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     OTTAWA, LE VENDREDI 5 DÉCEMBRE 1997

     Dossier : A-223-95

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE SUPPLÉANT GRAY

ENTRE :

     MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     - et -

     SRIRANJAN MATHIYABARANAM,

    

     intimé.

     J U G E M E N T

         L'appel est accueilli. La réponse à la question certifiée est négative, et la décision de la Commission est confirmée.

     " A.J. Stone "

                                             J.C.A.

Traduction certifiée conforme

______________________________

F. Blais, LL.L.

     Date : 19971205

     Dossier : A-223-95

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE SUPPLÉANT GRAY

ENTRE :

     MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     - et -

     SRIRANJAN MATHIYABARANAM,

    

     intimé.

Appel entendu à Toronto (Ontario), le mardi 4 novembre 1997.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le vendredi 5 décembre 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STONE

     LE JUGE SUPPLÉANT GRAY

     Date : 19971205

     Dossier : A-223-95

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE SUPPLÉANT GRAY

ENTRE :

     MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     - et -

     SRIRANJAN MATHIYABARANAM,

    

     intimé.

     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE LINDEN

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'Immigration1, par suite d'une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada datée du 27 mars 1995, dans laquelle le juge de première instance a certifié la question de portée générale qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration oblige-t-il la Commission à donner avis qu'elle envisage de conclure à une absence de minimum de fondement, ou cette disposition indique-t-elle le contraire?                 

[2]      Le texte du paragraphe 69(9.1) de la Loi est le suivant :

         69 (9.1) La décision doit faire état de l'absence de minimum de fondement, lorsque chacun des membres de la section du statut ayant entendu la revendication conclut que l'intéressé n'est pas un réfugié au sens de la Convention et estime qu'il n'a été présenté à l'audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour reconnaître à l'intéressé ce statut.                 

Lorsque la Section du statut de réfugié conclut à l'absence d'un minimum de fondement, l'intéressé n'a pas le droit d'être inclus dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC). Les personnes qui y sont admissibles, même si elles ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, ont droit à une sorte de quasi-appel si, renvoyées du Canada, elles s'exposeraient à un risque identifiable objectif2. La personne dont la revendication est dénuée d'un minimum de fondement n'est pas admissible à cette catégorie et n'obtient donc qu'un sursis de sept jours à l'exécution de son renvoi du Canada3. S'il n'est pas conclu à l'absence d'un minimum de fondement, un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi entre automatiquement en vigueur, jusqu'à ce que le revendicateur du statut de réfugié ait épuisé tous les appels légaux. Cette décision quant à l'absence d'un minimum de fondement est donc d'une grande importance pour les revendicateurs du statut de réfugié.

[3]      L'intimé en l'espèce est un Tamoul de religion hindoue, et citoyen du Sri Lanka. Dans une décision datée du 7 février 1994, la Section du statut de réfugié (la Commission) a conclu que cet homme n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Par la même occasion, la Commission a conclu également que la revendication était dénuée d'un minimum de fondement. L'affaire ayant été portée en appel auprès de la Section de première instance, le juge de première instance a conclu qu'il n'y avait aucune raison de modifier les conclusions de la Commission sur le fond; il a néanmoins annulé la décision portant que la revendication n'avait pas un minimum de fondement. Il a pris cette mesure pour cause de déni de justice naturelle; en effet, le revendicateur n'a jamais été précisément informé que la Commission examinait à l'audience la question d'une conclusion d'absence de minimum de fondement. Le juge de première instance a expliqué sa décision en ces termes :

         [TRADUCTION]                 
         À mon avis, vu la gravité des conséquences d'une conclusion d'absence de minimum de fondement, la Commission devrait indiquer au requérant, avant ou pendant une audience, voire après les plaidoiries, qu'elle envisage de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 69.1 (9.1) de la Loi sur l'immigration. À ce stade-là, le requérant pourrait présenter d'autres arguments au sujet de la conclusion relative au minimum de fondement4.                 

Ayant donc conclu que l'absence d'avis constituait un manquement à la justice naturelle, le juge de première instance a certifié la question mentionnée au début du présent jugement.

[4]      L'appelant fait valoir que, contrairement à la situation où la possibilité d'un refuge intérieur (PRI) est en cause et où la Commission est tenue de donner avis5, aucune question nouvelle n'entre en jeu dans une conclusion d'absence de minimum de fondement. L'intéressé est déjà avisé implicitement que, pour obtenir gain de cause, il lui faut établir à l'aide d'éléments de preuve crédibles que sa revendication est fondée6. Par conséquent, vu qu'un avis n'est d'aucune utilité, le fait de ne pas en donner ne constitue pas un manquement à la justice naturelle.

