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Date : 20041209

Dossier : A-132-04

Référence : 2004 CAF 415

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                            WAKEFIELD REALTY CORPORATION

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                                  CUSHMAN & WAKEFIELD, INC.

                                                                                                                                                  intimée

                                  Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 novembre 2004

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                    LE JUGE ROTHSTEIN


Date : 20041209

Dossier : A-132-04

Référence : 2004 CAF 415

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                            WAKEFIELD REALTY CORPORATION

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                                  CUSHMAN & WAKEFIELD, INC.

                                                                                                                                                  intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]                L'appelante, Wakefield Realty Corporation (Wakefield), interjette appel de la décision rendue par le juge Harrington dans laquelle il a autorisé l'enregistrement des marques de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD DESIGN » de Cushman & Wakefield Inc. (C & W).


[2]                Wakefield interjette appel en invoquant principalement que le juge n'a pas appliqué régulièrement le critère, en matière de confusion, qui est décrit au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi). Le critère entre en jeu parce que Wakefield conteste l'enregistrement au motif que :

a)         les marques de C & W ne sont pas enregistrables parce qu'elles créent de la confusion avec la marque de commerce « WAKEFIELD DESIGN » enregistrée par Wakefield (alinéa 38(2)b) de la Loi);

b)         C & W n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement parce que, à la date du dépôt, les marques de C & W créaient de la confusion avec la marque de commerce « WAKEFIELD » antérieurement employée au Canada, par Wakefield, en liaison avec des services dans le domaine immobilier (alinéa 38(2)c) de la Loi);

c)         C & W n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement des marques parce que, à la date du dépôt, les marques de C & W créaient de la confusion avec le nom commercial Wakefield Realty Corporation antérieurement employé au Canada par Wakefield en liaison avec des services dans le domaine immobilier (alinéa 38(2)c) de la Loi).


[3]                À l'appui de son principal argument, Wakefield soulève deux arguments subsidiaires importants. Premièrement, elle fait valoir que le juge a conclu, à tort, que la marque Cushman & Wakefield Inc. était devenue connue au Canada en liaison avec des services de courtage immobilier, par opposition à un service d'aiguillage transfrontière. La question reposait sur l'importance qu'il fallait accorder à l'emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD REALTY WORLDWIDE » en liaison avec les services de courtage immobilier offerts par Royal Lepage Commercial Inc. (Royal Lepage).

[4]                Le deuxième argument subsidiaire soulevé par Wakefield est la nature intégrée de l'industrie de l'immobilier. Cette question a été soulevée en rapport avec la nature de l'activité commerciale et la possibilité de confusion de la part d'un consommateur de services immobiliers.

[5]                Wakefield prétend également que certains propos énoncés pour la forme dans les motifs du juge révèlent qu'il a mal compris la nature de la procédure en cause et qu'il a mal appliqué certains textes faisant autorité.

[6]                Une lecture juste des motifs du juge m'amène à conclure que le présent appel doit être rejeté. Compte tenu du cadre proposé par le paragraphe 6(5) de la Loi, le juge n'a pas soulevé la question de la confusion d'une manière aussi systématique qu'il aurait dû le faire dans ses motifs. Néanmoins, on y retrouve tous les éléments de l'analyse requise. Plus précisément, le juge a analysé :


a)         le caractère distinctif inhérent des marques (alinéa 6(5)a) de la Loi) et il a conclu que les deux marques étaient peu distinctives en ce sens qu'elles renvoyaient à un nom de famille ou à un lieu géographique (paragraphe 42 des motifs);

b)         dans quelle mesure les marques étaient connues (alinéa 6(5)a) de la Loi). Il a examiné la preuve de Wakefield concernant la publicité de ses marques de commerce et il a examiné la preuve de l'emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » en liaison avec les services de courtage immobilier commercial de Royal Lepage (paragraphes 23 et 37 des motifs);

c)         la période d'utilisation des marques de commerce (alinéa 6(5)b) de la Loi). Il a mentionné l'emploi, par Wakefield, de sa marque de commerce dans la région du Grand Toronto depuis 1977 (paragraphe 23 des motifs), ainsi que l'emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » dans l'ensemble du Canada depuis 1995 (paragraphes 44 et 46 des motifs);

