sans surveillance pendant à peu près 35 minutes. Vous avez ainsi mis en danger la sécurité des voyageurs aériens et fait fi des responsabilités de vos fonctions.
     Ces actes constituent un abus de confiance irrémédiable.
     En conséquence, je n'ai d'autre choix que de mettre fin à votre emploi AI-OPR-02 à compter du lundi 29 mai 1995 après la fermeture des bureaux.

[2]      M. Green a fait un grief contre le renvoi, comme il en avait le droit conformément au sous-alinéa 92(1)b)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35. L'audition de ce grief par une arbitre, membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), a pris huit jours pendant la période allant du 15 novembre 1995 au 23 mai 1996. Le 14 juin 1996, l'arbitre a rejeté le grief par les motifs suivants (pages 20 à 24) :

         Le fait que M. Green a quitté son poste pendant environ 35 minutes pour déjeuner au restaurant de l'aéroport n'est pas contesté.
         Une grande partie de la défense de M. Green se fondait sur l'argument que sa conduite n'était pas extrêmement grave puisque la tour de l'aéroport de Sudbury est fermée chaque soir de 23 h à 7 h et que, par conséquent, pendant l'absence de M. Green le 9 mai, les aéronefs s'étaient comportés comme ils l'auraient fait pendant les heures de nuit et avec le même degré de sécurité. Je ne puis accepter cet argument. Les contrôleurs à Toronto s'attendaient à ce que M. Green revienne d'une minute à l'autre. En l'absence d'autres renseignements, ils ont procédé en se fondant sur cette hypothèse et ils ont continué de traiter la zone de Sudbury comme espace aérien contrôlé. M. Green continuait d'exercer le contrôle sur son propre espace aérien. La possibilité de confusion tient au fait que personne ne savait exactement ce qui se passait, où était le contrôleur et combien de temps durerait son absence. Les aéronefs et les véhicules de l'aéroport s'attendent à un contrôle intégral sauf durant certaines heures. Ils ont le droit de compter là-dessus et d'établir leurs plans en conséquence.
         L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a maintenu qu'en l'absence de celui-ci, l'espace aérien redevenait un espace de classe E. Que ce soit le cas ou non, le Manuel de gestion et d'administration des services de la circulation aérienne précise clairement qu'un contrôleur " seul en poste " ne doit quitter son poste que par nécessité absolue, pour quelques minutes seulement et ce, seulement lorsqu'il n'y a aucun trafic connu ou prévu.
         J'accepte le témoignage de M. Cooper à l'effet que dans leur formation et par leur expérience, tous les contrôleurs apprennent qu'à tout moment un contrôleur doit être présent dans la tour pendant les heures de service, et que même si la directive sur les pauses ne se trouvait pas dans la tour, M. Green n'était nullement excusé de remplir cette obligation. En sa qualité de contrôleur chevronné, M. Green savait ce qu'il était censé faire. Il a tout simplement décidé le 9 mai de sortir déjeuner, faisant abstraction de ces principes fondamentaux de contrôle de la circulation aérienne.
         En outre, il ne s'agit pas ici d'un contrôleur qui s'est trouvé dans une situation d'urgence extrême, qui avait absolument besoin de prendre une pause pour aller à la toilette et qui est revenu le plus vite possible à son poste après avoir d'abord pris toutes les précautions possibles pour éviter les problèmes en son absence. M. Green, tout simplement, est sorti déjeuner.
