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Date : 20001124


Dossier : A-532-99


CORAM :      LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE MALONE

ENTRE :

     KENNETH EDWIN CROSSON et PHYLLIS EVELYN CROSSON,

     WASAGAMING WIGWAM LTD.,

     69158 MANITOBA LTD.,

     KENNETH CHARLES BURR et EDITH MAVIS BURR,

     BEA-GREN ENTERPRISES LTD.,

     GEORGE EVERETT NEILLY,

     DONALD KENNETH HAWKING et CAROL DIANNE HAWKING,

     appelants,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.




Audience tenue à Winnipeg, au Manitoba, le mercredi 15 novembre 2000.

Jugement rendu à Ottawa, en Ontario, le vendredi 24 novembre 2000.


MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE LINDEN

     LE JUGE McDONALD





Date : 20001124


Dossier : A-532-99


CORAM :      LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE MALONE

ENTRE :


     KENNETH EDWIN CROSSON et PHYLLIS EVELYN CROSSON,

     WASAGAMING WIGWAM LTD.,

     69158 MANITOBA LTD.,

     KENNETH CHARLES BURR et EDITH MAVIS BURR,

     BEA-GREN ENTERPRISES LTD.,

     GEORGE EVERETT NEILLY,

     DONALD KENNETH HAWKING et CAROL DIANNE HAWKING,

     appelants,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE MALONE


[1]      Il s'agit d'un appel interjeté contre un jugement de la Section de première instance rendu le 8 juin 1999. Aux termes du jugement rendu en faveur de l'intimée, le loyer fixé par le ministre à l'égard des diverses propriétés en cause dans le présent appel était juste et équitable. Les appelants devaient en outre payer des intérêts avant jugement et les dépens.

[2]      La solution du présent appel dépend de la question centrale de savoir si le juge de première instance a commis des erreurs de fait ou de droit en acceptant la méthodologie et les conclusions de l'évaluateur expert du ministre, David Lenych, et en accordant à son témoignage le poids qu'il lui a accordé. Acceptant le témoignage de Lenych de préférence aux autres témoignages présentés par les appelants, le juge a dit ceci :

[10] Par contre, l'avocat de Sa Majesté, Me Edwards, a réussi à démolir, pendant le contre-interrogatoire, le témoignage présenté par M. Dennis Browaty, qui est l'évaluateur dont les services ont été retenus par les défendeurs et qui a été cité comme témoin expert. Me Edwards a réussi à démolir le témoignage de M. Browaty à un point tel qu'en fin de compte ce dernier a convenu que, si ce n'avait été de certaines erreurs cruciales dans son rapport, la méthode qu'il avait employée et les calculs qu'il avait effectués auraient montré que dans bien des cas, les augmentations de loyers de 1990 auraient probablement dû être beaucoup plus élevées que celles qui avaient été établies par la Couronne sur la base du rapport de M. Lenych.
[11] Comme on peut s'y attendre, Me Booth n'a pas cherché, dans ses conclusions finales, à se fonder sur la preuve présentée par M. Browaty. Il s'est plutôt fortement fondé sur la transcription de l'interrogatoire préalable du mandant d'un des défendeurs, M. James Murray, qui possédait et exploitait depuis plus de 20 ans des commerces au Mont-Riding. Les évaluations peuvent être presque autant un art qu'une science, mais je ne puis attacher beaucoup d'importance à l'avis exprimé par une personne telle que M. Murray au sujet de la valeur de la propriété, puisque celui-ci n'est ni un évaluateur qualifié ni une personne désintéressée.

     [...]

[75] À mon avis, M. Lenych était un témoin tout à fait digne de foi. La clarté et le bien-fondé des explications qu'il a fournies dans son témoignage au sujet de son rapport ainsi que les réponses nuancées et réfléchies qu'il a données pendant le
contre-interrogatoire qu Me Booth lui a fait subir reflètent ses quelque quarante années d'expérience à titre d'évaluateur s'occupant de toutes sortes d'immeubles, et notamment de propriétés de loisirs.


