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     Date : 19980702

     Dossier : A-223-98

Ottawa (Ontario), le jeudi 2 juillet 1998.

CORAM :      LE JUGE DENAULT, J.C.A.

         LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

         LE JUGE LÉTOURNEAU, J.C.A.

ENTRE :

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     - et -

     MERCK & CO. INC.,

     appelantes

     (requérantes),

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     - et -

     APOTEX INC.,

     intimés

     (intimés).

     JUGEMENT

     L"appel est rejeté avec dépens.

     Pierre Denault

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

                


Date : 19980702


Dossier : A-223-98

CORAM :      LE JUGE DENAULT, J.C.A.

         LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

         LE JUGE LÉTOURNEAU, J.C.A.

ENTRE :

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     - et -

     MERCK & CO. INC.,

     appelantes

     (requérantes),

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     - et -

     APOTEX INC.,

     intimés

     (intimés).

Audience tenue à Montréal (Québec) le vendredi 26 juin 1998.

Jugement prononcé à Ottawa le 2 juillet 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE DENAULT, J.C.A.

     LE JUGE LÉTOURNEAU, J.C.A.


Date : 19980702


Dossier : A-223-98

CORAM:      LE JUGE DENAULT, J.C.A.

         LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

         LE JUGE LÉTOURNEAU, J.C.A.

ENTRE :

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     - et -

     MERCK & CO. INC.,

     appelantes

     (requérantes),

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     - et -

     APOTEX INC.,

     intimés

     (intimés).

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

[1]      Il s"agit d"un autre appel concernant des questions de procédure dans le cadre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), cette fois concernant les modifications qui sont entrées en vigueur le 12 mars 1998 (DORS/98-166).

[2]      En avril 1993, les appelantes (Merck) ont déposé une liste de brevets à l"égard de leurs brevets canadiens nos 1, 161,380 (le brevet 380) et 1,199,322 (le brevet 322) pour leurs comprimés de simvastatine.

[3]      Le 26 janvier 1998, l"intimée Apotex Inc. (Apotex) a signifié un avis d"allégation (l"avis) à Merck conformément à l"alinéa 5(3)b ) du Règlement. Apotex alléguait que la formulation envisagée pour les comprimés de simvastatine ne contreferait pas les brevets de Merck.

[4]      L"avis alléguait encore que le brevet 380 ne contenait pas de revendication pour le médicament simvastatine ou pour son utilisation " puisqu"il se rapportait à un composé constituant une étape intermédiaire dans le procédé de fabrication de la simvastatine " et était donc inclus à tort dans la liste de brevets. L"avis alléguait ensuite que le brevet 380 ne revendiquait ce composé intermédiaire que lorsqu"il était produit selon un procédé spécifique faisant intervenir un microorganisme spécifique, et qu"Apotex n"obtiendrait que des approvisionnements du composé intermédiaire produits selon un procédé différent faisant intervenir un microorganisme différent. À l"égard du brevet 322, l"avis alléguait qu"Apotex n"utiliserait ni ne vendrait de simvastatine produite par l"un des procédés revendiqués dans le brevet.

[5]      L"avis d"Apotex informait également Merck que les détails de son procédé lui seraient communiqués aussitôt qu"une ordonnance ou une entente de confidentialité satisfaisante serait en place.

[6]      Merck et Apotex ne sont pas arrivées à s"entendre sur les termes d"une entente de confidentialité.

[7]      Le 13 mars 1998, Merck a déposé une demande en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement en vue d"interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex. La demande de Merck était appuyée de cinq affidavits, comme l"exigeaient les Règles de la Cour fédérale alors applicables.

[8]      Le 19 mars 1998, Apotex a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance de confidentialité et une ordonnance fixant l"échéancier pour la production de la preuve par affidavits une fois que l"ordonnance de confidentialité serait en place.

[9]      Merck a accepté les modalités de l"ordonnance de confidentialité et seule la requête en vue de la fixation de l"échéancier a procédé devant le juge Pinard. Le juge des requêtes a accepté l"échéancier proposé et prononcé l"ordonnance suivante le 26 mars 1998 :

         [...]         
         2.      une ordonnance fixant l"échéancier pour la production de la preuve par affidavits de la manière suivante :         
              a)      la preuve des requérantes devra être signifiée et déposée dans les 45 jours suivant la réception du procédé utilisé par Apotex pour fabriquer la simvastatine;         
              b)      la preuve des intimés devra être signifiée et déposée dans les 30 jours suivant la date fixée à l"alinéa a) ci-dessus;         

[...]

[10]      Merck s"oppose à l"ordonnance pour les motifs suivants. D"abord, il ne faudrait pas permettre à Apotex de lui communiquer son procédé sans fournir un affidavit à l"appui de cette communication. Selon son avocat, Merck a le droit d"explorer la portée et l"effet du procédé d"Apotex en contre-interrogeant l"auteur de l"affidavit avant de décider si elle doit ou non déposer une preuve supplémentaire. En second lieu, Merck ne devrait pas être forcée de déposer sa propre preuve par affidavits à l"égard du procédé d"Apotex avant que cette dernière ne dépose sa preuve par affidavits. Selon l"avocat, la présomption introduite en faveur des fabricants de médicaments au moment de l"addition du paragraphe 6(6) du Règlement en 1998 a changé les règles du jeu et donné aux fabricants le droit d"avoir le dernier mot en ce qui concerne la production de la preuve.

