Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010618

Dossier : A-218-00

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 18 JUIN 2001

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE ISAAC

LE JUGE MALONE

ENTRE :

ABEL GARCIA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

                                                                 JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens à l'appelant. La décision de la Commission d'appel des pensions, datée du 29 février 2000, est annulée. La question est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision par une formation différente, au vu du dossier actuel et de toute autre preuve pertinente que les parties pourraient vouloir déposer.

             (Alice Desjardins)             

J.C.A.                    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010618

Dossier : A-218-00

                                                                                               Référence neutre : 2001 CAF 200

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE ISAAC

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                               ABEL GARCIA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                               intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 8 mai 2001.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le lundi 18 juin 2001.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                                LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                                              LE JUGE ISAAC


Date : 20010618

Dossier : A-218-00

Référence neutre : 2001 CAF 200

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE ISAAC

LE JUGE MALONE

ENTRE :

ABEL GARCIA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Commission d'appel des pensions (la Commission), datée du 29 février 2000, qui conclut que le demandeur n'est pas invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (le Régime).


[2]                 Le demandeur conteste la décision de la Commission pour divers motifs, y compris un déni de la justice naturelle, l'équité procédurale, le fait d'avoir agi sans compétence, ainsi que pour la commission d'une erreur de droit. Pour faciliter l'examen, je vais traiter ces questions de façon séquentielle.

[3]                 La Commission n'a pas fourni d'enregistrement de ses audiences, le droit à un tel enregistrement ayant été supprimé par l'abrogation du paragraphe 83(12) du Régime en 1991. Selon l'appelant, cette façon de faire constitue un déni de justice naturelle puisqu'elle permet à la Commission d'éviter un contrôle judiciaire valable. Il cite la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, pour soutenir qu'une transcription des audiences devant la Commission est nécessaire car la Cour ne peut, en l'absence de cette transcription, déterminer si l'appelant a démontré qu'il existe des motifs de révision.

[4]                 Toutefois, un examen attentif de l'arrêt S.C.F.P., section locale 301, fait ressortir qu'en l'absence d'un droit à un enregistrement reconnu par la loi, la Cour saisie du contrôle doit déterminer si le dossier dont elle dispose lui permet de statuer convenablement sur la demande d'appel ou de révision. La Cour suprême a déclaré notamment que lorsque des affidavits sont déposés afin de démontrer les faits qui sous-tendent les questions à examiner, la partie adverse doit fournir certains éléments de preuve permettant de rejeter ces affidavits ou de ne pas en tenir compte.


[5]                 En l'instance, l'intimé a déposé l'affidavit de Kathia Bustros, l'avocate du ministre à l'audience. L'appelant n'a pas demandé à contre-interroger Mme Bustros, dont l'affidavit décrit la conduite de l'audience. L'appelant n'a pas non plus inclus dans son propre affidavit une description de la preuve qui aurait été rejetée par la Commission ou dont elle n'aurait pas tenu compte. Dans ces circonstances, je conclus que la preuve par affidavit qui vient s'ajouter à la demande de contrôle judiciaire constitue un dossier qui permet à notre Cour d'examiner les conclusions de fait afin de déterminer si un des motifs de révision est fondé.

[6]                 L'appelant suggère ensuite que la Commission n'a pas observé un principe d'équité procédurale, en ne lui expliquant pas de façon adéquate certaines des décisions en matière de preuve qu'elle a rendues lors de son témoignage. Ceci ressort notamment du fait que l'appelant se représentait lui-même et qu'il était handicapé parce que peu scolarisé et n'ayant pas une connaissance solide de la langue anglaise.


[7]                 Toutefois, l'appelant n'a pas indiqué quelle preuve, s'il en est, avait été mise de côté par la Commission au cours de l'audience, non plus que pourquoi cette preuve aurait été pertinente. L'appelant déclare qu'on a entendu des requêtes et que des directives ont été données, suite à quoi des décisions ont été prises; toutefois, ces requêtes, directives et décisions ne sont aucunement décrites. En l'absence d'une telle description, notre Cour ne peut examiner ce motif d'appel. De toute façon, la preuve par affidavit de Mme Bustros démontre que la Commission a pris soin d'expliquer ses actions à l'appelant ainsi que la procédure de l'audience. Mon analyse démontre que la Commission n'a pas enfreint le principe de l'équité procédurale.