[5]      L'intimé fait valoir que le critère juridique qui permet de conclure qu'une revendication est dénuée d'un minimum de fondement s'applique à la conclusion elle-même et que l'intéressé, à moins d'en être avisé, ne présentera pas d'arguments sur le sujet. Il existe, est-il dit, une pratique établie dans le droit des réfugiés, savoir qu'un avis est donné sur diverses questions, comme la PRI, l'identification de l'intéressé, ou l'exclusion de ce dernier en vertu des dispositions de la Convention de l'ONU7. Toujours selon l'intimé, l'extension de cette pratique aux conclusions relatives à l'absence d'un minimum de fondement est compatible avec la pratique, et logique également, compte tenu surtout de la gravité des conséquences qu'ont les conclusions de cette nature. En outre, encore que la question ne nous ait pas été soumise, l'intimé soutient que le fait même que le revendicateur en l'espèce soit un jeune Tamoul du Sri Lanka constitue en soi un fondement crédible pour sa revendication.

[6]      L'origine de la conclusion d'absence de minimum de fondement qui est en litige en l'espèce est l'ancien paragraphe 46(1) de la Loi8. Avant son abrogation, cette disposition établissait un processus d'audition à deux paliers. Le premier était une audience sur le " minimum de fondement ", dans laquelle l'intéressé devait établir qu'il existait des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi permettant à la Section du statut de réfugié de conclure qu'il était un réfugié au sens de la Convention. Si la conclusion était favorable, l'intéressé avait alors droit, au second palier, à une instruction approfondie devant la Commission.

[7]      Ce processus à deux paliers avait pour but d'éliminer les revendications manifestement non fondées, dans un effort pour n'affecter des ressources limitées qu'aux revendications ayant quelque chance de succès. L'audience préliminaire sur le minimum de fondement a fini par être abandonnée toutefois, en partie parce que la grande majorité des revendicateurs étaient capables de satisfaire au faible seuil qui leur était imposé, de sorte qu'en fait, les causes éliminées du système étaient rares. Au lieu d'être préservées, ces ressources limitées étaient, estimait-on, affectées inutilement à des procédures superflues.

[8]      L'élément central de l'objet que contenait l'ancien palier du " minimum de fondement " a été préservé dans la nouvelle Loi au moyen du paragraphe 69.1(9.1). Cette disposition limite l'accès à des ressources judiciaires et administratives additionnelles aux personnes dont la revendication a une certaine crédibilité, et ce, même si cette revendication a été rejetée. La principale distinction est que, dans la nouvelle procédure, et contrairement à l'ancienne, les revendicateurs ont déjà eu droit à une instruction approfondie. Aux termes du paragraphe 69.1(9.1), il ne peut être conclu à l'absence d'un minimum de fondement qu'après que chaque membre de la Section du statut de réfugié qui a entendu la revendication détermine que le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[9]      La question qu'il faut donc trancher est celle de savoir s'il faut donner un avis précis au revendicateur avant que la Commission puisse conclure à l'absence d'un minimum de fondement à l'issue de l'audience visant à se prononcer sur le statut de réfugié au sens de la Convention. Il n'est pas expressément prescrit dans la loi qu'un avis supplémentaire de cette question doit être donné. Toute exigence de cette nature doit donc être fondée sur le droit de justice naturelle selon lequel une personne doit savoir ce contre quoi il doit se défendre9 dans une procédure administrative qui touche ses intérêts. À mon avis, comme je l'expliquerai plus loin, il n'existe aucun droit de recevoir un avis supplémentaire au sujet de la possibilité que l'on conclue à l'absence d'un minimum de fondement. C'est donc dire que, dans la présente situation, il n'y a pas eu de manquement à la justice naturelle.

[10]      N'importe quel revendicateur est " ou devrait être " conscient du risque que l'on conclue à une absence de minimum de fondement, même s'il n'y a pas d'autre avis donné sur cette issue éventuelle. Le revendicateur du statut de réfugié doit être conscient qu'il lui faut établir, dans le cadre de sa revendication, un minimum de fondement pour cette dernière. On ne peut établir une revendication du statut de réfugié sans établir d'abord, pour cette dernière, un minimum de fondement; l'une est tout à fait subordonnée à l'autre, et incluse en elle. Je ne puis imaginer ce qu'un revendicateur, à qui l'on a donné un avis spécial, pourrait bien ajouter à sa cause. Tous les éléments de preuve disponibles devraient déjà avoir été soumis à la Commission dans le cadre de la revendication du statut de réfugié.

[11]      Je ne suis pas convaincu que la question d'une conclusion relative au minimum de fondement est analogue à celle d'une PRI, pour laquelle il a été déterminé qu'un avis est requis. L'existence d'une possibilité de refuge intérieur est considérée comme distincte de la question d'une crainte fondée de persécution (un élément fondamental de la définition d'un réfugié au sens de la Convention10). Il serait possible d'établir l'existence d'une crainte fondée de persécution dans une partie d'un pays et se voir quand même refuser le statut de réfugié à cause d'une possibilité de refuge intérieur. Le fait de répondre aux questions que pose habituellement la définition d'un réfugié au sens de la Convention ne règle pas cette question particulière et distincte si elle devient pertinente lors des procédures. Il importe donc de donner une forme quelconque d'avis afin de satisfaire aux exigences de la justice naturelle. Toutefois, une détermination relative au minimum de fondement est un aspect inhérent de la définition d'un réfugié au sens de la Convention. Elle n'impose pas au revendicateur un fardeau de preuve qui est distinct du fardeau principal qu'impose la définition elle-même ou qui s'y ajoute. Les autres questions qui requièrent un avis supplémentaire sont elles aussi différentes de la question du minimum de fondement.

