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Date : 20000419


Dossier : A-533-98


OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 19 AVRIL 2000.


CORAM :          LE JUGE DÉCARY

             LE JUGE ROTHSTEIN

             LE JUGE MALONE


ENTRE :



GEORGE DESNOMIE


appelant


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE


intimée



JUGEMENT

     L"appel est rejeté avec dépens.



" Robert Décary "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.





Date : 20000419


Dossier : A-533-98


OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 19 AVRIL 2000.


CORAM :          LE JUGE DÉCARY

             LE JUGE ROTHSTEIN

             LE JUGE MALONE


ENTRE :



GEORGE DESNOMIE


appelant


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE


intimée




AUDIENCE tenue à Winnipeg (Manitoba), le vendredi 30 mars 2000.

JUGEMENT RENDU à Ottawa (Ontario), le mercredi 19 avril 2000.




MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                      LE JUGE ROTHSTEIN
                                      et LE JUGE MALONE
Y A SOUSCRIT :                              LE JUGE DÉCARY




Date : 20000419


Dossier : A-533-98


OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 19 AVRIL 2000.


CORAM :          LE JUGE DÉCARY

             LE JUGE ROTHSTEIN

             LE JUGE MALONE


ENTRE :



GEORGE DESNOMIE


appelant


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE


intimée


MOTIFS DU JUGEMENT


LES JUGES ROTHSTEIN ET MALONE

[1]      La question en litige, dans le présent appel d"une décision rendue le 23 juin 19981 par le juge Archambault de la Cour canadienne de l"impôt, est celle de savoir si le revenu d"emploi de l"appelant est exonéré d"impôt en vertu des alinéas 87(1)b ) ou 90(1)b) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. ch. I-5.

[2]      Les alinéas 87(1)b) et 90(1)b) prévoient :

87.(1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83, the following property is exempt from taxation, namely

...

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.


90(1) For the purposes of sections 87 and 89, personal property that was

...

(b) given to Indians or to a band under a treaty or agreement between a band and Her Majesty,

shall be deemed always to be situated on a reserve.

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

[...]

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.



90(1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été :

[...]

b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

[3]      L"appelant est un Indien. En 1989, il était le directeur général de la Manitoba Indian Education Association (MIEA). Cette année-là, son revenu d"emploi a été de 41 375,54 $. La somme de 11 029,13 $ a été retenue à la source aux fins de l"impôt. Dans sa déclaration de revenus pour cette année-là, il a prétendu que son revenu d"emploi n"était pas imposable en vertu des articles 87 et 90 de la Loi sur les Indiens . L"appellant a réclamé le remboursement du montant de son impôt retenu à la source.

[4]      Par avis de nouvelle cotisation, en date du 11 mars 1991, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour l"appelant qui incluait son revenu d"emploi dans le calcul de son revenu imposable. Le juge Archambault a rejeté l"appel interjeté par l"appelant à la Cour canadienne de l"impôt.

L"ALINÉA 87(1)b) (ANALYSE DU JUGE ROTHSTEIN)

[5]      Pour en arriver à cette conclusion, le juge Archambault a appliqué le critère bien établi " des facteurs de rattachement ", d"abord énoncé par la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Williams c. Canada2, qui sert à déterminer le situs des biens incorporels, comme le revenu d"emploi. Tel que l"énonce le juge Gonthier à la page 887 :

Le critère du situs, à l"art. 87, a pour objet de déterminer si l"Indien détient les biens en question en vertu des droits qu"il possède à titre d"Indien sur la réserve.

[6]      La difficulté quant aux biens incorporels est qu"il peut être considéré que les biens n"ont pas de situs , ou au contraire, qu"ils en comptent trop. Le juge Gonthier énonce, à la page 891 de l"arrêt Williams :

Il y a le situs du débiteur, le situs du créancier, le situs du versement du paiement, le situs de l'emploi donnant droit au revenu en question et le situs de l'utilisation du paiement, et d'autres sans doute. Il faut ensuite déterminer quel est le lieu pertinent ou encore quelle est la combinaison de ces facteurs qui détermine le lieu de l'opération.

