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Date : 20030623

Dossier : A-335-02

Référence : 2003 CAF 278

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES DU CANADA

                                                                                                                                                         appelant

                                                                                   et

                                                                    BERYL TUCKER

                                                                                                                                                           intimée

                                   Appel entendu à St. John's (Terre-Neuve), le 11 juin 2003.

                                      Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 23 juin 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :                                                   LE JUGE DÉCARY

Y SOUSCRIVENT :                                                                                                       LE JUGE EVANS

                                                                                                                                  LE JUGE SHARLOW


Date : 20030623

Dossier : A-335-02

Référence : 2003 CAF 278

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES DU CANADA

                                                                                                                                                         appelant

                                                                                   et

                                                                    BERYL TUCKER

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                 La question en litige dans le présent appel porte sur la compétence du tribunal de révision constitué en vertu du paragraphe 82(2) du Régime de pensions du Canada à l'égard des décisions prises par le ministre du Développement des ressources humaines du Canada (le ministre) aux termes de l'alinéa 37(4)d) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (la Loi).


[2]                 Voici les faits pertinents.

[3]                 L'intimée a présenté une demande de versement de l'allocation au survivant conformément à la Loi. Elle a obtenu des prestations calculées sur son revenu déclaré de 7 806,44 $. Il a été constaté par la suite que son revenu s'élevait plutôt à 11 917,44 $, parce qu'elle n'avait pas inclus dans sa déclaration de revenu une pension provinciale. Le ministre a réévalué rétroactivement le montant des prestations auxquelles elle avait droit et a décidé de récupérer les versements excédentaires en les déduisant des prestations qu'elle devait recevoir par la suite.

[4]                 L'intimée ne conteste pas directement le nouveau calcul mais s'oppose à la décision de déduire les versements excédentaires pour le motif qu'elle n'avait pas déclaré la pension provinciale parce que deux employés du ministère lui avaient affirmé qu'il n'était pas nécessaire de mentionner ces versements dans sa déclaration de revenu.

[5]                 Deux dispositions de la Loi traitent des versements apparemment effectués en raison d'un avis erroné. Premièrement, l'article 32 oblige le ministre, s'il est convaincu qu'une personne s'est vu refuser une prestation à laquelle elle avait droit par suite d'un avis erroné, à prendre « les mesures qu'il juge de nature à replacer l'intéressé dans la situation où il serait s'il n'y avait pas eu faute de l'administration » . Cette disposition ne s'applique pas ici.


[6]                 Deuxièmement, l'alinéa 37(4)d) donne au ministre le pouvoir de faire remise de tout ou partie des montants versés en excédent, s'il est convaincu que la personne concernée a reçu un versement excédentaire en raison d'un avis erroné. C'est la disposition qui s'applique à la présente affaire.

[7]                 Suite aux allégations présentées par l'intimée, le ministre a examiné les circonstances ayant entouré les versements excédentaires. Il en est arrivé à la conclusion qu'aucune preuve n'indiquait que l'intimée avait reçu un avis erroné et que, par conséquent, l'alinéa 37(4)d) n'était pas applicable. La lettre faisant état de la décision en question qui a été envoyée à l'intimée mentionnait que cette décision avait été prise conformément au paragraphe 27.1(1) de la Loi et que l'intimée avait le droit de faire appel, aux termes du paragraphe 28(1), devant le tribunal de révision. Le paragraphe 27.1(1) énonce : « la personne qui se croit lésée par une décision de refus ou de liquidation de la prestation prise en application de la présente Loi peut [...] demander au ministre [...] de réviser sa décision » .


[8]                 L'intimée a interjeté appel devant le tribunal de révision. Le ministre a estimé à ce moment-là que, contrairement à ce que mentionnait la lettre de décision, la décision de ne pas effectuer les versements excédentaires avait été prise conformément à l'alinéa 37(4)d) et que, par conséquent, l'intimée ne pouvait pas faire appel de cette décision devant le tribunal de révision. Le tribunal de révision a décidé qu'il avait le pouvoir d'entendre cet appel et a fait droit à l'appel de l'intimée. Le ministre a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de notre Cour et a perdu une nouvelle fois. La décision du juge de première instance est rapportée à (2002) 219 F.T.R. 38.

