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Date: 19990518


Dossier : A-659-97

DEVANT :      MONSIEUR LE JUGE LINDEN

         MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

         MONSIEUR LE JUGE McDONALD

ENTRE


SPECIALTY MANUFACTURING LTD.,


appelante,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 27 avril 1999.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 18 mai 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE McDONALD

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE LINDEN

     LE JUGE ROTHSTEIN



Date: 19990518


Dossier : A-659-97

DEVANT :      MONSIEUR LE JUGE LINDEN

         MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

         MONSIEUR LE JUGE McDONALD

ENTRE


SPECIALTY MANUFACTURING LTD.,


appelante,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McDONALD

[1]      Il s"agit d"un appel d"un jugement par lequel la Cour canadienne de l"impôt a rejeté l"appel que Specialty Manufacturing Ltd. (l"appelante) avait interjeté contre de nouvelles cotisations établies à l"égard de ses années d"imposition 1984 à 1987. Dans chacune de ces années, l"appelante avait cherché à déduire des montants s"élevant au total à 963 691 $ à l"égard des sommes versées au titre des intérêts à deux sociétés américaines liées conformément à l"alinéa 20(1)c ) de la Loi de l"impôt sur le revenu1 (la Loi). Le ministre du Revenu national (le ministre) a rejeté la déduction de la somme de 948 661 $ en vertu du paragraphe 18(4) de la Loi.

[2]      Le paragraphe 20(1) de la Loi se lit comme suit :

20(1) Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), (b) and (h), in computing a taxpayer's income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto:

(c) Interest -- an amount paid in the year or payable in respect of the year (depending on the method regularly followed by the taxpayer in computing the taxpayer's income), pursuant to a legal obligation to pay interest on

     (i) borrowed money used for the purpose of earning income from a business or property ...

20(1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

(c) Intérêts. -- une somme payée dans l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu) en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur :

     (i) de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ...

[3]      Le paragraphe 18(4) se lit comme suit :

18. (4) Notwithstanding any other provision of this Act, in computing the income for a taxation year of a corporation resident in Canada from a business or property, no deduction shall be made in respect of that proportion of any amount otherwise deductible in computing its income for the year in respect of interest paid or payable by it on outstanding debts to specified non-residents that

(a) the amount, if any, by which

     (i) the greatest amount that the corporation's outstanding debts to specified non-residents was at any time in the year, exceeds
     (ii) 3 times the aggregate of     
         (A) the retained earnings of the corporation at the commencement of the year, except to the extent that those earnings include retained earnings of any other corporation,     
         (B) the corporation's contributed surplus at the commencement of the year, to the extent that it was contributed by a specified non-resident shareholder of the corporation, and
         (C) the greater of the corporation's paid-up capital at the commencement of the year and the corporation's paid-up capital at the end of the year, excluding the paid-up capital in respect of shares of any class of the capital stock of the corporation owned by a person other than a specified non-resident shareholder of the corporation,     

is of

     (b) the amount determined under subparagraph (a)(i) in respect of the corporation for the year.

18. (4) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'une corporation résidant au Canada, tiré, pour une année d'imposition, d'une entreprise ou de biens, aucune déduction ne peut être faite relativement à la fraction des sommes déductibles par ailleurs dans le calcul de son revenu pour l'année au titre des intérêts payés ou payables par cette corporation sur les dettes de la corporation qui n"ont pas encore été payées à des non-résidents déterminés, représentée par le rapport entre

(a) la fraction, si fraction il y a,

     (i) du montant le plus élevé auquel s'élevaient les dettes de la corporation, qui n"ont pas encore été payées à des non-résidents déterminés, à une date quelconque de l"année,
     (ii) trois fois le total des montants suivants :
         (A) les bénéfices non répartis de la corporation au début de l'année, sauf dans la mesure où ces bénéfices comprennent des bénéfices non distribués d'une autre corporation,
         (B) le surplus d'apport de la corporation au début de l'année, dans la mesure où il a été fourni par un actionnaire non résidant déterminé de la corporation, et
         (C) le plus élevé du capital versé de la corporation au début de l'année ou de son capital versé à la fin de l'année, à l'exclusion du capital versé a l"égard des actions d'une catégorie quelconque du capital- actions de la corporation appartenant à une personne autre qu"un actionnaire non résidant déterminé de la corporation;

et

(b) la somme déterminée en vertu du sous-alinéa (a)(i) relativement à la société pour l'année.

