Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020724

 

Dossier : A-669-00

 

Référence neutre : 2002 CAF 293

 

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                                            MAGDA SELMECI

 

                                                                                                                                      demanderesse

 

                                                                             et

 

                                                       SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                       défenderesse

 

 

                               Audience tenue à Toronto (Ontario), le mardi 18 juin 2002

 

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2002

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE MALONE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE LINDEN

                                                                                                                             LE JUGE EVANS


Date : 20020724

 

Dossier : A-669-00

 

Référence neutre : 2002 CAF 293

 

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                                            MAGDA SELMECI

 

                                                                                                                                      demanderesse

 

                                                                             et

 

                                                       SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                       défenderesse

 

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE MALONE

 

Introduction

 

[1]               La principale question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire a trait à une allégation de la contribuable Magda Selmeci selon laquelle le juge de la Cour de l’impôt a à tort exclu des éléments de preuve documentaire au motif qu’il s’agissait de ouï‑dire. L’audience a été tenue selon la procédure informelle. Le paragraphe 18.15(4) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, prévoit :

 


 

18.15(4) Par dérogation à la loi habilitante, la Cour n'est pas liée par les règles de preuve lors de l'audition d'un appel interjeté en vertu de cette loi et visé à l'article 18; ces appels sont entendus d'une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

18.15(4) Notwithstanding the provisions of the Act out of which an appeal arises, the Court, in hearing an appeal referred to in section 18, is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting a hearing for the purposes of that Act, and all appeals referred to in section 18 shall be dealt with by the Court as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness permit.  [Emphasis added]

 

 

[2]               Dans son jugement en date du 21 septembre 2000, dont les motifs sont répertoriés sous [2000] A.C.I. no 819, monsieur le juge Gordon Teskey, juge de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt), a rejeté l’appel de la demanderesse au sujet d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997. Mme Selmeci, une comptable, n’était pas représentée par un avocat devant la Cour de l’impôt. 

 

Questions

[3]               Le moyen principal à l’appui de la demande de contrôle de la demanderesse est que le paragraphe précité de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt empêche le juge de la Cour de l’impôt d’exclure, lors d’un appel, des éléments de preuve documentaire au motif qu’ils seraient à première vue inadmissibles selon les règles de preuve, plus précisément en vertu de la règle de l’irrecevabilité des ouï‑dire. La demanderesse s’est également plainte de la procédure adoptée par le juge de la Cour de l’impôt pour s’assurer que les documents « importants » lui avaient été présentés. Une autre plainte a trait à une mention dans les motifs du jugement du principe de l’irrecevabilité.


Question 1 : L’exclusion du oui‑dire

[4]               Rien dans le libellé du paragraphe 18.15(4) n’oblige l’admission d’éléments de preuve qui seraient inadmissibles selon le droit de la preuve. Comme le juge Rothstein l’a fait remarquer dans l’arrêt Erdman c. Sa Majesté la Reine, [2002] CAF 240, la possibilité qu’a le contribuable d’opter pour la procédure informelle ne signifie pas qu’aucune règle de la preuve ne s’applique à l’audition de l’appel. L’expression « n’est pas liée par » est simplement de nature facultative et confère au juge de la Cour de l’impôt le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte des règles de la preuve lorsqu’un appel est entendu selon la procédure informelle afin qu’il entende l’appel d’une manière aussi informelle et rapide que les circonstances et l’équité le permettent.

 

[5]               Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon à ce que la partie au litige ait la pleine possibilité de plaider sa cause et de répondre aux arguments invoqués contre elle et, dans le but d’aider les parties qui ne sont pas représentées par un avocat, de façon à ce que le juge ne contrevienne pas à son obligation de neutralité envers les parties (voir Poulton c. R., [2002] A.C.I. no 81, aux paragraphes 17 et suivants).

 


[6]               La règle du ouï‑dire a une importance particulière dans notre système juridique et les problèmes créés par le ouï‑dire, que ce soit en matière criminelle ou en matière civile, sont constamment examinés (voir, par exemple, R. c. B (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, à la page 763; R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, à la page 228, au paragraphe 159). On rencontre entre autres comme problèmes l’absence de serment ou d’affirmation solennelle, l’incapacité du juge des faits d’apprécier le comportement et la crédibilité du déclarant ou l’exactitude de la soi-disant déclaration et l’absence de contre-interrogatoire par la partie adverse au moment où la déclaration est faite. La principale raison justifiant l’exclusion des documents assimilables à du ouï‑dire est que la fiabilité de la déclaration du témoin ne peut être adéquatement testée. Ainsi, dans les arrêts R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, et R. c. Smith, [1990] 2 R.C.S. 915, la Cour suprême a statué qu’un juge du procès peut, en vertu d’une des exceptions à la règle d’exclusion du ouï‑dire, s’il est convaincu qu’un élément de preuve est à la fois nécessaire et fiable, admettre cet élément de preuve même s’il s’agit d’un ouï‑dire et même s’il est inadmissible.

