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Date: 19971219


Dossier: ITA-1384-97

     Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,         

     - et -

     Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-chômage,         

CONTRE:

     GILBERT GADBOIS

     Débiteur-saisi

     ET

     TRANSPORT H. CORDEAU INC.,

     J.-L. MICHON TRANSPORT INC.

     Tierces-saisies

     ET

     2951-7539 QUÉBEC INC.

     Mise en cause

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

Introduction


[1]      Il échet en l'espèce de déterminer si dans le cadre d'une saisie-arrêt sous la règle 2300 des Règles de la Cour fédérale, la créancière-saisissante peut s'en remettre à l'article 1452 du Code civil du Québec (C.c.Q.) aux fins de se prévaloir d'un acte apparent intervenu entre la tierce-saisie Transport H. Cordeau Inc. (Cordeau) et le débiteur-saisi et ce, sans égard à une entente différente intervenue entre les mêmes parties au cours des mois précédant l'entente apparente.


[2]      Il fut décidé que cette question mue par la créancière-saisissante (la couronne) serait déterminée par décision interlocutoire puisqu'en cas de succès de la couronne sur cette dernière, le reste du débat sur l'obtention d'une ordonnance définitive de saisie-arrêt pourrait être écourté significativement.


[3]      Il importe dès à présent d'avoir en tête l'article 1452 C.c.Q. ainsi qu'à l'article du même code qui le précède:

                      1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.                 
                      Entre les parties, la contre-lettre l'emporte sur le contrat apparent.                 
                      1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.                 

Contexte

[4]      Toute cette question de préséance d'un acte apparent sur une entente non dévoilée se rapporte au contexte suivant qui mérite d'être rappelé dans ses grandes lignes; contexte que la couronne ne reconnaît pas nécessairement comme étant vrai pour toutes les fins du litige mais qu'elle accepte de tenir pour avéré pour les fins de détermination de l'application de l'article 1452 C.c.Q.

[5]      En tout temps pertinent, Cordeau se trouve impliqué dans le transport général et le déneigement.

[6]      En 1995, il accuse des problèmes de liquidités et de sérieuses difficultés à rencontrer ses obligations, notamment envers ses sous-traitants et ses fournisseurs.

[7]      Face à cette situation financière difficile, Cordeau obtient que le débiteur-saisi, Gilbert Gadbois, en sa qualité de président de 2951-7539 Québec Inc., lui consente entre février et mai 1996 des avances totalisant quelque 63 000$. (Il y a lieu ici d'indiquer que l'ordonnance provisoire de saisie-arrêt émise dans le présent dossier le 28 avril 1997 lève de façon provisoire le voile corporatif entre Gilbert Gadbois et la corporation 2951-7539 Québec Inc. On doit donc prendre pour acquis que ces deux personnes ne font qu'une et cette personne sera désignée dorénavant comme "Gadbois". On notera également que c'est la certification de la dette personnelle de Gilbert Gadbois au dossier de cette Cour qui a permis à la couronne d'enclencher le processus du paragraphe 2300(1) des règles.)

[8]      Ces avances ou prêts de Gadbois auraient été consentis sur la base d'une entente verbale continue ne prévoyant pas de paiement d'intérêts ni de modalités de remboursement du capital.

[9]      Comme ces avances de Gadbois, ainsi que le financement obtenu par Cordeau de d'autres sources (dont J.-L. Michon Transport Inc. (Michon), l'autre tierce-saisie dans l'instance et pour laquelle la couronne n'entend pas poursuivre les procédures), s'avéraient insuffisantes, Cordeau, selon le paragraphe 21 de son affidavit au dossier, n'a alors eu d'autre choix que de se tourner à nouveau vers Gadbois pour obtenir des injections de fonds additionnelles sur la base de leur entente verbale.

[10]      C'est ici que survient l'acte apparent mentionné plus tôt, soit un acte notarié du 10 mai 1996 passé entre Gadbois et Cordeau (l'acte notarié).