[7]      La question qui se posait devant le juge Archambault dans la présente affaire était la détermination du lieu où se faisaient les opérations donnant lieu au revenu d"emploi du demandeur versé par la MIEA. Le savant juge a tenu compte des facteurs de rattachement suivants :

     1)la résidence de l"employeur;
     2)      la résidence de l"employé;
     3)      le lieu où le travail a été accompli;
     4)      le lieu où l"employé était payé;
     5)      la nature des services fournis ou les circonstances particulières dans lesquelles ils ont été fournis.

[8]      Le juge Archambault a conclu que Winnipeg était la résidence de l"employeur ainsi que de l"employé, l"endroit ou le travail a été accompli et, par déduction, le lieu où l"appelant était payé. Ces facteurs ne rattachaient pas le revenu d"emploi de l"appelant à une réserve.

[9]      Le savant juge a ensuite analysé les circonstances particulières de l"emploi de l"appelant. La MIEA est une corporation à but non lucratif. La fonction de l"association (entre autres choses) est de contribuer à l"éducation à l"extérieur des réserves des enfants qui viennent des réserves. Les services offerts comprennent : 1) de l"aide pour s"acclimater à la vie en ville; 2) l"organisation de l"aide financière; 3) la prestation de services de consultation personnelle, financière, académique, scolaire et professionnelle; 4) la prestation d"un service de tutorat.

[10]      Le savant juge n"a pas accordé beaucoup de poids au facteur des circonstances particulières. Il écrit, au paragraphe 23 :

         Le fait que la clientèle de l"employeur était composée d"étudiants autochtones qui venaient des réserves ne devrait pas avoir beaucoup d"importance. Ces étudiants autochtones vivaient en dehors de la réserve pendant au moins huit à dix mois, pendant qu"ils bénéficiaient des services qui leur étaient fournis par la MIEA. Il importe également de signaler que ce sont les biens meubles de M. Desnomie qui doivent être " situés sur une réserve " et non les biens meubles des étudiants autochtones. Autrement dit, l"" atteinte aux droits de l"Indien à titre d"Indien sur une réserve " doit être déterminée par rapport à la personne dont le revenu est en cause et non par rapport aux différentes réserves qui bénéficient directement ou indirectement des services de cette personne.

[11]      Le juge Archambault a conclu que l"appelant faisait partie de la population active d"un gros centre urbain. De ce fait, il a conclu que l"appelant acceptait que ses biens ne soient pas protégés. Il écrit, au paragraphe 25 :

         Dans ce cas-ci, en acceptant de vivre pendant un si grand nombre d"années dans une ville comme Winnipeg - soit depuis au moins huit ans au moment ici en cause, et depuis dix-huit ans au moment de l"audience - je crois que M. Desnomie a accepté de vivre dans un milieu où ses biens n"étaient pas protégés. Lui accorder l"exonération qu"il sollicite serait lui accorder un privilège dont ses concitoyens de Winnipeg ne bénéficient pas pendant qu"ils travaillent dans cette ville.

[12]      Je suis entièrement d"accord avec la décision détaillée et bien motivée du savant juge de la Cour de l"impôt et il serait inutile que je répète son analyse dans mes propres mots. J"ajoute ce qui suit seulement pour traiter des arguments présentés par l"appelant devant la Cour.


  1. )      La décision Monias c. La Reine3 devrait être suivie.

[13]      L"appelant soutient qu"à la lumière de faits très semblables à ceux de l"espèce, le juge de la Cour de l"impôt qui a entendu l"affaire Monias est arrivé à la conclusion que le revenu d"emploi était exonéré d"impôt en vertu de l"article 87.

[14]      L"avocat a déclaré que l"affaire Monias faisait l"objet d"un appel devant la Cour. Il serait donc inapproprié que la présente formation se prononce d"avance sur cet appel en commentant le raisonnement du juge de première instance dans cette affaire-là. Il doit être statué sur le présent appel en fonction de propres faits. Après que ce qui précède eut été dit, l"appelant a fait valoir plusieurs arguments qui paraissent avoir été examinés dans Monias . Les arguments de l"appelant seront examinés, mais seulement dans le contexte factuel du présent appel.


  1. )      La résidence de l"employeur, la résidence de l"employé et le lieu de l"emploi sont déterminés par des facteurs indépendants de la volonté de l"employeur et de l"employé.