[9]                 Le ministre invoque l'arrêt de notre Cour dans l'affaire Pincombe c. Canada (P.G.), [1995] A.C.F. n ° 1320 (QL), dans laquelle le juge en chef Isaac a déclaré que le Régime de pensions du Canada n'accorde pas au comité de révision (dont le nom est devenu par la suite celui de tribunal de révision) le pouvoir d'entendre un appel portant sur les décisions rendues aux termes du paragraphe 66(4) du Régime. Ce paragraphe se lisait comme suit au moment des faits de l'arrêt Pincombe :

(4) Dans le cas où, après avoir reçu une déclaration écrite d'une personne ou de la part d'une personne, le Ministre est convaincu qu'un avis erroné ou une erreur administrative attribuable au Ministre ou à un fonctionnaire du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social agissant dans le cadre de ses fonctions en application de la présente loi, avant ou après l'entrée en vigueur du présent paragraphe, a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

(4) Where, after receiving a written statement from or on behalf of a person, the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error, either before or after the coming into force of this subsection, on the part of the Minister or an official of the Department of National Health and Welfare acting in an official capacity in the administration of this Act, that person has been denied

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi;

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l'article 55 ou 55.1;

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

c) la cession d'une pension de retraite conformément à l'article 65.1,

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

le Ministre prend les mesures correctives qu'il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait en vertu de la présente loi s'il n'y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

                         

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act if the erroneous advice had not been given or the administrative error not been made.

Ce paragraphe est l'équivalent de l'article 32 de la Loi. Les deux articles obligent le ministre à fournir une mesure de redressement à la personne qui s'est vu refuser tout ou partie d'une prestation en raison d'un avis erroné ou d'une erreur administrative.

[10]            Le juge en chef Isaac a déclaré qu'aucune disposition des articles 81 à 86 du Régime n'accordait un droit d'appel à l'égard des décisions rendues aux termes du paragraphe 66(4). Au paragraphe 5 de ses motifs, il a écrit, parlant au nom de la Cour, ce qui suit :

Il est à noter que ni le paragraphe en question ni aucune autre disposition de l'article 65 ne prévoient la possibilité d'interjeter appel d'une décision rendue par le ministre en vertu du paragraphe 65(4). Le droit d'interjeter appel d'une décision prise en application des dispositions du Régime de pensions du Canada est prévu aux articles 81 à 86 du Régime, à la Section F, sous la rubrique « Appels » . Ces articles permettent d'interjeter appel de décisions prises en application de dispositions particulières du Régime, mais aucune ne confère le droit d'interjeter appel d'une décision prise en vertu du paragraphe 65(4). Dans ces circonstances, la Commission avait raison, à notre avis, de conclure que le Comité n'a pas compétence pour entendre l'appel, étant donné que la loi ne confère pas expressément ce droit et qu'il est bien établi qu'un droit d'appel et le droit du Comité d'entendre l'appel doivent être expressément accordés par la loi. Comme ce n'est le cas ni pour l'un ni pour l'autre, le Comité n'était pas autorisé à entendre l'appel, et il a donc commis une erreur en exerçant le droit dont il s'est prévalu.

La seule disposition qui peut raisonnablement permettre de soutenir qu'un tel droit d'appel existe est l'alinéa 81(1)c). Cette disposition se lisait de la façon suivante au moment des faits en question dans l'arrêt Pincombe :


81. (1) Dans les cas où :

c) un bénéficiaire n'est pas satisfait d'un arrêt concernant le montant d'une prestation qui lui est payable ou son admissibilité à recevoir une telle prestation;

[...]

81. (1) Where

(c) a beneficiary is dissatisfied with any determination as to the amount of any benefit payable to him or as to his eligibility to receive that benefit, or

[...]

celui-ci peut, ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut, dans les douze mois au cours duquel il est, de la manière prescrite, avisé de la décision ou de l'arrêt, interjeter par écrit auprès du ministre, un appel de la décision ou de l'arrêt suivant la forme et la manière prescrites à cet effet.

[Non souligné dans l'original]

he, or subject to the regulations, any person on his behalf, may, within twelve months after the month in which he is notified in the prescribed manner of the decision or determination, appeal to the Minister in writing, in prescribed form and manner, for a reconsideration of that decision or determination.