[4]          Les expressions " dettes de la corporation qui n"ont pas encore été payées à des non-résidents déterminés ", " actionnaire non-résidant déterminé " et " actionnaire déterminé " sont définies au paragraphe 18(5). Pendant la période pertinente, les définitions y afférentes se lisaient comme suit :


18(5)(a) "outstanding debts to specified non-residents" of a corporation at any particular time in a taxation year means

(i) the aggregate of all amounts each of which is an amount outstanding at that time as or on account of a debt or other obligation to pay an amount

     (A) that was payable by the corporation to a person who was, at any time in the year,
         (I) a specified non-resident shareholder of the corporation, or
         (II) a non-resident person, or a non-resident-owned investment corporation, who was not dealing at arm's length with a specified shareholder of the corporation, and
     (B) on which any amount in respect of interest paid or payable by the corporation is or would be, but for subsection (4), deductible in computing the corporation's income for the year, ...

(b) "specified non-resident shareholder" of a corporation at any time means a specified shareholder of the corporation who was at that

time a non-resident person or a non-resident-owned investment corporation, and

(c) "specified shareholder" of a corporation at any time means a shareholder who at that time, either alone or together with persons with whom that he was not dealing at arm"s length, owned 25% or more of the issued shares of any class of the capital stock of the corporation.

[emphasis added]

18(5)(a) "dettes de la corporation qui n"ont pas encore été payées à des non-résidents déterminés", à une date donnée d"une année d"imposition, désigne

(i) le total de toutes les sommes dont chacune représente une somme due à cette date, à titre ou au titre d'une dette ou autre obligation de verser un montant,

     (A) qui était payable par la corporation à une personne qui était, à une date quelconque de l'année,
         (I) un actionnaire non résidant déterminé de la corporation, ou
         (II) une personne non-résidante ou une corporation de placement appartenant à des non-résidents, qui avait un lien de dépendance avec un actionnaire déterminé de la corporation,
     (B) au titre de laquelle toute somme relative à des intérêts payés ou payables par la corporation est déductible ou serait déductible, n"eût été le paragraphe (4), dans le calcul du revenu de la corporation pour l'année,

à l'exclusion, ...

(b) "actionnaire non-résidant déterminé" d"une corporation à une date quelconque désigne un actionnaire déterminé de la corporation qui était à cette date une personne non résidante ou une corporation de placements appartenant à des non-résidents; et

(c) "actionnaire déterminé" d'une corporation à une date quelconque désigne un actionnaire de la corporation qui seul , ou avec d"autres personnes avec lesquelles il avait un lien de dépendance, était à cette date propriétaire d"au moins 25% des actions émises d"une catégorie quelconque du capital-actions de la corporation.

[Je souligne]


[5]      L"article 251 de la Loi entre également en ligne de compte. Les passages pertinents de cette disposition se lisent comme suit :




251(1) For the purposes of this Act,

(a) related persons shall be deemed not to deal with each other at arm's length; and

(b) it is a question of fact whether persons not related to each other were at a particular time dealing with each other at arm's length.

(2) For the purpose of this Act, "related persons", or persons related to each other, are


...

(b)a corporation and

     (i) a person who controls the corporation, if it is controlled by one person,
     (ii) a person who is a member of a related group that controls the corporation, or
     (iii) any person related to a person described in subparagraph (i) or (ii); and

(c) any two corporations

     (i) if they are controlled by the same person or group of persons, ...
     (iii) if one of the corporations is controlled by one person and that person is related to any member of a related group that controls the other corporation, ...

[emphasis added]

251(1) Aux fins de la présente loi:

(a)des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

(b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(2) Aux fins de la présente loi, sont des "personnes liées" ou des personnes liées entre elles, sont


[...]

(b)une corporation et :

     (i)une personne qui contrôle la corporation si cette dernière est contrôlée par une personne,
     (ii)une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la corporation,
     (iii)toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

(c) deux corporations quelconques

     (i) si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes, [...]
     (iii) si l"une des corporations est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à un membre d"un groupe lié qui contôle l"autre corporation.