 


[7]               Une des difficultés rencontrées par la partie qui répond à un élément de preuve qui lui est défavorable est que la procédure informelle prévue aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt n’oblige pas les parties à dévoiler leur preuve documentaire avant le procès conformément à la procédure habituelle de communication des documents. Dans un procès tenu selon la procédure informelle, une partie peut essayer d’introduire une déclaration écrite d’une personne qui n’est pas présente devant la Cour. La partie adverse, qui est pour la première fois en présence de ce document, est alors privée de son droit d’en contre‑interroger l’auteur et, s’il n’y a pas un ajournement, peut se voir nier la possibilité de présenter adéquatement une preuve indépendante pour réfuter la déclaration, l’expliquer ou la remettre en contexte. Par conséquent, l’abolition totale de la règle du ouï‑dire dans un procès se déroulant selon la procédure informelle pourrait mener à des injustices graves, puisque toute conclusion du juge de la Cour de l’impôt quant à la fiabilité ou la valeur de la déclaration dans de telles circonstances serait fondée sur des hypothèses, puisque la déclaration n’aurait pas été vérifiée.

 

[8]               Le juge de la Cour de l’impôt ne peut cependant pas rejeter des éléments de preuve simplement parce qu’il s’agit de ouï‑dire et qu’ils ne seraient pas admissibles en vertu d’une des « exceptions », dont celle mentionnée dans l’arrêt Khan, précité. Selon le paragraphe 18.15(4), le juge de la Cour de l’impôt a toutefois un pouvoir discrétionnaire élargi et peut admettre un élément de preuve qui constitue du ouï‑dire même s’il n’était pas, par exemple, suffisamment nécessaire pour satisfaire au critère énoncé à l’arrêt Khan, précité, mais s’il était malgré tout pertinent et fiable. Le juge Sharlow a récemment fait remarquer dans l’arrêt Suchon c. La Reine, 2002 CAF 282, au paragraphe 32, que :

Cela ne veut pas dire qu’un juge de la Cour de l’impôt, procédant suivant la procédure informelle, soit tenu d’accepter toute la preuve qui est présentée. Rien de tel n’est exigé. Cependant, ce serait une erreur de la part d’un juge de la Cour de l’impôt, dans le cadre de cette procédure, de rejeter un élément de preuve pour des motifs techniques sans examiner si, malgré les règles de preuve ordinaires ou les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, cet élément est suffisamment fiable et probant pour justifier son admission. En examinant cette question, le juge de la Cour de l’impôt devrait tenir compte d’un certain nombre de facteurs, y compris la somme en jeu dans l’affaire et le coût probable pour les parties de l’obtention d’une preuve plus formelle des faits.

 

 

Ce pouvoir discrétionnaire vise avant tout à favoriser un procès équitable et rapide.

 


[9]               En édictant le paragraphe 18.15(4), le législateur n’avait pas l’intention de proscrire les règles de preuve habituelles lorsqu’un procès se déroule suivant la procédure informelle. Au contraire, la disposition avait pour but de conférer aux juges de la Cour de l’impôt la flexibilité nécessaire pour qu’ils puissent entendre les appels d’une manière aussi informelle et rapide que les circonstances et l’équité le permettent (voir, par exemple, Ainsley c. Canada, [1997] A.C.F. no 701). Les juges sont cependant en droit de refuser l’admission d’un élément de preuve qui constitue du ouï‑dire s’ils sont d’avis que cette admission ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de la loi énoncés au paragraphe 18.15(4).

 

[10]           À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne les documents que Mme Selmeci dit maintenant avoir voulu présenter en preuve. Premièrement, il ne ressort pas clairement de la transcription que le juge de la Cour de l’impôt a réellement refusé d’admettre des documents de la demanderesse. Son avocat est d’accord que le juge n’a pas expressément exclu les documents, mais dit que Mme Selmeci a compris qu’il ne les admettrait pas parce qu’il s’agissait de ouï‑dire. Je ne puis tirer cette inférence de la transcription. Le juge de la Cour de l’impôt a plutôt semblé avoir des doutes seulement quant à la pertinence et à la fiabilité des documents; selon les arrêts Khan et Smith, précités, il s’agit là des considérations les plus importantes dont doit tenir compte le juge lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’admettre un élément de preuve qui constitue du ouï‑dire. Deuxièmement, même s’il avait refusé d’admettre ces éléments de preuve, il aurait été en droit de le faire en vertu de son pouvoir discrétionnaire en matière de ouï‑dire et je ne suis pas convaincu que le juge ait commis, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, une erreur susceptible de justifier l’intervention de la Cour.

