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Date : 20010125

Dossier : A-29-00

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 25 JANVIER 2001

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE LINDEN

MONSIEUR LE JUGE ISAAC

MADAME LE JUGE SHARLOW               

ENTRE :                                                                                                        

ECU-LINE N.V.

appelante

- et -

                                                       Z.I. POMPEY INDUSTRIE

                                                                          - et -

                          SOCIÉTÉ LYONNAISE DE MESSAGERIES NATIONALES

                                                                          - et -

                                                           JOHN S. JAMES CO.

                                                                          - et -

                                            POLYFIBRON TECHNOLOGIES INC.

                                                                          - et -

                                              ELLEHAMMER PACKAGING INC.

                                                                          - et -

TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT

SUR LA CARGAISON CHARGÉE À BORD DU M.V. « CANMAR FORTUNE »

intimées

JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

     « Julius A. Isaac »      

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010125

Dossier : A-29-00

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE LINDEN

MONSIEUR LE JUGE ISAAC

MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :                                                                                                        

ECU-LINE N.V.

appelante

- et -

                                                       Z.I. POMPEY INDUSTRIE

                                                                          - et -

                          SOCIÉTÉ LYONNAISE DE MESSAGERIES NATIONALES

                                                                          - et -

                                                           JOHN S. JAMES CO.

                                                                          - et -

                                            POLYFIBRON TECHNOLOGIES INC.

                                                                          - et -

                                              ELLEHAMMER PACKAGING INC.

                                                                          - et -

TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT

SUR LA CARGAISON CHARGÉE À BORD DU M.V. « CANMAR FORTUNE »

intimées

Audition tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 5 décembre 2000

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le jeudi 25 janvier 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :                                                             le juge Isaac

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     le juge Karen R. Sharlow

                                                                                                                              le juge A.M. Linden


Date : 20010125

Dossier : A-29-00

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE LINDEN

MONSIEUR LE JUGE ISAAC

MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :                                                                                                        

ECU-LINE N.V.

appelante

- et -

                                                       Z.I. POMPEY INDUSTRIE

                                                                          - et -

                          SOCIÉTÉ LYONNAISE DE MESSAGERIES NATIONALES

                                                                          - et -

                                                           JOHN S. JAMES CO.

                                                                          - et -

                                            POLYFIBRON TECHNOLOGIES INC.

                                                                          - et -

                                              ELLEHAMMER PACKAGING INC.

                                                                          - et -

TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT

SUR LA CARGAISON CHARGÉE À BORD DU M.V. « CANMAR FORTUNE »

intimées

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

     

LE JUGE ISAAC


[1]         Il s'agit d'un appel d'une ordonnance par laquelle un juge des requêtes de la Section de première instance a rejeté, le 21 décembre 1999, l'appel formé par l'appelante à l'encontre du rejet par le protonotaire, à Vancouver, le 22 septembre 1999, de la requête en suspension de la procédure présentée par l'appelante.

[2]         Les motifs du juge des requêtes sont publiés dans [1999] A.C.F. no 2017 et ceux du protonotaire dans [1999] A.C.F. no 1984.

Les faits

[3]         Les faits de l'espèce sont exposés en entier dans les motifs du juge des requêtes et du protonotaire; il n'est pas nécessaire de les répéter ici en détail. Je les résumerai néanmoins pour faciliter l'appréciation de l'argumentation que les avocats des parties nous ont présentée.

[4]         Le litige entre les parties découle d'un contrat de transport de marchandises entre Anvers, en Belgique, et Seattle, dans l'État de Washington. Le contrat est un connaissement signé le 23 janvier 1997 au nom de l'appelante, en qualité de transporteur, qui s'engageait à transporter deux caisses de marchandises décrites dans le connaissement entre Anvers, en Belgique, et Seattle, aux États-Unis. Au sein de l'industrie, ce type de connaissement est appelé connaissement de port à port.