d)         le genre de services offerts (alinéa 6(5)c) de la Loi) et la nature du commerce (alinéa 6(5)d) de la Loi). Le juge a reconnu qu'il y avait une différence entre les services de courtage immobilier commercial et résidentiel même si C & W avait exagéré cette différence et il a dit que les consommateurs pouvaient distinguer entre les deux (paragraphe 43 des motifs);

e)         le degré de ressemblance entre les marques, dans la présentation ou le son ou dans les idées qu'elles suggèrent (alinéa 6(5)e) de la Loi). Le juge a mentionné à juste titre que le premier mot d'une marque est celui qui est le plus important du point de vue de pouvoir distinguer entre les deux marques (paragraphe 42 des motifs);

f)          toutes les circonstances de l'espèce (paragraphe 6(5) de la Loi). Le juge a mentionné la confusion anecdotique découlant de l'enregistrement de « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » au Canada (paragraphe 48 des motifs).


[7]                Plusieurs conclusions du juge reposent sur les arguments subsidiaires susmentionnés. Je vais donc les mentionner brièvement. Le premier argument soulevait les répercussions de l'emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » en liaison avec les services offerts par Royal Lepage. Wakefield a dit que cet usage était limité au service d'aiguillage frontalier alors que C & W a soutenu que la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » était employée par Royal Lepage en liaison avec tous les services de courtage immobilier commercial offerts par Royal Lepage. En conformité avec les articles 4 et 50 de la Loi, cet usage constituait l'emploi d'une marque au Canada par C & W.

[8]                Les articles 4 et 50 disposent :


4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services.

[...]

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

...


50. (1) Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial - ou partie de ceux-ci - ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.

50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.


[9]                La preuve dont le juge était saisi révélait que Royal Lepage avait beaucoup utilisé la marque de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » en liaison avec le courtage immobilier commercial. La marque de commerce apparaissait sur le papier à lettres de Royal Lepage, ainsi que sur ses cartes professionnelles et dans les revues dans lesquelles la société publiait le plus d'annonces. La marque apparaissait également dans les annonces publiées continuellement dans les journaux. En raison de l'article 50 de la Loi, cet emploi de la marque de commerce en liaison avec les services de courtage immobilier commercial de Royal Lepage est réputé un emploi de la marque de commerce, au Canada, par C & W en liaison avec une société de courtage immobilier commercial. Le juge des requêtes était donc fondé à conclure, comme il l'a fait au paragraphe 37 de ses motifs, que le nom Cushman & Wakefield « seul ou combiné avec le terme « Worldwide » était bien connu au Canada dans les milieux concernés [...] » . Cette conclusion appuie ses conclusions relatives à la mesure dans laquelle la marque Cushman & Wakefield était connue, et la période pendant laquelle elle avait été employée au Canada.


[10]            L'autre question qui sous-tend la conclusion du juge est celle de la nature du commerce. Wakefield s'est fondée sur sa preuve selon laquelle l'industrie de l'immobilier est intégrée. Tous les courtiers, qu'ils soient du domaine commercial ou résidentiel, sont membres des mêmes associations immobilières et soumis au même organisme de réglementation. Comme la preuve produite par Wakefield le révèle clairement, un courtier immobilier peut, comme le fait Wakefield, vendre tant des immeubles commerciaux que des immeubles résidentiels. Par conséquent, Wakefield a soutenu qu'il fallait conclure, à la lecture de la description des services visés dans la demande de C & W, qu'elle s'appliquait à tous les services offerts par un courtier immobilier.

[11]            C & W, par contre, a mentionné la nature spécialisée de sa clientèle (caisses de retraite, investisseurs institutionnels importants et sociétés de placement immobilier) à l'appui de sa position selon laquelle le marché dans lequel elle exploite son entreprise est distinct de celui de Wakefield. Cette affirmation a été appuyée par le témoignage de M. Freeman, administrateur principal de Wakefield, qui a reconnu que son entreprise ne représentait aucun investisseur en immobilier commercial, comme les caisses de retraite, et que la majorité de ses clients n'avaient pas besoin des services de courtage immobilier commercial offerts par C & W. Compte tenu de ce témoignage, le juge pouvait conclure qu'il était « peu probable que les personnes qui souhaitent se procurer les services de Wakefield prennent contact avec Cushman & Wakefield qui n'offre que des services de courtage immobilier commercial » (paragraphe 43). Cette conclusion vise tant la question des services offerts que celle de la nature du commerce.