[3]      Eu égard à l'appel formé à l'encontre de la décision d'un juge de première instance sur une question de fait, la norme de révision que la présente Cour doit appliquer est celle du caractère correct. La cour d'appel ne doit pas modifier les conclusions de fait que le juge a tirées en évaluant la crédibilité des témoins, sauf si ce dernier a commis une erreur de droit manifeste et dominante dans l'appréciation des faits1.

[4]      Quant aux questions de fait sur lesquelles reposent les opinions d'experts, la présente Cour n'est pas habilitée à réviser les conclusions de fait et à y substituer sa propre évaluation de la preuve, bien qu'elle puisse estimer être aussi bien placée que le juge de première instance pour procéder à une telle analyse2. Même si la présente Cour était portée à tirer des faits des conclusions différentes de celles auxquelles est arrivé le juge, elle ne peut pas le faire, sauf si elle est convaincue qu'il y a eu une erreur manifeste3.

[5]      La première question que soulève le présent appel consiste à décider si le juge de première instance a commis une erreur de droit en acceptant comme point de départ, pour l'établissement de la valeur des baux, la méthode d'évaluation de Lenych qui est fondée sur le domaine en fief simple de la Couronne visé par les baux plutôt que la valeur des intérêts à bail des appelants4. Les appelants soutiennent essentiellement que la solution retenue par le juge de première instance, soit l'évaluation des terrains non bâtis, même s'il l'a adoptée comme point de départ, est incompatible avec le libellé des baux et, en particulier, avec le terme « loyer afférent à une parcelle de terre » employé dans les baux renouvelés et avec les mots « pleine valeur annuelle du tènement » utilisés dans les baux primitifs.

[6]      Cette question de méthodologie a été clairement expliquée par un témoin de Sa Majesté, Peter Nichol. Celui-ci a témoigné en qualité d'expert en analyse financière que, si le loyer est fixé au taux du marché, le propriétaire récupère la pleine valeur annuelle de son intérêt en fief simple. Autrement dit, il faut d'abord évaluer l'intérêt du propriétaire qui est donné à bail, puis appliquer le taux de capitalisation approprié pour calculer le loyer économique. Si l'évaluation de l'intérêt du propriétaire et le taux de capitalisation correspondent au marché, le loyer ainsi fixé correspond à la pleine valeur annuelle du fief simple, de sorte que la valeur résiduelle, soit la valeur de l'intérêt du locataire dans le bien-fonds, est nulle. L'intérêt du propriétaire est le loyer reçu, lequel une fois capitalisé est égal à son intérêt en fief simple5.

[7]      Les appelants ont soutenu qu'il fallait attribuer une valeur à l' « intérêt à bail » . Toutefois, cette valeur ne peut être établie qu'après avoir examiné si le loyer payé est inférieur ou supérieur au loyer économique. S'il est inférieur, le locataire possède un intérêt résiduel dans le bail, qui aura une valeur sur le marché. S'il est supérieur, le bailleur aura un intérêt excédant son fief simple. En conséquence, il est impossible de fixer la valeur d'un « intérêt à bail » sans d'abord connaître le loyer contractuel; or, celui-ci constitue justement la question en litige. Le témoignage de M. Nichol sur la façon dont les loyers sont fixés sur le marché, et sur les taux de capitalisation appropriés, n'a pas été contesté par d'autres experts et il a été adopté tout à fait à bon droit par le juge de première instance6. De plus, la méthode basée sur le fief simple préconisée par le ministre, adoptée par l'évaluateur et acceptée par le juge, est conforme à celle appliquée pour des révisions de loyer semblables dans toutes les régions du Canada7.