[11]      Il sera utile, à ce stade, de citer les dispositions pertinentes du Règlement :


     Patent List

[...]

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and wishes to compare that drug with, or make reference to, another drug that has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

[..]

     (b) allege that
         (i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,
         (ii) the patent has expired,
         (iii) the patent is not valid, or
         (iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

[...]

(3) Where a person makes an allegation pursuant to paragraph (1)(b) or subsection (2) the person shall

     (a) provide a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;
     (b) if the allegation is made under any of subparagraphs (1)(b)(i) to (iii), serve a notice of the allegation on the first person;
     (c) if the allegation is made under subparagraph (1)(b)(iv),
         (i) serve on the first person a notice of the allegation relating to the submission filed under subsection (1) at the time that the person files the submission or at any time thereafter, and
         (ii) include in the notice of allegation a description of the dosage form, strength and route of administration of the drug in respect of which the submission has been filed; and
     (d) serve proof of service of the information referred to in paragraph (b) or (c) on the Minister.

     Right of Action

6. (1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

[...]

(6) For the purposes of an application referred to in subsection (1), where a second person has made an allegation under subparagraph 5(1)(b)(iv) in respect of a patent and where that patent was granted for the medicine itself when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents, it shall be considered that the drug proposed to be produced by the second person is, in the absence of proof to the contrary, prepared or produced by those methods or processes.

[...]

     Liste de brevets

[...]

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et souhaite en faire la comparaison, ou faire renvoi, à une autre drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue:

[...]

     b) soit une déclaration portant que, selon le cas:
     (i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,
     (ii) le brevet est expiré,
     (iii) le brevet n'est pas valide,
     (iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

[...]

(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée à l'alinéa (1)b) ou au paragraphe (2), elle doit:

     a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;
     b) si l'allégation est faite aux termes de l'un des sous-alinéas (1)b)(i) à (iii), signifier un avis de l'allégation à la première personne;
     c) si l'allégation est faite aux termes du sous-alinéa (1)b)(iv):
     (i) signifier à la première personne un avis d'allégation relative à la demande déposée selon le paragraphe (1), au moment où elle dépose la demande ou par la suite,
     (ii) insérer dans l'avis d'allégation une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande;
     d) signifier au ministre une preuve de la signification effectuée conformément aux alinéas b) ou c).

     Droits d'action

6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.

[...]

(6) Aux fins de la demande visée au paragraphe (1), lorsque la seconde personne a fait une allégation aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(iv) à l'égard d'un brevet et que ce brevet a été accordé pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, la drogue que la seconde personne projette de produire est, en l'absence d'une preuve contraire, réputée préparée ou produite selon ces modes ou procédés.

[...]

[12]      Le premier argument de Merck confond, à mon avis, la communication de la preuve et le dépôt de la preuve. En effet, l"ordonnance du juge des requêtes ne fait que permettre à Apotex de communiquer son procédé à Merck maintenant qu"une ordonnance de confidentialité est en place. Elle place les parties exactement dans la même position que si elles s"étaient entendues sur la question de la confidentialité avant la présentation de la requête de Merck. La communication vient simplement compléter l"avis d"allégation que le fabricant de médicaments génériques est tenu, selon le paragraphe 5(3), de signifier au fabricant et qui doit contenir, aux termes de l"alinéa 5(3)a ), " un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle [l"allégation] se fonde ". Il n"était évidemment pas question pour Apotex d"inclure son procédé dans l"avis sans obtenir au préalable une ordonnance de confidentialité. Une fois l"ordonnance de confidentialité obtenue, le procédé est communiqué à titre de partie de l"avis et, aucune règle n"exigeant que l"avis soit appuyé par un affidavit, je ne vois pas pourquoi il faudrait un affidavit pour étayer la communication du procédé.

[13]      Cela ne revient pas à dire, évidemment, que le procédé a été déposé dans la procédure engagée par Merck en vertu du paragraphe 6(1). Il a, pour le moment, été simplement communiqué. La communication ainsi faite, Merck peut soit convenir que son objection est mal fondée et retirer sa requête, soit, si elle choisit de poursuivre sa requête, compléter sa preuve par affidavits. Répétons que Merck, en qualité de requérante dans la procédure introduite en vertu du paragraphe 6(1), a la charge initiale de présentation de la preuve. Si le procédé lui avait été communiqué dès le début, Merck aurait eu la possibilité de déposer une preuve par affidavit en ayant la connaissance effective du procédé. Cette possibilité lui est maintenant redonnée, avec un délai de 45 jours, soit exactement le délai qu"elle aurait eu si le procédé d"Apotex lui avait été communiqué à titre de partie de l"avis d"allégation.

