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Date : 20001213


Dossier : A-582-99


CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE SHARLOW


ENTRE :

     DUPONT CANADA INC.,

     demanderesse

     (appelante),


     - et -


     EMBALLAGE ST-JEAN LTÉE,

     défenderesse

     (intimée).


     MOTIFS DU JUGEMENT



LE JUGE EN CHEF


[1]      La Cour est saisie de l'appel d'une ordonnance prononcée par le juge des requêtes qui a rejeté un appel interjeté à l'encontre d'une partie de l'ordonnance du protonotaire exigeant que DuPont réponde aux questions nos 74, 77, 78 et 188 de l'interrogatoire préalable de M. Alan Breck tenu le 22 mars 1999 (les Questions).

[2]      L'interrogatoire préalable s'inscrit dans le cadre d'une action en contrefaçon d'un brevet canadien qui se rapporte généralement à des sacs conçus pour contenir du liquide, comme le lait, et, plus particulièrement, à la pellicule à partir de laquelle on fabrique ces sacs. DuPont est propriétaire du brevet et elle allègue que la fabrication et la vente par Emballage St-Jean de sa pellicule constituent une violation de son brevet.

[3]      Emballage St-Jean nie qu'il y ait contrefaçon.

[4]      Les revendications du brevet incluent une caractéristique consistant dans une [traduction] « masse volumique de 0,916 à 0,930 g/cm3 » .

[5]      Il est allégué, dans la déclaration, que le copolymère de la pellicule d'Emballage St-Jean a une masse volumique d'environ 0,916 g/cm3.

[6]      Dans sa défense modifiée, Emballage St-Jean prétend que la masse volumique de sa pellicule se situe entre 0,89 et 0,915 g/cm3.

[7]      Les Questions portent sur la connaissance que possède DuPont de certaines caractéristiques de la pellicule d'Emballage St-Jean. Elle sont reproduites ici :

     74.      Q. À votre connaissance, la pellicule de scellement est-elle faite d'un matériau comportant de 50 à 100 parties de copolymère linéaire d'éthylène?
         M. CLARIZIO : Si les renseignements que vous possédez proviennent des tests qui ont été administrés, nous allons refuser de répondre à la question. Je vais donc...
         PAR M. SOTIRIADIS :
         Q. Si vous savez quelque chose, est-ce grâce aux tests?

         R. Oui.

     R/F      M. CLARIZIO : Renseignement confidentiel.

     * * * * *

     77.      Q. À votre connaissance, la pellicule de scellement de la défenderesse est-elle faite d'une alpha-oléfine en C6 à C10 ? Encore une fois, si les renseignements que vous possédez proviennent des tests, ne répondez pas et nous allons soulever une objection.
     R/F      M. CLARIZIO : Oui.

         LE DÉPOSANT : Ça ne peut venir d'ailleurs.

         PAR M. SOTIRIADIS :

     78.      Q. Et savez-vous si la pellicule de scellement de la défenderesse a une masse volumique de 0,916 à 0,930 g/cm3?
     R/F      M. CLARIZIO : Encore une fois, ça vient des tests, nous revendiquons un privilège là-dessus.
     * * * * *
     188.      M. SOTIRIADIS : D'accord. Ça fait peut-être partie du délibéré, mais je veux savoir si la thèse de la demanderesse est que les résines de la défenderesse ont une masse volumique de 0,916, pardon, une masse volumique de 0,916 à 0,930 g/cm3, et je veux savoir si la thèse de la demanderesse est que les sacs fabriqués par les clients de la défenderesse ont une masse volumique se situant entre 0,916 et 0,930, comme il en ressort jusqu'à un certain point de la réponse aux analyses. Je crois que c'est plus clair ainsi.
     E/O      M. CLARIZIO : Je vais mettre aussi cette question en délibéré.

[8]      Les deux premières questions concernent la composition de la pellicule de l'intimée, tandis que les deux autres portent sur la masse volumique de cette pellicule. Dans son argumentation, l'avocat s'est attaché principalement à la question posée sur la masse volumique de la pellicule.

