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Date : 20020222

Dossier : A-571-00

Référence neutre : 2002 CAF 69

CORAM :             LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                   SA MAJESTÉ LA REINE

     Appelante

                    et

      SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC

         Intimée

Audience tenue à Montréal, Québec, le 17 janvier 2002.

Jugement rendu à Ottawa, Ontario, le 22 février 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :         LE JUGE DESJARDINS

        LE JUGE DÉCARY


Date : 20020222

Dossier : A-571-00

Référence neutre : 2002 CAF 69

CORAM :             LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                   SA MAJESTÉ LA REINE

     Appelante

                    et

      SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC

          Intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                 Il s'agit d'un appel d'un jugement rendu par le juge Lemieux de la Section de première instance ([2001] 1 C.F. 386) où il a conclu que le paragraphe 3h) du Règlement sur le remboursement de la taxe de vente fédérale à l'inventaire, DORS/91-52 (ci-après le Règlement) est ultra vires des pouvoirs conférés au ministre des Finances en vertu de l'article 120 de la Loi modifiant la taxe d'accise, L.C. 1990 c.45 (ci-après la Loi).


[2]                 Par ce même jugement, le premier juge a annulé deux avis de détermination, lesquels limitaient le remboursement réclamé par l'intimée à la somme de 5 068 481,64 $ et a déclaré que l'intimée était en droit de recevoir la somme additionnelle de 7 139 904,17 $ autorisant ainsi le plein remboursement des montants qui avaient été réclamés.

[3]                 Le litige s'est soulevé en marge de l'abolition de l'ancienne taxe de vente fédérale et de l'introduction à compter du 1er janvier 1991 de la taxe sur les produits et services. À cette occasion, le législateur a autorisé, en guise de mesure transitoire, le remboursement de la taxe de vente payée sur les inventaires de produits neufs détenus en date du 1er janvier 1991 selon des facteurs prescrits par règlement.

[4]                 Dans le cas de l'intimée, le facteur prescrit a eu comme effet de limiter le remboursement à un peu moins de 45% de la taxe de vente fédérale payée sur l'inventaire détenu en date du 1er janvier 1991. Le premier juge a retenu l'argument selon lequel seul un remboursement intégral de la taxe payée sous l'ancien régime était envisagé par la Loi habilitante et que le facteur prescrit dans le cas de l'intimée était ultra vires puisqu'il ne procurait pas ce résultat.

La Loi et le Règlement

[5]                 Les dispositions pertinentes de la Loi habilitante se lisent comme suit :


para. 120 (3)

(3) Sous réserve du présent article, dans le cas où l'inventaire d'une personne inscrite aux termes de la sous-section d de la section V de la partie IX le 1er janvier 1991 comprend, au début de cette date, des marchandises libérées de taxe, les règles suivantes s'appliquent:

a) si les marchandises libérées de taxe ne sont pas des marchandises d'occasion, le ministre verse à la personne, sur sa demande, un remboursement en conformité avec les paragraphes (5) et (8); [Je souligne.]

ss. 120(3)

(3) Subject to this section, where a person who, as of January 1, 1991, is registered under Subdivision d of Division V of Part IX has any tax-paid goods in inventory at the beginning of that day,

a) where the tax-paid goods are goods other than used goods, the Minister shall, on application made by the person, pay to that person a rebate in accordance with subsections (5) and (8); and (Emphasis added.)

120 (5)

Sous réserve du paragraphe (8) et pour l'application du paragraphe (3), le remboursement à verser à une personne relativement à son inventaire au début du 1er janvier 1991 correspond, sous réserve du paragraphe 337(7), au montant calculé selon une méthode prescrite utilisant des facteurs prescrits. [Je souligne.]

120(5)

Subject to subsection (8), for the purposes of subsection (3), the rebate payable to a person in respect of the person's inventory as of the beginning of January 1, 1991 is, subject to subsection 337(7), the amount determined by a prescribed method using prescribed tax factors. (Emphasis added.)

[6]                 Le mot "prescrit" est défini comme suit à l'article 2 de la Loi :

Prescrit

a) Dans le cas d'un formulaire, établi selon les instructions du ministre; dans le cas de renseignements à inscrire sur un formulaire ou de modalités de production d'un formulaire, déterminés selon les instructions du ministre;

b) dans les autres cas, visé par règlement, y compris déterminé conformément à des règles prévues par règlement.

Prescribed means

(a) in the case of a form, the information to be given on a form or the manner of filing a form, prescribed by the Minister, and

(b) in any other case, prescribed by regulation or determined in accordance with rules prescribed by regulation.

[7]                 Par ailleurs, le Règlement établit les facteurs prescrits à son article 3 :


Règlement

______3. Pour l'application du paragraphe 120(5) de la Loi, sont visés les facteurs suivants quant aux catégories données de marchandises:

a) pour les marchandises mentionnées à l'annexe IV de la Loi, 5,6%;

b) pour l'essence, le taux de taxe prévu à la partie VI de la Loi et applicable à l'essence sans plomb le 31 décembre 1990;

c) pour le combustible diesel, le taux de taxe prévu à la partie VI de la Loi et applicable à ce combustible le 31 décembre 1990;

d) pour le propane, 1,4%;

e) pour les maisons mobiles et bâtiments modulaires, 2,8%;

f) pour les véhicules à moteur conçus pour servir sur les routes, 11,1%;

g) pour les produits logiciels, 8,1%;

h) pour les autres marchandises, 8,1%.

Regulations

______3. For the purposes of subsection 120(5) of the Act, the prescribed tax factors in respect of the following classes of goods are:

a) in the case of goods included in Schedule IV to the Act, 5.6%;

b) in the case of gasoline, the rate of tax under Part VI of the Act applicable on December 31, 1990 in respect of unleaded gasoline;

c) in the case of diesel fuel, the rate of tax under Part VI of the Act applicable on December 31, 1990 in respect of diesel fuel;

d) in the case of propane, 1.4%;

e) in the case of mobile homes and modular building units, 2.8%;

f) in the case of motor vehicles designed for highway use, 11.1%;

g) in the case of software products, 8.1%; and

h) in any other case, 8.1%.

