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Date : 19980501


Dossier : A-615-97

Ottawa (Ontario), le vendredi 1er mai 1998.

CORAM:      LE JUGE STONE

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

     TAM THANH CHU,

     Appelant,

     (Requérant en première instance),

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Intimé,

     (Intimé en première instance).

     JUGEMENT

     L'appel est rejeté.

     "A.J. Stone"

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 19980501


Dossier : A-615-97

CORAM:      LE JUGE STONE

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

     TAM THANH CHU,

     Appelant,

     (Requérant en première instance),

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Intimé,

     (Intimé en première instance).

Audition tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le mercredi 25 février 1998.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le vendredi 1er mai 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STONE

     LE JUGE ROBERTSON


Date : 19980501


Dossier : A-615-97

CORAM:      LE JUGE STONE

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

     TAM THANH CHU,

     Appelant,

     (Requérant en première instance),

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Intimé,

     (Intimé en première instance).

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]      L'appel porte sur la question suivante qui a été certifiée par madame le juge Reed en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration1 (la Loi):

                 L"examen par le décideur de la preuve documentaire concernant des renseignements au sujet du pays en cause, laquelle n"a pas expressément été identifiée ou dont une copie n"a pas été fournie au réfugié au sens de la Convention faisant l"objet de l"opinion selon laquelle il constitue "un danger pour le public" conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration, viole-t-il les principes de justice naturelle, d"équité procédurale ou de justice fondamentale?                 

Cette question est celle que le juge Reed a certifiée dans la décision connexe Hoang Van Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, exposant les motifs visés par le présent appel. En conséquence, l'expression " les motifs " du juge des requêtes renvoie à ses motifs dans l'affaire Hoang Van Chu . L'appel dans le dossier Hoang Van Chu (A-614-97) n'est pas prêt à être entendu.

[2]      Pour plus de commodité, je reproduis ci-dessous le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration3:

                 70. (5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :                 
                      a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
                      b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
                      c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.                 

[3]      L'appelant est né au Viêt-nam en 1971. Il a vécu quatre ans dans des camps de réfugiés à Hong Kong et aux Philippines après s'être enfui du Viêt-nam et il est arrivé au Canada en 1992. Il a obtenu le statut de résident permanent du Canada dans la catégorie 1 des réfugiés au sens de la Convention (sélection à l'étranger) au moment de son arrivée.

[4]      Le 30 mars 1993, l'appelant a été déclaré coupable de vol de plus de 1 000 $; il a été absous sous condition et assujetti à une période de probation d'un an. Le 8 mars 1994, il a été déclaré coupable de complot en vue de commettre l'acte criminel consistant à faire le trafic d'un stupéfiant (héroïne) et de possession d'un stupéfiant (héroïne) en vue d'en faire le trafic. Il a été condamné à des peines concurrentes de 7" ans d'emprisonnement pour chaque chef d'accusation.

[5]      Le 5 avril 1994, l'appelant a été déclaré coupable d'autres infractions criminelles de même nature et il a été condamné à des peines concurrentes de deux ans et de quatre ans d'emprisonnement. .

[6]      Le 25 septembre 1995, l'appelant qui purgeait sa peine à l'établissement William Head, sur l'île de Vancouver, a reçu un avis du Centre d'Immigration Canada à Victoria (C.-B.), concernant la " délivrance possible d'un avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration , selon lequel vous constituez un danger pour le public au Canada ". Voici cet avis :