         De plus, il y avait plusieurs moments au cours de la matinée où le trafic lui aurait permis de prendre une pause s'il en avait absolument besoin. Or, malgré son besoin urgent d'aller à la toilette, avant de quitter la tour il a annoncé aux préposés au contrôle de la circulation aérienne à Toronto qu'il allait déjeuner. De même, au cours de sa conversation téléphonique avec M. Cooper 17 minutes seulement après son retour à son poste dans la tour le 9 mai, la seule raison qu'il a donnée à M. Cooper pour expliquer son absence était qu'il était allé déjeuner. Il reconnaît qu'il n'est pas revenu à son poste après être allé à la toilette et avant d'aller déjeuner.
         Le fonctionnaire s'estimant lésé aurait dû savoir pertinemment qu'en sa qualité de contrôleur " seul en poste " responsable de la tour, il ne devait pas quitter son poste sauf s'il n'y avait pas de trafic et alors seulement pour prendre une courte pause par nécessité absolue, ce qu'on a interprété dans le passé comme voulant dire pour aller à la toilette. Même si le document exposant la politique concernant les pauses ne se trouvait pas dans la cabine de la tour le jour en question, le fonctionnaire a montré qu'il était bien au courant de la politique elle-même.
         Le fonctionnaire s'estimant lésé a décrit en détail comment il s'était sali en allant à la toilette, avait dû laver ses sous-vêtements et les avait déposés dans son camion avant d'aller déjeuner. Lorsqu'il a parlé à Mme Shelsted à son retour à son poste dans la tour, il lui a dit qu'il était sorti déjeuner mais il n'a mentionné aucune autre urgence personnelle ou autre indisposition. Visiblement, la principale raison pour laquelle il s'était absenté de la tour était pour lui à ce moment-là, comme avant, le désir d'aller déjeuner.
         Le fonctionnaire s'estimant lésé a justifié le fait qu'il était sorti déjeuner alors qu'il y avait du trafic dans sa zone en affirmant qu'un ancien gestionnaire sous les ordres duquel il avait travaillé, M. Cubitt, lui avait dit que la politique écrite qui était en vigueur à l'époque où il travaillait pouvait être interprétée comme signifiant qu'il était loisible de prendre des pauses au cours de périodes de trafic " minimal " et non seulement au cours de périodes sans trafic. M. Cubitt n'a pas été cité comme témoin. Toutefois, M. Green a par la suite travaillé sous les ordres de gestionnaires qui ont fait circuler leurs propres notes de service sur les pauses, selon lesquelles celles-ci ne devaient être prises que pendant les périodes où il n'y avait pas de trafic. M. Green a admis que ni l'un ni l'autre de ces deux gestionnaires plus récents ne lui avaient dit qu'il pouvait faire abstraction de leurs directives explicites et écrites.
         Quoi qu'il en soit, M. Green a pris une pause-déjeuner et non seulement une pause comme telle. Il a déclaré qu'il commençait à avoir mal à la tête et qu'il avait besoin de manger. Il y a un certain nombre d'années que les contrôleurs savent qu'ils peuvent s'attendre à travailler " seuls en poste " à l'occasion. M. Green ne s'est pas préparé à cette éventualité en apportant son déjeuner ou en gardant de la nourriture au travail en cas d'urgence. Il n'a pas essayé d'envoyer chercher ou de commander un repas à l'extérieur et n'a même pas ramené son déjeuner à la tour pour le réchauffer dans le four à micro-ondes qui s'y trouve. Au contraire, il a commandé le spécial du jour au restaurant, s'est assis pour le manger, puis est retourné à son poste dans la tour. À son retour, il est passé par l'aire de réception et a dit à la commis, Mme Shelsted, qu'il était sorti déjeuner; il a fait un geste au-dessus de la tête pour indiquer des aéronefs en train de circuler et a dit que : " des avions volaient dans tous les sens ". Quels qu'aient été les sentiments de M. Green à ce moment-là, la sécurité du public voyageur n'était pas au premier plan de ses pensées.
         Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il croyait qu'il lui était permis de sortir de la tour pour déjeuner parce que M. Larivière avait été autorisé à ce faire en juillet 1994. À l'appui de la position de M. Green, M. Larivière a témoigné que M. Green le lui avait effectivement dit et il a présenté pour étayer son témoignage ses notes personnelles du 12 mai (pièce G-21). Cependant, l'enregistrement d'une conversation téléphonique entre M. Green et M. Larivière le 15 mai qu'on a fait passer sur magnétophone à l'audience va clairement à l'encontre de cet élément de preuve. Rien ne saurait être plus clair que les mots employés par M. Green pour exprimer sa stupéfaction devant le fait que M. Larivière avait reçu la permission de quitter son poste pour aller déjeuner. En outre, un certain nombre d'autres facteurs font que les deux cas, celui de M. Green et celui de M. Larivière, sont très différents l'un de l'autre.
         Laisser la tour sans contrôleur pendant les heures de service alors que des aéronefs utilisent l'espace aérien en question est un délit grave qui justifie le congédiement. Après avoir pris en compte toutes les circonstances atténuantes qu'a fait valoir l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé, je dois conclure qu'elles ne suffisent pas pour réduire la peine de congédiement.
         L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé voudrait que je conclue qu'il s'agit ici d'un incident isolé dans la longue carrière (entre 23 et 24 ans) de M. Green en tant que contrôleur et qu'il est peu probable qu'il se produise de nouveau. J'aimerais bien croire que c'est effectivement le cas.
         Étant donné les longs états de service et le bon dossier d'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé, j'ai examiné la preuve pour voir s'il avait manifesté des remords ou compris les conséquences possibles de sa conduite. Cependant, même après l'incident, il a continué de justifier et de minimiser sa conduite, tant lors de son entrevue avec M. Cooper le 16 mai qu'à l'audience. Même si, pendant son entrevue avec M. Cooper, il a dit qu'il " regrettait tout ce qui se passait ", selon d'autres éléments de preuve il semble que, même au moment de l'audience, il n'avait pas compris la gravité de sa conduite du 9 mai (pièce E-22). Il en voulait à M. Cooper d'avoir parlé de lui comme il l'avait fait " simplement parce qu'il avait omis de faire une chose ". À son avis, M. Cooper avait " réagi de façon excessive ".
         On a laissé entendre qu'il y avait déjà eu des démêlés entre M. Green et M. Cooper et que ces démêlés avaient influé sur la décision de celui-ci de congédier le fonctionnaire s'estimant lésé. Le seul élément de preuve déposé à cet égard est une remarque à l'effet qu'il se vengerait " d'une façon ou d'une autre " que M. Cooper aurait faite en 1987 ou 1988 à North Bay, sans véritable contexte. Étant donné que M. Cooper nie avoir fait cette remarque et vu son témoignage non contesté selon lequel il travaillait sur l'île de Toronto à l'époque, j'accorde peu de poids à cet élément de preuve. Quoi qu'il en soit, la décision de M. Cooper de congédier le fonctionnaire s'estimant lésé est amplement justifiée par les faits.
         Dans ces circonstances, la position de l'employeur selon laquelle le lien de confiance qui doit exister entre lui et M. Green a été irrémédiablement détruit n'est pas déraisonnable. La preuve ne peut appuyer une conclusion de ma part à l'effet que la décision de l'employeur de congédier M. Green est déraisonnable, de manière à me permettre d'infirmer sa décision.
         Le grief est rejeté.