[15]      L"appelant dit qu"il ne devrait pas être accordé beaucoup d"importance au fait que la résidence de l"employeur soit située à l"extérieur de la réserve lors de l"analyse des facteurs de rattachement. Tous les directeurs de la MIEA résident dans des réserves. Tous sont membres de bandes indiennes. Les assemblées de la direction se tiennent à Winnipeg pour des raisons pratiques. L"appelant invoque un argument lié est qu"il ne devrait pas non plus être accordé beaucoup d"importance aux facteurs du lieu du travail de l"appelant et du lieu où les services sont fournis, c"est-à-dire à l"extérieur de la réserve. L"accès à l"éducation au-delà de la neuvième ou de la dixième année n"est pas offert dans les réserves. Les élèves doivent quitter la réserve et déménager à Winnipeg pour poursuivre leurs études. Dans ces circonstances, l"appelant fournit ses services à Winnipeg parce qu"il n"y a pas de façon de fournir concrètement les services dans une réserve. Par conséquent, l"employeur, l"employé et l"emploi sont fortement rattachés à plusieurs réserves indiennes au Manitoba.

[16]      Dans l"arrêt Union of New Brunswick Indians c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances)4, un argument semblable a été présenté quant à la taxe de vente payée par des Indiens du Nouveau-Brunswick lors de l"achat à l"extérieur de la réserve de biens destinés à être utilisés dans la réserve. Il a été dit que les Indiens étaient forcés d"effectuer ces achats à l"extérieur de la réserve, de sorte que la protection offerte par l"article 87 était érodée. Le juge McLachlin (aujourd"hui juge en chef) a rejeté cet argument au nom de la majorité. Après avoir fait remarquer qu"en cas d"ambiguïté, l"interprétation la plus favorable aux Indiens devait être retenue (paragraphe 6), elle écrit, aux paragraphes 37 et 38 :

         37. Les intimés affirment que l"art. 87 vise à soustraire les Indiens à la taxation en ce qui concerne l"utilisation de leurs biens dans la réserve. Lorsque les Indiens sont forcés d"acheter la plus grande partie de leurs biens à l"extérieur des réserves, comme c"est le cas pour la plupart d"entre eux au Nouveau-Brunswick, cette protection est érodée. Ils soutiennent donc que l"art. 87 devrait être interprété de manière à s"appliquer aux taxes sur les ventes prélevées à l"extérieur des réserves sur les biens achetés par les Indiens aux fins d"utilisation dans une réserve. C"est l"opinion adoptée par les juges majoritaires de la Cour d"appel du Nouveau-Brunswick.
         38. La première difficulté suscitée par cet argument, c"est qu"il élargit considérablement l"objet de l"art. 87 défini par notre Cour dans l"arrêt Williams -- soit empêcher que les biens des Indiens situés dans des réserves indiennes ne soient grugés par la taxation ou ne soient revendiqués par des créanciers. Aucun argument n"a été invoqué à l"appui d"une telle extension, sauf le fait que cela avantagerait les Indiens sur le plan économique. Mais comme notre Cour l"a dit, ce n"est pas là l"objet de l"art. 87 : voir Mitchell et Williams. Dans l"arrêt Mitchell , le juge La Forest a précisément mis en garde contre l"élargissement de la portée de l"exemption de l"art. 87, à la p. 133 :
                 [...] il faut éviter d"accorder une portée trop large aux art. 87 et 89. Ces dispositions n"ont pas pour but d"accorder des privilèges aux Indiens à l"égard de tous les biens qu"ils peuvent acquérir et posséder, peu importe l"endroit où ils sont situés. Leur but est plutôt simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits.

[17]      L"argument fondé sur la nécessité dans l"arrêt New Brunswick Indians est, s"il en est, plus déterminant que dans le présent appel. Dans cet arrêt-là, les biens achetés inévitablement à l"extérieur de la réserve étaient destinés à être utilisés dans la réserve. Toutefois, l"argument est mal fondé en ce qu"il élargit considérablement l"objet de l"art. 87 défini par l"arrêt Williams , soit d"empêcher que les biens des Indiens situés dans des réserves indiennes ne soient grugés par la taxation.

[18]      Ce qui est en cause dans la présente affaire est le revenu d"emploi de l"appelant. L"appelant est un membre de la bande Peepeekisis, située à vingt miles à l"est de Fort Qu"Appelle (Saskatchewan). À partir de 1989, il a vécu à l"extérieur de sa réserve, à Winnipeg, pendant neuf ou dix ans. Comme le savant juge de la Cour de l"impôt l"a souligné, ce sont les biens meubles de l"appelant qui doivent être " situés dans une réserve ". Il n"y a aucun rattachement en l"espèce entre le revenu d"emploi de l"appelant et la réserve Peepeekisis (Saskatchewan).