                 [Traduction] Soyez avisé que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration possède des éléments de preuve qui laissent croire que vous constituez un danger pour le public au Canada. En conséquence, le ministre examinera l'opportunité de délivrer un avis, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, portant que vous constituez un danger pour le public au Canada dans l'éventualité où une mesure de renvoi serait prise contre vous par un arbitre en raison de vos activités criminelles graves. Le ministre prendra en compte des éléments de preuve concernant à la fois le danger que vous constituez pour le public et des considérations d'équité (d'ordre humanitaire), ces éléments consistants en des copies des documents suivants :                 
                 " Faits saillants du rapport prévu par l'article 27                 
                 " Certificat de déclaration de culpabilité                 
                 " Fiche relative au droit d'établissement                 
                 " Rapport sur l'avis du ministre                 
                 Lettre relative à la citoyenneté                 
                 * Mandat de dépôt                 
                 * Rapport des services correctionnels                 
                 Si une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel est prise contre vous lors de l'enquête, la délivrance d'un avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5) vous privera de votre droit d'interjeter appel de cette mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel devant la section d'appel de l'immigration.                 
                 Vous avez la possibilité d'exprimer votre point de vue concernant les éléments de preuve susmentionnés en transmettant, à l'adresse indiquée ci-dessus, des observations, renseignements ou éléments de preuve relatifs aux questions de savoir si vous constituez un danger pour le public au Canada et si des motifs d'ordre humanitaire qui vous sont favorables font contrepoids au danger que vous pourriez représenter.                 
                 Si nous recevons des observations de votre part ou de celle de votre avocat dans les 15 jours suivant la date à laquelle vous recevrez la présente lettre, le ministre ou son délégué les prendront en compte pour déterminer si un avis sera délivré.                 
                 SI NOUS NE RECEVONS PAS D'OBSERVATIONS, DE RENSEIGNEMENTS NI D'ÉLÉMENTS DE PREUVE DE VOTRE PART DANS LES QUINZE JOURS SUIVANT LA DATE À LAQUELLE VOUS RECEVREZ LA PRÉSENTE LETTRE, LE MINISTRE POURRA DÉLIVRER UN AVIS EN SE FONDANT SUR LES ÉLÉMENTS DE PREUVE DONT IL DISPOSE.                 
                      [Cahier d'appel, aux pages 84 et 85]                 

[7]      Dans une lettre datée du 29 septembre 1995, l'appelant a accusé réception de cet avis et il a informé le Centre d'Immigration Canada qu'il demanderait des conseils juridiques.

[8]      Le 11 et le 16 octobre 1995, l'avocat de l'appelant a déposé des observations par écrit dans lesquelles la mention de facteurs d'ordre humanitaire se limitait à ce qui suit :

                 [Traduction] À l'inverse, M. Chu croit que son renvoi au Viêt-nam bousillerait ses chances. En fait, il a la certitude qu'il se ferait tuer pour s'être enfui du pays. Quoi qu'il en soit, son sort serait précaire.                 
                      [Cahier d'appel, à la page 118]                 

[9]      Le 21 novembre 1995, le Centre d'Immigration Canada lui a envoyé un deuxième avis intitulé cette fois [Traduction] " Avis d'intention de demander au ministre un avis portant que vous constituez un danger pour le public au Canada en vertu du paragraphe 70(5) ainsi que du sous-alinéa 46.01(1)e )(iv) et des alinéas 53(1)a), c) ou d) de la Loi sur l'immigration ". Voici cet avis :

