Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020207

Dossier : A-80-99

Référence neutre : 2002 CAF 56

ENTRE :

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et     

                                                           ROBERT B. FURUKAWA

                                                                                                                                                            intimé

                                            MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS

Charles E. Stinson

Officier taxateur

[1]                 Une copie des présents motifs a été versée au dossier no A-412-96; ils s'y appliquent de manière conséquente. La Cour d'appel fédérale (la Cour) a adjugé les dépens à l'intimé dans chacun des litiges. Le défendeur a présenté des mémoires de dépens calculés sur la base avocat-client suivant la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt (la Loi).


18.24    Le jugement de la Cour sur un appel visé àl'article 18 est définitif et sans appel sous réserve de la révision prévue àl'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. L.R. (1985), ch. 51 (4e suppl.), art. 5.

                  

18.24    A judgment of the Court on an appeal referred to in section 18 is final and conclusive and is not open to question or review in any court except the Federal Court of Appeal in accordance with section 28 of the Federal Court Act, R.S. 1985, c. 51 (4th Supp.), s. 5.


18.25 Les frais entraînés pour le contribuable par une demande de révision ou d'annulation présentée par le ministre du Revenu national au titre de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédéralerelativement à un jugement visé àl'article 18.24 sont payés par Sa Majesté du chef du Canada. L.R. (1985), ch. 51 (4e suppl.), art. 5.


18.25      Where the Minister of National Revenue makes an application under section 28 of the Federal Court Act to review and set aside a judgment referred to in section 18.24, the reasonable and proper costs of the taxpayer in respect of the application shall be paid by Her Majesty in right of Canada, R.S. 1985, c. 51 (4th Supp.), s. 5.

  

Puisque les jugements des deux litiges ne faisaient pas état de frais entre avocat et client et que rien n'indiquait que l'appelante avait consenti à l'application de cette indemnité plus élevée, un calendrier a été établi pour la production d'observations écrites sur ce seul point au cas où il n'y aurait pas d'entente et il n'y en a finalement pas eu. Les présents motifs portent sur cette seule question préliminaire parce que je pense qu'il ne serait pas profitable d'évaluer chaque élément figurant dans les mémoires de dépens avant de déterminer le niveau approprié des frais et d'autoriser un certain temps pour qu'un appel soit interjeté sur ce point, s'il y a lieu.

La position de l'intimé


[2]                 L'intimé a fait remarquer que les deux appels ont été interjetés comme il se doit à la Cour canadienne de l'impôt (la Cour de l'impôt) suivant la procédure informelle (article 18 de la Loi). Le fascicule du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce (13 septembre 1988, aux pages 17 et 18) indique clairement qu'aux termes de l'article 18.25 de la Loi, l'expression « frais entraînés » ( « reasonable and proper costs » , dans la version anglaise) désigne les frais entre avocat et client et non ceux entre parties. L'intimé soutient que cette indemnité plus élevée n'est pas issue de la création en 1991 de la procédure informelle à la Cour de l'impôt. Elle remonterait en fait à l'article 178(2) (abrogé) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui prévoyait que « tous les frais raisonnables et justifiés » ( « all reasonable and proper costs » , dans la version anglaise) du contribuable afférents à un appel interjeté devant la Cour par le ministre du Revenu national (le ministre) lorsque le montant d'impôt faisant l'objet du litige ne dépassait pas 10 000 $ étaient à la charge du ministre. L'intimé a fait référence à la décision La Reine c. Leroy J. Creamer, 77 D.T.C. 5025 à 5030 (C.F. 1re inst.) :

En adoptant le paragraphe 178(2), lorsqu'il employa l'expression « tous les frais raisonnables et justifiés » , le Parlement n'avait pas l'intention d'établir une nouvelle classification des frais, ni d'utiliser un synonyme pour dépens entre parties. C'est la Couronne, non le contribuable, qui jouit de la prérogative d'intenter une action lorsqu'elle le juge nécessaire, malgré que les sommes litigieuses soient minimes, vu l'importance du principe en cause. Elle n'engage pas l'action simplement parce qu'elle veut obtenir l'argent, en l'espèce, 160 $, si c'était le cas, elle ne poursuivrait sans doute pas. Elle l'intente parce qu'elle veut faire modifier ou renverser la décision de la Commission de révision de l'impôt. Le Parlement a voulu que dans ce cas le contribuable puisse se défendre et recevoir toute l'aide juridique nécessaire, sans que les frais en jeu, dans la mesure où ils sont raisonnables et justifiés, ne soient un obstacle.