[5]         Le 23 janvier 1996, l'intimée Z.I. Pompey Industrie, en qualité de demanderesse, a intenté une action devant la Section de première instance; dans sa déclaration, elle alléguait que l'appelante avait violé son contrat de transport maritime en transportant les marchandises par mer d'Anvers à Montréal et en les expédiant, de là, par rail jusqu'à Richmond, en Colombie-Britannique, où on a constaté que la cargaison avait été endommagée. Les marchandises ont ensuite été expédiées à Seattle, aux États-Unis.

[6]         Les intimées affirment que ce changement unilatéral dans le mode de transport constitue une violation d'une clause essentielle du contrat et leur donne droit à des dommages-intérêts.

[7]         Au paragraphe 12 de la déclaration, elles plaident toutes les présomptions de fait et de droit qui s'appliquent en leur faveur.

[8]         Le 17 juin 1998, l'appelante, en sa qualité de défenderesse, a déposé et signifié une défense dans laquelle elle invoquait notamment plusieurs articles des Règles de La Haye-Visby et plaidait que le connaissement contenait une stipulation expresse portant que toute réclamation serait tranchée par les tribunaux d'Anvers, à l'exclusion de tout autre tribunal.

[9]         L'appelante a aussi fait valoir que le connaissement contenait une clause de déroutement qui lui permettait de changer le mode de transport.

[10]       Dans un avis de requête en date du 17 novembre 1998, l'appelante a présenté une requête en vue d'obtenir la suspension de la procédure. Les moyens énoncés à l'appui de la requête étaient les suivants :

[Traduction]... le connaissement prévoit que toute réclamation ou tout différend découlant du connaissement sera tranché par les tribunaux d'Anvers, à l'exclusion de tout autre tribunal, et que le contrat constaté par le connaissement est régi par le droit de la Belgique.


[11]       Comme je l'ai déjà mentionné, le protonotaire à Vancouver a rejeté la requête en suspension de la procédure présentée par l'appelante pour les motifs exposés dans [1999] A.C.F. no 154. L'appelante a porté cette ordonnance du protonotaire en appel devant la Section de première instance. L'appel a été entendu par le juge des requêtes, qui l'a rejeté pour les motifs publiés dans [1999] A.C.F. no 2017. L'appelante interjette maintenant appel de cette dernière ordonnance.

Les questions en litige

[12]       Dans son mémoire des faits et du droit déposé dans le présent appel, l'avocat de l'appelante a saisi la Cour des trois questions suivantes :

a)          Quelle est la norme de contrôle de la décision du juge des requêtes?

b)          Quelle est la norme de contrôle de la décision du protonotaire?

c)          Le protonotaire a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon qui commandait l'intervention du juge des requêtes?


[13]       Dans ses motifs, le juge des requêtes a traité, premièrement, de la question de savoir si le protonotaire avait commis une erreur de droit ou de principe en voulant décider à titre préliminaire, dans le contexte d'une requête en suspension de la procédure, si l'appelante avait violé une clause essentielle du contrat de transport. Après avoir cité un passage de l'arrêt The Eleftheria[1] et examiné les conclusions du protonotaire au regard de celui-ci, il a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 32 de ses motifs :

La décision d'ordonner une suspension des procédures est une question de fait à déterminer dans chaque cas et le protonotaire avait le pouvoir discrétionnaire de prendre la décision qu'il a prise au vu des faits dont la Cour était saisie et compte tenu des critères établis dans l'affaire The Eleftheria.

[14]       Il a rejeté la prétention de l'appelante portant que la conclusion préliminaire de violation d'une clause essentielle tirée par le protonotaire excluait tout examen subséquent de cette question par les tribunaux, en affirmant qu'elle devait être tranchée par le juge qui présiderait l'instruction.

[15]       En rejetant l'appel, le juge des requêtes a conclu que le protonotaire n'avait pas commis d'erreur en examinant la question de la violation d'une clause essentielle du contrat pour apprécier les faits dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

La position des parties

[16]       L'appelante soutient qu'il existe un contrat valide entre les parties et qu'il n'y a eu ni violation d'une clause essentielle ni déroutement déraisonnable. L'appelante fait aussi valoir que, même en présence d'une violation d'une clause essentielle ou d'un déroutement déraisonnable, la clause attributive de compétence ne serait pas devenue exécutoire pour autant.