                 [Traduction] Soyez avisé que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) possède des éléments de preuve qui laissent croire que vous êtes une personne qui constitue un danger pour le public au Canada. Nous avons l'intention de demander un avis à cet effet au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Le cas échéant, la délivrance de cet avis aura de graves conséquences pour vous, comme vous l'expliquent les paragraphes qui suivent.                 
                 Si le ministre est d'avis que vous constituez un danger pour le public au Canada en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, vous n'aurez pas le droit d'interjeter appel d'une mesure de renvoi devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et/par application du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi, si vous avez revendiqué ou si vous avez l'intention de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, votre revendication ne sera pas transmise à la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle l'examine/par application des alinéas 53(1)a),c) ou d) de la Loi/, vous pourriez être renvoyé du Canada vers le pays pour lequel le statut de réfugié vous a été reconnu.                 
                 Le ministre examinera la question de savoir si vous constituez un danger pour le public et tout facteur d'ordre humanitaire pertinent à votre situation. À cette fin, il appréciera la menace que vous représentez pour le public au Canada et le risque éventuel que pourrait vous faire subir votre renvoi dans le pays que vous avez quitté pour venir au Canada, votre pays de résidence permanente, le pays dont vous avez la nationalité ou le pays où vous être né. Voici une liste des documents que le ministre pourra prendre en compte :                 
                 *      Rapport sur l'avis du ministre de danger pour le public                 
                 *      Faits saillants du rapport prévu par l'article 27                 
                 *      Certificat de déclaration de culpabilité                 
                 *      Fiche relative au droit d'établissement                 
                 *      Mandat de dépôt                 
                 *      Rapport des services correctionnels                 
                 *      Lettre relative à la citoyenneté                 
                 *                 
                 *                 
                 Veuillez noter que CIC peut se reporter aux renseignements à jour les plus récents concernant le pays en cause accessibles dans les Centres de documentation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il s'agit notamment des Dossiers d'information sur les droits de la personne, de la Documentation sur la situation dans les pays et des Revues de presse indexées, notamment hebdomadaires, traitant du pays ou des pays où vous pourriez être renvoyé. CIC peut aussi utiliser d'autres documents publiés une fois par année et accessibles au public comme les Country Reports on Human Rights Practises du Department of State des États-Unis, la Critique du Lawyers' Committee for Human Rights, les Rapports d'Amnistie internationale, les Rapports des Reporters Sans Frontières, le World Europa et le World Report de Human Rights Watch.                 
                 Avant que le ministre arrête son opinion, vous pouvez présenter par écrit toutes les observations et les prétentions que vous jugerez nécessaires et soumettre tout la preuve documentaire que vous croyez pertinente. Le ministre examinera ces observations, arguments et éléments de preuve à la condition que CIC les reçoivent à l'adresse susmentionnée au plus tard le quinzième jour suivant la date à laquelle vous recevrez la présente lettre. Les éléments de preuve, arguments ou observations que vous présenterez doivent porter sur les questions de savoir si vous constituez un danger pour le public, si des considérations d'ordre humanitaire doivent être prises en compte dans votre dossier ou dans quelle mesure votre vie et votre liberté seront menacées si vous être renvoyé du Canada.                 
                      [Cahier d'appel, aux pages 86 à 88]                 

[10]      Le 27 novembre 1995, l'appelant, qui n'a apparemment pas bénéficié des conseils d'un avocat, a déposé des observations écrites sous la forme d'une lettre d'une page signée de sa main, qui ne fait pas mention de considérations d'ordre humanitaire, et de lettres d'appui signées par différents amis ou diverses personnes en autorité.

[11]      Le 7 mars 1996, un agent de révision embauché par le Groupe de travail sur l'examen des cas de criminels accumulés a examiné à la fois les documents produits par l'appelant et ceux reçus du ministère de la Citoyenneté et de l'immigration, puis il a préparé un rapport de trois pages intitulé :

                          [Traduction]                          
                          RAPPORT RELATIF À L'AVIS MINISTÉRIEL SUR L'EXAMEN DES CAS DE CRIMINELS ACCUMULÉS                 
                          DANGER POUR LE PUBLIC                 
                          PARAGRAPHES 53(1) & 70(5)                 
                          DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION                 
                      [Cahier d'appel, aux pages 67 à 69]                 

[12]      L'agent de révision a notamment pris en compte un document préparé par le Haut Commissaire pour les réfugiés à la demande du ministère concernant le retour des demandeurs d'asile vietnamiens. Le ministère a reçu ce document le 4 mai 1995. (Cahier d'appel, aux pages 76 à 78)