[8]                 L'appelant soutient aussi que la Commission d'appel des pensions a agi sans compétence en conduisant l'audience en anglais sans lui offrir les services d'un interprète. Il cite l'arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, pour appuyer son point de vue que le droit d'un défendeur à un procès équitable comprend le droit de comprendre ce qui se passe au prétoire ainsi que celui d'être compris. Des aspects de ce droit sont enchâssés dans les articles 7 et 14 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'appelant soutient que l'obligation de poser des questions au sujet du droit à l'assistance d'un interprète prévu à l'article 14 a été consacrée par l'arrêt R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, qui établit qu'on doit chercher à savoir s'il se peut que la personne n'ait pas compris une partie des procédures en raison des difficultés qu'elle éprouve avec la langue du prétoire.


[9]                 Dans son affidavit, l'appelant déclare que la Commission ne l'a jamais informé de son droit à l'assistance d'un interprète. La Commission n'a pas non plus déclaré dans ses motifs qu'il avait renoncé à ce droit. Il soutient qu'il n'y a jamais eu de renonciation claire à son droit à l'assistance d'un interprète, au sens de l'arrêt Tran. Par conséquent, l'appelant soutient que la Commission n'a pas respecté son obligation de s'assurer au début de l'audience qu'il était tout à fait à l'aise en anglais.

[10]            Dans l'arrêt Tran, la Cour suprême a pris soin de préciser qu'elle ne traitait que des procédures criminelles, notant qu'elle ne se prononçait pas sur la possibilité qu'il soit nécessaire d'établir des règles différentes pour d'autres situations tombant sous le coup de l'article 14, notamment dans les procédures de nature civile ou administrative. La Cour a fait remarquer qu'un juge devrait désigner un interprète lorsqu'il devient évident que l'accusé a de la difficulté à s'exprimer ou à comprendre les procédures, ou lorsque l'accusé ou son avocat requiert les services d'un interprète et que le juge est d'avis que cette requête est justifiée. Elle a aussi clairement précisé que les tribunaux n'étaient pas tenus d'informer systématiquement les accusés de l'existence du droit à un interprète ou d'examiner la capacité de tout accusé de comprendre la langue des procédures (Ibid., aux p. 980 et 981).


[11]            Le dossier présenté à la Cour fait ressortir le fait que l'appelant a utilisé l'anglais à chacune des étapes préparatoires à l'audition devant la Commission, sans jamais faire état de difficultés linguistiques. L'appelant a été en mesure d'obtenir gain de cause lorsqu'il a présenté son affaire devant le tribunal de révision, et ce sans l'assistance d'un interprète. Il n'a jamais demandé l'assistance d'un interprète à l'audience de la Commission et il n'est pas clair qu'il en avait besoin. En fait, l'appelant n'indique nulle part dans son affidavit qu'il n'aurait pas compris les procédures. Par conséquent, je conclus qu'il n'existe pas de base sur laquelle je pourrais décider que la Commission a agi sans compétence.

[12]            La dernière prétention de l'appelant fait état de ce qu'il considère être une erreur de droit. Cette erreur de droit aurait été commise par la Commission lorsqu'elle a implicitement imposé comme condition à l'octroi d'une pension d'invalidité l'obligation de se soumettre à toutes les interventions médicales et possibilités de guérison. L'appelant déclare que le Régime n'impose aucune obligation explicite à un demandeur de se soumettre à toutes sortes de traitements médicaux. Il cite aussi la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519 (à la p. 554), pour déclarer que chaque Canadien a le droit de prendre des décisions concernant les soins de santé à sa propre personne.

[13]            Dans ses motifs, la Commission a cité un rapport du Dr J.R. Havens, un médecin généraliste. Le Dr Havens avait été chargé d'évaluer l'appelant par la British Columbia Worker's Compensation Board (BCWCB). La Commission a noté que le Dr Havens, sur le témoignage duquel le tribunal de révision s'est appuyé, avait recommandé qu'on procède à des tentatives de donner une nouvelle formation à l'appelant s'il ne retrouvait pas l'usage de sa main droite.


[14]            La Commission a ensuite souligné un passage d'un rapport du Dr J.G. Munro, un conseiller en prestations d'invalidité auprès de la BCWCB. Dans ce passage, le Dr Munro se posait la question de savoir si les réticences de l'appelant lorsqu'il s'agissait de travailler activement à la réhabilitation de son pouce blessé, qui étaient probablement causées par la douleur, n'avaient pas grandement contribué au problème. La Commission a aussi cité un rapport subséquent du Dr Havens, dans lequel celui-ci faisait état des réticences de la part de l'appelant à travailler de façon dynamique avec les physiothérapeutes, ainsi que d'adopter d'autres mesures que les médecins et les thérapeutes avaient recommandées pour qu'il puisse retourner à la vie active.