[19]      L"argument de la nécessité se fonde d"une part sur le lien entre la MIEA et les services fournis par l"appelant, et d"autre part sur le fait que les élèves viennent de plusieurs réserves du Manitoba. Cela explique pourquoi il est judicieux de la part de la MIEA et de l"appelant d"être localisés à Winnipeg, même s"ils fournissent des services à des élèves indiens venant des réserves.

[20]      Cependant, l"objet du critère des facteurs de rattachement est de déterminer le situs des biens incorporels pour l"application de l"article 87, à l"égard de la question de savoir si l"Indien détient les biens en vertu des droits qu"il possède à titre d"Indien sur la réserve. Dans Union of New Brunswick Indians , le juge McLachlin confirme cet objet au paragraphe 8 :

         L"exemption prévue à l"art. 87 visait à " préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d"imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l"utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées ". Cette disposition " ne vis[e] pas à conférer un avantage économique général aux Indiens " : voir Williams , précité, à la p. 885.

À l"égard des biens incorporels, elle ajoute, au paragraphe 12 :

         Dans l"arrêt Williams , précité, la Cour a confirmé à nouveau, pour les motifs exposés par le juge Gonthier, la méthode adoptée dans l"arrêt Mitchell , alors qu"elle devait déterminer si le situs de la réception de prestations d"assurance-chômage se trouvait à l"intérieur ou à l"extérieur d"une réserve aux fins de la taxation. Étant donné que les prestations, qui sont des biens meubles incorporels, étaient de fait dans la réserve au moment de la taxation, elles étaient exemptes d"impôt en vertu de l"art. 87.

[21]      En pratique dans les faits, l"argument fondé sur la nécessité veut que la résidence de l"employeur et de l"employé, comme le lieu d"emploi, seraient dans la réserve si cela était possible et que, par conséquent, le revenu d"emploi devrait être considéré comme étant situé dans la réserve. Le problème avec cet argument est qu"il n"est pas lié à la question en litige dans les circonstances de la présente affaire, soit celle de savoir si le revenu d"emploi de l"appelant est un bien situé dans une réserve. Il s"agit de déterminer un lieu, un situs , en se fondant sur le lieu des opérations pertinentes effectuées. L"argument de l"appelant signifie que tant qu"un Indien travaille au profit d"un employeur indien et pour des Indiens venant de réserves, son revenu d"emploi devrait être exonéré d"impôt, indépendamment du lieu où lui-même, son employeur ou son emploi sont situés, ou l"endroit où il est payé. Il n"y a aucun doute quant au fait que le travail de l"appelant consiste à aider des Indiens venant des réserves quand ils en déménagent. Il n"y a aucun doute non plus quant au fait que son employeur est un organisme indien. Le problème est que ces éléments ne rattachent pas le revenu d"emploi de l"appelant à une réserve déterminée. Même s"il peut être soutenu que l"exonération de l"article 87 s"applique quand les biens d"un Indien sont situés dans une autre réserve que la sienne, dans la présente affaire, la nature de l"employeur et l"emploi ne permettent pas, à eux seuls, de déterminer une réserve donnée à laquelle les biens de l"appelant peuvent être rattachés. Par conséquent, ces éléments n"aident pas à déterminer le lieu de son revenu d"emploi.

[22]      Accepter l"argument fondé sur la nécessité comme justifiant l"application de l"article 87 pour exonérer d"impôt le revenu d"emploi de l"appelant reviendrait, comme le conclut le juge McLachlin dans Union of New Brunswick Indians , à étendre la portée de l"article 87 beaucoup plus loin que l"objet formulé dans l"arrêt Williams . Même si le fait de ne pas avoir à payer d"impôt sur le revenu constituerait sans aucun doute un avantage pour l"appelant, il ne s"agit pas de l"objet de l"article 87. Dans les circonstances de la présente affaire, l"argument fondé sur la nécessité n"aide pas l"appelant.


  1. )      Le juge de la Cour de l"impôt accorde trop d"importance à la proximité physique.

[23]      L"appelant dit que même si la ville de Winnipeg est relativement éloignée des réserves indiennes du Manitoba, exclure le revenu d"emploi de la protection de l"article 87 serait une erreur.