[9]      À la présentation de la requête visant à contraindre DuPont à répondre à ces questions, le protonotaire a statué que DuPont devait répondre aux Questions même si elle avait refusé de le faire en invoquant un privilège.

[10]      Il a été interjeté appel de l'ordonnance du protonotaire par voie de requête. Le juge des requêtes a rejeté l'appel avec dépens, [1999] A.C.F. no 1429.

[11]      En vue de préparer la présente instance et au cours de celle-ci, Mme McKay, une avocate interne de DuPont, a demandé à divers membres du personnel technique de DuPont d'effectuer des essais techniques et des expériences sur la pellicule d'Emballage St-Jean afin de l'aider, elle et les avocats externes de DuPont, à établir si cette pellicule, une fois sous forme de sacs, constitue une violation du brevet.

[12]      Toutes les expériences, observations et essais ont été effectués à la demande de Mme McKay et les résultats lui ont été soit envoyés par le biais d'une note de service, soit transmis par M. Breck ou d'autres employés de DuPont qui ont effectué les essais à sa demande. Les expériences, observations et essais ont été effectués uniquement en vue de fournir à Mme McKay et aux avocats externes de DuPont les renseignements nécessaires pour déterminer si la pellicule d'Emballage St-Jean, et les sacs fabriqués à partir de celle-ci, violent le brevet. Les notes de service et les résultats des expériences sont demeurés confidentiels.

[13]      Il est admis que les faits qu'on a cherché à établir au cours de l'interrogatoire préalable sont pertinents à la prétention de contrefaçon de l'action de DuPont.

[14]      Les parties conviennent également qu'il est normal, au cours de l'interrogatoire préalable, de chercher à obtenir des aveux de l'autre partie.

[15]      Par ailleurs, il ne fait aucun doute que, n'eût été la revendication du privilège par DuPont, il aurait fallu répondre aux Questions.

[16]      Nul ne prétend que la masse volumique de la pellicule de l'intimée est un renseignement de nature confidentielle en soi.

[17]      Emballage St-Jean cherche seulement à découvrir quels sont les faits sur lesquels se fonde DuPont, et non à se faire communiquer des opinions ou des conseils juridiques.

[18]      Le fait principal que l'on cherche à établir est la masse volumique de la pellicule d'Emballage St-Jean.

[19]      Il s'agit d'un fait préexistant, même s'il n'a été porté à la connaissance de DuPont qu'après que celle-ci a soumis la pellicule à des essais.

[20]      Devant le protonotaire et le juge des requêtes, de même que dans son avis d'appel, DuPont invoque le privilège des communications dans le cadre d'un procès pour refuser de répondre aux questions. Dans son mémoire des faits et du droit ainsi que dans son argumentation orale, DuPont invoque aussi le secret professionnel de l'avocat.

[21]      L'avocat de DuPont fait valoir que les deux principes supportent son objection de répondre aux Questions et qu'ils excluent absolument tous les deux de contraindre sa cliente à répondre aux Questions.

[22]      Il ressort clairement de l'arrêt de notre Cour Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 27, à la page 34, que ni l'un ni l'autre de ces principes ne crée de privilège qui permettrait de refuser la communication préalable de faits qui sont ou qui peuvent être pertinents pour la détermination des faits en litige.

[23]      Plus récemment, dans l'arrêt Global Petroleum Corporation v. CBI Industries Inc. et al. (1998), 172 NSR [2d] 326, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a statué au paragraphe 21 :

     [traduction] Il n'est aucunement contesté que le privilège ne peut servir à empêcher la divulgation de faits, si une partie invoque ces faits à l'appui de sa cause. Peu importe que le fait ait été découvert par l'intermédiaire de l'avocat ou par suite d'une directive de l'avocat. Si on invoque ce fait, il doit être divulgué.

[24]      L'avocat de DuPont a invoqué quatre décisions de la Section de première instance, qui, selon lui, supportent la thèse de l'appelante selon laquelle les résultats des essais sont protégés par un privilège :

Corning Glass Works c. Canada Wire and Cable Co. Ltd. et al. (1983), 74 C.P.R. (2d) 105 (C.F. 1re inst.)