[3]      M. Green a saisi la Section de première instance de notre Cour d'un recours en contrôle judiciaire contre la décision de l'arbitre, soutenant que celle-ci n'avait pas correctement appliqué le principe dégagé dans la jurisprudence Brown v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.) et, de ce fait, avait tiré des conclusions erronées sur la crédibilité de deux témoins. Le juge saisi a rejeté cet argument.

[4]      M. Green soutenait encore que l'arbitre avait commis une erreur dans son application des principes de sanction disciplinaire corrective et progressive en ce qu'elle s'est fondée sur la conclusion à l'absence de remords chez lui pour justifier une sanction plus sévère qu'il ne conviendrait d'imposer, et qu'elle n'a pas convenablement pris en considération ses états de service ni les conséquences du renvoi.

[5]      Par décision en date du 8 juillet 1997, le juge a annulé la décision de l'arbitre et renvoyé l'affaire pour instruction par un autre arbitre " pour appliquer la sanction appropriée, compte tenu des principes d'action disciplinaire corrective et progressive ainsi que des motifs de la présente décision " (Green c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 134 F.T.R. 108, page 116).

[6]      La Cour est maintenant saisie de l'appel formé par l'employeur contre la décision du juge, et de l'appel incident de M. Green au sujet de l'application de la jurisprudence Brown v. Dunn.

L'appel de l'employeur

[7]      En cas de recours contre la décision rendue par un arbitre sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable; v. Barry c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 221 N.R. 237 (C.A.F.), où sont appliquées les conclusions tirées dans Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579, c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316. Ainsi donc, la décision de l'arbitre est valide à moins qu'elle ne soit " clairement irrationnelle, c'est-à-dire de toute évidence non conforme à la raison " (motifs prononcés par le juge Cory dans Canada (P.G.) c. AFPC , [1993] 1 R.C.S. 941, page 963).

[8]      Une décision peut être manifestement déraisonnable si, par exemple, elle n'est pas justifiée par les preuves produites ou si elle est fondée sur un raisonnement défectueux. Cependant, elle ne l'est pas du seul fait qu'elle est fondée sur des preuves qui sont interprétées d'une certaine façon alors qu'elles auraient pu être interprétées d'une autre, ou si les motifs de décision ne s'attachent pas à chaque point qui pourrait être débattu. Il échet d'examiner en l'espèce si le juge a correctement appliqué la norme de la décision " manifestement déraisonnable " dans le contrôle de la décision de l'arbitre.

[9]      Il a annulé la décision de l'arbitre par ce motif que celle-ci ne prenait pas en compte les longs états de service sans tache de M. Green, ni les conséquences du renvoi, afin de considérer la possibilité de mesures disciplinaires correctives au lieu du renvoi. Il a qualifié cette omission de défaut de prendre en considération les éléments de preuve pertinents et d'erreur de droit, aboutissant à une décision manifestement déraisonnable.

[10]      Une question préalable se pose, savoir si les états de service de M. Green pouvaient être qualifiés à juste titre de " sans tache ". Il a fait l'objet d'une décision d'arbitre en 1994 au sujet d'une procédure de grief qu'il avait engagée contre une mesure disciplinaire. L'avocat représentant l'employeur fait savoir que cette décision était portée à la connaissance de l'arbitre saisie de l'affaire en instance. Elle n'était cependant pas versée au dossier soumis au juge, ni n'a été portée à son attention.

[11]      Dans ses motifs de décision, l'arbitre ni ne faisait état de cette décision de 1994 ni n'indiquait qu'elle en avait tenu compte. Durant l'époque considérée, l'article 7 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l'Association canadienne du contrôle du trafic aérien prévoyait la purge du dossier de l'employé de toute mention de mesure disciplinaire après deux ans, s'il n'y avait aucune autre sanction disciplinaire entre-temps. L'avocat de l'employeur fait savoir qu'en application de cette disposition, la preuve de mesures disciplinaires antérieures n'est pas produite devant les arbitres, sauf pour attaquer la crédibilité de témoins.

[12]      Il ressort des motifs pris par l'arbitre qu'elle avait conscience des longs et bons états de service de M. Green. Elle a mentionné la conclusion par l'avocat de ce dernier que l'incident en question était " un incident isolé durant les 23 à 24 années de la longue carrière de contrôleur de la circulation aérienne de M. Green " ainsi que ses " longs et bons états de service ". Le juge a donc commis une erreur en concluant que ces facteurs n'avaient pas été pris en considération.

[13]      Il est tout aussi clair que l'arbitre n'acceptait pas l'argument que la longueur ou la qualité des états de service de M. Green l'emportait sur l'énormité qu'était l'abandon de son poste pendant 35 minutes. L'appréciation et la mise dans la balance de considérations contradictoires relèvent parfaitement de l'expertise et de la compétence de l'arbitre. Le traitement qu'elle réservait aux états de service de M. Green ne révèle aucune erreur justifiant l'intervention du juge.