[Je souligne]

[6]      De toute évidence, lorsqu"une société canadienne doit payer des intérêts à un actionnaire non résidant qui détient ou contrôle plus de 25 p. 100 des actions de la société, le paragraphe 18(4) s"applique de façon à limiter toute déduction des intérêts conformément à l"alinéa 20(1)c ) de la Loi si le radio d"endettement de la société contribuable est supérieur à 3 sur 1. L"appelante soutient qu"étant donné que le ministre a admis que dans ce cas-ci les ententes sont structurées comme si elles étaient conclues entre des personnes sans lien de dépendance, les dispositions de la Convention relative à l"impôt entre le Canada et les États-Unis d"Amérique2 (la Convention de 1942) et la Convention Canada-États-Unis en matière d"impôt (la Convention de 1980)3 s"appliquent de façon à empêcher l"application du paragraphe 18(4).

[7]      Plus précisément, l"appelante soutient qu"en ce qui concerne ses années d"imposition 1984 et 1985, le paragraphe 1 de l"article IV de la Convention de 1942 l"emporte sur le paragraphe 18(4) de la Loi4. Cette disposition se lit comme suit :

         a) Lorsqu"une entreprise des États-Unis, en raison de sa participation à la gestion ou au capital d"une entreprise canadienne, accorde ou impose à cette dernière, dans leurs relations commerciales ou financières, des conditions différentes de celles qui seraient faites à une entreprise indépendante, tous bénéfices qui auraient normalement dû figurer au bilan de l"entreprise canadienne, mais qui ont été, de la sorte, détournés au profit de l"entreprise des États-Unis, pourront être ajoutés, sous réserve des recours ouverts aux intéressés, aux bénéfices imposables de l"entreprise canadienne.                 
         b) En vue de comprendre lesdits bénéfices dans les profits imposables de l"entreprise canadienne, l"autorité compétente du Canada peut rectifier, le cas échéant, les comptes de l"entreprise canadienne, notamment, elle peut corriger les erreurs et les omissions ou encore rétablir les prix ou les rémunérations portés aux livres à la valeur qui prévaudrait entre personnes traitant dans un esprit purement d"affaires. Afin de faciliter ce redressement, les autorités compétentes des États contractants peuvent se consulter en vue de fixer les bénéfices de l"entreprise canadienne à un chiffre équitable et raisonnable.                 
         [Je souligne.]                 

[8]      De même, en ce qui concerne ses années d"imposition 1986 et 1987, l"appelante soutient que le paragraphe 1 de l"article IX de la Convention de 1980 empêche le ministre d"appliquer le paragraphe 18(4). Cette disposition se lit comme suit :

         1. Lorsqu"une personne dans un État contractant et une personne dans l"autre État contractant sont liées et lorsque les arrangements entre elles diffèrent de ceux qui seraient convenus entre des personnes non liées , chaque État peut ajuster le montant des revenus, pertes ou impôts exigibles de façon à refléter les revenus, déductions, crédits ou allégements qui, sans ces arrangements, auraient été pris en considération dans le calcul de ces revenus, pertes ou impôts.                 
         [Je souligne.]                 
Les faits                 
[9]      L"appelante est une société qui s"occupe de distribuer des nouveautés et des souvenirs dans des expositions, des carnavals et des foires. Elle a été constituée en Colombie-Britannique et, pendant la période pertinente, elle résidait au Canada pour l"application de la Loi. Jusqu"au 1er avril 1987, M. et Mme Ben Mayers (les Mayers), qui résidaient tous deux aux États-Unis, possédaient toutes les actions de l"appelante. Le 1er avril 1987, les Mayers ont transféré leurs actions à Ace Novelty Co., Inc. (Ace), une société américaine qui fabrique, vend et importe des nouveautés et des souvenirs dans l"État de Washington. Pendant la période pertinente, les Mayers étaient les uniques actionnaires d"Ace. M. Mayers était également l"unique actionnaire de World"s Fair Souvenirs, Inc. (World"s), une autre société s"occupant de nouveautés et de souvenirs, établie dans l"État de Washington.
[10]      Pendant la période pertinente, les Mayers, Ace et World"s étaient des personnes liées pour l"application de la Loi. En outre, conformément à l"article 251, ils étaient réputés avoir entre eux un lien de dépendance. Jusqu"au 1er avril 1987, les Mayers étaient des actionnaires non résidants déterminés de l"appelante pour l"application du paragraphe 18(4) parce qu"ils possédaient ou contrôlaient la totalité des actions de l"appelante. Après le 1er avril 1987, Ace est devenue un actionnaire non résidant déterminé de l"appelante.
[11]      De toute évidence, toute somme que l"appelante a empruntée à Ace et à World"s serait une " dette qui n"a pas encore été payée à des non-résidents déterminés " pour l"application du paragraphe 18(4). Pendant la période pertinente, ces sommes étaient payables : (1) à des personnes non résidantes, c"est-à-dire à Ace et à World"s, qui avaient un lien de dépendance avec des actionnaires non résidants déterminés de l"appelante ou (2) à des actionnaires non résidants déterminés directement (c"est-à-dire Ace après le 1er avril 1987).
[12]      En 1983 et en 1984, Ace et World"s ont négocié un contrat avec Expo" 86 Corporation pour le compte de l"appelante en vue d"exploiter les concessions de vente de nouveautés et de souvenirs pendant l"exposition universelle (l"Expo" 86) qui a eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique) du 2 mai au 13 octobre 1986. Le 6 juin 1984, l"appelante, Ace et World"s ont conclu une entente en vertu de laquelle Ace et World"s devaient fournir des services de gestion ainsi que des services administratifs et financiers à l"appelante à l"égard du contrat concernant l"Expo" 865.
[13]      Pendant ses années d"imposition 1984 à 1987, l"appelante a emprunté de l"argent (les dettes) à Ace et à World"s en vue de financer ses activités et d"exécuter le contrat concernant l"Expo" 86. Dans chacune des années d"imposition pertinentes, la structure du capital de l"appelante était la suivante :