[8]                 La méthode prescrite est énoncée au paragraphe 4 :

______4. Pour l'application du paragraphe 120(5) de la Loi, le remboursement à verser à une personne relativement à son inventaire correspond :

a) soit au total des montants calculés pour chaque catégorie de marchandises selon la formule :

A x B

A          représente le facteur applicable à la catégorie de marchandises;

______4. For the purposes of subsection 120(5) of the Act, the rebate in respect of a person's inventory is

a) the total of all amounts each of which is determined, for a class of goods, by the formula

A x B

Where

A          is the prescribed tax factor in respect of the class of goods; and


B           représente:

i) s'il s'agit d'essence ou de combustible diesel, le nombre de litres d'essence ou de litres de combustible figurant à l'inventaire,

ii) s'il s'agit de produits logiciels, soit la valeur globale des supports de transmission de données figurant à l'inventaire, à l'exclusion de la valeur des instructions ou des données enregistrées sur ces supports, soit le produit de la multiplication du nombre de ces supports par 5$,

iii) sinon, la valeur globale des marchandises de la catégorie figurant à l'inventaire, à l'exclusion des marchandises d'occasion, telle qu'elle devrait être déterminée au début du 1er janvier 1991 aux fins du calcul du revenu d'entreprise de la personne pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu;

B           is

i) where the class of goods is gasoline or diesel fuel, the number of litres of gasoline or diesel fuel, as the case may be, that form part of the inventory,

ii) where the class of goods is software products, the total value of the computer carrier media, excluding the value of instructions or data stored thereon, that form part of the inventory or the product obtained when $5 is multiplied by the number of those computer carrier media, and

iii) in any other case, the total value of goods in the class (other than used goods) that form part of that inventory, as that total value would be required to be determined at the beginning of January 1, 1991 for the purpose of computing the person's income from a business for the purposes of the Income Tax Act;

Les faits

[9]                 Au-delà des faits relatés par le premier juge dans ses motifs lesquels ne font pas l'objet de controverse et que je n'entends pas répéter, je crois utile de souligner les faits additionnels suivants.

[10]            Le taux de la taxe de vente qui était prélevé en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R. (1985) c. E-15 avant son abolition (l'ancienne loi) variait selon les biens visés. Le taux le plus répandu était de 13,5%. Dans le cas des boissons alcoolisées, le taux était de 19%. Le taux de 9% s'appliquait à d'autres biens dont les matériaux de construction (aliénas 50(1.1)(a), (b), (c), (d) ainsi que le paragraphe 51(3) de l'ancienne loi).


[11]            La preuve a révélé que l'intimée, comme certains importateurs et grossistes, pouvait déterminer avec exactitude la taxe payée sur les inventaires détenus en date du 1er janvier 1991 et aurait donc été en mesure de réclamer un remboursement en conséquence. Par contre, la chose aurait été difficile, sinon impossible pour les détaillants, ces derniers n'étant pas en mesure de déterminer l'étendue de la taxe reflétée dans le coût de leur inventaire (témoignage de M. George Kuo, Dossier d'appel, volume I, pages 90 à 93, 103 à 105, 144).

[12]            L'idée de rembourser le montant réclamé lorsque l'inscrit était en mesure de calculer la taxe payée sur l'inventaire en main a été considérée par le ministère des Finances (Analyse interne intitulée Transition Rebates, Dossier d'appel, volume II, pages 206 à 213). Mais le ministre des Finances a annoncé en Chambre des communes en date du 19 décembre 1989 que pour des motifs d'équité et de simplicité, le remboursement serait fonction de pourcentages prescrits de la valeur des marchandises en inventaire en date du 1er janvier 1991 dans tous les cas. Il ajouta que comme il était difficile sur le plan pratique de distinguer les entreprises selon leur niveau d'activité (trade level), les mêmes pourcentages seraient applicables à tous sans distinction (document intitulé Taxe sur les produits et services déposé en Chambre en date du 19 décembre 1989, Dossier d'appel, volume II, page 224).

[13]            Les notes explicatives qui accompagnaient le projet de loi C-62 adopté par la Chambre des communes quelques mois plus tard indiquaient à cet égard :


Le montant du remboursement de la taxe de vente correspond au montant calculé selon une méthode et des facteurs prescrits. Dans tous les cas, le montant du remboursement sera calculé en fonction des pourcentages de remboursement prescrits, appliqués à la valeur des marchandises en stock. Un pourcentage de remboursement général sera appliqué à la vaste majorité des marchandises libérées de taxe. Des pourcentages de remboursement distincts seront prescrits à l'égard des matériaux de construction (actuellement assujettis au taux inférieur de 9%) et pour les véhicules automobiles. Le montant du remboursement relatif à l'essence et au gas-oil sera un montant précis par litre, fixé en fonction du taux de taxe de vente par litre sur ces carburants au 31 décembre 1990. Comme il est difficile, en pratique, de distinguer les entreprises selon leur niveau d'activité, les mêmes pourcentages de remboursement à l'inventaire sont applicables à toutes les entreprises qui ont des stocks libérés de la taxe de vente fédérale. Cette mesure simplifiera les demandes de remboursement de la taxe de vente et l'administration du programme de remboursement. (Je souligne.) (Dossier d'appel, volume II, page 332).

[14]            Le 31 mai 1990, un document publié par Revenu Canada, Douanes et Accise, précisait la teneur des pourcentages de remboursement envisagés (dorénavant dénommés "facteurs de remboursement") :

a) le facteur général (8,1 p. 100);

b) les facteurs spécifiques pour :

(i) les petits magasins d'alimentation et les dépanneurs (2,5 p. 100); [ce facteur fut éventuellement relégué au facteur général]

(ii) les véhicules à moteur (11,1 p. 100);

(iii) l'essence (taux en vigueur sur l'essence ordinaire sans plomb à compter du 31 décembre 1990);

(iv) le combustible diesel (taux en vigueur à compter du 31 décembre 1990);

(v) le propane (1,4 p. 100);

(vi) les matériaux de construction (5,6 p. 100);

(vii) les maisons mobiles et les bâtiments modulaires (2,8 p. 100).

Le document précisait que :

Le facteur général s'applique à tous les produits, à l'exception de ceux auxquels s'applique un facteur spécifique. (Mémorandum TPS 900 émis en date du 31 mai 1990, Dossier d'appel, volume II, pages 351 à 362).


[15]            Une note d'information qui accompagnait un communiqué de presse émis en date du 1er juin 1990 fournissait les renseignements additionnels suivants :

Un seul facteur général s'appliquera à la grande majorité des articles libérés de taxe - soit 8.1 pour cent de la valeur de ces produits.

Les matériaux de construction sont actuellement taxés à 9 pour cent au niveau du fabricant. Les grossistes, détaillants et entrepreneurs qui ont des stocks de matériaux de construction libérés de taxe seront admissibles à un remboursement représentant 5.6 pour cent de la valeur de ces articles. Les maisons mobiles et les unités modulaires (actuellement taxées à 9 pour cent sur la moitié du prix du fabricant) seront admissibles à un remboursement représentant la moitié du facteur général s'appliquant aux matériaux de construction - soit 2.8 pour cent.