[13]      Le ministère voulait obtenir des renseignements sur la question de savoir si [Traduction] " les demandeurs d'asile déboutés subissent des sanctions à leur retour au Viêt-nam et comment ils sont traités en général ". La réponse fournie par le bureau du Haut Commissaire traitait, dans les paragraphes 1.1 à 1.6, des dispositions du Code pénal vietnamien concernant l'immigration/l'émigration illégale ou les séjours illégaux à l'étranger, ainsi que des peines qui s'y rattachent. Le paragraphe 1.7 contenait en outre les renseignements suivants quant au traitement réservé en général aux demandeurs d'asile vietnamiens déboutés :

                 [Traduction]                 
                 1.7.      Nos six ans d'expérience, au cours desquels nous avons rendu visite à plusieurs milliers de personnes rapatriées dans plus de 300 districts et quartiers partout au Viêt-nam, nous permettent d'affirmer qu'ils sont bien traités en général et qu'ils ne subissent aucune mesure discriminatoire.                 

[14]      Ce document, qui faisait censément partie de la documentation accessible dans les centres de documentation au moment où l'appelant a présenté ses dernières observations le 27 novembre 1995 n'était pas mentionné expressément dans les avis qui lui ont été envoyés et ne lui a pas été fourni.

[15]      Dans un document intitulé [Traduction] " Avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration " et daté du 11 mars 1996, le délégué du ministre a conclu que l'appelant constituait " un danger pour le public au Canada ". (Cahier d'appel, à la page 7).

[16]      Lors de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, l'avocat de l'appelant a fait valoir trois arguments, dont un seul est pertinent à la question certifiée visée par l'appel. Cet argument portait que " le délégué du ministre s'est appuyé sur des documents extrinsèques dans l'évaluation du risque pour le requérant au cas où il serait renvoyé au Viêt-nam - documents qui n'ont pas été fournis au requérant et qui ont, en tout état de cause, été mal interprétés par des agents ministériels. " (Motifs du juge Reed dans le dossier connexe, à la page 1).

[17]      Cet argument a été rejeté par le juge Reed qui a dit ce qui suit dans le dossier connexe :

                      Le 28 février 1996, le requérant a été informé qu'il était possible qu'une décision fondée sur les paragraphes 53(1) et 70(5) soit prise. On lui a donné une liste de documents que le délégué du ministre examinerait comme preuve. Il a été également informé que des sources additionnelles pourraient être examinées dans l'évaluation du risque pour lui s'il était renvoyé au pays duquel il avait obtenu le statut de réfugié. Ces sources ont été décrites dans l'avis donné au requérant comme [TRADUCTION] "Country Reports on Human Rights Practices relatifs à l'année 1994, ainsi que d'autres documents accessibles au public" (non souligné dans l'original). On lui a donné quinze jours pour répondre. Il était incarcéré à l'établissement de Williams Head, dans l'île de Vancouver. Il n'a pas demandé que le délai de quinze jours soit prorogé. Dans la préparation de sa réponse, il a été aidé par le Law Centre de Victoria.                 
                      Dans la décision Nguyen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] ACF No. 697 (Imm-1683-96), le juge Gibson semble s'être trouvé devant une situation factuelle qui ressemble beaucoup à celle qui existe en l'espèce. On s'est appuyé sur des documents relatifs à l'évaluation du risque qui n'avaient pas été mis à la disposition du requérant. Certains des documents semblent identiques à ceux invoqués par l'auteur du rapport relatif à l'avis établi en l'espèce. Toutefois, le juge Gibson a noté que, dans l'affaire dont il était saisi, l'avocat de l'intimé avait reconnu qu'il n'existait aucune preuve que la documentation en question était des "documents accessibles au public".                 
                      L'avocate de l'intimé soutient qu'en l'espèce, la documentation était accessible au public. Cette documentation était et est disponible au Centre de documentation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et elle soutient que cela était largement connu de ceux oeuvrant dans le domaine de l'immigration. L'avocate de l'intimé prétend qu'il existe des décisions qui ont jugé, dans d'autres contextes (p. ex. des décisions relatives à la catégorie des DNRSRC, des décisions de la SSR), que le recours par un décideur à ces documents, sans les inclure particulièrement dans les documents fournis au requérant, ne va pas à l'encontre des principes de la justice naturelle.                 
                      L'avocat du requérant a raison de dire que la teneur de certains des documents décrits ci-dessus semble avoir été citée hors contexte dans le rapport relatif à l'avis. Une partie du document HCR est citée comme si le texte s'appliquait à tous les insoumis vietnamiens qui retournaient, alors que le document dit qu'il peut seulement parler avec certitude de ceux qui sont renvoyés en vertu d'un protocole d'entente entre les États-Unis et le Viêt-nam. Toutefois, il existe, comme dans le cas de la décision quant au danger pour le public, des documents versés au dossier (le document "réponse") qui peuvent étayer la conclusion de risque minimal tirée dans le rapport relatif à l'avis. Encore une fois, comme dans le cas de la décision quant au danger pour le public, on ne sait probablement pas si le rapport relatif à l'avis jouait un rôle dans la décision définitive. Et, en tout état de cause, je ne connais pas le rôle que joue l'évaluation du risque pour le requérant au Viêt-nam dans la décision quant au danger pour le public.                 
                 [...]                 
                      Après avoir examiné tous les arguments des avocats, je ne suis pas persuadée que la présente demande doive être accueillie [...]                 
                      [Motifs, dossier connexe, aux pages 3 à 5]                 

