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Date : 20001129

Dossier : A-698-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 NOVEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

requérant/

intimé

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intimée/

appelante

- et -

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE

et FEMMES ACTION

intimés

- et -

BELL CANADA

intimée

                                                                ORDONNANCE

La requête en suspension de l'ordonnance du juge Tremblay-Lamer est rejetée.

              Karen R. Sharlow

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


Date : 20001129

Dossier : A-698-00

CORAM :       LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER

requérant/

intimé

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intimée/

appelante

- et -

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE

et FEMMES ACTION

intimés

- et -

BELL CANADA

intimée

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW


[1]                Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (le SCEP) demande la suspension de l'ordonnance du juge Tremblay-Lamer de la Section de première instance de la Cour, qui empêche la poursuite des audiences devant le Tribunal canadien des droits de la personne relativement à certaines plaintes déposées aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, contre Bell Canada par le SCEP, l'Association canadienne des employés de téléphone (l'ACET) et Femmes Action.

[2]                Cette décision fait ici l'objet d'un appel. Un avocat du procureur général du Canada a comparu à l'audition de la présente requête pour annoncer que la Couronne aux droits du Canada se propose de demander l'autorisation d'intervenir dans l'appel.

[3]                En mai 1996, la Commission canadienne des droits de la personne a demandé la nomination d'un tribunal pour instruire les plaintes. Un tribunal a été nommé en août 1996 et la procédure a débuté en octobre 1996. Bell Canada a présenté une requête pour contester l'impartialité du tribunal, qui a été rejetée le 4 juin 1997. Bell Canada a demandé le contrôle judiciaire de cette décision (T-1257-97). Le 23 mars 1998, le juge McGillis a accueilli la demande de contrôle judiciaire : [1998] 3 C.F. 244.

[4]                La décision du juge McGillis a été portée en appel, mais avant que l'appel ne soit entendu, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été modifiée. Le 1er juin 1999, la Cour d'appel fédérale a ordonné que l'appel de la décision du juge McGillis soit ajourné indéfiniment.


[5]                Un nouveau tribunal a été nommé sous le régime de la loi modifiée et une nouvelle procédure a débuté devant ce tribunal le 17 avril 2000. Le 26 avril 1999, le vice-président du tribunal a rendu une décision intérimaire statuant que la nouvelle loi avait corrigé les problèmes soulevés par le juge McGillis. Bell Canada a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Le 2 novembre 2000, le juge Tremblay-Lamer a accueilli cette demande. Elle en a exposé longuement les motifs par écrit, mais aux fins de l'espèce je ne citerai que son résumé au paragraphe 128 :

Je conclus que le vice-président du tribunal a commis une erreur de droit et a décidé à tort que le tribunal était une entité organiquement indépendante et impartiale, eu égard au pouvoir de la Commission d'émettre des directives qui le lient et au pouvoir du président de prolonger le mandat expiré d'un membre jusqu'à la conclusion de l'affaire dont celui-ci a été saisi en cours de mandat.

[6]                Elle a annulé la décision intérimaire et a ordonné l'arrêt de la procédure jusqu'à ce que les problèmes qu'elle avait relevés soient corrigés.

[7]                Comme je l'ai déjà mentionné, la décision du juge Tremblay-Lamer a été portée en appel. Le plaignant SCEP, appuyé par la plaignante ACET et la Commission, demande par voie de requête la suspension de cette décision, afin que le tribunal puisse poursuivre son travail pendant l'appel de la décision. Bell Canada s'oppose à la requête.


[8]                La requête comporte une demande d'instruction accélérée qui, habituellement, devrait être entendue en même temps que la requête en suspension. Toutefois, des requêtes ont été déposées dans d'autres appels afin de permettre la réunion des appels en raison du fait que des questions semblables sont soulevées. Le juge en chef doit examiner ces requêtes plus tard aujourd'hui. Il se prononcera en même temps sur la requête en vue d'obtenir une instruction accélérée dans la présente affaire.

[9]                Au moment où la procédure devant le tribunal a été arrêtée, environ quatre années se sont écoulées depuis la date de la première plainte. Ce délai de quatre ans était en grande partie attribuable au fait que Bell Canada a contesté avec succès l'impartialité du premier tribunal.

[10]            Devant le nouveau tribunal, 36 jours d'audience ont eu lieu. Le nouveau tribunal a entendu le témoignage complet de deux témoins et une partie du témoignage d'un troisième témoin pour la Commission, qui, d'après ce que je comprends, a signalé son intention de faire entendre deux autres témoins avant de compléter sa preuve principale. Il y a eu des requêtes interlocutoires et des demandes de contrôle judiciaire afférentes à la procédure devant le nouveau tribunal.