[15]            La Commission a ensuite cité le témoignage du Dr Wayne Howell, convoqué comme témoin par le ministre pour réexaminer les rapports médicaux. Le Dr Howell s'est rangé à l'avis du Dr Havens que l'appelant avait une invalidité importante par suite des problèmes avec sa main et son épaule, mais qu'il y avait d'autres fonctions dont il pouvait se décharger. La Commission a noté que la BCWCB avait accordé une compensation à l'appelant par suite de son invalidité partielle. La Commission a ensuite conclu que l'invalidité du demandeur était limitée, bien que durable, et donc qu'elle n'était pas grave au sens du Régime. La Commission a infirmé la décision du tribunal de révision et elle a refusé d'accorder une pension d'invalidité à l'appelant.


[16]            Les motifs de la Commission ne permettent pas de déterminer jusqu'à quel point elle peut avoir imposé à l'appelant une obligation de se soumettre à tous les traitements ou thérapies possibles. Sans prendre de décision à ce sujet et sans conclure quant à la question de savoir si une telle obligation s'impose à l'appelant dans les circonstances, et jusqu'à quel point, je suis d'avis que la décision de la Commission contient une autre erreur de procédure. Elle ne fait que citer les trois rapports du Dr Havens et celui du Dr Munro, pour ensuite citer le bref avis exprimé oralement par le Dr Howell. Elle note ensuite la conclusion de la BCWCB que la compensation était fondée sur une invalidité partielle. Elle n'accepte pas, ne rejette pas, ou n'analyse pas cette preuve; elle conclut simplement qu'à son avis, l'appelant ne satisfait pas aux exigences strictes de la Loi. Elle ne fournit aucune explication expresse de cette conclusion.

[17]            Les préoccupations de la Cour au sujet des lacunes des motifs de la Commission ont été communiquées aux avocats des parties à l'audience. L'avocate de l'intimé a demandé qu'on lui offre l'occasion de préparer des prétentions écrites au sujet de ces préoccupations et sa demande a été accueillie. Les deux parties ont déposé des prétentions à ce sujet.

[18]            Après avoir examiné ces prétentions, je conclus que le fait que la Commission n'a pas fourni une pleine explication écrite de sa décision enfreint l'obligation d'équité procédurale que la Commission avait envers l'appelant et qu'elle constitue une erreur susceptible de révision (voir Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817). Dans les circonstances, le raisonnement de la Commission qui fonde sa décision doit être pleinement expliqué, au vu de son importance pour l'appelant. Comme le juge L'Heureux-Dubé le fait remarquer dans l'arrêt Baker (au paragraphe 43) :


Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

[19]                         En toute déférence, je ne peux me ranger à l'avis de l'intimé qui porte que les vices dans la décision de la Commission ne peuvent mener à son annulation du fait que l'arrêt Baker (au paragraphe 40) précise que toute obligation de motiver la décision en raison de l'obligation d'équité laisse au décideur assez de latitude, en acceptant comme suffisants divers types d'explication écrite. La Commission est constituée de juges et d'anciens juges et elle conduit ses opérations comme un tribunal en appliquant ses propres règles de procédure (Règles de procédure de la Commission d'appel des pensions, C.R.C. 1978, ch. 390, tel que modifié). De plus, le paragraphe 83(11) du Régime porte expressément que la Commission doit donner un avis écrit de sa décision et des motifs la justifiant à toutes les parties à l'appel. Par conséquent, je suis d'avis que le fait que la Commission n'a pas motivé sa conclusion constitue, dans les circonstances de la présente affaire, une erreur susceptible de révision qui justifie l'intervention de la Cour.


[20]            Je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire, avec dépens à l'appelant, d'annuler la décision de la Commission d'appel des pensions datée du 29 février 2000, et de renvoyer la question à la Commission pour nouvelle décision par une formation différente, au vu du dossier actuel et de toute autre preuve pertinente que les parties pourraient vouloir déposer.

                                                                                               (B. Malone)                  

                                                                                                        J.C.A.                      

Je souscris aux présents motifs

Alice Desjardins

J.C.A.

Je souscris aux présents motifs

Julius Isaac

J.C.A.                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                      A-218-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                    Abel Garcia c. Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 8 mai 2001

MOTIFS DE JUGEMENT :le juge Malone, J.C.A.

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :        le juge Desjardins et le juge Isaac, J.C.A.

EN DATE DU :                                            18 juin 2001

ONT COMPARU

M. Manuel Azevedo                                                                       POUR L'APPELANT

Mme Laura Fuster                                                                           POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Azevedo, Coen & Associates                                                        POUR L'APPELANT

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                                           POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.