[24]      L"objet de l"article 87 est d"exonérer de taxation les biens meubles d"un Indien situés dans une réserve. Les mots " situés dans une réserve " sont des mots qui décrivent un lieu. Par conséquent, il est difficile de comprendre comment la proximité physique n"est pas un élément important à considérer. Dans le cas des biens matériels, il n"y a pas de doute quant au fait que le bien doit être physiquement situé dans la réserve. Dans le cas des biens incorporels, la question est celle de savoir si le situs de l"opération est dans la réserve.

[25]      Dans plusieurs affaires auxquelles l"avocat a renvoyé, par exemple Folster c. La Reine5 et Amos et al. c. La Reine6, le lieu de l"emploi était situé très près de la reserve, mais pas dans la réserve. Cependant, les circonstances particulières, comme la résidence de l"employé et la nature de l"emploi, étaient suffisamment fortes pour rattacher le revenu d"emploi à une réserve donnée.

[26]      Quand, par contre, dans le contexte de l"analyse des facteurs de rattachement, la résidence de l"employeur ou de l"employé, le lieu de l"emploi et le lieu du paiement sont tous éloignés d"une réserve et plus particulièrement de la réserve de l"appelant, il n"est pas inopportun de prendre en considération l"éloignement de la réserve pour déterminer si le bien est détenu par un Indien à titre d"Indien situé sur une réserve.


  1. )      Le juge de la Cour de l"impôt n"a pas suivi l"arrêt Folster c.La Reine, par lequel il était lié.

[27]      L"appelant se fonde sur la décision Folster et, plus particulièrement, sur la nature de l"analyse de l"emploi effectuée dans cette affaire. Dans la présente affaire, le juge Archambault a expressément, et de manière détaillée, fait la distinction avec l"arrêt Folster . Ce qui ressortait surtout de l"arrêt Folster était que la contribuable résidait dans une réserve, qu"elle travaillait pour un hôpital qui avait déjà été situé dans cette réserve, que l"hôpital avait été déménagé à la suite d"un incendie, et que le terrain sur lequel était construit l"hôpital était en voie d"être annexé à la réserve. Aucun de ces éléments ne se retrouve dans le cas de l"appelant.

[28]      L"appelant dit que le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur en concluant que l"analyse, aux fins de l"application de l"article 87, doit se faire relativement à la personne dont le revenu est en cause et non relativement aux différentes réserves qui bénéficient des services de cette personne, parce qu"une telle démarche est incompatible avec la démarche de l"arrêt Folster . Je ne vois aucune incompatibilité entre les conclusions du juge Archambault et la remarque incidente dans l"arrêt Folster . Rien dans l"arrêt Fosters ne donne à penser que le point essentiel qu"il convient de considérer ne soit pas le bien assujetti à l"impôt. Pour ce qui est du revenu d"emploi, il s"agit du revenu du destinataire.

[29]      La raison de l"introduction du critère des facteurs de rattachement dans l"arrêt Williams a été succintement énoncée par le juge Gonthier, à la page 891 :

         Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé.

[30]      Dans les affaires ambigües comme Folster, les circonstances particulières liées à l"emploi peuvent aider à déterminer le situs du revenu d"emploi. Cependant, lorsque tous les autres facteurs de rattachement possibles ne permettent pas de situer le revenu d"emploi dans une réserve, il est alors très peu probable que les circonstances particulières liées à l"emploi suffisent à elles seules pour faire pencher la balance de l"autre côté. En l"espèce, le juge Archambault a conclu que les circonstances particulières liées à l"emploi n"étaient pas suffisantes pour faire pencher la balance en faveur de l"appelant. Ce faisant, il n"a commis aucune erreur en se concentrant sur les biens de l"appelant et en concluant que ces biens ne satisfaisaient pas au critère du situs des biens situés dans une réserve.


  1. )      Si l"appelant est assujetti à l"impôt, le pouvoir d"achat de la MIEA sera érodé car elle devra verser à l"appelant un salaire plus élevé.

[31]      Cet argument est erroné pour au moins deux raisons. La première raison est qu"il apparaît au dossier que le salaire de l"appelant a été fixé comme s"il s"agissait d"un revenu imposable. L"article 7.40 de la section VII du règlement numéro 1 de la MIEA prévoit :

         [traduction]
         Les conventions du Conseil du Trésor et de l"AFPL sont utilisées comme lignes directrices pour la fixation des salaires du personnel.