[8]      Les appelants ont invoqué l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada Bande indienne de Musqueam c. Glass8, mais à mon avis, les motifs de la majorité n'étayent pas leur argument. Au paragraphe 37, le juge Gonthier écrit ce qui suit :

La valeur marchande est généralement la valeur d'échange du terrain plutôt que sa valeur au titre de l'usage pour le preneur à bail. Cette distinction a été exprimée dans l'affaire Bullock's, Inc. c. Security-First National Bank of Los Angeles,
325 P.2d (Cal. Dist. Ct. App. 1958), à la p. 188, où le bail [TRADUCTION] « prévoit la détermination de la valeur du terrain, et non pas de la valeur de l'utilisation du terrain à une fin particulière » . Le terrain est évalué sans égard à l'intérêt du preneur à bail dans celui-ci, car sa valeur d'échange n'est pas réduite même si le preneur décide de ne pas en faire l'utilisation optimale. Cette
décision a été mentionnée dans différentes affaires (par exemple Revenue Properties, précitée), et ce principe fait partie du droit canadien. Il a été appliqué dans l'affaire Gulf Oil Canada Ltd. c. Conseil des ports nationaux, C.F. 1re inst.,
no T-1478-71, 15 septembre 1972, à la p. 19, qui a été suivie dans Burrard Dry Dock Co. c. Canada, [1974] A.C.F. no 417 (QL) (C.F. 1re inst.), au par. 9. Plus récemment, dans No. 100 Sail View Ventures Ltd. c. Janwest Equities Ltd.
(1993), 84 B.C.L.R. (2d) 273, autorisation de pourvoi refusée, [1994] 2 R.C.S. viii, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé, à la majorité, à la p. 281, que les conditions particulières d'un bail n'étaient pas pertinentes pour déterminer [TRADUCTION] « la juste valeur marchande des lieux loués comme terrain nu » (je souligne) aux fins de révision du loyer.

[9]      La signification du terme « tènement » employé dans les baux était aussi litigieuse. La définition de ce terme selon les conclusions du juge de première instance et selon les définitions données par les appelants peut inclure les terrains et les maisons ou bâtiments suivant le contexte. Dans les baux renouvelés, le « tènement » s'entendait des améliorations et dans les baux primitifs, du terrain seulement. À mon avis, l'argument des appelants sur ce point est superflu de toute façon, parce que les parties sont tombées d'accord au début des procédures pour dire que, pour l'application de tous les baux en cause, Sa Majesté ne pouvait fixer le loyer qu'en fonction de la valeur du terrain et non des constructions9.

[10]      Les appelants ont également mis en doute l'équité de la décision du juge de première instance de reconnaître au ministre le droit d'accorder aux titulaires de baux résidentiels un taux de réduction pour l'occupation saisonnière alors que les titulaires de baux commerciaux ne bénéficiaient pas d'un tel taux. Je ne peux voir aucune erreur dans l'analyse qu'a faite le juge car M. Lenych a effectivement tenu compte de l'utilisation saisonnière dans son évaluation globale des biens-fonds. Il a supposé que les restrictions liées au caractère saisonnier valaient peu importe l'usage que Sa Majesté ferait des terrains et il a appliqué une réduction de 20 p. 100 en comparant les baux commerciaux dans le parc national et les propriétés situées à l'extérieur de celui-ci10.

[11]      Une quatrième question a été soulevée, celle de savoir si la production de l'intégralité de la transcription de l'interrogatoire préalable de l'appelant James Murray équivalait à l'adoption par le ministre de la totalité du témoignage de Murray. Le juge de première instance a, selon moi, répondu à bon droit par la négative. Il ne s'agit que d'une preuve à prendre en considération parmi les autres11.

[12]      Pour terminer, l'allégation de parti pris chez le juge de première instance, qui a été formulée pour la première fois en appel, doit être rejetée, d'après moi, car elle n'est pas étayée par la preuve et est dénuée de fondement.