La TFV sur l'essence et le carburant diesel représente un montant spécifique le litre, visant à se rapprocher d'une taxe ad valorem de 13.5 pour cent sur ces produits. Les taux spécifiques de taxe sont rajustés à tous les trimestres en fonction de l'évolution de l'indice des prix des produits industriels à l'égard de ces produits. Les remboursements sur les stocks d'essence et de carburant diesel libérés de taxe représenteront des montants spécifiques le litre, équivalant aux taux de la TFV sur le litre d'essence sans plomb ordinaire et de carburant diesel le 31 décembre 1990.

Le gaz propane est actuellement taxé à 13.5 pour cent, mais seulement sur 17 pour cent des prix du fabricant. Le remboursement sur le gaz propane en stock libéré de taxe représentera donc environ 17 pour cent du facteur général - soit 1.4 pour cent.

Les véhicules automobiles, actuellement taxés au niveau du gros [à 13.5 pour cent], seront admissibles à un facteur de remboursement de 11.1 pour cent (Dossier d'appel, volume II, page 506).

[16]            Puisqu'aucun facteur spécifique n'était prévu pour les boissons alcoolisées, ces produits devaient selon le plan annoncé par le ministre des Finances être relégués au facteur général de 8,1%. Malgré les objections soutenues de l'intimée et des Commissions de liqueurs des autres provinces qui réclamaient l'établissement d'un facteur spécifique pour les boissons alcoolisées, le ministre des Finances adoptait ces facteurs le 18 décembre 1990 sans les modifier (Dossier d'appel, volume II, pages 196 à 199 et 441 à 452).


[17]            La preuve laisse entrevoir comment les facteurs retenus par le ministre furent élaborés. On anticipait que la majorité des demandes de remboursement proviendrait de détaillants (Dossier d'appel, volume II, pages 473 et 492). Le facteur général de 8,1% a été conçu pour compenser la taxe qu'aurait payée un détaillant sur des biens taxés au taux de 13,5%. La différence de 5,4% entre ce taux et le facteur de remboursement découle du fait que la valeur de l'inventaire d'un détaillant reflète nécessairement des coûts sur lesquels aucune taxe n'est payée tels par exemple les profits prélevés par les intermédiaires qui précèdent le détaillant dans la chaîne de distribution et les frais de transport (Dossier d'appel, volume II, pages 493-494). Le facteur de remboursement fut donc calculé en escomptant 40% du taux de la taxe applicable sur les biens visés afin de tenir compte de cette partie non taxée du coût de l'inventaire d'un détaillant et d'identifier l'étendue de la taxe effectivement payée par ce dernier (Dossier d'appel, volume II, pages 493 et 494).


[18]            Les facteurs de remboursement prévus pour les matériaux de construction, les maisons mobiles et le propane furent conçus de la même façon mais en tenant compte des taux particuliers applicables à ces produits. Ainsi dans le cas des matériaux de construction le taux de la taxe était de 9% et le facteur de remboursement fut établi à 5,6%. Les maisons mobiles étaient assujetties au même taux mais puisque seulement la moitié du prix de vente était assujettie à la taxe, le facteur fut établi à 2,8% (50% x 5,6%). Il en est de même pour le propane dont 17% des ventes étaient assujetties au taux de 13,5% et pour lequel le facteur de remboursement fut établi à 1,4%. Dans chacun de ces cas, le facteur de remboursement fut établi en escomptant environ 40% du taux effectif de la taxe qui était applicable à ces produits.

[19]            Par contre, on peut constater que le facteur de remboursement pour l'essence et le carburant diesel est égal au taux de la taxe qui était applicable à ces produits. L'absence d'escompte laisse entendre que ce taux fut conçu pour identifier la taxe qu'aurait payée une entité qui se situe à la tête de la chaîne de distribution et pour laquelle les coûts d'inventaire ne reflètent aucune composante sur laquelle la taxe n'est pas payée.

[20]            Finalement, les véhicules moteurs lesquels étaient taxés à un taux de 13,5% furent l'objet d'un facteur de remboursement spécifique de 11,10%. Ce facteur s'explique par le traitement particulier que réservait l'ancienne loi à ces produits. En vertu de son paragraphe 2(1), le grossiste ou l'importateur de ces produits était réputé en être le fabricant de sorte que la taxe était prélevée sur leur prix de vente plutôt que sur celui du fabricant. Cette modification du niveau de marché où se prélevait la taxe avait comme effet de l'augmenter puisque le prix de vente du grossiste ou de l'importateur comprenait non seulement le profit du fabricant mais aussi leur propre profit. Le facteur de remboursement enrichi de 11,10% tient compte du fait que la taxe sur ces produits était prélevée sur une base plus élevée.


[21]            L'effet réducteur du facteur général de 8,1% lorsque appliqué aux circonstances de l'intimée a limité le remboursement auquel elle a droit à 5 068 481,64 $ alors que la taxe qu'elle avait effectivement payée sur l'inventaire détenu en date du 1er janvier 1991 se chiffrait à plus du double de ce montant. Le remboursement réclamé fut calculé en appliquant un pourcentage de 19% à la valeur de l'inventaire détenu à cette date (Dossier d'appel, volume II, pages 556 et 560; voir aussi volume I, pages 155 et 183). L'avocat de l'appelante a concédé en début d'audition que l'intimée avait correctement calculé la taxe qu'elle avait payée sur l'inventaire en main en date du 1er janvier 1991 et que son manque à gagner est tel que le premier juge l'a établi.

[22]            La preuve a révélé que l'intimée n'est pas la seule qui fut ainsi affectée. En effet, les boissons alcoolisées sont commercialisées essentiellement de la même façon à travers le pays. Le manque à gagner des Commissions des liqueurs des provinces, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest découlant de l'application du facteur général de remboursement à leur stock respectif de boissons alcoolisées en date du 1er janvier 1991 se situerait à 29.1 millions si l'on se fie à une étude de l'Association canadienne des Régies d'alcools (Dossier d'appel, volume II, page 453). Selon ce chiffre, le total de la taxe payée sur les boissons alcoolisées détenues par ces dernières devait se chiffrer aux environs de 60 millions.

Jugement de première instance

[23]            Le premier juge au cours de son analyse souligne le fait que l'avocat de l'appelante a reconnu que l'objet de l'article 120 était de permettre le remboursement de la taxe payée sous l'ancienne loi :


[35]___Ainsi donc, les deux parties s'entendent pour dire que l'objet de l'article 120 est d'éviter aux contribuables visés, ayant déjà payé l'ancienne taxe de vente sur les biens en inventaire, de se voir imposer une nouvelle fois sur les mêmes biens, puisqu'assujettis au nouveau système de taxation que constitue la TPS et ce, sans bénéficier d'un remboursement intégral. Toutefois, je dois m'assurer de la véracité de cette assertion en appliquant les principes d'interprétation susmentionnés.