Syntex Pharmaceuticals International Ltd. et al. c. Apotex Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 533 (C.F. 1re inst.)

Proctor & Gamble Co. et al. c. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1990), 35 C.P.R. (3d) 321 (C.F. 1re inst.)

Dupont Canada Inc. c. Glopak Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 312 (C.F. 1re inst.)


[25]      Dans ces affaires, les juges des requêtes ont statué que les résultats des essais et les renseignements se rapportant à ces essais étaient protégés par un privilège. Toutefois, les question précises qui ont été posées au cours de l'interrogatoire préalable ne sont pas citées dans ces jugements.

[26]      Dans l'affaire Glopak, qui intéresse la même demanderesse et le même brevet que la présente affaire, les refus de répondre que la demanderesse avaient opposés en se fondant sur le privilège s'accompagnaient de l'engagement de son avocat de ne pas utiliser, au cours du procès, les renseignements concernant les essais pour lesquels elle revendiquait un privilège. En revanche, dans le présent cas, l'avocat de l'appelante n'a pas pris un tel engagement. Il demande de ne pas communiquer les renseignements au cours de l'interrogatoire préalable tout en conservant la possibilité de s'en servir au procès.

[27]      Dans l'arrêt Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada [1995] 2 C.F. 763 (C.A.), notre Cour a statué qu'il est préférable de pécher par excès de prudence et de protéger le privilège. Elle a ajouté qu'une ordonnance de divulgation de documents protégés par un privilège ne peut se fonder sur des motifs d'équité et de transparence.

[28]      En l'espèce, les renseignements qu'on cherche à obtenir au cours de l'interrogatoire préalable ne sont pas protégés par un privilège simplement parce qu'ils se trouvent dans un document qui pourrait autrement être visé par le privilège.

[29]      L'intimée ne demande pas à avoir accès à un avis, à une opinion ou à une évaluation juridiques.

[30]      Dans le présent cas, Emballage St-Jean n'a pas posé une question visant généralement les résultats des essais ni cherché à obtenir la production d'un document qui contient les résultats de ces essais.

[31]      Emballage St-Jean a posé à l'appelante une question bien précise : Sait-elle si la pellicule de scellement de l'intimée a une masse volumique de 0,916 à 0,930 g/cm3?

[32]      La question vise une allégation de fait précise qu'invoque DuPont dans sa déclaration. Le fardeau de prouver cette allégation repose sur la demanderesse dans l'action en contrefaçon.

[33]      La question de l'intimée au sujet de la masse volumique de sa pellicule, telle qu'elle est alléguée dans les actes de procédure de l'appelante, est précise et pertinente à une allégation de fait sur laquelle se fonde la demanderesse dans ses actes de procédure.

[34]      Il importe peu que les faits invoqués par DuPont à l'appui de sa cause aient été découverts par DuPont par l'intermédiaire d'un avocat.

[35]      Par conséquent, l'appel est rejeté avec dépens.



     « J. Richard »

                                     Juge en chef


« Je souscris aux motifs.

     F.J. McDonald, J.C.A. »

« Je souscris aux motifs.

     K. Sharlow, J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.




Date : 20001213


Dossier : A-582-99


OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 13 DÉCEMBRE 2000


CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE SHARLOW


ENTRE :

     DUPONT CANADA INC.,

     demanderesse

     (appelante),


     - et -


     EMBALLAGE ST-JEAN LTÉE,

     défenderesse

     (intimée).


     JUGEMENT


     L'appel est rejeté avec dépens.




     « J. Richard »

     Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


N º DE DOSSIER :              A-582-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      DUPONT CANADA INC. c. EMBALLAGE ST-JEAN LTÉE

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 1er novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE EN CHEF en date du 13 décembre 2000

Y ONT SOUSCRIT :          Le juge McDonald

                     Le juge Sharlow

ONT COMPARU :

Ronald E. Dimock              pour l'appelante

Angela Furlanetto


Bob H. Sotiriadis              pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Dimock Stratton Clarizio          pour l'appelante

Toronto (Ontario)

Leger Robic Richard              pour l'intimée

Montréal (Québec)

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