[14]      Selon le second argument de Merck, l"ordonnance de fixation de l"échéancier [TRADUCTION] " annulera pour une bonne part l"effet de la présomption introduite par le législateur au par. 6(6), puisqu"il est prévu que Merck déposera des affidavits analysant le procédé d"Apotex " (mémoire des faits et du droit de l"appelante, par. 58, à la p. 19). Selon l"avocat, au par. 59,

         [TRADUCTION] Apotex en sort avec un avantage procédural marqué :         
         (i)      il semblerait qu"Apotex peut s"appuyer sur tous les détails concernant son procédé déposés en Cour par Merck dans les affidavits ultérieurs, pour tenter de repousser la présomption;         
         (ii)      Apotex peut se soustraire au contre-interrogatoire en ne produisant pas cette information comme preuve sous forme d"affidavit;         
         (iii)      au lieu de présenter à la Cour une preuve complète pour repousser la présomption, Apotex peut modeler soigneusement ses affidavits de réponse pour ne considérer que certains points soulevés par Merck et, de cette façon, soustraire encore de nombreux points au contre-interrogatoire.         

[15]      Cet " avantage procédural marqué " repose sur la possibilité qu"Apotex décide de ne pas déposer son procédé, privant ainsi Merck de la possibilité de contre-interroger Apotex à son sujet. Il repose également sur la croyance qu"Apotex, du fait de la charge qu"elle a, devrait ouvrir son jeu la première ou que, si c"était Merck qui devait ouvrir son jeu la première, elle devrait avoir un droit de réplique. Puisque les nouvelles Règles de la Cour fédérale (qui sont entrées en vigueur le 25 avril 1998) ne lui permettent de déposer des affidavits complémentaires ou un dossier complémentaire qu"" avec l"autorisation de la Cour " (règle 312), le requérant risque de ne pas avoir la possibilité de répliquer à la preuve par affidavit de l"intimé. Ce risque n"existait pas sous les anciennes Règles qui permettaient au requérant de déposer un dossier complémentaire dans un délai de dix jours à compter de la signification du dossier de l"intimé (règle 1608).

[16]      Avec égards, je ne puis partager la vision apocalyptique de l"avocat de Merck quant aux répercussions de l"ordonnance attaquée sur les droits de Merck.

[17]      D"abord, Merck pourrait avoir décidé de ne pas compléter son dossier avec des affidavits complémentaires. Deuxièmement, quoi que décide de faire Merck, le procédé d"Apotex ne peut faire partie de la preuve que si Apotex décide de le déposer dans le cadre de son dossier de requête, donnant ainsi ouverture au contre-interrogatoire des auteurs des affidavits; dans l"hypothèse fort peu probable où Apotex déciderait de ne pas déposer son procédé dans son dossier de requête, on peut penser qu"elle aurait du mal à convaincre la Cour qu"elle a repoussé la présomption en faveur de Merck. Troisièmement, si le contre-interrogatoire de l"auteur d"un des affidavits déposés par Apotex révèle quelque nouvelle information pertinente, il est très peu probable qu"un juge refuse une requête présentée par Merck en vertu de la nouvelle règle 312 en vue d"obtenir l"autorisation de présenter un dossier complémentaire. Il ne faut pas penser que les procédures dans le cadre du Règlement permettent de jouer au chat et à la souris. Quatrièmement, l"introduction de la présomption dans le Règlement (quelles qu"en soient les conséquences réelles sur la procédure, question que je n"ai pas à aborder ici) ne modifie en rien le déroulement de la procédure prévu par les Règles de la Cour : c"est au terme de la procédure, une fois que toute la preuve a été réunie, que le juge décidera si la présomption a été repoussée ou non. Cinquièmement, la présomption s"applique que l"information soit confidentielle ou non et, dans le cas où elle est confidentielle, que la confidentialité ait été convenue entre les parties ou ordonnée par la Cour.

[18]      Je suis d"avis de rejeter l"appel avec dépens.

         Robert Décary

     J.C.A.

Je souscris aux motifs rédigés par le juge Décary.

     Pierre Denault, J.C.A.

Je souscris aux motifs rédigés par le juge Décary.

     Gilles Létourneau, J.C.A.

Traduction certifiée conforme

_______________________

C. Bélanger, LL.L.

     COUR D"APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N DU GREFFE :              A-223-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Merck Frosst Canada Inc. et al.

                     c. Ministre de la Santé et al.

LIEU DE L"AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 26 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PRONONCÉS PAR LE JUGE DÉCARY, J.C.A., AUXQUELS ONT SOUSCRIT LE JUGE DENAULT, J.C.A. ET LE JUGE LÉTOURNEAU, J.C.A.

DATE DU JUGEMENT :          le 2 juillet 1998

ONT COMPARU :

N. Landry                   POUR L"APPELANTE

J. Robinson

L. Cresthol

H. Radomski                  POUR APOTEX INC.
D. Scriemger                 
F. Couto                  POUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault              POUR L"APPELANTE

Montréal (Québec)

Goodman, Phillips & Vineberg          POUR APOTEX INC.

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg             
Sous-procureur général du Canada          POUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ

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