1984

1985

1986

1987

Ace

1 037 877 $

2 593 569 $

3 909 883 $

3 909 883 $

World's

néant

2 661 144 $

6 184 558 $

6 184 558 $

Montant total

de la dette


1 037 877 $


5 254 713 $


10 094 441 $


10 094 441 $

Montant total

de l"avoir6

67 482 $

100 $

100 $

100 $

Montant total de la dette et de l"avoir


1 105 359 $


5 254 813 $


10 094 541 $


10 094 541 $

Aux fins du financement, Ace et World"s ont emprunté de l"argent à la Seafirst Bank, dans l"État de Washington (Seafirst).
[14]      Dans ses années d"imposition 1984 à 1987, l"appelante a contracté des dettes ou payé certains montants comme suit à l"égard des intérêts dus à Ace et à World"s :

CRÉANCIER

1984

1985

1986

1987

Ace

76 984 $

215 673 $

110 737 $

64 923 $

World's

néant

334 659 $

160 715 $

néant

TOTAL

76 984 $

550 332 $

271 452 $

64 923 $

Le taux d"intérêt applicable à l"appelante était égal au taux d"intérêt qui s"appliquait entre Ace et World"s d"une part et Seafirst d"autre part à l"égard de l"argent que celles-ci avaient emprunté pour financer l"entreprise.
[15]      Dans le calcul de son revenu pour les années d"imposition 1984 à 1987, l"appelante a déduit les intérêts payés ou payables à Ace et à World"s chaque année conformément à l"alinéa 20(1)c ) de la Loi. Conformément au paragraphe 18(4) de la Loi, le ministre a établi les nouvelles cotisations de l"appelante comme suit :

1984

1985

1986

1987

Montant total de la dette de l"appelante

1 037 877 $

5 254 713 $

10 094 441 $

10 094 441 $

Avoir de l"appelante x 3 (dette autorisée en vertu du par. 18(4))

202 446 $

300 $

300 $

300 $

Montant par lequel la dette de l"appelante excède la dette autorisée

835 431 $

5 254 413 $

10 094 141 $

10 094 141 $

Intérêts versés à Ace et à World"s

76 967 $

550 332 $

271 452 $

64 923 $

Déduction rejetée au titre des intérêts

61 967 $

550 330 $

271 443 $

64 921 $

Déduction admise au titre des intérêts

15 017 $

2 $

9 $

2 $

[16]      L"appelante s"est opposée aux nouvelles cotisations relatives à chaque année en se fondant sur le fait que le ministre n"était pas autorisé à rejeter les déductions d"intérêts en vertu des dispositions de la Convention entre le Canada et les États-Unis qui était en vigueur pendant chacune des années d"imposition pertinentes. Plus précisément, l"appelante a soutenu : (1) qu"en vertu de l"article IV de la Convention de 1942, le paragraphe 18(4) ne s"appliquait pas à ses années d"imposition 1984 et 1985 et (2) que l"article IX de la Convention de 1980 s"appliquait à ses années d"imposition 1986 et 1987. Les nouvelles cotisations ont par la suite été ratifiées par le ministre et l"appelante en a appelé devant la Cour canadienne de l"impôt. Le juge de la Cour de l"impôt a rejeté l"appel pour le motif que ni la Convention de 1942 ni la Convention de 1980 ne limitaient l"application du paragraphe 18(4)7.