[11]      Gadbois sentant Cordeau financièrement à sa merci imposa à ce dernier que l'acte notarié, en plus de prévoir un prêt à venir de 75 000$, fasse état également du fait que les avances passées étaient pour un montant de 250 000$ - au lieu de 63 000$ - et ce, afin qu'en cas de faillite de Cordeau, Gadbois puisse par cet acte jouir du contrôle dans ladite faillite. (Cette créance ainsi que cet avantage dans la faillite passeront éventuellement dans les mains de Michon par voie de cession de créance entre Gadbois et Michon. Il n'est toutefois pas essentiel pour les fins de la présente décision interlocutoire de détailler cet aspect du dossier.)

[12]      Les extraits pertinents de l'acte notarié se lisent comme suit:

                      1o. PRÊT ET AVANCE DE FONDS                 
                      Le débiteur est ou sera redevable d'engagements financiers suivant (sic) envers le créancier, savoir:                 
                      - Une somme de DEUX CENT CINQUANTE MILLE DOLLARS ($250,000.00) représentant des avances déjà effectuées;                 
                      - Une somme de SOIXANTE-QUINZE MILLE DOLLARS ($75,000.00) qui sera déboursée d'ici le 14 mai 1996 entre les mains du notaire en fidéicommis pour être remise au débiteur.                 
                      Cette somme porte intérêt au taux de UN POUR CENT (1%) par mois, et ces intérêts sont payables mensuellement le premier de chaque mois jusqu'au remboursement final de la somme en capital.                 
                      Toute somme due et toute obligation due au créancier devront être remboursées au plus tard le 1er mai 1997.                 
                      Il sera loisible au débiteur de rembourser par anticipation sans avis ni indemnité.                 
                      Au cas de vente des biens présentement hypothéqués en vertu des présentes, tout solde restant dû deviendra exigible à la discrétion du créancier.                 
                      Tout intérêt impayé à son échéance portera intérêt au même taux mais demeurera exigible en tout temps sans nécessiter d'avis ou de mise en demeure.                 
                      La présente est faite sans novation ni dérogation aux droits résultant en faveur du créancier en vertu de tout autres actes constitutifs de créances (sic).                 
                      2o. HYPOTHÈQUE MOBILIÈRE SANS DÉPOSSESSION                 
                      [Description de l'hypothèque sur les équipements de Cordeau]                 
                 (mon souligné)                 

[13]      On constate donc que cet acte porte comme somme totale un montant de 325 000$. Il dispose, de plus, que cette somme portera intérêts et prévoit une date pour le remboursement de toute somme due. Finalement, il stipule implicitement qu'il est constitutif de créance.

[14]      Dans les faits et nonobstant l'acte notarié, il appert que Gadbois avança seulement à Cordeau en bout de course une somme de 160 300$. On doit tenir qu'en aucun temps les parties à l'acte notarié envisageaient qu'une somme de 325 000$ serait avancée par Gadbois.

[15]      Il ressort également que dans la foulée de l'entente verbale mentionnée précédemment, et de façon contemporaine, doit-on comprendre, à l'acte notarié, Gadbois fixa à 225 000$ la somme totale que Cordeau devait lui rembourser en vertu du contrat notarié. Contre toute attente, Cordeau ne fit pas faillite et Gadbois fut éventuellement remboursé d'un montant de 225 000$.

[16]      La couronne a toutefois entrepris de saisir-arrêter entre les mains de Cordeau la différence existant entre le montant total de l'acte notarié et celui de l'entente verbale, soit une somme de 100 000$.

[17]      Lors d'une première comparution de Cordeau au dossier suite à l'émission le 27 avril 1997 d'une ordonnance provisoire de saisie-arrêt pour ce montant de 100 000$, la procureure de Cordeau voulut présenter une requête afin que Cordeau et Gadbois, entre autres personnes, soient entendus comme témoins. L'intention étant, vraisemblablement, de faire la preuve de l'entente verbale entre les parties et établir ainsi que malgré l'acte notarié, Cordeau ne devait plus aucun montant à Gadbois. Conséquemment, on ne pourrait prétendre à une dette existant entre lui et Gadbois au sens du paragraphe 2300 (1) des règles.