Il a allégué que le principe établi par l'article 178(2) (abrogé) de la Loi de l'impôt sur le revenu survit présentement dans l'article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.


[3]                 L'intimé a souligné que le ministre a obtenu que les appels soit soumis à la procédure générale de la Cour de l'impôt, en vertu de l'article 18.11 de la Loi, pour le motif que la question était commune à un groupe ou une catégorie de personnes. La Cour de l'impôt a attribué les « frais entraînés » à l'intimé en application du paragraphe 18.11(6) de la Loi. Il soutient que si la procédure informelle avait continué de s'appliquer et si le ministre avait présenté une demande de contrôle judiciaire au titre de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, le ministre aurait été tenu de payer les frais avocat-client en vertu de l'article 18.25 de la Loi, peu importe l'issue du litige. Il allègue que « ses dépens du présent appel » (A-412-96) et les « dépens raisonnables et convenables qu'il a engagés pour obtenir gain de cause en appel » (A-80-99) qui ont été accordés par la Cour étaient manifestement destinés aux frais avocat-client envisagés par l'article 18.25 de la Loi et que l'issue des appels permettait au ministre de décider du sort de cinquante autres contribuables dans une situation semblable à celle de l'intimé.


[4]                 Réfutant les arguments de l'appelante, qui seront exposés plus loin, l'intimé a fait valoir que l'arrêt David Gerald Crabbe c. Le ministre des Transports, [1973] C.F. 1091 (C.A.F.), n'offrait que peu d'utilité, sinon aucune, en l'espèce, en raison des différences entre les anciennes règles et les règles actuelles. La restriction de l'arrêt Crabbe, précité, en application de l'ancienne règle 346(1), selon laquelle le pouvoir d'un officier taxateur était limité par le jugement et les directives du tribunal, n'existe plus dans les règles actuelles, qui n'imposent pas que la taxation des frais et dépens soit uniquement fondée sur le libellé du jugement formel. Cette distinction exige que tant le jugement formel que les directives données dans les motifs du jugement soient dorénavant considérés pour faire en sorte qu'il ne soit pas fait échec à l'intention expresse ou implicite des motifs de la cour. L'intimé allègue que l'économie de la loi prévoit le paiement des frais avocat-client au contribuable qui défend une décision de la Cour de l'impôt, portant sur de petits montants d'impôt, contestée par le ministre en vue de régler des causes semblables portées en appel. La Cour de l'impôt a reconnu ce principe en exerçant son pouvoir de discrétion en vertu du paragraphe 18.11(6) de la Loi. L'intimé prétend que le présent litige donne droit aux frais entre avocat et client au titre d' « autres circonstances exceptionnelles » , et non de la conduite fautive, dont il est question au paragraphe [79] de la décision Ludco Enterprises Ltée c. Canada, 2001 C.S.C. 62.

[5]                 L'intimé allègue qu'en lui faisant droit au paiement des dépens de l'appel malgré son insuccès, le tribunal visait clairement, dans les motifs du jugement qu'il a rendu dans le dossier A-412-96, la compensation des frais entre avocat et client prévue par l'article 18.25 de la Loi ou par la disposition qu'il a remplacée, soit le paragraphe 178(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans le cas du dossier A-80-99, l'intimé prétend que si la Cour avait voulu accorder des frais entre parties, elle n'aurait pas eu besoin, au paragraphe [44] des motifs du jugement, d'exercer sa discrétion, mais elle l'a fait tout particulièrement dans l'intention d'attribuer les frais entre avocat et client : « je ne vois pas pourquoi j'exercerais mon pouvoir discrétionnaire autrement qu'en adjugeant les dépens de la façon habituelle : en sa qualité de partie qui a gain de cause, M. Furukawa recevra les dépens raisonnables et convenables qu'il a engagés pour obtenir gain de cause en appel » . Les mots « façon habituelle » confirment tout simplement que les frais devaient être attribués de la manière prévue par l'article 18.25 de la Loi. Selon l'intimé, le présent litige n'offre aucune possibilité, pour le sous-procureur général, de défendre une position différente de celle présentée par le sous-procureur général adjoint en 1988 devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.