[24]            Après avoir indiqué que l'alinéa 120(3)(c) impose au ministre du Revenu l'obligation de payer un remboursement (paragraphe 38), il remarque que la Loi ne comporte pas de définition du mot "remboursement" (paragraphe 41). S'en remettant au sens ordinaire de ce mot, le premier juge précise au paragraphe 44 de ses motifs :

Comme on peut le constater, l'utilisation par le législateur du mot remboursement nous permet de déterminer avec plus de conviction que son intention était effectivement d'obliger la remise d'une somme d'argent et que cette somme d'argent due se doit d'être remise, généralement, dans son intégralité.

[25]            Selon le premier juge, le facteur général de 8,1% ne donne pas un résultat qui est conforme à l'objet de la Loi dans le cas de l'intimée pour deux raisons. Tout d'abord ce facteur est disproportionné ayant égard à la taxe antérieurement payée par l'intimée au taux de 19% (paragraphe 49). Ensuite, le facteur général ne tient pas compte du mode d'opération de l'intimée qui se situe à la tête de la chaîne de distribution et qui achemine ses produits sur le marché sans intermédiaire (paragraphes 52 à 54).

[26]            En fin d'analyse, le premier juge tire la conclusion suivante :


[_57_]__Ainsi, ayant conclu que pour ce qui est de la situation de [l'intimée], et je tiens à limiter la portée de ce jugement à la situation exceptionnelle de [l'intimée] qui exerce à la fois le rôle d'importateur, de distributeur, de grossiste et de détaillant, il appert que le facteur de remboursement de 8,1 % prévu à l'alinéa 3h) du Règlement, adopté en vertu du pouvoir réglementaire prévu au paragraphe 120(5) de la Loi, est ultra vires desdits pouvoirs conférés en ce qu'il ne respecte pas l'objet de l'article en question tel qu'exposé ci-haut. Néanmoins, et puisque cet article s'avère intra vires dans la grande majorité des cas, je n'entends pas le déclarer inopérant et ce, afin d'éviter un vide juridique inutile qui ne pourrait être comblé par l'adoption d'un nouveau règlement.

[58]__Toutefois, ayant conclu que l'alinéa 3h) du Règlement ne respectait pas l'objet de la Loi, il va de soi que [l'intimée] est en droit d'obtenir réparation. Étant donné les circonstances précises de l'affaire, je déclare donc que [l'intimée] est en droit d'obtenir le plein remboursement de la somme réclamée.

Erreurs alléguées dans le jugement a quo

[27]            L'appelante prétend que le premier juge a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que la Loi habilitante entendait permettre aux personnes inscrites de récupérer la totalité de la taxe payée sur les marchandises en inventaire en date du 1er janvier 1991. Selon l'appelante, il était plutôt de l'intention du Parlement de conférer au ministre des Finances les pouvoirs nécessaires pour assurer une transition équitable, adaptée au contexte particulier des deux régimes qui se chevauchaient.

[28]            Le pouvoir de prescrire la méthode et les facteurs selon lesquels les remboursements devaient être calculés est à sa face même très vaste et nulle part est-il dit que le remboursement doit être intégral. Les facteurs prescrits par le ministre des Finances n'avaient pas à procurer le remboursement de la taxe payée sous l'ancienne loi dans tous les cas.

[29]            Subsidiairement, l'appelante soutient que le premier juge ne pouvait déclarer le paragraphe 3h) du Règlement ultra vires et inopérant uniquement à l'égard de l'intimée. Ce paragraphe, s'il est ultra vires, est inopérant à l'égard de tous de sorte que tout remboursement effectué sous son autorité est nul et non avenu.


[30]            Finalement, l'appelante soutient qu'il n'appartenait pas au premier juge de déclarer que l'intimée était en droit de recevoir le remboursement réclamé après avoir conclu que le Règlement était ultra vires à son égard.

Analyse et décision

Le paragraphe 3h) du Règlement est-il ultra vires?

[31]            Comme le disait notre Cour sous la plume du juge Décary dans l'affaire Canada c. St. Laurence Cruise Lines Inc., [1997] 3 C.F. 899 à la page 912 :

La première démarche qui s'impose lorsque la validité d'un règlement est attaquée, est d'interpréter la loi habilitante. Il faut prendre garde d'appliquer aux règlements les principes d'interprétation dégagés par la jurisprudence sans d'abord s'interroger sur la portée du pouvoir réglementaire spécifique que confère la législation en cause.

[32]            En l'occurrence, le pouvoir réglementaire que confère la législation en cause est à sa face même très large. Le paragraphe 120(5) stipule que le remboursement auquel a droit une personne relativement à son inventaire au début du 1er janvier 1991 correspond au montant calculé selon la méthode prescrite par le ministre utilisant des facteurs prescrits par le ministre.

[33]            Par contre, ce pouvoir réglementaire doit être interprété à la lumière de l'objet de la Loi ainsi que de l'objet de la disposition particulière qui le confère (CKOY Limited c. R., [1979] 1 R.S.C. 2; Alaska Trainship Corporation et al c. L'Administration du pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; Procureur général du Canada c. Siek, [1983] R.C.S. 335).


[34]            L'objet de la Loi dans le cas qui nous occupe se dégage clairement du contexte dans lequel elle fut adoptée. Un nouveau régime de taxation de biens (et de services) devait en remplacer un autre à compter du 1er janvier 1991. À la première heure ce matin-là, fabricants, grossistes et détaillants auraient en inventaire des marchandises sur lesquelles la taxe avait été acquittée sous l'ancienne loi et qui, en l'absence de mesures transitoires, seraient aussi assujetties à la TPS. Comme en font foi le document déposé en Chambre par le ministre des Finances le 19 décembre 1989, ainsi que les notes explicatives qui accompagnaient le projet de loi C-62, le but incontesté de la Loi était d'éviter la double taxation de ces marchandises par le biais du remboursement de la taxe qui avait été payée sous l'ancienne loi (Dossier d'appel, volume II, pages 224 et 312).

[35]            Mais pour rembourser la taxe payée sous l'ancienne loi, encore fallait-il la connaître. La difficulté à cet égard était de taille. La taxe sous l'ancienne loi s'appliquait au début du circuit de distribution (soit sur le prix de vente du fabricant ou sur la valeur pour douane des biens importés) et faisait partie du prix payé par l'intervenant subséquent. Ce dernier, sans nécessairement en connaître l'étendue, l'incorporait dans son prix de vente de sorte qu'il devenait pratiquement impossible pour l'intervenant subséquent d'identifier l'élément taxe qui était reflété dans son prix d'achat. La majorité des demandes de remboursement devait provenir de détaillants, soit ceux qui étaient le moins en mesure d'identifier le contenu fiscal de leurs inventaires (Dossier d'appel, volume II, pages 473 et 492).