[18]      Vu la présence de cet acte juridique écrit, il fut alors convenu que toute preuve testimoniale de la part de Cordeau - que cette preuve soit par témoins entendus de vive voix ou par affidavits - se devait d'être précédée, pour être acceptée, d'un commencement de preuve, le tout tel que le prévoit l'article 2863 du C.c.Q. Cet article ainsi que l'article 2865 du même code se lisent comme suit:

                      2863. Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve.                 
                      2865. Le commencement de preuve peut résulter d'un aveu ou d'un écrit émanant de la partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d'un élément matériel, lorsqu'un tel moyen rend vraisemblable le fait allégué.                 

[19]      C'est ainsi qu'en vue du débat sur l'article 2863 C.c.Q., la procureure de Cordeau se fit fort de déposer au dossier de la Cour des affidavits détaillés de Cordeau et de Gadbois. Ces derniers furent interrogés sur leur affidavit respectif.

[20]      Au début de l'audition prévue pour débattre de l'utilisation de l'article 2863 C.c.Q., le procureur de la couronne indiqua qu'il entendait invoquer l'article 1452 C.c.Q. au soutien de son droit de se prévaloir de l'acte notarié sans que ne soit prise en considération la preuve testimoniale contenue aux affidavits de Cordeau et de Gadbois; affidavits tendant à établir l'existence d'une entente verbale entre eux.

[21]      Il fut donc convenu de traiter de cette question de façon séparée, d'où les présents motifs et l'ordonnance les accompagnant.

Analyse

[22]      Il y a donc présence de deux ententes. D'une part, il y a l'entente verbale entre Gadbois et Cordeau pour un montant de 225 000$ et, d'autre part, l'acte notarié qui malgré un paiement de 225 000$ par Cordeau laisserait un solde dû de 100 000$.

[23]      Si l'on doit tenir cette situation pour avérée, la couronne s'en réfère alors à l'article 1451 C.c.Q. puisque selon elle cette même situation est une simulation. Ainsi donc l'entente verbale serait la contre-lettre qui exprimerait la volonté réelle des parties et l'acte notarié ferait figure de contrat apparent.

[24]      L'article 1452 C.c.Q. autoriserait en conséquence la couronne à invoquer en sa faveur l'acte notarié puisque c'est là son intérêt si elle veut compléter la saisie entreprise provisoirement.

[25]      Rappelons de nouveau que ces deux articles de loi se lisent comme suit:

                      1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.                 
                      Entre les parties, la contre-lettre l'emporte sur le contrat apparent.                 
                      1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.                 

[26]      Voici ce que dit l'auteur Jean-Louis Baudoin, Les obligations, (4e édition), pages 282-3, quant aux buts d'une simulation et les différentes variétés d'icelle que l'on peut retrouver:

                      495 - Buts - Toute opération de simulation comprend donc deux actes distincts: d'une part un acte apparent, qui représente ce que les parties veulent faire croire aux tiers, et d'autre part un acte secret ou contre-lettre, qui reflète leur véritable intention et qui doit avoir été conclu avant ou en même temps que l'acte apparent. La simulation est souvent utilisée dans le dessein de commettre une fraude à la loi, c'est-à-dire d'éviter une prohibition légale ou de faire indirectement ce que la loi ne permet pas de faire directement. Cependant, elle n'est pas toujours synonyme de fraude et un but parfaitement légitime peut être à la base de l'opération simulée. Ainsi, en est-il du donateur désireux de conserver l'anonymat et qui fait la donation par personne interposée.                 
                 II.      VARIÉTÉS                 
                      496 - Acte fictif - La simulation peut prendre diverses formes selon que les parties ont voulu supprimer totalement l'acte apparent ou simplement en modifier les effets. L'acte fictif est destiné à faire croire à l'existence d'un engagement entre les parties, alors qu'en fait il n'en existe aucun. Dans ce cas, la contre-lettre, véritable entente des parties, annihile complètement l'acte apparent. Les parties ont voulu faire croire qu'elles avaient conclu un contrat alors qu'en réalité elles n'ont jamais voulu contracter. La technique de l'acte fictif est souvent utilisée comme moyen de tromper ses créanciers. Le débiteur se dessaisit apparemment d'un bien en faveur d'un tiers, mais s'en réserve l'entière propriété par contre-lettre.                 
                      497 - Acte déguisé - Au contraire, l'acte déguisé laisse subsister une entente apparente entre les parties, entente qui est cependant différente de celle constatée par l'acte. Le déguisement peut être total (les parties ont fait une vente, mais la contre-lettre indique qu'il s'agit en fait d'une donation), ou partiel (les parties ont fait une vente, mais les conditions véritables de celle-ci sont différentes de celles exprimées par l'acte apparent). C'est la forme la plus courante de simulation.                 
                 (citations omises)                 