La position de l'appelante

[6]                 En ce qui a trait au dossier A-412-96, l'appelante allègue que la Cour a effectivement exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de la règle 400(1) pour adjuger les dépens de l'appel, mais qu'elle n'a pas donné de directive pour que la taxation se fasse sur la base avocat-client. Elle soutient que, suivant les règles 393, 394(1) et (2) et 397(1) et (2), ainsi que l'arrêt Crabbe, précité, même si des motifs sont prononcés, le jugement de la Cour est un document distinct et final, exception faite de la modification et du réexamen sur requête formelle présentée dans les dix jours suivants. En l'espèce, ce délai est expiré et le jugement, lu de concert avec la règle 407, limite les dépens à ceux existants entre les parties. L'appelante fait remarquer que Mark M. Orkin confirme dans l'ouvrage intitulé The Law of Costs, deuxième édition, 2000, à la page 1-2, que l'attribution de dépens, sans directive quant à la base de taxation à utiliser, signifie que cette attribution vise les frais entre parties. Elle allègue, en se fondant sur le paragraphe [79] de l'arrêt Ludco, précité, que la conduite fautive, condition préalable à l'attribution de frais entre avocat et client, était inexistante en l'espèce. Elle fait valoir de plus que même si le paragraphe 18.11(6) de la Loi était permissif relativement à la discrétion de la Cour de l'impôt pour les « frais entraînés » , l'intimé serait limité aux frais entre parties en l'absence d'une ordonnance statuant autrement. En outre, le paragraphe 18.11(6) ne s'applique pas à un appel interjeté devant la Cour d'appel fédérale.


[7]                 Dans le cas du dossier A-80-99, l'appelante s'appuie sur les arguments susmentionnés et elle allègue de plus que, considérant qu'aucune mesure n'a été prise pour modifier et corriger le jugement, ledit jugement est définitif et sans appel. Elle soutient que les mots « je ne vois pas pourquoi j'exercerais mon pouvoir discrétionnaire autrement qu'en adjugeant les dépens de la façon habituelle » , extraits du paragraphe [44] des motifs du jugement, précisent la signification des mots qui viennent après, « M. Furukawa recevra les dépens raisonnables et convenables qu'il a engagés pour obtenir gain de cause en appel » . Autrement dit, « les dépens raisonnables et convenables » devaient être limités aux frais entre parties, conformément au tarif B, et, par conséquent, le paragraphe [45] des motifs prononçait le rejet de « l'appel avec dépens » , sans fournir d'autres directives sur la taxation des frais et dépens. L'appelante allègue que le jugement comme tel, en ordonnant simplement que l' « appel est rejeté avec dépens » , limitait par conséquent la taxation aux frais entre parties en application du tarif B.

Taxation


[8]                 Si la Cour de l'impôt tranche que la question portée en appel par un contribuable dans le cadre la procédure informelle de l'article 18 de la Loi est commune à un groupe ou une catégorie de personnes, les paragraphes 18.11(1) et (5) de la Loi s'appliquent obligatoirement et l'appel est assujetti à la procédure générale régie par les dispositions 17.1 à 17.8 de la Loi. Par conséquent, les appels dont la Cour d'appel fédérale a été saisie dans les deux dossiers en question ont été interjetés dans le cadre du régime du paragraphe 27(1.1) de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoit que « [s]auf s'il s'agit d'une décision portant sur un appel visé aux articles 18, [¼] de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, des décisions suivantes de la Cour canadienne de l'impôt [¼] jugement définitif [¼] » [non souligné dans l'original], ainsi que de l'article 17.7 de la Loi, qui est rédigé comme suit :


17.7 La partie qui désire se prévaloir de l'article 17.6 donne un avis d'appel au greffe de la Cour fédérale; l'appel est régi, compte tenu des adaptations de circonstance, par la Loi sur la Cour fédérale et les règles de cette cour régissant les appels à la Section d'appel. L.R. (1985), ch. 51 (4e suppl.), art. 5.