Analyse

[17]      Comme il en a été fait mention, le paragraphe 18(4) prévoit que lorsque plus de 25 p. 100 des actions d"une société contribuable canadienne appartiennent à un non-résident, la déduction des intérêts par le contribuable conformément à l"alinéa 20(1)c ) à l"égard des intérêts payés sur les prêts obtenus de l"actionnaire non résidant est limitée à la mesure dans laquelle le niveau de la dette du contribuable n"est pas supérieur au triple de son avoir. Si le ratio d"endettement de la société est supérieur à 3 sur 1, les intérêts sur le montant des prêts en sus de ce ratio sont considérés comme un revenu et la déduction des intérêts est rejetée.

[18]      La règle voulant que le ratio d"endettement ne soit pas supérieur à 3 sur 1 (appelée la règle relative à la capitalisation restreinte) vise à empêcher les actionnaires non résidants de financer une société canadienne au moyen d"emprunts excessifs, de sorte qu"ils déduisent les intérêts sur la dette excessive dans le calcul du revenu imposable, c"est-à-dire qu"ils retirent un " revenu " de la société canadienne à titre d"intérêts sans payer un impôt sur le revenu au Canada à cet égard. Comme l"a dit Madame le juge Reed dans la décision Uddeholm Limited8 :

             Il n"existe aucun différend quant aux objectifs des paragraphes 18(4) à (8) de la Loi de l"impôt sur le revenu, [...] Ces dispositions sont destinées à empêcher les non-résidents du Canada qui possèdent un nombre important d"actions (en général plus de 25 %) dans des corporations qui résident au Canada de retirer les profits de ces corporations canadiennes sous la forme de paiements d"intérêt plutôt que sous la forme de dividendes versés sur les actions de la corporation. Voici un extrait tiré de la page 4423 du CCH Canadian Tax Service:                     
                 [TRADUCTION] L"intérêt et les dividendes versés à des non-résidents font l"objet de l"impôt de retenue conformément à la partie XIII; toutefois, étant donné que l"intérêt est déductible, aux fins de la limite prévue au paragraphe 18(4), dans le calcul du revenu d"une corporation résidente assujettie au paiement de l"impôt au Canada, il serait manifestement avantageux pour un non-résident de financer l"exploitation d"une corporation qui réside au Canada par une dette portant intérêt plutôt que par un capital-actions, ce qui entraînerait l"établissement de corporations à capital-actions réduit.                         

[19]      Il n"est pas contesté qu"en l"absence des Conventions entre les États-Unis et le Canada, le paragraphe 18(4) s"appliquerait de façon que la déduction d"un montant de 948 661 $ demandée par l"appelante au titre des intérêts soit rejetée. L"appelante soutient que l"article IV de la Convention de 1942 et l"article IX de la Convention de 1980 s"appliquent de façon à restreindre le pouvoir que possède le ministre en vertu du paragraphe 18(4).

[20]      Les dispositions pertinentes des Conventions de 1942 et de 1980 montrent clairement que lorsque des personnes liées concluent des opérations qui ne correspondent pas à des ententes entre personnes sans lien de dépendance, les effets fiscaux des opérations peuvent être modifiés par les autorités fiscales internes. L"appelante soutient fondamentalement que le contraire doit également être vrai. En d"autres termes, lorsque des personnes liées concluent une opération à des conditions qui montrent l"absence de lien de dépendance, les autorités fiscales internes ne peuvent pas rajuster le revenu ou les déductions ou modifier les autres effets fiscaux de l"opération. Compte tenu des faits de l"espèce, je conclus qu"il est inutile d"examiner les arguments que l"appelante a présentés au sujet de l"application des Conventions fiscales.