[12]     

Le fait d'établir l'obligation de donner un avis avant qu'une décision d'absence de minimum de fondement puisse être rendue créerait un processus d'audience à deux paliers de fait, chose à laquelle le législateur a voulu mettre fin en édictant les nouvelles dispositions. S'il était nécessaire de donner un avis, quand cela aurait-il lieu? Habituellement, ce ne serait qu'après le début de l'audience, ou même après la fin de l'audience qu'un tribunal de la Section du statut de réfugié se rendrait compte qu'un avis serait peut-être nécessaire. Dans bien des cas, le facteur décisif dans une revendication du statut de réfugié est la crédibilité de l'intéressé. Ce n'est qu'après avoir entendu témoigner ce dernier que le tribunal serait en mesure de conclure à une absence de minimum de fondement, de sorte que l'obligation de donner un avis n'entrerait en jeu qu'à ce moment là. Le minimum de fondement et la crédibilité ne sont pas identiques, mais ils sont clairement reliés. La Cour a analysé cette question au sujet d'une audience antérieure sur le minimum de fondement, dans l'arrêt Sheikh c. Canada (M.E.I.)11, où, comme le déclare le juge d'appel MacGuigan :

         Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande12.                 

[13]      Lorsqu'un avis spécial n'est donné que durant l'audience ou par la suite, il peut être nécessaire de prévoir un délai supplémentaire en vue de l'introduction d'autres éléments de preuve, ce qui implique souvent des ajournements et d'autres dates d'audition. Cette situation aura pour effet non seulement de prévoir une nouvelle audience partielle, mais aussi de proroger le délai requis pour entendre une revendication, faisant ainsi déplacer les ressources affectées aux revendicateurs méritoires vers ceux dont la cause est dénuée d'un minimum de fondement. Un tel processus à deux paliers a été éliminé par le législateur, et il n'appartient pas à la Cour de le remettre en vigueur.

[14]      Enfin, si un avis général ou générique était systématiquement donné avant la tenue d'une audience, il serait en grande partie inutile car il serait donné pour la forme et n'attirerait pas l'attention du revendicateur sur le problème précis auquel il pourrait être confronté. En outre, si un avis précis était donné à l'avance, cela pourrait donner lieu à une accusation de partialité fondée sur le motif que le tribunal aurait fait montre d'idées préconçues à propos du manque de crédibilité de la cause du revendicateur.

[15]      À mon avis, on ne commet donc pas de déni de justice naturelle en omettant de donner un avis spécial concernant le risque que pose une conclusion d'absence de minimum de fondement, car cela est sous-entendu dans l'avis d'audience lui-même. S'il est jugé qu'un avis supplémentaire serait souhaitable, il est préférable de laisser le législateur l'exiger, et non de l'établir judiciairement.

[16]      Je suis d'avis d'accueillir l'appel et de répondre par la négative à la question certifiée. La décision de la Commission sera donc confirmée.

     " A.M. Linden "

                                         J.C.A.

" Je suis d'accord

     Le juge A.J. Stone "

" Je suis d'accord

     Le juge suppléant W. Gibson Gray "

Traduction certifiée conforme

_______________________________

F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURES INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER NE :              A-223-95

APPEL D'UNE ORDONNANCE DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE EN DATE DU 27 MARS 1997, DANS LE DOSSIER IMM-996-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration c.                      Sriranjan Mathiyabaranam

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :      4 novembre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA

COUR PRONONCÉS PAR :      Le juge Linden

Y ONT SOUSCRIT :          Le juge Stone

                     Le juge suppléant Gray

EN DATE DU :              5 décembre 1997

ONT COMPARU :

Me M. Morris              pour l'appelant
Me M. Crane                  pour l'intimé

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me George Thomson

Sous-procureur général du Canada      pour l'appelant

Me M. Crane

Toronto (Ontario)              pour l'intimé

__________________

1.          L.R.C. (1985), ch. I-2. (la Loi).

2.          Règlement sur l'immigration, 1978, art. 2, 11.4.

3.          Loi, alinéa 49(1)f).

4.          Motifs, p. 3.

5.          Voir Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), p. 596.

6.          Voir Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, al. 69.1a).

7.          Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, article premier, sections E et F; Loi, par. 2(1).

8.          Abrogé par L.C. (1992), ch. 49, art. 35.

9.          Voir Kane c. Conseil d'administration de l'université de la Colombie-Britannique [1980], 1 R.C.S. 1105, p. 1114.

10.      Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par. 2(1).

11.      [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.).

12.      Ibidem, p. 244.

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