De plus, l"impôt sur le revenu était retenu à la source. Ces références démontrent que la MIEA utilisait les conventions du Conseil du Trésor et de l"AFPL comme lignes directrices, conventions qui présument certainement que les salaires sont imposables. Il n"est fait mention d"aucun ajustement des salaires fondé sur une exonération d"impôt en vertu de la Loi sur les Indiens . En conséquence, une décision défavorable à l"appelant n"aurait aucun effet sur le salaire que doit lui verser la MIEA.

[32]      La deuxième raison pour laquelle l"argument est erroné est qu"il va à l"encontre de l"objet de l"exonération de l"article 87. Son objet n"est pas, comme l"a énoncé l"arrêt Williams et l"a confirmé l"arrêt Union of New Brunswick Indians , de donner un avantage économique général aux Indiens. Tel que le dit le juge McLachlin au paragraphe 40 de l"arrêt Union of New Brunswick Indians :

         La troisième difficulté que pose cet argument, c"est que l"historique de l"art. 87 dément la conclusion que le législateur avait l"intention d"accorder une exonération fiscale générale quant aux biens situés à l"extérieur des réserves. En 1850, l"exemption fiscale a d"abord pris la forme d"une interdiction de taxer les Indiens résidant sur les terres indiennes. On l"a modifiée en 1876 pour soustraire à la taxation les biens des Indiens, sauf quand les biens sont détenus à l"extérieur de la réserve. Elle interdit maintenant la taxation des biens appartenant aux Indiens qui sont situés dans la réserve : voir Bartlett, op. cit . Au cours des années, le législateur a explicitement limité et rétréci la portée de ce qui est maintenant l"art. 87, de manière à ne soustraire à la taxation que les biens qui sont situés dans une réserve.

[33]      L"argument fondé sur la diminution du pouvoir d"achat n"est pas pertinent parce qu"il vise à promouvoir une protection générale contre l"imposition des biens situés à l"extérieur des réserves, ce qui n"est pas un objectif visé par l"article 87. Si le Parlement souhaite accorder plus d"avantages économiques ou de protection contre l"imposition aux Indiens ou aux organismes indiens pour les biens situés à l"extérieur des réserves, il lui est loisible de le faire. Ce n"est pas la fonction de la Cour.

[34]      Pour ces motifs, les arguments de l"appelant relatifs à l"alinéa 87(1)b ) de la Loi sur les Indiens doivent être rejetés.


L"ALINÉA 90(1)b) (ANALYSE DU JUGE MALONE)

[35]      L"appelant fait valoir un deuxième argument fondé sur l"alinéa 90(1)b ) de la Loi. Cette disposition prévoit que les biens meubles donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté sont toujours réputés situés sur une réserve. Sur le fondement que l"obligation découlant des traités en vertu desquels le gouvernement fédéral doit entretenir des écoles dans les réserves dans la province du Manitoba, il est soutenu que les services offerts par la MIEA sont un des moyens par lesquels cette obligation est respectée et que l"accord de contribution survenu entre le Canada et le MIEA est un accord prévu par l"alinéa 90(1)b ), qui doit donner lieu à l"exonération de l"impôt sur le revenu.

[36]      Après que la décision de la Cour de l"impôt présentement devant nous ait été rendue, la Cour a conclu dans l"arrêt La Reine c. Kakfwi7que l"accord intervenu en application de l"alinéa 90(1)b ) doit être accessoire à un traité.

[37]      L"exposé conjoint des faits déposé en preuve renvoie aux termes employés dans [traduction ] " certains traités numérotés ", par lesquels la Couronne s"est engagée à :

         [traduction]
         [traduction] " [...] maintenir des écoles pour l'instruction dans telles réserves faites par les présentes, comme le jugera à propos son gouvernement du Canada, lorsque les Sauvages de la réserve le désireront [...] " (Traité no 5), ou [traduction] " [...] soutenir une école dans la réserve accordée à chaque bande, aussitôt qu'elle s'établira sur la dite réserve [...] ". D"autres traités numérotés utilisent un langage comparable pour décrire les obligations du gouvernement fédéral liées à l"éducation des Indiens.