[27]      Dans le cas qui nous occupe, s'il y a simulation, je serais d'avis à l'instar du procureur de la couronne de dire que l'acte notarié vient déguiser partiellement l'entente verbale entre les parties.

[28]      Cordeau se défend contre cette utilisation par la couronne de l'article 1452 C.c.Q. en soulevant, si ma compréhension est juste, trois grands moyens. Premièrement, il soutient que l'entente verbale ne peut être vue comme une contre-lettre. Deuxièmement, il soutient que même si l'on devait décider que l'on est en présence d'une simulation, l'article 1452 selon lui est inapplicable en l'espèce puisque la couronne ne peut se considérer comme un tiers de bonne foi au sens de cet article. Enfin, on doit considérer que dans le cadre de la saisie-arrêt à l'étude, la couronne ne serait qu'aux droits de Gadbois et elle ne pourrait donc saisir une dette qui n'existe pas entre les parties.

[29]      Il y a lieu de regarder successivement ces arguments.

L'entente verbale: contre-lettre?

[30]      Suivant Cordeau, il n'y a pas lieu de chercher à mettre sur un même niveau l'entente verbale et l'acte notarié pour chercher ensuite à qualifier l'entente verbale de contre-lettre. Selon lui, ces deux contrats ne sont pas de même nature; l'entente verbale devant être vue comme le contrat principal, celui qui constate la créance, tandis que l'acte notarié ne serait qu'un simple acte d'hypothèque, c'est-à-dire un accessoire du contrat principal. Cet acte accessoire ne viserait, partant, qu'à garantir l'octroi des avances.

[31]      Je ne puis souscrire à cette vision des choses.

[32]      Tout comme la couronne, je pense que l'entente verbale et l'acte notarié sont de même nature. En fait, l'acte notarié doit être vu comme un acte mixte. Certes, il stipule une garantie hypothécaire mais il constate également dans sa première partie tant des avances passées que futures.

[33]      En stipulant des avances passées pour une somme de 250 000$ au lieu des sommes réellement avancées, soit une somme au 10 mai 1996 de 63 000$, il recrée, il constate une créance pour les fins d'une faillite envisagée de Cordeau.

[34]      Il importe ici d'indiquer qu'à cet égard, l'acte notarié peut être vu comme ayant été constitué en fraude à la loi, ici la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R. (1985), ch. B-3. Nul ne prétend toutefois que ce même acte a été constitué en vue de frauder la couronne à court ou moyen terme.

[35]      Quant au prêt à venir de 75 000$, il est clair que l'acte notarié constate à cet égard une créance. De plus, il faut se rappeler que cet acte lui-même stipule, tel que mentionné plus avant au paragraphe [12] que "La présente est faite sans novation ni dérogation aux droits résultant en faveur du créancier en vertu de tout autres actes constitutifs de créances (sic)".

[36]      Je considère donc qu'il y a lieu ici de voir l'entente verbale comme une contre-lettre à l'acte apparent qu'est l'acte notarié, le tout au sens de l'article 1452 C.c.Q.

La couronne est-elle un tiers de bonne foi?

[37]      En termes de relations contractuelles, le créancier d'un débiteur est certes un tiers face aux contrats passés par ce dernier.

[38]      Toutefois, il faut bien constater que l'article 1452 C.c.Q. ne fait pas référence à tout tiers mais réserve aux tiers de bonne foi la possibilité d'opter entre deux contrats.

[39]      Pour comprendre le sens de cette réserve, il m'appert qu'il y a lieu d'en rechercher le but.