[17]       La deuxième prétention de l'appelante porte que la Cour n'a pas compétence pour trancher l'affaire sur le fond en raison de l'existence d'une clause attributive de compétence dans le contrat. Pour ce motif, le protonotaire aurait commis une erreur en rejetant la requête en suspension.

[18]       La troisième prétention de l'appelante porte que le protonotaire a commis une erreur en examinant le fond du litige entre les parties dans le contexte d'une demande de suspension.

[19]       L'appelante a affirmé, à juste titre, selon moi, que le critère applicable au contrôle des décisions rendues par un protonotaire consiste à se demander si le protonotaire a manifestement mal exercé son pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire, s'il a fondé sa décision sur un mauvais principe de droit ou sur une appréciation erronée des faits, ou si sa décision porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[20]       Elle a ensuite affirmé que, comme le protonotaire avait appliqué un mauvais principe et tranché une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge des requêtes avait eu tort de rejeter l'appel de l'appelante.


[21]       L'appelante s'appuie sur la décision rendue par notre Cour dans l'affaire Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A.[2], portant qu'une cour d'appel chargée de contrôler la décision discrétionnaire d'un juge des requêtes doit la confirmer à moins qu'elle soit mal fondée ou manifestement erronée, pour affirmer que la Cour devrait infirmer la décision du juge des requêtes parce qu'elle est mal fondée.

[22]       Les intimées sont d'accord avec l'appelante sur le critère à appliquer pour contrôler les ordonnances discrétionnaires prononcées par les protonotaires. Toutefois, elles soutiennent que la Cour d'appel ne doit intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes que si celui-ci comporte une erreur de droit ou s'il est démontré que le juge des requêtes n'a pas pris en compte toutes les considérations pertinentes pour rendre sa décision.

[23]       L'arrêt Reza c. Canada[3] fait autorité au Canada en matière de contrôle en appel d'une décision discrétionnaire d'un juge des requêtes. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada devait décider s'il existait un motif pour que la Cour d'appel intervienne dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes qui avait accordé une suspension.

[24]       La Cour a conclu, à l'unanimité, que le juge des requêtes avait exercé son pouvoir discrétionnaire régulièrement et que rien ne justifiait que la Cour intervienne dans sa décision de suspendre la procédure que l'appelant avait engagée. La Cour a rejeté le critère du caractère manifestement déraisonnable adopté par le juge Abella de la Cour d'appel pour contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes et a conclu que :

... le critère en matière de contrôle par une cour d'appel de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge est de savoir si le juge a accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes.


[25]       Selon moi, c'est là le critère que la Cour doit appliquer pour contrôler l'ordonnance discrétionnaire prononcée par le juge des requêtes en l'espèce.

[26]       En l'espèce, le juge des requêtes a examiné les longs motifs du protonotaire et, comme lui, il a conclu que l'arrêt The Eleftheria ne s'appliquait pas. Il a ensuite examiné les autres questions que le protonotaire avait étudiées et il a conclu que la décision du protonotaire devait être confirmée. Je suis du même avis que le juge des requêtes, pour les raisons que voici.

[27]       L'appelante plaide que, dans les cas où, comme en l'espèce, un contrat contient une clause attributive de compétence exigeant que tous les différends, peu importe où ils surviennent, soit tranchés par les tribunaux d'un ressort donné, tant la jurisprudence anglo-américaine que la jurisprudence anglo-canadienne établissent que le différend doit être tranché par les tribunaux du ressort dont les parties ont convenu. L'appelante soutient que, depuis l'affaire The Eleftheria, aucune cause de jurisprudence anglo-canadienne ni anglo-américaine n'a statué autrement. Je ne partage pas son avis. L'affaire Jian Sheng Co., précitée, est une cause dans laquelle la Cour a statué qu'un protonotaire a le droit de refuser une suspension dans un cas où l'appelante n'a pas présenté une preuve suffisante pour établir qu'un tribunal étranger a compétence.