[36]            Il était possible par contre d'estimer avec un certain degré d'exactitude la taxe payée à chaque niveau de marché selon des modèles théoriques qui escomptaient le taux de la taxe applicable pour tenir compte du niveau de marché particulier où la taxe devait être identifiée (Dossier d'appel, volume II, pages 216 et 493-494). Cette approche procurait une image assez fidèle de la taxe reflétée dans le coût d'inventaire des entreprises en tenant pour acquis qu'elles opéraient soit en tant que fabricantes, grossistes ou détaillantes. Mais dans une économie diversifiée où ces rôles se cumulent et se confondent, il n'était pas facile de classifier les entreprises à l'intérieur de ce cadre (Dossier d'appel, volume II, page 474).

[37]            C'est dans ce contexte que le législateur a autorisé le ministre des Finances à prescrire la méthode et les facteurs selon lesquels le remboursement devait être calculé. De toute évidence, le législateur, face aux difficultés susmentionnées, s'en remettait au ministre des Finances pour identifier avec le plus d'exactitude possible l'étendue de la taxe payée sous l'ancienne loi afin d'en permettre le remboursement.


[38]            En principe, tout facteur fondé sur des considérations pertinentes et conçu de façon à permettre le remboursement de la taxe payée sous l'ancienne loi était autorisé par la Loi habilitante. Le ministre avait le pouvoir de prescrire le nombre de facteurs nécessaires pour atteindre ce but. Ce disant, il n'avait pas à s'attarder à la situation particulière de chaque inscrit. Le ministre pouvait concevoir des facteurs de remboursement en fonction de catégories de biens. Il pouvait même concevoir un facteur d'application général dans la mesure où les biens devant y être assujettis s'y prêtaient.

[39]            Les facteurs spécifiques prévus au Règlement sont conformes à l'objet de la Loi parce qu'ils furent conçus à partir de considérations pertinentes et de façon à identifier la taxe payée sous l'ancienne loi. Il en est de même pour le facteur général à l'égard de la presque totalité des biens auxquels il devait s'appliquer. Mais comme le premier juge, je ne vois pas comment le ministre des Finances pouvait reléguer le traitement des boissons alcoolisées au facteur général sans s'écarter du pouvoir conféré par la Loi habilitante et sombrer dans l'arbitraire.

[40]            Tout d'abord, le commerce de boissons alcoolisées au Canada n'est pas si mineur que le ministre aurait pu traiter ce produit de façon incidente. Selon la preuve, le remboursement de la taxe payée sur les boissons alcoolisées en vertu de l'ancienne loi aurait excédé le remboursement qui était envisagé par le ministère du Revenu tant pour l'essence que le combustible diesel mis ensemble (Dossier d'appel, volume II, page 462). Il aurait été équivalent à 80% du remboursement envisagé pour ces produits selon une autre étude émanant du ministère des Finances (Dossier d'appel, volume II, page 459).


[41]            Les difficultés reliées à l'identification de la taxe payée sous l'ancienne loi ne s'appliquaient pas à tous les produits. L'objet de la Loi fait en sorte que le ministre devait utiliser les facteurs qui identifiaient de la façon la plus exacte possible la taxe payée selon la catégorie de biens visés. Le cas de l'essence et du combustible diesel illustre la situation où l'étendue de la taxe prélevée sous l'ancien régime pouvait se calculer selon le taux applicable à ces produits et où le facteur de remboursement fut établi en conséquence.

[42]            La preuve a révélé que la vente des boissons alcoolisées est un commerce réglementé qui s'effectue essentiellement de la même façon partout à travers le pays. Ce sont les Régies des provinces qui voient à la vente de ces produits du début à la fin du processus de commercialisation exception faite des dépanneurs et des épiceries au Québec (Document intitulé F.S.T. Rebate on Alcohol Beverage Inventories produit par la Canadian Distillers Association, page 449, paragraphe 4). Dans ces circonstances, l'étendue de la taxe payée sur ces produits devait en principe équivaloir au taux de la taxe payée sous l'ancienne loi sans l'escompte qu'incorpore le facteur général pour tenir compte du niveau de marché.

[43]            De plus comme nous l'avons vu, le facteur général fut conçu en fonction du taux de 13,5% alors que la taxe prélevée sur les boissons alcoolisées était de 19%. Le taux de la taxe payée sous l'ancienne loi était évidemment une considération essentielle à l'identification de la taxe payée sous l'ancienne loi lequel fut pris en compte dans l'élaboration de chacun des facteurs établis par le ministre.


[44]            Au-delà de faire valoir que le pouvoir discrétionnaire du ministre des Finances était vaste, l'appelante n'a offert aucune justification pour le traitement qui fut réservé aux boissons alcoolisées. Ce pouvoir aussi vaste soit-il ne permettait certes pas au ministre de déterminer à sa guise l'étendue des remboursements ou de favoriser certains produits au détriment d'autres. Il se devait d'identifier à partir de considérations pertinentes le facteur le plus susceptible d'atteindre l'objectif que s'était fixé le législateur. Le traitement réservé aux boissons alcoolisées fait abstraction des considérations pertinentes à l'identification de la taxe qui avait été payée sur ces produits et est à sa face même contraire à l'objet de la Loi.

[45]            À l'instar du premier juge, j'en viens donc à la conclusion que le paragraphe 3h) du Règlement est ultra vires. Mais, comme on peut le constater, je ne crois pas que le Règlement soit ultra vires parce qu'il ne tient pas compte de la situation particulière de l'appelante mais bien parce qu'il ne tient pas compte des produits qu'elle vendait. Selon moi, le paragraphe 3h) est ultra vires dans la mesure où il s'applique aux boissons alcoolisées.

Quelle réparation peut être accordée?

[46]            Deux questions se posent quant à la réparation qui peut découler de cette conclusion. Premièrement, la Cour peut-elle ne déclarer le paragraphe 3h) du Règlement ultra vires que dans la mesure où il s'applique aux boisons alcoolisées?


[47]            L'appelante soutient qu'en principe, un Règlement ne peut être ultra vires et conforme à la Loi habilitante en même temps. Dans la mesure où le paragraphe 3h) du Règlement est ultra vires sous certains aspects, il doit être déclaré inopérant dans son ensemble. Le vide juridique ainsi créé serait d'importance car la majorité des remboursements versés dans le cadre du programme de transition (70%) devaient l'être en vertu du paragraphe 3h) du Règlement (Dossier d'appel, volume II, page 462).