[21]      L"argument de l"appelante est essentiellement fondé sur le fait que pendant l"interrogatoire préalable le ministre a apparemment avoué que les ententes conclues entre l"appelante, Ace et World"s étaient identiques à celles qui auraient été conclues entre des personnes sans lien de dépendance. L"appelante se fonde sur les réponses suivantes que Myrna Chen, agente principale des appels à Revenu Canada, a données pendant l"interrogatoire préalable9 :

         [TRADUCTION]                 
         Q. :      Je suppose que vous conviendrez avec moi que le taux d"intérêt qui s"appliquait entre Specialty d"une part et Ace et World"s d"autre part pour les années d"imposition 1984 à 1987 à l"égard des dettes, dont il est fait mention au paragraphe 3.28, est celui qui s"applique à des personnes sans lien de dépendance, n"est-ce pas?                 
         R. :      Oui.                 
             [L"avocat de la Couronne] : Le taux du marché, lorsqu"il n"y a pas de lien de dépendance.                 
                             
         Q. :      Eh bien! en fait, était-ce un taux d"intérêt applicable à des personnes sans lien de dépendance?                 
         R. :      Oui.                 
                 [...]                 
         Q. :      ... Serait-il exact de dire qu"en analysant l"article 9, vous avez supposé que la structure du capital était la même que celle qui aurait existé dans une opération entre des personnes sans lien de dépendance?                 
         R. :      C"est exact.                 

[22]      L"appelante se fonde également à cet égard sur les passages suivants de l"exposé conjoint des faits10 :

         [TRADUCTION]
         22. Les dettes [de l"appelante envers Ace et World"s] existaient vraiment.                 
[...]                 
         25. Le taux d"intérêt qui s"appliquait entre l"appelante d"une part et Ace et World"s d"autre part à l"égard des dettes était celui qui s"appliquait entre des personnes sans lien de dépendance, égal au taux qui s"appliquait entre Ace et World"s d"une part et Seafirst d"autre part à l"égard de l"argent que celles-ci avaient emprunté aux fins du financement.                 
                         

[23]      Rien ne montre que le taux d"intérêt applicable à l"appelante n"était pas celui qui s"appliquait à des personnes sans lien de dépendance, et il n"est pas contesté non plus que les dettes [TRADUCTION] " existaient vraiment ". Il s"agit uniquement de savoir si la structure du capital de l"appelante est identique à celle qui s"applique dans le cas de personnes sans lien de dépendance. De toute évidence, elle n"est pas identique. L"appelante n"avait presque pas de capitaux propres et elle était presque exclusivement financée au moyen de prêts consentis par Ace et World"s. De fait, Mme Chen a noté l"importance accordée au financement par emprunt dans la structure du capital de l"appelante :

         [TRADUCTION]
         Q. :      Et vous dites : " Il semble que les dispositions qui ont été prises aient été identiques à celles qui existent entre des personnes non liées " puis, en majuscules, vous ajoutez : " [...] SAUF POUR LA STRUCTURE DU CAPITAL. Je conclus donc que les dispositions qui ont été prises ne sont pas identiques à celles qui existent entre des personnes non liées. " Pourriez-vous m"expliquer ce que vous entendiez par " sauf pour la structure du capital "?                 
         R. :      Lorsque j"ai étudié la question, j"ai examiné les conditions du prêt, soit le taux d"intérêt, le taux d"intérêt essentiellement, qui s"appliquait entre les sociétés, et je me suis dit qu"on avait agi comme s"il n"y avait pas eu de lien de dépendance. Lorsque j"ai noté la chose, je songeais à la possibilité qu"une personne sans lien de dépendance ne prête pas autant d"argent que ce que Seafirst " pardon, que ce qu"Ace et World"s auraient prêté.                 
[24]      Mme Chen a ensuite dit ceci :                 
         [TRADUCTION]                 
         Q. :      Très bien.                 
         R. :      De sorte que cela vous surprend, pour ainsi dire.                 
         Q. :      Non, continuez.                 
         R. :      De sorte que j"ai strictement examiné les conditions des prêts et je me suis dit : " Eh bien! c"est ce qu"aurait fait une personne sans lien de dépendance, de sorte que nous l"accepterons. "                 
         Q. :      Cependant, en ce qui concerne les mots " sauf pour la structure du capital " en particulier, voulez-vous dire que vous n"en avez pas du tout tenu compte dans vos hypothèses en établissant les nouvelles cotisations de Specialty?                 
         R. :      Aux fins de l"analyse de l"article 9, oui.                 

