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Date: 19980527

Dossier: A-356-96

(T-2989-94)

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 27 MAI 1997

CORAM:      LE JUGE STRAYER

         MADAME LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE McDONALD

ENTRE

     LOUIS FORTIN,

     demandeur

     (intimé),

     et

     CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

     (" CP RAIL "),

     intimée

     (appelante).

     JUGEMENT

     L'appel est rejeté avec dépens, l'affaire devant être réexaminée par la Commission conformément aux présents motifs.

                                     Original signé par

                             B.L. Strayer

                                     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


Date: 19980527

Dossier: A-356-96

(T-2989-94)

CORAM:      LE JUGE STRAYER

         MADAME LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE McDONALD

ENTRE

     LOUIS FORTIN,

     demandeur

     (intimé),

     et

     CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

     (" CP RAIL "),

     intimée

     (appelante).

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 29 avril 1998.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le mercredi 27 mai 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT DU      JUGE STRAYER

AUXQUELS ONT SOUSCRIT      MADAME LE JUGE DESJARDINS

ET      LE JUGE McDONALD


Date: 19980527

Dossier: A-356-96

(T-2989-94)

CORAM:      LE JUGE STRAYER

         MADAME LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE McDONALD

ENTRE

     LOUIS FORTIN,

     demandeur

     (intimé),

     et

     CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

     (" CP RAIL "),

     intimée

     (appelante).

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRAYER

Introduction

[1]      Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Section de première instance dans lequel le juge des requêtes a infirmé une décision rendue le 21 novembre 1994 par la Commission canadienne des droits de la personne (confirmée par une autre décision datée du 18 avril 1995) et renvoyé l'affaire à la Commission pour nouvel examen.

Les faits

[2]      L'intimé Fortin était au service de l'appelante, Canadien Pacifique Limitée, depuis 1957 et avait occupé un poste de gestion depuis 1968. Il a été muté à Vancouver en août 1991.

[3]      À la fin de 1992, l'appelante a ouvert une enquête au sujet des irrégularités touchant les comptes de dépenses et les méthodes de comptabilité de l'intimé. Le 3 mars 1993, celui-ci a été suspendu jusqu'à ce qu'une enquête plus approfondie soit menée. Le 11 mars 1993, il a informé l'appelante qu'il était alcoolique et a demandé un traitement aux termes du programme d'aide aux employés de la société. L'entreprise a refusé de l'inscrire au programme, bien que ses dirigeants aient pris certaines mesures pour l'aider à obtenir un traitement. Un médecin a recommandé qu'un congé d'un mois et demi lui soit accordé pour des raisons de santé à compter de la mi-avril 1993 jusqu'à la fin de mai 1993, mais la société a refusé. Le 23 avril 1993, l'appelante l'a renvoyé.

[4]      Le 7 décembre 1993, l'intimé a déposé auprès de la Commission une plainte dans laquelle il a allégué qu'il avait été congédié par suite d'une mesure discriminatoire fondée sur une déficience, en l'occurrence, l'alcoolisme. La Commission a ordonné la tenue d'une enquête.

[5]      Dans son rapport daté du 28 juillet 1994, l'enquêteur a fait état des avis de plusieurs médecins, dont un expert désigné par la Commission, selon lesquels la mauvaise conduite reprochée à l'intimé dans son travail était probablement reliée à son problème d'alcoolisme. Il a également mentionné l'avis de l'appelante selon lequel cette [TRADUCTION] " activité préméditée et calculée " ne pouvait être imputable à l'alcoolisme. De l'avis de l'enquêteur, l'appelante savait que l'intimé était alcoolique avant de décider de le congédier et avait refusé de l'aider par l'entremise du programme d'aide aux employés. Il a donc recommandé la nomination d'un conciliateur.

[6]      Toutefois, le 21 novembre 1994, la Commission a avisé les parties comme suit:

     [TRADUCTION] La Commission a décidé, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte, parce que, d'après la preuve, l'allégation de discrimination est sans fondement.         

Il est ensuite apparu que, lorsqu'elle a pris cette décision, la Commission était saisie d'observations de l'employeur appelant en date du 2 mai 1994 et du 8 septembre 1994, lesquelles n'avaient pas été envoyées à l'employé intimé pour qu'il les commente. Lorsque l'intimé a soulevé cette lacune, des mesures ont été prises pour que les observations écrites de l'entreprise lui soient communiquées et pour qu'il ait la possibilité de les commenter. Après cette démarche, la Commission a rendu, le 18 avril 1995, une seconde décision dont le dispositif était identique à celui de la décision du 21 novembre 1994.