[18]      À l'audition de l'appel, nous avons demandé aux avocats de présenter des observations écrites [Traduction] " sur la question de savoir si le décideur qui exerce les pouvoirs que lui confère le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration est autorisé à prendre en compte des considérations d'ordre humanitaire, y compris le risque que l'appelant soit persécuté dans le pays où il sera renvoyé ".

[19]      Cette question a été portée à l'attention des avocats parce que le libellé du paragraphe 70(5) ne fait pas mention de considérations d'ordre humanitaire. Le juge Reed, dans le dossier connexe, et la Cour, dans l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 212 N.R. 63 à la page 75, sous la plume du juge Strayer (C.A.F.), se sont demandé si les considérations d'ordre humanitaire étaient pertinentes au raisonnement menant à l'avis visé par le paragraphe 70(5).

[20]      Les avocats ont maintenant déposé leurs observations écrites. Celles qui ont été soumises au nom du ministre se sont avérées remarquablement inutiles. Celles qui l'ont été au nom de l'appelant touchent essentiellement la pratique du ministre de prendre en compte le facteur du risque dans le pays vers lequel s'effectue le renvoi en regard de l'objectif de la politique canadienne en matière d'immigration décrit à l'alinéa 3g) de la Loi sur l'immigration, qui est

                 de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l'endroit des personnes déplacées ou persécutées.                 

ainsi qu'en regard du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement) (disposition édictée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi) qui l'autorise

                 [...] à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière.                 

[21]      Je ne comprends pas très bien comment le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 114(2) d'accorder une dispense d'application d'un règlement peut aider une personne visée par un avis exprimé, non pas en vertu d'un règlement, mais en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi. Je ne vois pas non plus clairement quel effet pourrait avoir, le cas échéant, la tradition humanitaire du Canada (alinéa 3g) de la Loi) sur la façon dont le ministre se forme une opinion sur la question de savoir si une personne constitue un danger pour le public au Canada. Comme le précise l'arrêt Williams, à la page 70, le processus établi par le paragraphe 70(5) est distinct de celui prévu par le paragraphe 114(2). .