 


Question 2: L’exclusion de documents « importants »

[11]           La demanderesse soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur susceptible de contrôle quand il lui a indiqué qu’elle ne pourrait présenter en preuve aucun document auquel se serait opposé l’avocat de la défenderesse.

 

[12]           Je suis d’avis que le dossier ne révèle pas une telle erreur. La transcription de l’audience indique que le juge de la Cour de l’impôt a accordé un ajournement afin que les parties puissent discuter de quels documents feraient l’objet d’une opposition par la défenderesse. Le but de l’ajournement était de rendre plus efficace l’introduction des éléments de preuve importants. La transcription indique de plus que le juge de la Cour de l’impôt a très bien expliqué son rôle à la demanderesse et lui a fait remarquer, à plusieurs reprises, qu’elle avait la responsabilité de produire devant lui les documents importants pour son appel et qu’il déciderait alors de leur admissibilité. À aucun moment il n’a laissé entendre qu’il limiterait la preuve de la demanderesse autrement que par une décision sur leur admissibilité. L’omission de la demanderesse de présenter des éléments de preuve revêtant une importance pour sa cause ne peut être lié à aucune décision du juge de la Cour de l’impôt. J’estime donc qu’à cet égard, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle.

 

Question 3: L’irrecevabilité


[13]           L’avocat de la demanderesse prétend que le juge de la Cour de l’impôt a excédé sa compétence en mentionnant le principe de l’irrecevabilité comme fondement pour conclure que Mme Selmeci détenait une participation dans la société en commandite Glen Villas Associates. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que le principe de l’irrecevabilité empêchait la demanderesse de nier qu’elle était la propriétaire de la participation parce que, les années précédentes, elle avait déclaré au ministre qu’elle en était propriétaire. L’avocat a soutenu que, puisque le ministre ne s’est pas servi des déclarations de la demanderesse contre celle‑ci, le principe de l’irrecevabilité ne s’applique pas.

 


[14]           À mon avis, la mention de l’irrecevabilité par le juge doit être remise en contexte et constitue, tout au plus, une erreur peu importante. Il a fondé sa conclusion de fait suivant laquelle la demanderesse était une commanditaire de Glen Villas Associates en 1997 sur l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée au sujet de la propriété de la participation. Par exemple, dans ses déclarations de revenus de 1991 à 1993, la demanderesse avait déclaré les pertes de la société sur le fondement qu’elle était une commanditaire de la société. Dans la présente instance, elle n’a pas allégué que ces déclarations étaient fausses. De plus, un bon nombre de photocopies de documents, émanant de la société, désignant la demanderesse comme étant propriétaire de la participation ont été produites en preuve. Le juge de la Cour de l’impôt les a cependant examinées avec un certain scepticisme, d’autant plus que la demanderesse n’a pas appelé son mari, qui était présent à l’audience, pour corroborer les éléments de preuve qu’elle a présentés et pour authentifier ce qu’elle prétendait être un certificat de participation dans une société en commandite. Ainsi, le juge de la Cour de l’impôt a fondé sa décision sur son appréciation des documents dont il a été saisi, en ayant à l’esprit, en ce qui concerne la propriété de la participation, la question de la crédibilité et non de l’irrecevabilité.

 

Conclusion et dispositif

[15]           Pour ces motifs, je suis convaincu que le juge de la Cour de l’impôt n’a commis, dans sa décision sur la demande de la demanderesse, aucune erreur en matière de procédure ou de preuve qui soit susceptible de justifier l’intervention de la Cour.

 

[16]           Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

« B. Malone »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden »

 

« Je souscris aux présents motifs

John M. Evans »

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D’APPEL

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-669-00

 

INTITULÉ :                                                  Magda Selmeci c. Sa Majesté la Reine

                                                     

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         le 18 juin 2002

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       le juge Malone

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   le juge Linden

le juge Evans

 

DATE DES MOTIFS :                                 le 24 juillet 2002

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Thomas McRae                                          POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Daniel Bourgeois                                       POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Thomas McRae                                          POUR LA DEMANDERESSE

Shibley Righton s.r.l.

250, avenue University, bureau 700

Toronto (Ont.) M5H 3E5

 

M. Morris Rosenberg                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 


Date : 20020724

 

Dossier : A-669-00

 

 

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2002

 

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                    MAGDA SELMECI

 

                                                                                      demanderesse

 

                                                  - et -

 

                               SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                       défenderesse

 

 

 

                                           JUGEMENT

 

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« A.M. Linden »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.