[7]      L'employé intimé avait déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale après la première décision et cet avis de demande a été modifié pour couvrir la seconde décision datée du 18 avril 1995. Cette demande visait à faire annuler la décision de la Commission et à renvoyer l'affaire à celle-ci pour les motifs suivants: la décision de la Commission était manifestement déraisonnable et comportait une erreur de droit; la Commission n'a pas exercé sa compétence; la Commission n'a pas observé les principes de justice naturelle en omettant de permettre à l'employé intimé de répondre aux observations de la société; la Commission s'est fondée sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[8]      Tel qu'il est mentionné ci-dessus, le juge de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire, infirmé la décision de la Commission et renvoyé l'affaire à celle-ci pour réexamen. Il a rendu ses motifs en deux parties, soit la première à l'audience tenue le 9 avril 1996, lorsqu'il a rendu l'ordonnance, et la seconde par écrit, lesquels motifs ont été communiqués le 10 juillet 1996. Les motifs verbaux et écrits n'étaient pas tout à fait identiques, bien que le juge ait adopté les premiers dans les motifs écrits qu'il a invoqués au soutien de sa décision. C'est la différence entre les motifs verbaux et les motifs écrits qui a donné lieu à une partie du débat dans le présent appel. Dans les motifs qu'il a prononcés à l'audience, le juge des requêtes a indiqué que la Commission [TRADUCTION] " avait simplement abdiqué ses responsabilités "1. Après avoir souligné la preuve médicale étoffée indiquant que le comportement de l'intimé était imputable à l'alcoolisme et que, dans ces circonstances, il serait sans doute nécessaire d'avoir recours à la conciliation pour décider s'il y avait lieu de favoriser le maintien de la relation employeur-employé, il a fait remarquer que la Commission n'a nullement indiqué qu'elle avait envisagé la question. Le juge des requêtes s'exprime comme suit:

     [TRADUCTION] Étant donné que la Commission, malgré toute cette preuve dont elle était saisie, n'a pas examiné la recommandation concernant la conciliation et n'a tout simplement invoqué aucun motif pour conclure au rejet de la plainte sans aller plus loin, elle doit, à mon avis, comprendre que je lui reproche, non pas d'avoir tiré des conclusions erronées, mais d'avoir omis de tirer quelque conclusion que ce soit. Elle n'a pas examiné les questions en litige et n'a tranché aucune de ces questions très délicates dont l'étude devrait constituer sa responsabilité première2.         

[9]      Dans les motifs écrits qu'il a rendus trois mois plus tard, le savant juge de première instance a résumé l'évolution des procédures en l'espèce en précisant que la Commission avait rendu cette première décision sans donner au plaignant l'occasion de commenter les observations de l'employeur. Il a fait remarquer que la Commission avait autorisé plus tard l'intimé à formuler ses commentaires, mais qu'elle a ensuite rejeté la plainte sans fournir d'autres explications. Il a poursuivi en ces termes:

     Ainsi, même les décisions dans les domaines les plus fondamentaux de l'administration doivent respecter l'équité. Le requérant doit avoir la possibilité de savoir ce qu'il doit établir et de réfuter la preuve ou les allégations et notamment, de mettre en doute la pertinence de rejeter sans motifs une plainte sur le fondement du sous-alinéa 44(3)b)(i). En l'espèce, toutefois, à la suite de la recommandation de l'enquêteur voulant qu'un conciliateur soit nommé et sans donner une telle possibilité au requérant, la Commission a rendu sa décision en s'appuyant sur cette disposition législative. En outre, ce n'est qu'après l'introduction de la présente demande de contrôle judiciaire le 21 novembre 1994 que la Commission a indiqué qu'elle autoriserait le requérant à présenter d'autres observations. À la suite de ces observations supplémentaires, la Commission, dans une lettre tout aussi concise, a confirmé sa décision antérieure. À mon avis, c'était trop peu, trop tard. Aucune mesure subséquente ne pouvait changer le fait que l'équité procédurale avait au départ été refusée au requérant3.         

[10]      Dans son appel de cette décision, l'appelante conteste la décision du juge des requêtes essentiellement pour deux motifs: le juge aurait décidé à tort qu'un tribunal comme la Commission est tenu de motiver sa décision et le juge a invoqué de façon erronée une doctrine de functus officio applicable aux tribunaux administratifs. Ce dernier motif est fondé sur les remarques du juge des requêtes selon lesquelles la Commission ne pouvait réexaminer sa décision communiquée le 21 novembre 1994, parce que ce réexamen, notamment celui des observations supplémentaires du plaignant pour respecter apparemment l'obligation d'équité, était " trop peu, trop tard ". En d'autres termes, l'appelante fonde son interprétation des motifs du juge des requêtes sur l'extrait précité des motifs écrits du 10 juillet 1996.

Analyse

[11]      En ce qui a trait à la question de functus officio, je suis d'avis que le juge des requêtes n'a pas invoqué ce principe lorsqu'il a dit que le réexamen de la part de la Commission était " trop peu, trop tard ". Je veux simplement indiquer clairement par là que ma confirmation de la décision de la Section de première instance ne sous-entend pas de ma part une reconnaissance de l'application du principe functus officio en l'espèce.