[25]      Les aveux de Mme Chen sont pour le moins ambigus. Ils ne correspondent probablement pas exactement aux faits. La Cour n"omettra pas de tenir compte de ce qui est évident. À coup sûr, un ratio d"endettement de plus de 10 000 000 $ sur 100 $ ne correspond pas au cas dans lequel il n"y a pas de lien de dépendance. De toute évidence, aucun prêteur sans lien de dépendance n"aurait consenti à l"appelante des prêts aussi élevés que ceux qui sont ici en cause s"il n"y avait presque pas de capitaux propres.

[26]      Compte tenu des faits, les prêts ayant donné lieu à la déduction des intérêts ne constituent clairement pas des opérations entre des personnes sans lien de dépendance. Le ministre avait donc le droit d"utiliser le paragraphe 18(4) de la Loi pour limiter le montant des déductions demandées en vertu de l"alinéa 20(1)c ) de la Loi. De fait, l"article IV de la Convention de 1942 et l"article IX de la Convention de 1980 permettent tous deux pareil résultat.

[27]      Il importe de noter que le juge de la Cour de l"impôt n"a pas examiné la question de savoir si les prêts étaient identiques à ceux qui auraient été consentis entre des personnes sans lien de dépendance. Il a retenu les faits de l"" exposé conjoint des faits " avancés par les parties, mais il n"a pas tenu compte des aveux de Mme Chen. Il n"a donc pas tiré de conclusions de fait expresses qui contredisent la conclusion à laquelle je suis arrivé, à savoir que ces opérations n"étaient pas identiques à des opérations conclues entre des personnes sans lien de dépendance.

Dispositif

[28]      Je rejetterais l"appel avec dépens.

                     " F.J. McDonald "

                         J.C.A.

" Je souscris à cet avis.

     Le juge A.M. Linden "

" Je souscris à cet avis.

     Le juge Marshall Rothstein "

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date: 19990518


Dossier : A-659-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 MAI 1999

DEVANT :      MONSIEUR LE JUGE LINDEN

         MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

         MONSIEUR LE JUGE McDONALD

ENTRE


SPECIALTY MANUFACTURING LTD.,


appelante,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.


JUGEMENT

     L"appel est rejeté avec dépens.

                 __________________________

                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR D"APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      A-659-97

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Specialty Manufacturing Ltd. c. Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE :      Vacouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 27 avril 1999

MOTIFS DU JUGEMENT du juge McDonald en date du 18 mai 1999

ONT COMPARU :

J. Nitikman      POUR L"APPELANTE

R. McMechan      POUR L"INTIMÉE (aux fins de l"appel)

W. Mah      POUR L"INTIMÉE (aux fins de la requête seulement)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser Milner      POUR L"APPELANTE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada      POUR L"INTIMÉE

__________________

     1 1      S.C. 1970-71-72, ch. 63, dans sa forme modifiée.

2      Convention et protocole entre le Canada et les États-Unis d"Amérique en vue d"éviter la double imposition et de prévenir l"évasion fiscale en matière d"impôts sur le revenu, qui constitue l"annexe I de la Loi de 1943 sur la Convention relative à l"impôt entre le Canada et les États-Unis d"Amérique, 7-8 Geo. VI, ch. 21.

3      Convention entre le Canada et les États-Unis d"Amérique en matière d"impôts sur le revenu et sur la fortune, qui constitue l"annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d"impôt, S.C. 1984, ch. 20.

4      Devant la Cour de l"impôt, l"appelante a également soutenu que l"article XXX(V) de la Convention de 1980 s"appliquait aux années d"imposition 1984 et 1985. Cet argument n"a pas été débattu devant cette cour.

5      Dossier d"appel, aux pages 39 à 52.

6      Égal aux bénéfices non répartis plus le capital versé.

7      La décision de la Cour de l"impôt a été publiée sous le titre Specialty Manufacturing Ltd. v. Her Majesty the Queen (1997), 97 DTC 1511 (C.C.I.).

8      Uddeholm Limited v. Sa Majesté la Reine (1987), 87 D.T.C. 5431 (C.F. 1re inst.)

9      Dossier d'appel, aux pages 58 à 60.

10      Dossier d'appel, aux pages 27 et 28.

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