[Emphasis added]

Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, on retrouve des termes semblables au paragraphe 27.1(1) de la Loi. Je reproduis ici cet article pour la commodité du lecteur :

27.1 (1) La personne qui se croit lésée par une décision de refus ou de liquidation de la prestation prise en application de la présente loi peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de la décision, selon les modalités réglementaires, ou dans le délai plus long que le ministre peut accorder avant ou après l'expiration du délai de quatre-vingt-dix jours, demander au ministre, selon les modalités réglementaires, de réviser sa décision.

[Non souligné dans l'original]

27.1 (1) A person who is dissatisfied with a decision or determination made under this Act that no benefit may be paid to that person, or respecting the amount of any benefit that may be paid to that person, may, within ninety days after the day on which the person is notified in the prescribed manner of the decision or determination, or within such longer period as the Minister may either before or after the expiration of those ninety days allow, make a request to the Minister in the prescribed form and manner for a reconsideration of that decision or determination.

[Emphasis added]


[11]            À mon avis, le raisonnement tenu dans l'arrêt Pincombe s'applique à l'égard d'une décision prise aux termes de l'article 32 de la Loi. Le même raisonnement doit également s'appliquer aux décisions prises aux termes de l'alinéa 37(4)d). Ces dispositions accordent un redressement à la personne qui a reçu à tort une prestation, en raison d'un avis erroné ou d'une erreur administrative. La décision de ne pas exiger le remboursement d'un versement excédentaire (ou de ne pas verser un montant qui aurait dû l'être) effectué à la suite d'un avis erroné n'est pas une décision « de refus ou de liquidation de la prestation » au sens du paragraphe 27.1(1). La Loi (tout comme le Régime de pensions à l'époque de l'arrêt Pincombe) ne prévoit aucun autre droit d'appel pour ce genre de décision. Par conséquent, le juge de première instance a commis une erreur lorsqu'il a refusé d'appliquer l'arrêt Pincombe.

[12]            Je ferais donc droit à l'appel pour le motif que le tribunal de révision n'avait pas le pouvoir d'entendre l'appel de la décision du ministre interjeté aux termes de l'alinéa 37(4)d), ni celui de procéder au remboursement, total ou partiel, des versements excédentaires.

[13]            Cela dit, il demeure que l'intimée, qui n'était pas représentée par avocat, a été invitée à s'adresser au tribunal de révision par le ministre, à tort comme cela est reconnu maintenant, et qu'elle a été amenée à agir en qualité de défenderesse devant la Section de première instance et en celle d'intimée devant la présente Cour dans le seul but de permettre au ministre d'obtenir une décision sur la compétence du tribunal de révision. Dans ces circonstances, l'intimée devrait avoir droit au remboursement de ses débours dans les deux instances, que j'établis à 500 $.


[14]            Le recours que pourrait exercer l'intimée à l'égard de la décision prise aux termes de l'alinéa 37(4)d) est une demande de contrôle judiciaire présentée à la Section de première instance de la Cour fédérale. L'avocat du ministre a toutefois déclaré que le ministre serait disposé, même en l'absence d'une telle demande, à réexaminer la possibilité d'accorder une remise à Mme Tucker, en raison des difficultés qu'elle aurait à effectuer le remboursement. L'avocat a également déclaré, que, sous réserve de vérification des revenus de Mme Tucker, celle-ci n'aurait très probablement pas à rembourser les versements excédentaires.

[15]            Il devrait être fait droit à l'appel, la décision de la Section de première instance devrait être annulée, la décision du tribunal de révision devrait être annulée pour défaut de compétence et la décision du ministre devrait être rétablie. L'intimée devrait recevoir 500 $ pour ses débours devant notre Cour et devant la Section de première instance.

                                                                                                                                        « Robert Décary »             

                                                                                                                                                                 Juge                         

« Je souscris aux présents motifs.

John M. Evans »

« Je souscris aux présents motifs.

K. Sharlow »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  A-335-02

Appel du jugement d'une ordonnance de la Section de première instance datée du 30 avril 2002, numéro de dossier de première instance T-1711-00.

INTITULÉ :                                                 Le Ministre du Développement des ressources        humaines du Canada c. Beryl Tucker

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                         St. John's (Terre-Neuve et Labrador)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 11 juin 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                   le juge Décary

Y ONT SOUSCRIT :                                  le juge Evans

le juge Sharlow

DATE DES MOTIFS :                               le 23 juin 2003

COMPARUTIONS :

Mme Katia Bustros                                                 POUR L'APPELANT

Mme Beryl Tucker                                                  POUR L'INTIMÉE POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg,                                                 POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada


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