[28]       L'arrêt The Eleftheria a été prononcé en 1969. En 1975, la Chambre des lords a tranché l'affaire American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd.[4] Dans cette cause, les juges ont assoupli les exigences auxquelles le requérant doit satisfaire pour obtenir une injonction interlocutoire. Ainsi, le critère à appliquer pour trancher une demande d'injonction interlocutoire comporte trois étapes : premièrement, une appréciation préliminaire et provisoire du fond de l'instance visant à établir qu'il existe une question sérieuse à trancher; deuxièmement, un examen de la question de savoir si la partie qui demande l'injonction interlocutoire subirait un préjudice irréparable si l'injonction n'était pas accordée; troisièmement, l'identification de la partie qui subirait le plus grand préjudice selon que l'injonction interlocutoire est accordée ou refusée.

[29]       Dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd.[5] le juge Beetz a écrit, au nom de la Cour à l'unanimité (au paragraphe 30) :

La suspension d'instance et l'injonction interlocutoire sont des redressements de même nature. À moins qu'un texte législatif ne prescrive un critère différent, elles ont suffisamment de traits en commun pour qu'elles soient assujetties aux mêmes règles et c'est avec raison que les tribunaux ont eu tendance à appliquer à la suspension interlocutoire d'instance les principes qu'ils suivent dans le cas d'injonctions interlocutoires...

[30]       À mon humble avis, même si le protonotaire ne s'est pas reporté à ces sources, il semble que ce soit ce qu'il avait à l'esprit lorsqu'il a rédigé le passage suivant, cité par le juge des requêtes au paragraphe 29 de ses motifs :


ECU-Line estime que la Cour ne devrait pas examiner la question de la violation d'une clause essentielle ou du déroutement, car il s'agit là de questions de fait qui devront être tranchées au fond par le juge du procès. La réponse à cet argument n'a rien de complexe. L'injonction provisoire obtenue dans le cadre d'une demande interlocutoire, laquelle exige que l'on s'interroge sur la solidité des arguments invoqués, sur le préjudice subi et sur la prépondérance des inconvénients, est comparable au rejet d'une requête en suspension en raison de la solidité des arguments invoqués par les demandeurs pour faire valoir que la clause de compétence ne s'applique pas en l'occurrence. L'injonction provisoire ne gêne en rien le juge du procès, pas plus que ne le ferait le rejet d'une requête en suspension au motif que la clause de compétence ne saurait vraisemblablement être invoquée. Tout préjudice que causerait à ECU-Line le fait d'avoir à défendre une action intentée au Canada pourrait être compensé lors de l'adjudication des dépens.

[31]       Depuis le prononcé de la décision American Cyanamid, précitée, en 1975, les jurisprudences britannique et canadienne ont évolué et le critère qu'il convient d'appliquer en matière de suspension est celui qui comporte trois étapes et qui est utilisé pour trancher les demandes d'injonctions interlocutoires. Je suis d'avis que le juge des requêtes a tenu compte de toutes les considérations pertinentes en l'espèce. Je ne vois donc pas pourquoi la Cour modifierait son ordonnance rejetant l'appel.

[32]       Je suis donc d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

    « Julius A. Isaac »     

                                                         

                J.C.A.

« Je souscris à ces motifs,

A.M. Linden J.C.A. »

« Je souscris à ces motifs,

           Karen R. Sharlow J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           A-29-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    ECU-LINE N.V. et Z.I. POMPEY INDUSTRIE et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Vancouver (Colombie-Britannique)       

DATE DE L'AUDIENCE :                   5 décembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE ISAAC

Y ONT SOUSCRIT :                           le juge Linden

le juge Sharlow

EN DATE DU :                                     25 janvier 2001            

ONT COMPARU :

Me H. Peter Swanson                                        POUR L'APPELANTE

Me Jean-François Bilodeau                                POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campney & Murphy                                          POUR L'APPELANTE

Vancouver (C.-B.)

Sproule Castonguay Pollack                              POUR L'INTIMÉE

Montréal (Qc)



     [1] [1969] 1 Lloyd's Rep. 237.

     [2] [1998] 3 C.F. 418.

     [3] [1994] 2 R.C.S. 394.

     [4] [1975] 1 All ER 504 (Ch. des lords).

     [5] [1987] 1 R.C.S. 110.

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