[12]            Compte tenu de ce qui précède, le juge des requêtes a dit qu'il était convaincu qu'il n'y avait aucune « probabilité réelle de confusion entre les marques "CUSHMAN & WAKEFIELD" et "CUSHMAN & WAKEFIELD DESIGN" d'un côté, et "WAKEFIELD REALTY CORPORATION" et "WAKEFIELD DESIGN" de l'autre » . (Voir le paragraphe 48 de ses motifs.) Dans la mesure où les conclusions du juge sont des conclusions quant aux faits, la Cour est tenue d'appliquer la norme de l'erreur manifeste et dominante. Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 23. Il en est ainsi même si la décision du juge du procès est fondée sur une preuve par affidavit, par opposition à des témoignages personnels (Housen, paragraphe 25). Je n'ai trouvé aucune erreur de la sorte dans les motifs du juge des requêtes.

[13]            Lorsque les conclusions du juge sont des conclusions mixtes de fait et de droit, la norme d'examen demeure celle de l'erreur manifeste et dominante sauf s'il y a une erreur de droit isolable (Housen, paragraphe 36). En l'espèce, Wakefield fait valoir que le juge n'a pas appliqué régulièrement le critère relatif à la conclusion comme étant une erreur de droit isolable. Une lecture juste des motifs du juge révèle qu'en fait, il a correctement appliqué le critère.


[14]            Les autres erreurs de droit énumérées par Wakefield reposaient sur les propos énoncés pour la forme dans les motifs du juge. Wakefield prétend que les premières remarques concernant les imposteurs ont soulevé un doute sur son analyse du problème. Il n'y a rien dans le reste des motifs du juge qui donne à penser qu'il a été d'une façon ou d'une autre induit en erreur sur la nature de l'instance dont il était saisi. Wakefield prétend également que l'équation que fait le juge entre les marques « fruit loops » et « fruit dots » , d'une part, et Wakefield et Cushman & Wakefield, d'autre part, est une utilisation inopportune de la jurisprudence pour comparer des faits. Lue dans son contexte, il appert que la mention ne fait que confirmer la position prise par le juge dans le paragraphe précédent de ses motifs. Ces malheureuses distractions ne sont pas des erreurs de droit.

[15]            En fin de compte, je ne puis trouver aucune erreur de droit, de fait ou mixte de droit et de fait qui soit manifeste et dominante de manière à justifier l'intervention de la Cour. Les erreurs de droit soulevées par Wakefield ne sont pas, selon moi, des erreurs de droit. Dans les circonstances, l'appel doit être rejeté.

[16]            Wakefield prétend que même si elle n'obtient pas gain de cause en appel, la Cour devrait néanmoins lui accorder ses dépens devant la Cour fédérale et devant la Cour. Cette prétention est fondée sur l'affirmation selon laquelle C & W avait eu gain de cause parce qu'elle avait déposé devant la Cour fédérale la preuve qu'elle aurait dû déposer en premier lieu devant la Commission des oppositions des marques de commerce. Wakefield invoque la décision Scott Paper Co. c. Minnesota Mining and Manufacturing Co. (1981), 53 C.P.R. (2d) 26, à l'appui de son argument.


[17]            Vu que les deux parties ont produit une nouvelle preuve importante devant la Cour fédérale, comme elles étaient en droit de le faire, je ne suis pas convaincu que je ne devrais pas respecter la pratique normale selon laquelle les dépens suivent l'issue de la cause. J'accorderai donc à C & W les dépens qui devront être taxés.

                                                                                                                         _ J.D. Denis Pelletier _            

                                                                                                                                                     Juge                           

« Je souscris aux présents motifs

Alice Desjardins, juge »

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein, juge »

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-132-04

INTITULÉ :                                                    WAKEFIELD REALITY CORPORATION

c.

CUSHMAN & WAKEFIELD, INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 DÉCEMBRE 2004

Y ONT SOUSCRIT :                          LES JUGES DESJARDINS ET                        ROTHSTEIN

COMPARUTIONS :

David Aylen

Sarah Chenoweth                                              POUR L'APPELANTE

Justine Whitehead                                              POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Aylen

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)                                              POUR L'APPELANTE

Justine Whitehead

Stikeman Elliott

Ottawa (Ontario)                                               POUR L'INTIMÉE


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