[38]      Dans Kakfwi, le juge d"appel Marceau a confirmé la décision rendue par le juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis8, selon laquelle les accords qui figurent à l"alinéa 90(1)b ) sont des accords accessoires aux traités :

         En conséquence, l"analyse du juge La Forest clarifie le fait qu"une application des règles de base d"interprétation des lois, qui exigent que les termes " traité " et " accord " qui figurent à l'alinéa 90(1)b ) soient reliés afin de limiter le sens du mot " accord " à celui d"" accord accessoire " -- au sens d"un accord de la nature d"un traité ou qui est annexé à un traité -- est totalement supportée par l'historique des régimes fiscaux protecteurs adoptés par le Parlement pour servir les obligations de la Couronne à l"égard des Indiens.

Dans la présente affaire, la preuve est simplement insuffisante pour relier l"accord de contribution à un traité. L"accord ne renvoie à aucun traité. L"accord, à sa face même, ne vise pas le maintien d"écoles dans les réserves.

[39]      L"appellant soutient aussi que bien que la MIEA soit incorporée en vertu de la Loi sur les corporations du Manitoba et que par conséquent elle ne soit pas rigoureusement parlant un " Indien " ou une " bande " au sens de l"alinéa 90(1)b ) de la Loi, il est bien établi que le voile corporatif peut être levé quand une corporation n"est qu"une représentante d"une autre entité ou pour permettre l"application juste et équitable d"une loi fiscale9. Il est allégué que dans la présente affaire, la levée du voile corporatif révèlerait que ses actionnaires sont exonérés d"impôt. On a prétendu que le juge Archambault avait commis une erreur en refusant de lever le voile corporatif.

[40]      Quelle qu"en soit la raison, les actionnaires de la MIEA ont choisi de mener leurs affaires en utilisant la forme corporative en vertu de la loi manitobaine. Ce choix donne lieu aux avantages commerciaux que sont le voile corporatif et la responsabilité limitée. La question de savoir si, pour l"application d"une loi fiscale, la personne juridique distincte peut être écartée et la responsabilité établie en fonction du statut de ses actionnaires a été examinée dans l"arrêt Pioneer Laundry & Dry Cleaners Ltd . v. M.N.R.10. Dans cette affaire-là, le Comité judiciaire a conclu qu"en matière de lois fiscales, le voile corporatif ne pouvait être levé que dans les affaires de fraude ou de conduite irrégulière. Vu ce précédent, les circonstances appropriées pour lever le voile corporatif ne se retrouvent pas dans la présente affaire, où il est question du droit à l"exonération d"impôt de l"appelant. Le juge de la Cour de l"impôt n"a pas commis d"erreur de droit en refusant de lever le voile corporatif.

[41]      L"appel doit être rejeté avec dépens.

" Marshall Rothstein "

Le juge ROTHSTEIN, J.C.A.

" Je souscris aux présents motifs. "

Robert Décary, J.C.A.

" B. Malone "

Le juge MALONE, J.C.A.


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D"APPEL


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  A-533-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :         

GEORGE DESNOMIE

appelant

- et -


SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

LIEU DE L"AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L"AUDIENCE :          Le 30 mars 2000

MOTIFS DU JUGEMENT :          Le juge ROTHSTEIN et

                         Le juge MALONE

Y A SOUSCRIT :                  Le juge DÉCARY
EN DATE DU :                  19 avril 2000

ONT COMPARU

Joel Weinstein

Robert Lee

Thorn Hansell                          POUR L"APPELANT

Gérald Chartier

Lyle Bouvier                          POUR L"INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Aikins, MacAulay & Thovaldson

Winnipeg (Manitoba)                      POUR L"APPELANT

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                      POUR L"INTIMÉE
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1      98 D.T.C. 1744.

2      [1992] 1 R.C.S. 877.

3      99 D.T.C. 1021.

4      [1998] 1 R.C.S. 1161.

5      97 D.T.C. 5315 (C.A.F.).

6      99 D.T.C. 533 (C.A.F).

7      99 D.T.C. 5639.

8      [1992] R.C.S. 85.

9      Kinookiman Beach Association v. In Right of Saskatchewan, [1987] 6 W.W.R. 84, à la page 88 (C.A. Sask)

10      [1939] 4 D.L.R. 481 (H.L.) (En appel des décisions de la Cour suprême du Canada et de la Cour de l"Échiquier du Canada).

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