17.7 A party wishing to appeal to the Federal Court of Appeal from a judgment of the Court in a proceeding in respect of which this section applies shall give notice of appeal to the Registry of the Federal Court and all provisions of the Federal Court Act and the Federal Court Rules governing appeals to the Federal Court of Appeal shall apply, with such modifications as the circumstances require, in respect of such an appeal.

R.S., 1985, c. 51 (4th Supp.), s. 5.


Autrement dit, le régime prévu par les articles 18.24 et 18.25 de la Loi ne s'applique pas. Il faut plutôt avoir recours à la règle 400(1), qui n'est pas appliquée par un officier taxateur (selon la définition donnée à la règle 2 et la constitution de la Cour décrite à l'article 5 de la Loi sur la Cour fédérale). La conclusion que j'ai tirée au paragraphe [10] de la décision Feherguard Products Ltd. c. Rocky's of B.C. Leisure Ltd. [1994] A.C.F. no 2012, à savoir que « la meilleure manière de déterminer le montant des dépens consiste à adopter dans l'application des dispositions un point de vue positif et non étroit et négatif » , ne me permet pas d'éluder des dispositions de la loi ou de m'arroger la fonction législative du Parlement. Conformément à la démarche que j'ai exposée au paragraphe [6] de la décision Bruce Starlight c. Sa majesté la Reine, 2001 CFPI 999, je suis d'avis que les motifs de la Cour peuvent être utilisés pour aider à déterminer l'intention d'un jugement.


[9]                 Dans le dossier A-412-96, les motifs du jugement ne sont d'aucun secours à l'intimé. Comme il n'y a eu aucun exercice apparent du pouvoir de la Cour en vertu de la règle 400(1) pour s'écarter des frais entre parties envisagés par la règle 407, je ne peux, vu les limites de ma compétence, taxer les frais sur une base avocat-client.


[10]            L'audience et le jugement relatif au dossier A-80-99 sont survenus presque quatre après ceux du dossier A-412-96. Ces deux litiges ont été tranchés par des formations de la Cour d'appel différentes. Avant de rendre son jugement, la Cour a pris connaissance des arguments écrits déposés le 16 octobre 2000 au nom de l'intimé. Ce dernier la priait d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour adjuger tous les frais entraînés [traduction] « conformément à l'intention du Parlement de ne pas régler des litiges d'impôt en se servant du contribuable, en l'occurrence M. Furukawa, selon le sens à donner à l'article 18.25 de la Loi et anciennement au paragraphe 178(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu » . Je me suis demandé si le fait que les mots « the reasonable and proper costs » utilisés dans le paragraphe [44] des motifs du jugement, version anglaise, étaient identiques à ceux utilisés dans la section pertinente de l'article 18.25 de la Loi était une coïncidence ou non. Si ce n'était pas une coïncidence, je continue de croire que, considérant que l'article 18.25 concerne le contrôle judiciaire en l'application de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, considérant que le présent appel est régi par l'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale et considérant que le jugement comme tel et le paragraphe [45] des motifs du jugement ont été formulés de la manière normalement associée aux frais entre parties (Byers Transport c. Kosanovich [1996] A.C.F. no 760 et Registry Procedure of Assessment of Costs, chapitre 11.1.03, publié en octobre 1999 par la Continuing Legal Education Society of British Columbia), il serait exagéré, compte tenu des limites de mon pouvoir discrétionnaire, de conclure que la Cour a adjugé d'autres dépens que des frais entre parties dans le dossier A-80-99. Le fascicule du Comité sénatorial permanent susmentionné n'est d'aucun secours à l'intimé.

[11]            Bref, je conclus que les dépens de l'intimé dans les dossiers A-80-99 et A-412-96 doivent être taxés sur la base entre parties.                                                                                   

« Charles E. Stinson »

                  Officier taxateur

Vancouver (B.-C.)

le 7 février 2002                                                  

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER                 

DOSSIER :                                                     A-80-99             

INTITULÉ :                          Sa Majestéla Reine c. Robert B. Furukawa

     

TAXATION EFFECTUÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE LA TAXATION :        CHARLES E. STINSON

DATE DES MOTIFS :                  Le 7 février 2002

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                  pour l'appelante

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Bennett Jones LLP                   pour l'intimé

Calgary (Alberta)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.