[11]            À cause de la décision du juge Tremblay-Lamer, environ dix dates d'audition qui avaient déjà été fixées ont été perdues. Il y aura sans aucun doute d'autres problèmes de calendrier si la procédure se poursuit, mais je déduis des documents dont je dispose que plus tôt on saura si la procédure se poursuivra, plus ces problèmes seront faciles à résoudre.


[12]            Pour évaluer la requête en suspension, je dois appliquer le critère habituel en trois étapes tiré de l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 312; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [1997] 3 C.F. 643 (C.A.F.). Je ne peux pas accorder une suspension, à moins que je ne sois convaincue qu'il existe une question grave à trancher (que j'interprète en l'espèce comme étant une question grave devant être examinée en appel), que la partie qui cherche à obtenir une suspension subira un préjudice irréparable si la suspension n'est pas accordée, et que la prépondérance des inconvénients favorise l'accord d'une suspension.

[13]            Le premier critère demande une évaluation préliminaire des motifs sur lesquels se fonderont les appelants pour soutenir que la décision du juge Tremblay-Lamer est incorrecte. Il s'agit d'une exigence primaire peu élevée. Ayant pris en considération les arguments des parties et ayant examiné les affaires qu'elles m'ont citées, je conclus que le premier critère est satisfait.

[14]            Un préjudice irréparable se définit comme un préjudice impossible ou difficile à dédommager. Bien que la réparation demandée dans la présente affaire soit pécuniaire, le tort qui aurait été subi est un manquement à un droit garanti par la législation sur les droits de la personne. Habituellement, un délai dans l'obtention d'une réparation pécuniaire n'est pas un genre de préjudice qualifié d'irréparable. Je ne vois aucune raison de conclure qu'il existe un préjudice irréparable dans la présente affaire simplement à cause de la nature du droit sous-jacent.


[15]            Les plaignants soutiennent que même si la réparation est pécuniaire, il existe un préjudice irréparable en l'espèce parce qu'un autre délai dans le règlement des plaintes fait en sorte qu'il est de plus en plus probable que même si finalement il est fait droit aux plaintes, certaines personnes ne pourront pas percevoir leur dû. En raison de la restructuration interne au sein de Bell Canada et du temps qui s'est écoulé depuis les premières plaintes, certaines des femmes employées de Bell Canada qui s'attendaient à partager des dommages-intérêts que le tribunal pouvait accorder sont à présent des employées des filiales de Bell Canada, ou ont pris leur retraite, ont accepté des offres de départ ou sont mortes. Il est avancé que les plaignants pourront perdre contact avec ces personnes si la procédure devant le tribunal est davantage retardée, ce qui pourrait empêcher celles-ci d'obtenir la réparation qui serait éventuellement accordée. Il est également soutenu que ces employés et d'anciens employés de Bell Canada souffrent de stress à cause de la durée de la procédure. Il est soutenu avec encore plus de vigueur que je dois tenir compte de l'effet cumulatif des délais jusqu'à ce jour, ainsi que des autres délais qui surviendront si je n'accorde pas de suspension à cette étape.

[16]            Bell Canada ne conteste pas le fait qu'il y a eu des changements dans sa structure qui ont également donné lieu aux changements de poste précédemment décrits, et qu'il y a eu des démissions, des retraites et des décès parmi la catégorie d'employés que représentent les plaignants. Toutefois, d'après sa preuve, il est relativement facile de trouver une adresse courante pour quiconque travaille pour le groupe de sociétés Bell Canada ou reçoit une pension de retraite de Bell Canada, et Bell Canada tient à jour les adresses courantes d'autres anciens employés qui souhaitent la tenir informée de ces renseignements.


[17]            Les plaignants ont affirmé que bien qu'ils représentent les employés actuels et anciens de Bell Canada qui devraient avoir droit à une réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ils ne sont pas restés au courant de qui sont ces gens. Ils ne m'ont pas fourni d'explication concluante justifiant pourquoi il en était ainsi. La preuve qui a été portée à ma connaissance ne me convainc pas que le risque que les plaignants perdent contact avec les personnes qu'ils représentent est un genre de préjudice irréparable qui justifierait une suspension.

[18]            À ce sujet, il ne me reste que le facteur du délai. Je reconnais que le délai jusqu'à ce jour et les autres délais qui sont inévitables si je n'accorde pas une suspension représentent une source de stress pour les employés actuels et anciens de Bell Canada. Toutefois, d'après mon interprétation du dossier, je suis d'avis que ces délais sont une conséquence inévitable des questions de droit difficiles qui ont été soulevées dans le cadre de la présente plainte et de la décision de Bell Canada de défendre vigoureusement ce qu'elle considère actuellement, et depuis le début, comme son droit à une audition équitable des plaintes. Je ne suis pas convaincue que les délais, même considérés cumulativement, donnent lieu à un préjudice irréparable.