[48]            Notre Cour a récemment été appelée à considérer une question semblable (British Columbia Ferry Corp. c. M.N.R. [2001] 4 C.F. 3). Dans cette affaire, un règlement pris en application à la fois de la Loi sur la taxe d'accise et de la Loi sur les douanes fut jugé ultra vires dans la mesure où il excluait la British Columbia Ferry Corp. de la portée d'une exemption. La Cour, (Strayer j.c.a.) après avoir jugé le règlement ultra vires s'est longuement interrogée sur la réparation qui devait être accordée :

[30] Y a-t-il lieu de juger entièrement nul le Règlement sur les provisions de bord qui a été appliqué depuis 1986 en ce qui concerne la désignation des navires exonérés de manière à refuser à tous les exploitants de navire les avantages que ce règlement prévoyait? La Cour devrait-elle réviser le Règlement en radiant les parties nulles afin d'accorder une réparation aux appelantes ou en adoptant une interprétation large [read in] de façon à étendre la portée de l'exemption au profit de celles-ci? Y a-t-il lieu de diviser le Règlement de façon à en préserver les avantages pour ceux qui y avaient précédemment droit? La Cour ne devrait-elle pas simplement déclarer qu'il ne s'agit pas d'un exercice valable du pouvoir de réglementation?

[49]            La Cour répondit à ces interrogations comme suit :


[32] Pour décider, d'abord, si l'ensemble du Règlement devrait être radié parce qu'il est inopérant à l'endroit des appelantes, la Cour peut, à mon sens, s'inspirer des arrêts que la Cour suprême du Canada a rendus au sujet des dispositions législatives rendues invalides par la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] et par la Charte canadienne des droits et libertés. Dans l'arrêt Administration du pilotage du Pacifique c. Alaska Trainship Corp., [1980] 2 C.F. 54 (C.A.), aux pages 79 à 82, la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada en appel [1981] 1 R.C.S. 261, aux pages 277 et 278 ont reconnu que les critères de divisibilité élaborés dans les décisions rendues avant l'adoption de la Charte au sujet de la validité constitutionnelle de certaines parties de lois pourraient s'appliquer aux règlements qui renferment des dispositions non autorisées par la loi habilitante. Deux grandes options semblent exister. D'une part, la Cour peut diviser le Règlement et annuler la partie attaquée lorsqu'il est possible de conclure que le législateur voulait que ces dispositions soient cumulatives, plutôt que de dépendre les unes des autres et qu'elles ont [TRADUCTION] "été édictées de façon distributive et non dans l'intention qu'elles doivent toutes entrer en vigueur sinon aucune ne le sera" (remarques du juge Rand dans l'arrêt Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1, à la page 54). D'autre part, la Cour peut refuser de procéder à la division lorsqu'elle estime qu'après avoir jugé une certaine partie invalide:

[TRADUCTION] [...] la partie qui reste est si inextricablement liée à celle qui a été déclarée nulle que la première ne peut subsister indépendamment [...] (Le vicomte Simon dans Alberta Attorney General v. Attorney-General for Canada, [1947] A.C. 503 (P.C.), p. 518).

Dans l'affaire Alaska Trainship, qui concernait le Règlement que l'Administration du pilotage du Pacifique avait pris en application de la Loi sur le pilotage [S.C. 1970-71-72, ch. 52] la Cour d'appel fédérale a appliqué la dernière option et statué que l'ensemble d'un règlement prévoyant une exemption était nul. Cependant, le juge en chef Laskin, qui s'exprimait au nom de la Cour suprême du Canada en appel, a retenu la première option, jugé nulle et dissociable la partie attaquée et autorisé l'application du reste du Règlement. Dans cette affaire, le navire en question a finalement obtenu une immunité à l'égard des exigences liées au pilotage obligatoire car, par suite de la radiation par la Cour de quelques mots qui avaient eu pour effet d'exclure le navire de la portée de l'exemption, le reste de l'article est devenu applicable, de sorte que le navire a été exonéré. Il importe de souligner que, tant pour la Cour d'appel fédérale que pour la Cour suprême du Canada, l'objectif était de décider quelle aurait été l'intention du législateur (en l'occurrence, l'Administration du pilotage) s'il avait envisagé la possibilité qu'une partie du Règlement soit nulle. (Je souligne.)

[50]            Dans la présente affaire, force est de constater que le paragraphe 3h) du Règlement est conforme à l'objet de la Loi à l'égard de la presque totalité des biens auxquels il s'applique. Mais il est ultra vires dans son application aux boissons alcoolisées parce que dans le cas de ces produits, il a comme effet de contrecarrer tant le but recherché par le législateur que l'objet de la Loi.


[51]            Il s'agit dans ce contexte de se demander quelle aurait été l'intention du détenteur du pouvoir délégué s'il avait envisagé la possibilité que le paragraphe 3h) du Règlement soit nul dans son application aux boissons alcoolisées. La réponse est facile lorsque l'on considère que le paragraphe 3h) et en particulier le facteur qu'il reflète atteint le but recherché par la Loi à l'égard des biens en fonction desquels il fut conçu (voir le paragraphe 17 plus haut mentionné), indépendamment de son effet non conforme à l'égard des boissons alcoolisées. On peut donc conclure que dans l'hypothèse où le paragraphe 3h) du Règlement était nul à l'égard des boissons alcoolisées, le ministre des Finances aurait voulu que le paragraphe soit divisible quant à ses effets et qu'il demeure opérant à l'égard des autres produits auxquels il s'applique.

[52]            Dans ces circonstances, il est du devoir de la Cour de scinder le paragraphe 3h) du Règlement et de le déclarer ultra vires dans la seule mesure où il s'applique aux boissons alcoolisées.

[53]            La deuxième difficulté qui confronte la Cour est la suivante : pouvons-nous combler le vide réglementaire qui découle de cette déclaration d'invalidité ou devons-nous la suspendre temporairement de façon à permettre au ministre des Finances de rendre le Règlement conforme à l'intention législative? Le premier juge, en déclarant que l'intimée était en droit de recevoir le remboursement réclamé, a exercé le premier choix.

[54]            Dans l'affaire British Columbia Ferry Corp., le juge Strayer, s'inspirant encore une fois de litiges portant sur la Charte, s'est aussi interrogé à savoir si la Cour pouvait combler le vide réglementaire résultant de sa déclaration d'invalidité :