[22]      Peu importe, le ministre a manifestement jugé commode d'avoir pour pratique de demander des observations relativement aux deux processus en même temps. Il s'agit d'une décision de politique, censément autorisée par l'alinéa 3g) de la Loi, que je ne suis pas disposé à remettre en question en l'espèce : des considérations d'ordre humanitaire ont été prises en compte et l'appelant avait à cet égard aussi le droit de bénéficier du respect des règles de l'équité. On peut toutefois se demander si une personne qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada au sens du paragraphe 70(5) malgré des considérations d'ordre humanitaire peut être considérée comme ayant renoncé à son droit de demander une dispense en vertu du paragraphe 114(2) avant son renvoi.

[23]      Dans un arrêt déposé le même jour que celui-ci (Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, A-75-97), la Cour a examiné les exigences découlant de l'obligation d'agir équitablement dans des circonstances présentant certaines similitudes avec la présente affaire. Cette cause portait sur le processus applicable à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. La question certifiée se lisait comme suit :

                 Un agent d'immigration qui procède à un examen en conformité avec les règles concernant la CDNRSRC contrevient-il au principe d'équité énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shah[4] lorsqu'il ne divulgue pas, avant de trancher l'affaire, les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays?                 

Voici comment la Cour y a répondu :

                 [26] Je répondrais donc à la question conformément aux paragraphes ci-dessous, sans oublier que chaque cas devra être tranché en fonction des faits qui lui sont propres et en tenant pour acquis que les documents visés par une cause donnée sont de la même nature que ceux décrits plus haut :                 
                      a) l'équité n'exige pas que l'agent chargé de la révision des revendications refusées divulgue, avant de trancher l'affaire, les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s'ils étaient accessibles et s'il était possible de les consulter dans les Centres de documentation au moment où le demandeur a présenté ses observations;                 

     b) l'équité exige que l'agent chargé de la révision des revendications refusées divulgue les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s'ils sont devenus accessibles et s'il est devenu possible de les consulter après le dépôt des observations du demandeur, à condition qu'ils soient inédits et importants et qu'ils fassent état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d'avoir une incidence sur sa décision.

[24]      Pour tirer cette conclusion, la Cour a tenu compte des éléments suivants : la nature de la procédure et les règles en vertu desquelles agit le décideur, b) le contexte de la procédure et c) la nature des documents en cause dans la procédure. J'adopterai la même façon de procéder.

     a)      La nature de la procédure et les règles en vertu desquelles agit le décideur

[25]      La nature de la procédure prévue par le paragraphe 70(5) a été décrite comme suit par le juge Strayer dans l'arrêt Williams, à la page 79 :

                 [49] Selon moi, il est juste de présumer que les exigences de " justice naturelle " sont subsumées dans la catégorie générale de l'" équité ", particulièrement en ce qui a trait à une décision administrative comme celle qui nous intéresse. Il est indiscutable que les exigences en matière d'équité varient selon la gravité de la décision qui est prise. À mon sens, comme je l'ai mentionné plus haut, cette décision n'est pas assimilable à une mesure d'expulsion, mais entraîne le retrait du pouvoir discrétionnaire de dispenser M. Williams d'une expulsion légale, ce pouvoir étant plutôt exercé par le ministre par la suite. Cette décision substitue également l'éventualité d'un sursis d'exécution discrétionnaire à un sursis d'origine législative automatique. Le processus décisionnel autorisé par le paragraphe 70(5) n'est pas un processus judiciaire ou quasi-judiciaire qui, par nature, comporte l'application de principes juridiques préexistants à des décisions factuelles précises, mais réside plutôt dans la formulation d'un avis de bonne foi basé sur les probabilités perçues par le ministre au moyen d'un examen des documents pertinents et sur une évaluation de l'acceptabilité du risque probable. Dans de telles circonstances, les exigences en matière d'équité sont minimes et ont sûrement été respectées pour des motifs identiques à ceux que j'ai donnés pour conclure que les exigences de justice fondamentale, le cas échéant, ont été respectées..                 