[40]      Encore ici, l'auteur Jean-Louis Baudoin, supra, en pages 284-5, fait ressortir à mon sens les deux grandes situations où un tiers pourrait invoquer l'article 1452 C.c.Q.:

                      502 - Fraude - L'acte simulé qui a pour but de frauder la loi est entaché de nullité et entraîne l'annulation de l'opération tout entière. Ainsi, en est-il des parties qui utilisent l'une des techniques de la simulation pour passer outre à une disposition prohibitive de la loi ou à une disposition d'ordre public: il est impossible de faire indirectement ce qu'il est défendu de faire directement. Dans ce cas, l'opération toute entière, c'est-à-dire acte apparent et contre-lettre, est frappée de nullité.                 
                 B.      Effets vis-à-vis des tiers                 
                      503 - Principe de l'inopposabilité - L'article 1452 C.c. reprend le principe exprimé malhabilement par l'ancien article 1212 C.c.B.-C. Ainsi, les tiers de bonne foi (soit ceux qui n'avaient pas connaissance de l'existence de la contre-lettre au moment où ils ont contracté), ont droit de se fier aux apparences et de traiter l'acte apparent comme représentant la véritable convention intervenue entre les parties. Le terme "tiers" désigne les ayants cause à titre particulier et les créanciers chirographaires, mais ne comprend pas les héritiers universels ou à titre universel parce qu'ils continuent la personne juridique de leur auteur.                 
                 (citations omises) (mes soulignés)                 

[41]      Ainsi donc si la simulation en l'instance avait été constituée pour frauder la couronne, cette dernière aurait été autorisée à se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre. Toutefois, tel que nous l'avons vu, tant le contrat notarié que l'entente verbale apparaissent ne pas avoir été constitués pour frauder la couronne dans ses efforts de collecter la dette fiscale accumulée par Gadbois.

[42]      Outre cette situation de fraude à la loi, les tiers de bonne foi au sens de l'article 1452 C.c.Q. seraient, suivant Baudoin, ceux qui n'avaient pas connaissance de l'existence de la contre-lettre au moment où ils ont contracté.

[43]      Le but de l'article 1452 serait donc de protéger les tiers qui ont eu à transiger avec une des parties à la simulation et qui se sont fiés aux droits apparents de cette partie. Pour éviter que ces tiers ne subissent un préjudice, l'article 1452 leur permet une option. C'est là à mon sens la dynamique à laquelle étaient confrontés ultimement les tribunaux dans les arrêts suivants cités par la couronne: Gestion Cogemar Ltée (Syndic de), [1989] R.J.Q. 2266 (C.A.Q.); Linval Acceptance Corp. Ltée v. Branchaud, [1972] C.A. 552 (C.A.Q.); L'Ami du consommateur M.L. Inc. (Syndic de), J.E. 90-611 (C.A.Q.).

[44]      Cette perception du but de l'article 1452 C.c.Q. semble partagée également en doctrine. Ainsi, suivant le professeur Angers Larouche, Les obligations, Tome 1, 1982, page 253:

                 Si la loi démunit de tout effet nuisible la contre-lettre quant aux tiers, et si c'est la convention apparente qui règle leurs droits, c'est pour leur éviter des surprises contre lesquelles ils n'auraient pu se prémunir.                 

(Voir également, Jean Pineau et al, Théorie des obligations, 3e édition, page 475-6.)

[45]      Dans le cas qui nous occupe, la couronne n'a pas eu à transiger avec Cordeau ou Gadbois sur la base du contrat apparent, soit le contrat notarié. Le fait que la dette fiscale de Gadbois puisse remonter aux années 1984 à 1995 en vertu de principes jurisprudentiels reconnus ne change rien au fait à mon avis que la couronne dans les circonstances ne s'est pas fiée au contrat apparent pour établir la cotisation de Gadbois ni pour s'engager autrement.