[37] Les critères que les tribunaux doivent appliquer pour accorder des réparations à l'égard des dispositions législatives trop limitatives ont été analysés en profondeur dans l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, et ces critères sont appliqués depuis (voir p. ex., Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3). À mon avis, sauf dans au moins un cas, les critères formulés dans ces arrêts devraient également s'appliquer dans ce domaine non constitutionnel de la législation déléguée ultra vires. Dans les deux affaires, le législateur n'a pas tenu compte des restrictions imposées par la Charte ou par le texte législatif applicable en ce qui a trait à son pouvoir d'établir des distinctions entre ceux qui ont droit aux avantages et ceux qui n'y ont pas droit. Il a été conclu dans les deux affaires que si une cour de justice estime que le refus des avantages à certains n'est pas autorisé, pour accorder à ce groupe défavorisé un avantage équivalent, elle doit soit "supprimer" [read out] (c.-à-d. dissocier) les dispositions irrégulières, soit interpréter le texte de façon large [read in] afin de corriger cette lacune. Dans l'arrêt Schachter, la Cour suprême a énoncé les critères à appliquer pour supprimer [read out] ou pour interpréter de façon large [ read in] certains éléments et ces critères visaient principalement à donner effet à l'intention présumée du législateur. Il me semble que des principes similaires devraient s'appliquer à l'interprétation large [read in] dans le cas d'un règlement non conforme. Toutefois, il y a au moins une différence entre les critères appliqués pour corriger un manquement à la Charte et ceux qui servent à corriger une législation déléguée non autorisée. Dans le contexte de la Charte, comme la Cour l'a dit dans l'affaire Schachter, il y a un autre facteur qui milite en faveur de l'interprétation large, soit la nécessité "d'assurer le respect des objets de la Charte". Ainsi, étant donné que la Charte énonce que chacun a droit aux mêmes bénéfices de la loi, une cour de justice devrait, au moment de pondérer différents facteurs militant en faveur et à l'encontre de l'interprétation large, tenir compte de l'importance d'accorder directement et immédiatement une réparation conférant des avantages égaux à ceux qui en ont été injustement privés. Cependant, dans le cas d'une législation déléguée, comme le présent Règlement, aucun principe d'égalité n'est prescrit de façon explicite dans la loi habilitante, soit la Loi sur la taxe d'accise, et la preuve n'indique pas non plus que nous sommes en présence d'une catégorie de personnes indigentes qui sont isolées de l'ensemble de la société et historiquement défavorisées.

[55]            Voici la conclusion à laquelle il en arriva :

[39] Dans la présente affaire, j'ai déjà conclu plus haut que les distinctions que le gouverneur en conseil a établies dans le Règlement sur les provisions de bord ne pouvaient être justifiées en raison de l'objet apparent du texte législatif autorisant ce Règlement. Cependant, il n'appartient pas à la Cour d'élaborer à toutes fins utiles un régime valable ayant pour effet d'exonérer de la taxe les provisions de bord par des retraits ou des ajouts sélectifs au Règlement sur les provisions de bord ou aux définitions des expressions "eaux internes", "voyage en eaux internes" ou "eaux secondaires du Canada" intégrées par renvoi dans le Règlement. À mon avis, une connaissance approfondie de l'industrie du transport maritime est nécessaire pour réaliser de façon significative l'objet énoncé de l'exemption fiscale. Ainsi, nous n'avons été saisis d'aucune preuve concernant les coûts relatifs du régime actuellement en vigueur pour le trésor et les coûts de celui que les appelantes veulent nous faire adopter, c'est-à-dire un régime exonérant de la taxe tous les navires voyageant dans les eaux intérieures du Canada (la définition de cette expression relevant apparemment de la common law et du droit international).


[40] Bref, il n'y a aucune façon pratique dont la Cour peut, en annulant certaines parties du Règlement et des définitions qui y sont adoptées ou en interprétant de façon large [read in] certaines exemptions simples, concevoir un régime dont il serait possible de dire qu'il met en oeuvre avec précision l'esprit de la Loi sur la taxe d'accise en ce qui a trait au pouvoir de réglementation accordé au paragraphe 59(3.2) ou qu'il met en oeuvre l'intention que le gouverneur en conseil aurait eue s'il avait su que la discrimination visant les appelantes serait invalide. Par conséquent, nous ne pouvons accorder aux appelantes un droit rétroactif qui leur permettrait de réclamer des remboursements ou des drawbacks en vertu du Règlement sur les provisions de bord existant. [...]

[41] __Dans les circonstances, pour les motifs adoptés dans l'arrêt Schachter, la meilleure solution semblerait résider dans une suspension de l'effet d'une déclaration d'invalidité du Règlement sur les provisions de bord. Cette solution permettra au gouverneur en conseil de concevoir un régime qui est légalement défendable, compte tenu des modalités du pouvoir de réglementation dont il est investi en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Elle empêchera le maintien pour une période indéfinie d'un régime discriminatoire au soutien duquel l'intimée n'a fourni aucune explication rationnelle appuyée sur la situation de l'industrie canadienne du transport maritime. Étant donné que le gouverneur en conseil devrait pouvoir prendre des mesures correctives beaucoup plus rapidement que le Parlement, je fixerais au 1er octobre 2001 la date d'entrée en vigueur de la déclaration d'invalidité du Règlement sur les provisions de bord.

[56]            Il importe de souligner que quelle que soit la solution retenue dans le présent litige, l'impact sera limité. En effet le Règlement, contrairement à celui qui était en cause dans l'affaire British Columbia Ferry Corp., n'a pas d'application continue. De plus, son effet, une fois modifié serait confiné aux inscrits qui détenaient des inventaires de boissons alcoolisées en date du 1er janvier 1991 et dont le droit au remboursement n'est pas prescrit. À cet égard, la Loi limitait le droit au remboursement à ceux qui en faisaient la demande avant le 1er janvier 1992 (paragraphe 120(8)) et l'avocat de l'appelante nous a informés qu'une seule cause était pendante devant le tribunal de première instance en attente de la décision à être rendue dans la présente affaire.


[57]            La question qui se pose est la suivante : la Cour est-elle en mesure de préciser comment le détenteur du pouvoir délégué aurait conçu le facteur applicable aux boissons alcoolisées s'il avait su que la Loi exigeait l'établissement d'un facteur particulier à l'égard de ces produits? Une réponse affirmative inviterait la Cour à combler elle-même le vide réglementaire qui découle de sa déclaration d'invalidité.

[58]            Comme nous l'avons vu, l'objet de la Loi et en particulier de l'article 120 est sans équivoque. La logique qui a animé le ministre des Finances dans la conception et la mise en oeuvre de la méthode et des facteurs autorisés par le législateur afin de réaliser cet objet est aussi facilement discernable. Il s'agissait d'élaborer les facteurs qui, appliqués au coût des inventaires détenus en date du 1er janvier 1991, identifieraient avec la plus grande exactitude possible l'étendue de la taxe payée sous l'ancienne loi, de façon à en permettre le remboursement.

[59]            Il est donc possible d'affirmer sans crainte de se tromper que le ministre des Finances en établissant un facteur spécifique pour les boissons alcoolisées, aurait tenu compte du taux de la taxe applicable à ces produits sous l'ancienne loi. Il aurait aussi tenu compte de leur mode uniforme de commercialisation qui fait en sorte que le coût des inventaires composés de ces produits était en principe égal au montant sur lequel la taxe avait été payée.