[14]      Quant à la question de savoir si elle a commis une erreur faute d'avoir pris en compte les conséquences du renvoi, l'avocat de M. Green cite ce passage de D.J.M. Brown et D.M. Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd. (Aurora : Canada Law Book Inc., 1999), 7:4426 :

     [TRADUCTION]

     En raison peut-être de la conjoncture économique difficile de l'époque, les arbitres se sont basés sur les graves difficultés financières que représenterait leur renvoi pour certains employés, pour substituer une autre sanction au renvoi. Il n'est pas étonnant que les considérations de ce genre semblent plus prédominantes durant les périodes de chômage élevé, en particulier à l'égard des travailleurs plus âgés, des femmes et des minorités, qui, à part la transgression en cause, ont eu de longs états de service exemplaires. Une arbitre au moins a conclu que le renvoi éventuel d'un employé à 18 mois de son admissibilité à la pension de retraite, avec les difficultés financières concomitantes, était une circonstance atténuante. [notes de bas de page occultées]

[15]      L'avocat de l'employeur ne dit pas que pareilles considérations ne pèsent jamais dans la balance. Son objection à cet élément de la décision du juge est plus fondamentale. Il affirme, sans être contredit par l'avocat de M. Green, que ce point n'a pas été débattu devant le juge. S'il avait su, dit-il, que celui-ci conclurait que M. Green ne serait pas en mesure de trouver du travail comme contrôleur de la circulation aérienne, puis en ferait un motif de sa décision, il aurait demandé l'autorisation de produire des preuves sur ce point. De son côté, l'avocat de M. Green soutient qu'il appartenait au juge de prendre acte de son propre chef du fait qu'il n'y a au Canada qu'un seul employeur de contrôleurs de la circulation aérienne.

[16]      Je conviens avec l'avocat de l'employeur que le juge n'aurait pas dû conclure que l'arbitre avait commis une erreur sur un point au sujet duquel aucune preuve n'avait été produite et qui n'avait été débattu ni dans la procédure de grief ni dans la procédure de contrôle judiciaire.

[17]      Un motif majeur de la décision du juge est sa conclusion que l'arbitre a commis une erreur faute de mentionner la possibilité de mesures disciplinaires correctives ou progressives. C'est dans le même ordre d'idées que M. Green reproche à l'arbitre de citer l'absence de remords pour justifier une sanction plus grave qu'elle n'aurait dû l'être.

[18]      À ce sujet, son avocat cite le passage suivant de Brown et Beatty, op. cit., " 7:4420 :

     [TRADUCTION]

     La théorie de la sanction disciplinaire progressive, qui découle de l'obligation d'avertir l'employé de la gravité avec laquelle l'employeur juge ses fautes, n'est qu'une manifestation de la récente reconnaissance dans les sentences arbitrales du thème de la correction qui sous-tend l'action disciplinaire dans les relations du travail. En termes simples, la gravité progressive des sanctions disciplinaires appliquées en cas d'inconduite persistante devrait donner à l'employé un certain encouragement à s'amender. Ainsi que l'a fait observer un arbitre :
         L'un des avantages de la méthode des sanctions disciplinaires progressives est qu'elle permet aux parties de savoir exactement où en sont les choses entre elles. L'employé qui fait l'objet d'une sanction disciplinaire corrective sait que l'avertissement fera place en cas de nouvelle transgression à la suspension et que celle-ci fera place au renvoi s'il récidive.
     Cette théorie a été aussi acceptée à titre de principe applicable aux renvois contestés sous le régime du Code canadien du travail, qui interdit le renvoi sans motif valable.