[13]      Vu l'ensemble de la preuve, je conclus à l'absence d'erreur manifeste et dominante dans l'évaluation des faits qu'a effectuée le juge de première instance. En outre, je ne suis pas convaincu qu'il ait commis des erreurs de droit relativement à la méthode d'évaluation de Lenych. Ou plus précisément, les mots « loyer afférent à une parcelle de terre » et « pleine valeur annuelle du tènement » ont été interprétés correctement comme s'entendant de la valeur annuelle ou du revenu généré par l'intérêt en fief simple, comme si les biens-fonds n'avaient pas été loués.

[14]      Je suis d'avis de rejeter l'appel avec les dépens dans les deux sections de la présente Cour.

     (B. Malone)

     J.C.A.


Je souscris à ces motifs,

A.M. Linden, J.C.A.

Je souscris à ces motifs,

F.J. McDonald, J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.





Date : 20001124


Dossier : A-532-99


FAIT À OTTAWA, EN ONTARIO, LE VENDREDI 24 NOVEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE LINDEN

                 MONSIEUR LE JUGE McDONALD

                 MONSIEUR LE JUGE MALONE

ENTRE :


     KENNETH EDWIN CROSSON et PHYLLIS EVELYN CROSSON,

     WASAGAMING WIGWAM LTD.,

     69158 MANITOBA LTD.,

     KENNETH CHARLES BURR et EDITH MAVIS BURR,

     BEA-GREN ENTERPRISES LTD.,

     GEORGE EVERETT NEILLY,

     DONALD KENNETH HAWKING et CAROL DIANNE HAWKING,

     appelants,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.



     JUGEMENT


     L'appel est rejeté avec les dépens dans les deux sections de la présente Cour.

     (A.M. Linden)

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER :              A-532-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Kenneth Edwin Crosson et al.

                         c.

                         Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :              15 novembre 2000
MOTIFS DU JUGEMENT :          Le juge Malone, J.C.A.
Y ONT SOUSCRIT :              Le juge Linden, J.C.A.

                         Le juge McDonald, J.C.A.

EN DATE DU :                  24 novembre 2000

ONT COMPARU :




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :



__________________

1. R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1996] 2 R.C.S. 672;      Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353.

2. N.V. Bocimar, S.A. c. Century Ins. Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247.

3. Clark c. Kona Winds Yacht Charters Ltd. (1995), 184 N.R. 355 (C.A.F.).

4..Les parties pertinentes des baux sont les clauses de révision des loyers, cinq desquelles sont rédigées en des termes identiques et se trouvent dans les baux qui ont été renouvelés, le libellé des deux autres étant celui des baux primitifs. Dans les baux renouvelés, le libellé est le suivant :
[traduction] « . . .qu'une détermination soit effectuée par un juge de la Cour fédérale du Canada, le loyer annuel devant être calculé comme loyer afférent à une parcelle de terre, la valeur des bâtiments, tènements, maisons ou constructions qui ont été érigés par le locataire ne devant pas être prise en compte aux fins de la détermination de pareil loyer.
Quant au bail primitif, il est ainsi conçu :
« . . . déterminé par un juge de la Cour de l'Échiquier comme étant la pleine valeur annuelle du tènement au moment de pareille détermination . . . » .

5. Motifs du jugement, paragraphes 18 à 21; dossier d'appel, aux pages 555 à 557.

6. Motifs du jugement, paragraphes 19 et 20.

7. Roywood Investments Ltd. v. London Life Insurance Co. (1972) 24 D.L.R. (3d) 249      (C.A. Ont.); Standard Life Assurance Co. v. Parc-IX Ltd. (1991) 82 D.L.R. (4th) 721 (Div. Gén. Ont.); No. 100 Sail View Ventures Ltd. v. Janwest Equities Ltd. (1994) 2 W.W.R. 396 (C.A.C.-B.)

8. 2000 CSC 52.

9. Motifs du jugement, paragraphe 16.

10. Dossier d'appel, onglet 57, page 42.

11. Reti et al v. Fox et al (1977), 2 C.P.C. 62 (C.A. Ont.); Carter v. Rungay (1984) 31 Man. R. (2d) 29 (C.A.).

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