[60]            Dans ces circonstances, il semble évident que le ministre aurait fait coïncider le facteur de remboursement applicable aux boissons alcoolisées avec le taux de la taxe qui était prélevée sur ces produits sous l'ancienne loi comme il l'a fait d'ailleurs pour l'essence et le combustible diesel. Incidemment, la sagacité que j'attribue au ministre des Finances est validée par l'expérience de l'intimée qui, de l'aveu de l'appelante, a correctement identifié la taxe prélevée sur l'inventaire qu'elle détenait en date du 1er janvier 1991 en appliquant un facteur de 19%.

[61]            L'approche que prône le juge Strayer dans British Columbia Ferry Corp. me porterait donc à conclure que le premier juge était justifié de déclarer que l'intimée était en droit de recevoir le remboursement réclamé malgré le vide réglementaire qui découlait de la déclaration d'invalidité.

[62]            Il n'est cependant pas nécessaire de s'inspirer de décisions rendues en vertu de la Charte pour disposer du présent litige. En effet, il est établi en matière de droit administratif qu'un règlement peut n'être pas nécessaire si l'intention législative est claire et sans équivoque.

[63]            Dans l'affaire Carling Export Brew & Malt Co. v. the King [1931] A.C. 435, le comité judiciaire du Conseil privé a jugé qu'une exonération de la taxe d'accise portant sur des produits "fabriqués pour l'exportation, aux termes de règlements prescrits par le ministre des Douanes et de l'Accise" était applicable bien que le ministre n'ait édicté aucun règlement. L'objet de la Loi était, de l'avis du Conseil privé, suffisamment clair qu'un règlement n'était pas nécessaire pour que la Cour puisse y donner effet.


[64]            La Cour suprême du Canada a eu à se prononcer sur une question identique dans l'affaire Irving Oil Ltd. c. Secrétaire provincial du Nouveau-Brunswick [1980] 1 R.C.S. 787. Le litige portait sur une disposition qui exonérait de la taxe de vente prélevée par la province du Nouveau-Brunswick :

[...] les machines et appareils que le Ministre détermine et leurs pièces achevées qui, de l'avis du Ministre, doivent servir directement à la fabrication ou à la production de marchandises destinées à la vente ou à l'usage

... machinery and apparatus as defined by the Minister, and complete parts thereof, which in the opinion of the Minister one to be used directly in the process of manufacture or production of goods for sale or use.

(la Loi sur la taxe pour les services sociaux et l'éducation, L.R.N.-B. 1973, chap. S-10, art. 11o))

[65]            La Division d'appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick avait conclu dans un premier temps que cette disposition était sans effet en l'absence d'une définition ministérielle (page 793). La Cour suprême, s'inspirant de la décision du Conseil privé dans l'affaire précitée, a jugé que l'exonération était applicable même en l'absence d'une telle définition.

[66]            Le juge Pigeon exprimant l'opinion de la Cour précisa la question en litige comme suit (page 794) :

La question est donc de savoir si, en l'absence d'une définition ministérielle, l'exonération s'applique à toutes les machines et à tous les appareils qui entrent dans la catégorie spécifiée à l'al. o). Il est évident que cette catégorie de marchandises est suffisamment décrite pour être identifiable sans définition. Ce n'est pas le genre de formulation imprécise qui nécessite une définition pour être intelligible.

[67]            Il ajouta en rapport avec la décision du Conseil privé dans Carling Export (page 795) :


Bien que le Ministre [dans l'affaire Carling Export] n'ait édicté aucun règlement en vertu de cette disposition, on a jugé que la brasserie pouvait bénéficier de l'exonération. Lord Thankerton a dit (aux pp. 438 et 439):

[TRADUCTION] Leurs Seigneuries estiment qu'on ne doit pas supposer de prime abord que, dans une loi fiscale, le Parlement a délégué à un ministre le pouvoir de fixer la fourchette de l'imposition; une telle intention doit ressortir clairement des termes utilisés dans la législation. Nous trouvons un bon exemple d'une telle formulation claire dans l'arrêt Dominion Press, [1928] A.C. 340, qui concerne une disposition de la loi selon laquelle la taxe n'est pas exigée "sur des marchandises exportées ou sur les ventes de marchandises fabriquées à la demande de clients particuliers par une entreprise qui vend uniquement au détail conformément au règlement établi par le Ministre des Douanes et de l'Accise qui, seul, décidera de la classification de l'entreprise". Il est évident qu'aucune entreprise ne pourrait prétendre faire partie de la catégorie à laquelle le bénéfice d'exception a été accordé si le Ministre n'a pas déjà fait entrer l'entreprise dans cette catégorie. Leurs Seigneuries sont incapables de trouver de formulation claire semblable en l'espèce, ...

A mon avis ce raisonnement s'applique a fortiori en l'espèce. L'article 28 précité de la Loi prévoit un appel à la cour de la décision du Ministre sur une cotisation. Si, en l'absence de définition, le résultat était, comme l'a jugé la Division d'appel, que la demande d'exonération doit être rejetée, cela signifierait que, simplement en s'abstenant de se servir de son pouvoir de définition, le Ministre pourrait rendre ses décisions inattaquables. Il faut également considérer que le pouvoir d'édicter une définition doit être exercé de bonne foi et le Ministre abuserait de son pouvoir s'il supprimait l'exonération en n'édictant aucune définition. Pour ces motifs, je dois conclure que la décision de la Cour d'appel ne peut tenir.

[68]            L'objet de la Loi est ici aussi clair. Le ministre des Finances n'avait pas le pouvoir de délimiter à sa guise l'étendue des remboursements. Il devait prescrire les facteurs les plus aptes à permettre le remboursement de la taxe payée sous l'ancienne loi selon la catégorie de biens visés. Dans le cas des boissons alcoolisées, ce facteur devait, pour atteindre ce but, équivaloir au taux de la taxe prélevée sous l'ancienne loi. Il s'ensuit, selon moi, que le premier juge était justifié de conclure que l'intimée avait droit au remboursement calculé selon ce taux malgré le vide réglementaire.

[69]            Je rejetterais l'appel avec dépens.


                 "Marc Noël"                

j.c.a.

"Je souscris à ces motifs.

Alice Desjardins j.c.a."

"Je suis d'accord.

Robert Décary j.c.a."


            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

      SECTION D'APPEL

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                      

DOSSIER : A-571-00

INTITULÉ :                          Sa Majesté la Reine c. Société des alcools du Québec

LIEU DE L'AUDIENCE :               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 17 janvier 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 Marc Noël, j.c.a.

Y ONT SOUSCRIT :                          Alice Desjardins, j.c.a.


Robert Décary, j.c.a.

DATE DES MOTIFS :               Le 22 février 2002

COMPARUTIONS:

Me Jacques Savary                                                                POUR L'APPELANTE

Me Calude Desaulniers                                                          POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                      

Morris Rosenberg                                                           POUR L'APPELANTE Sous-procureur général du Canada

McCarthy Tétrault s.r.l.                                                        POUR L'INTIMÉE

Montréal (Québec)

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