     "

     L'accent mis sur le potentiel de réadaptation du plaignant semble particulièrement impérieux dans les cas où l'arbitre est convaincu que l'intérêt qu'a l'employeur dans la préservation de l'intégrité de son service peut être satisfait par une sanction autre que le renvoi de l'employé en question " [notes de bas de page occultées]

[19]      De son côté, l'avocat de l'employeur cite ce passage du même paragraphe du même texte, qui suit le passage reproduit ci-dessus :

     [TRADUCTION]

     Par contre, dans les cas où l'arbitre voyait dans le refus par le plaignant d'accepter les faits avérés ou de reconnaître sa faute, " , la manifestation d'une absence de potentiel de réadaptation, il s'est fondé sur ce facteur pour décider de ne pas exercer ses pouvoirs discrétionnaires pour réformer la sanction disciplinaire appliquée.
     Il est vrai que nombre d'arbitres acceptent à l'heure actuelle l'idée que la théorie de la réadaptation en matière de sanction disciplinaire sous-entend que le renvoi d'un employé pour motif valable est subordonnée à la conclusion que " les relations entre l'employeur et l'employé ont été si irrémédiablement compromises qu'il n'est plus question de les maintenir à l'avenir ", mais les arbitres sont divisés sur la question de savoir si cette théorie, dans les cas qui s'y prêtent, " prescrit un programme de sanctions disciplinaires correctives, conçu pour réintégrer l'employé dans le personnel avec son plein potentiel " " [notes de bas de page occultées]

[20]      Compte tenu de cette explication du principe de sanction disciplinaire progressive ou corrective, la décision confirmant un renvoi n'est pas manifestement déraisonnable si les preuves produites devant l'arbitre permettent de conclure que les relations entre employeur et employé sont irrémédiablement compromises et qu'il n'y a aucun potentiel de réadaptation.

[21]      En l'espèce, l'arbitre n'était pas convaincue que M. Green ne récidiverait pas. Elle a essayé de relever des manifestations de remords ou de conscience de la gravité de ses agissements, elle n'en a pas trouvées. Elle a constaté par contre qu'il continuait à minimiser et à justifier ses agissements. Elle en a conclu que " l'affirmation par l'employeur que la relation de confiance entre lui-même et M. Green a été irrémédiablement rompue n'est pas déraisonnable ".

[22]      Si on considère dans leur ensemble les motifs pris par l'arbitre, il est indéniable qu'elle a conclu qu'il s'agit en l'espèce d'un manquement grave à une importante politique de sécurité publique par un employé qui n'a guère de potentiel de réadaptation. Je ne peux convenir avec le juge qu'elle a commis une erreur faute d'avoir considéré expressément la possibilité de mesures disciplinaires correctives ou progressives.

[23]      Je ne peux non plus accepter l'argument de M. Green que l'arbitre voyait à tort dans " l'absence de remords " une circonstance aggravante : College of Physicians and Surgeons of Ontario v. Gillen (1993), 13 O.R. (3d) 385 (C.A. Ont.). D'après ce que je vois de la décision de l'arbitre, elle a conclu que les agissements de l'intimé justifiaient son renvoi puis elle a examiné s'il y avait des circonstances atténuantes, dont le remords, et n'en a trouvé aucune.

[24]      Par ces motifs, il faut faire droit à l'appel de l'employeur.

L'appel incident de M. Green

[25]      La jurisprudence Brown v. Dunn pose pour règle de preuve que dans le cas où la crédibilité d'un témoin est mise en doute à la lumière d'éléments de preuve qui contredisent son témoignage, il faut lui donner la pleine possibilité d'expliquer cette contradiction. Il s'agit là d'une règle fondée sur la justice et la raison. Son application est fonction des circonstances de la cause. Le juge des faits est toujours habilité à mettre en doute ou à rejeter tout témoignage rendu (J. Sopinka, S.N. Lederman et A.W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1999), pages 954 à 957).

[26]      Ce précédent a été invoqué en l'espèce au sujet du témoignage de deux témoins, M. Larivière et M. Turner, cités l'un et l'autre par M. Green.

[27]      Le témoignage de M. Larivière, lui-même contrôleur de la circulation aérienne, visait à corroborer l'assertion faite par M. Green que le 9 juillet 1995, c'est-à-dire le jour où il a laissé la tour de contrôle sans surveillance, il savait que M. Larivière avait fait la même chose le 23 juillet 1994. Ce jour-là, ce dernier était seul de service à la tour de contrôle de Sudbury quand son directeur, M. Eastaugh, lui donna la permission de prendre une pause-déjeuner. C'est lui qui a raconté à M. Green cet incident quelque temps après.