Il me suffit d'ajouter qu'aucune exigence procédurale n'est imposée par la Loi ni par le Règlement.

     b)      Le contexte de la procédure

[26]      Dans l'affaire Mancia, le processus relatif à la CDNRSRC s'appliquait par nature à des personnes familières avec le processus applicable aux réfugiés qui fait appel à des documents publiés, comme sources de renseignements sur la situation dans un pays. En l'espèce, même si la question certifiée renvoie à un " réfugié au sens de la Convention ", il est évident que l'appelant n'a pas subi le processus habituel applicable aux réfugiés et qu'on ne peut tenir pour acquis qu'il connaissait la pratique qui consiste à faire appel aux renseignements généraux sur un pays accessibles dans les Centres de documentation.

[27]      Toutefois, et peut-être même précisément pour cette raison, l'avis envoyé à l'appelant le 21 novembre lui a expressément souligné que le Centre d'Immigration Canada pourrait consulter les " renseignements à jour les plus récents concernant le pays en cause accessibles dans les Centres de documentation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ". Dans l'affaire Mancia , on a tenu pour acquis que l'appelant, en raison de son expérience passée du processus, connaissait la nature de la preuve qui pouvait être prise en compte mais, en l'espèce, l'appelant en a été informé expressément. Dans les deux cas, l'obligation d'agir équitablement n'exigeait donc pas d'autres mesures que celles qui ont été effectivement prises.

[28]      L'avocat a fait valoir que le délai de quinze jours accordé à l'appelant pour déposer ses observations était trop court dans les circonstances. Ce délai est effectivement court, mais en l'absence de preuve établissant que l'appelant en a demandé la prorogation ou qu'il n'est jamais arrivé qu'une telle prorogation soit accordée, pour des raisons de principe, je ne vois pas comment ce court délai pourrait constituer un manquement à l'obligation d'agir équitablement.

[29]      L'avocat a également laissé entendre que l'appelant avait droit à un traitement particulier parce qu'il n'avait apparemment pas tenté d'obtenir l'assistance d'un avocat après avoir reçu le deuxième avis. À nouveau, en l'absence de preuve établissant qu'il a tenté en vain d'obtenir l'assistance d'un avocat, je ne vois pas en quoi son omission de recourir aux services d'un avocat pourrait porter atteinte à l'équité.

     c) La nature des documents en cause dans la procédure

[30]      Le ministère a reçu le document contesté " celui préparé par le Haut Commissaire pour les réfugiés à la demande du ministère " le 4 mai 1995, environ six mois avant l'avis du 21 novembre 1995. Aucun élément de preuve n'établit qu'il n'était pas accessible dans les Centres de documentation au moment où l'appelant a été dirigé vers ces centres. Il est donc clair que le principe énoncé dans l'arrêt Mancia s'applique.

[31]      En l'espèce, je répondrais à la question certifiée par la négative et je rejetterais l'appel.

     "Robert Décary"

     J.C.A.

" Je souscris à ces motifs,

     A.J. Stone J.C.A. "

" Je souscris à ces motifs,

     J.T. Robertson J.C.A. "

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              A-615-97

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE LE

28 AOÛT 1997 DANS LE DOSSIER IMM-1179-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Tam Thanh Chu
                         c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDITION :              Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDITION :              le mercredi 25 février 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :              le juge Stone
                         le juge Robertson
DATE DES MOTIFS :              le vendredi 1er mai 1998

ONT COMPARU :

Me Peter Golden                  pour l'appelant
Me Leigh Taylor                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Golden

Victoria (Colombie-Britannique)          pour l'appelant

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  pour l'intimé
__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée.

2      Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 135 F.T.R. 206.

3      Cette disposition a été édictée par le paragraphe 13(3) de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration, L.C. 1994-95, ch. 15 et elle est entrée en vigueur le 10 juillet 1995.

4      Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.) conf. (1992), 55 F.T.R. 87.

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