[19]            Il est soutenu que les mandats des membres du tribunal peuvent prendre fin avant que la procédure ne soit terminée. Le mandat de Grant Sinclair prend fin le 21 décembre 2003, celui de Shirish Chotalia, le 15 décembre 2001 et celui de Pierre Deschamps, le 8 février 2002. Leurs mandats peuvent être renouvelés ou ne pas l'être pour leur permettre de continuer à siéger. Cependant, la preuve de Bell Canada signale que même si la procédure se poursuit immédiatement, selon toute vraisemblance, la procédure ne sera pas terminée avant l'expiration du mandat actuel d'au moins l'un de ces membres. Je ne suis pas convaincue que l'expiration possible des mandats des membres du tribunal constitue un préjudice irréparable.

[20]            Les deux derniers points soulevés dans l'argumentation sont, à mon avis, mieux analysés en vertu du critère relatif à la prépondérance des inconvénients.

[21]            Premièrement, il est avancé que si le tribunal est autorisé à poursuivre, l'effet des directives qui revêtaient une telle importance dans la décision du juge Tremblay-Lamer ne fera pas l'objet d'une argumentation pendant de nombreux mois, et par conséquent Bell Canada ne subira pas de préjudice par la poursuite de la partie réunion des éléments de preuve de la procédure. Toutefois, Bell Canada soutient que la manière dont elle mène son affaire, y compris ses contre-interrogatoires des témoins présentés par la Commission et les plaignants, reposera dans une certaine mesure sur l'effet légal des directives. Si tel est le cas, alors aussi longtemps que l'effet légal des directives demeure incertain, Bell Canada sera dans la difficile position d'avoir à se comporter comme si les directives peuvent s'avérer ou non obligatoires pour le tribunal.


[22]            Deuxièmement, toute appréciation de la prépondérance des inconvénients doit prendre en considération l'intérêt public. L'intérêt public, soutient-on, serait servi si le tribunal était autorisé à remplir le mandat que lui confère la loi en temps opportun. D'autre part, Bell Canada prétend que je dois également reconnaître l'intérêt public dans la valeur constitutionnelle de l'indépendance et de l'impartialité des tribunaux. Dans la majorité des affaires où on cherche à obtenir une suspension de la procédure dans le cadre d'une instance devant des tribunaux, une partie cherche à interrompre la procédure en attendant une décision sur le fond. En l'espèce, une partie demande la reprise d'une procédure malgré une décision judiciaire établissant un vice fatal dans la loi habilitante. Bell Canada ne devrait pas se voir refuser à la légère l'avantage de cette décision.

[23]            Compte tenu de ces facteurs, je suis forcée de conclure que la prépondérance des inconvénients favorise le refus d'accorder une suspension. Pour ce motif, et parce que je ne suis pas convaincue que le critère du préjudice irréparable a été satisfait, la requête en suspension de l'ordonnance du juge Tremblay-Lamer est rejetée.

Karen R. Sharlow

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        A-698-00

INTITULÉDE LA CAUSE :            Commission canadienne des droits de la personne

- et -

Association canadienne des employés de téléphone, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et Femmes Action

- et -

Bell Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 29 novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT :             Madame le juge Sharlow

EN DATE DU :                                  29 novembre 2000

ONT COMPARU:

M. RenéDuval                                    Pour l'appelante

M. Philippe Dufresne                                     (Intimée dans la requête)

M. Larry Steinberg                             Pour l'intimée, Association canadienne des employés de téléphone

(Intimée dans la requête)

M. Peter Engelmann                          Pour l'intimé, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier

(Requérant dans la requête)

M. Roy L. Heenan                              Pour l'intimée, Bell Canada

M. John C. Murray                              (Intimée dans la requête)


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Commission canadienne des droits            Pour l'appelante

de la personne                                               (Intimée dans la requête)

Ottawa (Ontario)

Koskie, Minsky                                   Pour l'intimée, Association canadienne des employés de

Toronto (Ontario)                                téléphone

(Intimée dans la requête)

Caroline Engelmann Gottheil                        Pour l'intimé, Syndicat canadien des communications, de

Ottawa (Ontario)                                   l'énergie et du papier

(Requérant dans la requête)

Heenan Blaikie                                   Pour l'intimée, Bell Canada

Montréal (Québec)                              (Intimée dans la requête)


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