[28]      Après que M. Larivière eut donné son témoignage, l'arbitre a entendu l'enregistrement d'une conversation entre celui-ci et M. Green le 15 mai 1995. Elle a interprété cette conversation comme indiquant que c'était seulement le 15 mai 1995 que M. Green fut mis au courant de l'incident du 23 juillet 1994 concernant M. Larivière.

[29]      Afin de réfuter cet élément de preuve, M. Larivière a été rappelé à la barre. Il a produit des notes de son dossier personnel sur une conversation le 12 mai 1995 entre lui-même et M. Green. Voici ce qu'il y a consigné : " Me souviens que Eastaugh a dit à R.L. de prendre une pause raisonnable dans les mêmes circonstances ". M. Larivière n'a pas été contre-interrogé. L'avocat de M. Green soutient que puisque M. Larivière n'a pas été contre-interrogé, l'arbitre n'aurait pas dû conclure que ses notes étaient inexactes.

[30]      Nous ne sommes pas en présence d'un cas qui requière l'application de la règle dégagée dans Brown v. Dunn. Pour décider ce que M. Green savait le 9 mai 1995 quand il quitta la tour de contrôle pour aller déjeuner, l'arbitre était en droit de considérer l'enregistrement de la conversation comme étant plus digne de foi que les notes de M. Larivière.

[31]      L'avocat de M. Green soutient encore que la règle dégagée dans Brown v. Dunn s'applique au témoignage de M. Turner, un autre contrôleur de la circulation aérienne, cité pour témoigner sur l'animosité entre M. Green et M. Cooper. M. Turner dit se souvenir d'une conversation en 1987 ou 1988 avec M. Turner qui lui disait que d'une façon ou d'une autre, il réglerait son compte à M. Green. M. Turner ne pouvait se rappeler comment ils ont abordé ce sujet ou si quelqu'un a entendu la conversation. Il ne savait rien des relations entre les deux. Cette histoire avec M. Green n'a plus jamais été mentionnée. M. Turner n'a pas été contre-interrogé. M. Cooper, qui témoignait en faveur de l'employeur avant que M. Turner ne fût appelé à la barre, nie qu'il ait dit à M. Turner qu'il réglerait son compte à M. Green.

[32]      L'arbitre n'a pas conclu que M. Turner ne fût pas digne de foi. Elle n'a tout simplement guère attaché d'importance à son témoignage, notant que même s'il était révélateur de quelque animosité par le passé, il y avait suffisamment de faits pour justifier la décision de renvoyer M. Green. La règle dégagée dans Brown v. Dunn n'interdit pas à l'arbitre de tirer cette conclusion.

[33]      Par ces motifs, il faut rejeter l'appel incident.

Conclusion

[34]      Je me prononce pour l'accueil de l'appel, le rejet de l'appel incident, l'annulation de l'ordonnance du juge, le rejet du recours en contrôle judiciaire, et par voie de conséquence, le rétablissement de la décision de l'arbitre.

     Signé : Karen R. Sharlow

     ________________________________

     J.C.A.

Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : Joseph T. Robertson, J.C.A.

Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : Marshall Rothstein





Traduction certifiée conforme,





Bernard Olivier, LL.B.


     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              A-542-97

APPEL CONTRE L'ORDONNANCE RENDUE LE 8 JUILLET 1997 PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA, DOSSIER T-1710-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Procureur général du Canada c. Barry Green

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          15 mars 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :          Le juge Robertson

                     Le juge Rothstein



ONT COMPARU :


M. Ronald M. Snyder                      POUR L"APPELANT

M. Henry Brown, c.r.

M. Peter J. Barnacle                      POUR L"INTIMÉ


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. Morris Rosenberg                      POUR L"APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

M. Peter J. Barnacle                      POUR L"INTIMÉ

Association canadienne du contrôle

du trafic aérien

Nepean (Ontario)

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