[46]      Dans le même ordre d'idées, la simulation ne pourrait être invoquée par un tiers qui aurait été informé à temps de l'existence de la convention réelle liant les parties entre elles. À cet égard, l'auteur Vincent Karim, Commentaires sur les obligations, Volume 1, Les Éditions Yvon Blais Inc., page 242, s'exprime comme suit:

                      Il faut toutefois noter qu'une personne, même si elle ne fait (sic) pas partie au contrat, ne peut invoquer à son égard la simulation lorsqu'elle était au courant de l'acte réel conclu par les parties. Ce tiers au contrat ne peut prétendre à l'existence d'une contre-lettre puisque les parties n'ont pas cherché à la voiler ou camoufler.                 
                 (citation omise)                 

[47]      Ce principe de la connaissance de la situation réelle avait été reconnu par la Cour suprême en 1981 dans l'arrêt Victuni Aktiengesellschaft et Le ministre du Revenu, [1980] 1 R.C.S. 580, 583:

                 On voit donc que la question qu'il faut se poser n'est pas de savoir si Victuni était propriétaire de l'immeuble dont il s'agit, mais si elle avait une "dette ou obligation" d'un montant égal à la valeur de ce bien. Or, ce qui est prouvé sans contradiction, c'est que Victuni, même si elle a acheté le terrain en son nom, ne l'a fait que comme mandataire de deux autres sociétés qui en sont les vrais propriétaires et pour le compte desquelles elle le détient. Ce fait n'est pas révélé par l'acte déposé au bureau d'enregistrement, mais il était connu du ministère du revenu lors de l'établissement de la cotisation. En effet Victuni avait fourni en réponse à une demande de renseignements, des copies des actes intervenus entre elle et les deux autres sociétés.                 

[48]      En l'instance, il n'est pas établi, du moins de façon claire, que la couronne connaissait l'existence de l'entente verbale au moment de la confection de l'affidavit à l'appui de la demande d'ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Il est néanmoins difficile de croire face à la preuve au dossier que les discussions tenues par la couronne en cours d'enquête n'aient pas amené le fonctionnaire en charge du dossier à apprendre positivement l'existence d'une telle entente. Puisque l'application de l'article 1452 fut soulevée par la couronne, il m'appert que c'était à cette dernière que revenait le fardeau d'établir clairement les conditions d'application de cet article.

[49]      Pour ces motifs, je suis d'avis que la couronne ne peut dans les circonstances du cas en l'espèce se considérer comme un tiers de bonne foi au sens de l'article 1452 C.c.Q. et, partant, elle ne peut s'en remettre audit article aux fins de se prévaloir de l'acte apparent, soit l'acte notarié, intervenu entre Cordeau et Gadbois, et ce, sans égard à une entente différente intervenue entre les mêmes parties au cours des mois précédant l'entente apparente.

[50]      Vu la conclusion qui précède, je n'ai pas à me prononcer formellement sur le troisième argument soulevé par Cordeau, à savoir que dans le cadre de la saisie-arrêt à l'étude, la couronne ne serait qu'aux droits de Gadbois et elle ne pourrait donc saisir une dette qui n'existe pas entre les parties.

Suite du dossier

[51]      À moins qu'il n'y ait appel de la présente décision, les procureurs des parties verront le plus rapidement possible à faire trancher au besoin toute objection qui aurait pu être soulevée lors des interrogatoires sur affidavits.

[52]      Si on ne requiert pas l'adjudication d'objections, les parties devront s'entendre d'ici le 22 janvier 1998 sur une date afin que la requête de Cordeau sous l'article 2863 C.c.Q. ainsi que tout autre point à être soulevé soient tranchés dans une seule audition portant sur l'à-propos ou non d'émettre dans l'instance une ordonnance définitive de saisie-arrêt.

[53]      Frais à suivre.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 19 décembre 1997

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

ITA-1384-97

GILBERT GADBOIS

     Débiteur-saisi

ET

TRANSPORT H. CORDEAU INC.,

J.-L. MICHON TRANSPORT INC.

     Tierces-saisies

ET

2951-7539 QUÉBEC INC.

     Mise en cause

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 8 décembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 19 décembre 1997

COMPARUTIONS:

Me Richard Corbeil pour la créancière-saisissante

Me Marie-Claude Jarry pour la tierce-saisie, Transport H.

Cordeau Inc.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me George Thomson pour la créancière-saisissante

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Me Marie-Claude Jarry pour la tierce-saisie, Transport H.

Dunton Rainville Cordeau Inc.

Montréal (Québec)


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