[12]      De plus, si le juge des requêtes voulait simplement sous-entendre par ces mots que les erreurs de procédure, notamment celles qui concernent l'équité, ne peuvent être corrigées par un organisme administratif dans le cadre d'un réexamen de l'affaire dans des circonstances appropriées, je ne veux pas que mes remarques soient considérées comme des propos appuyant ce point de vue.

[13]      J'estime plutôt que le principal motif sous-jacent à la décision portée en appel est la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la Commission a omis d'examiner les éléments dont elle disposait. À l'instar de l'appelante, je reconnais qu'il n'existe aucun principe de droit général obligeant un tribunal à motiver sa décision. Le principe applicable est énoncé à mon sens dans l'arrêt Williams c. Canada4, où la Cour s'est exprimée comme suit:

     Lorsque la décision discrétionnaire d'un tribunal est manifestement absurde ou lorsque les faits qui ont été soumis au tribunal exigeaient manifestement un résultat différent ou étaient dénués de pertinence mais ont apparemment eu un effet déterminant sur le résultat, il se peut qu'une cour de justice doive, en l'absence de motifs qui auraient pu expliquer comment le résultat est effectivement justifié ou comment certains facteurs ont été pris en considération mais rejetés,_annuler la décision pour l'un des motifs reconnus de contrôle judiciaire comme l'erreur de droit, la mauvaise foi, la prise en considération de facteurs dénués de pertinence et l'omission de tenir compte de facteurs pertinents. Dans de telles circonstances, la décision est annulée non pas parce qu'elle n'est pas motivée, mais parce que sans motifs il n'est pas possible de surmonter l'obstacle que constitue la conclusion d'absurdité ou d'erreur dérivée du résultat ou des circonstances entourant la décision.         

Bien que le juge des requêtes n'ait pas utilisé tout à fait les mêmes termes (le jugement n'avait pas encore été rendu dans l'affaire Williams lorsqu'il a fait connaître ses motifs), il m'apparaît évident, d'après les motifs précités qu'il a prononcés à l'audience, qu'à son avis, une décision non motivée dans ces circonstances menait inévitablement à la conclusion que la Commission avait, malgré une preuve prépondérante indiquant que le comportement aberrant du plaignant était imputable à l'alcoolisme, apparemment décidé de rejeter cette preuve sans donner d'explication. Elle l'a fait non seulement une fois, mais deux, après avoir reçu d'autres observations du plaignant. À mon avis, il s'agit d'un cas visé par l'extrait de l'arrêt Williams, où il faut conclure que la Commission a tout simplement ignoré des éléments importants dont elle était saisie et que sa décision peut donc être infirmée conformément à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Il s'agit évidemment d'une conclusion fondée sur la déduction qu'un tribunal de révision doit tirer sur la foi du dossier existant à l'heure actuelle et elle ne vise pas à évaluer à l'avance les conclusions ultérieures auxquelles la Commission pourrait en arriver après avoir réexaminé la preuve.

[14]      L'appel devrait donc être rejeté de façon que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour réexamen, suivant les dispositions de l'ordonnance révisée de la Section de première instance en date du 14 novembre 1996, ledit réexamen devant être fait conformément aux présents motifs.

                             (s) B.L. Strayer

                                         J.C.A.

Je souscris à l'avis du juge Strayer.

     Alice Desjardins, J.C.A.

Je souscris à l'avis du juge Strayer.

     F.J. McDonald, J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                  A-356-96

APPEL INTERJETÉ À L'ENCONTRE D'UNE DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE RENDUE LE 9 AVRIL 1996 DANS LE DOSSIER No T-2989-94

INTITULÉ DE LA CAUSE:          Louis Fortin c. Canadien Pacifique Limitée (" CP Rail ")

LIEU DE L'AUDIENCE:          Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE:          29 avril 1998

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR RENDUS PAR:          le juge Strayer

AUXQUELS ONT SOUSCRIT:          Madame le juge Desjardins

ET                      le juge McDonald

EN DATE DU:                  27 mai 1998

ONT COMPARU:

Duncan MacPhail

Lise Kirchner              pour l'appelante

Judson E. Virtue

Joseph Bradford              pour l'intimé

Eddie Taylor              pour la CCDP

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Greyell MacPhail

Vancouver (C.-B.)              pour l'appelante

Macleod Dixon

Calgary (Alb.)              pour l'intimé

Conseiller juridique

Ottawa (Ontario)              pour la CCDP

__________________

     1      Dossier d'appel, annexe 1, à la page 36.

     2      Ibid, à la page 42.

     3      Dossier d'appel, à la page 225.

     4      [1997] 2 C.F. 646, à la page 673.

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