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     A-660-93

ENTRE

     ALLIEDSIGNAL INC.,

     appelante,

     et

     DU PONT CANADA INC.

     et THE COMPLAX CORPORATION,

     intimées.

     TAXATION DES FRAIS - MOTIFS

L'officier taxateur MARC D. REINHARDT

         J'ai été saisi de la présente taxation du mémoire de frais de l'appelante sur la base entre parties le 26 mars 1997 à Ottawa. Me Hélène D'Irio, du cabinet Gowling, Strathy & Henderson, a comparu pour le compte de l'appelante. Me Arthur Renaud, du cabinet Sim, Hughes, Ashton & McKay, a représenté les intimées.

         Voici les faits qui ressortent des observations écrites de l'appelante. Appel a été interjeté de la décision dans laquelle Madame le juge Reed, de la Section de première instance, a conclu le 3 septembre 1995 que le brevet était invalide, et elle n'a tiré aucune conclusion quant à la contrefaçon. Dans son arrêt rendu le 11 mai 1995, la Cour d'appel a infirmé la décision de la Section de première instance, concluant que le brevet était valide et qu'il y avait eu contrefaçon.

         Le brevet litigieux se rapporte à une pellicule constituée d'un mélange de polyamide/polyolefine de faible cristallinité convenant à la préparation d'un mélange à mouler en feuille. La pellicule se compose d'un mélange de polyamide (par ex. le nylon) et de polyolefine, tous deux d'une cristallinité donnée, ayant une épaisseur précise, une résistance à la déchirure, une perméabilité au styrène et une pelabilité.

         L'affaire était une affaire très complexe, portant sur la diffraction X, la résonance magnétique nucléaire, la spectroscopie infrarouge et la calométrie à compensation de puissance. La complexité de cette affaire a été reconnue par les intimées lorsqu'elles ont au début demandé une ordonnance portant augmentation de dépens après avoir obtenu gain de cause devant la Section de première instance. Sa cause ayant été accueillie en appel, l'appelante a également introduit une requête en augmentation de dépens, laquelle requête a été accueillie par le juge Strayer par suite de son ordonnance du 24 novembre 1994. Cette ordonnance est ainsi rédigée :

         [TRADUCTION]
         IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ QUE l'officier taxateur taxe les frais de l'appelante selon les directives suivantes.
         (1) Des honoraires et des débours raisonnables doivent être accordés relativement à un témoin expert de l'appelante à l'égard de réunions pour la préparation de l'audition de l'appel et pour la présence à l'appel, y compris les frais de voyage, de logement et de subsistance.
         (2) Des frais raisonnables de préparation, de reliure et d'expédition des dossiers d'appel doivent être accordés.
         (3) Le montant pour les services d'avocat pour la préparation de l'appel doit être augmenté pour passer à 5 000 $ pour chaque période de deux jours de l'appel.
         (4) Le montant pour les services d'avocat pour la conduite de l'audition de l'appel doit être augmenté pour passer à ce qui suit :
             a) 1 premier avocat -      1 500 $ par jour
             b) 1 avocat en second - 750 $ par jour
         (5) L'appelante aura droit à des frais raisonnables de reprographie et de reliure de documents présentés à la Cour, à des avocats, au sténographe judiciaire et au client au cours de l'appel, et de toute autre reproduction nécessaire à la conduite de l'appel, pourvu que l'appelante puisse présenter la preuve suffisante de ces frais à l'officier taxateur.

         Le juge Strayer a également ordonné que le Tarif B, tel qu'il existait avant le 1er septembre 1995, devrait s'appliquer généralement à la présente taxation. Le mémoire de frais est ainsi rédigé :

                         HONORAIRES          DÉBOURS
1.      Pour la préparation de
     l'appel                  2 000 $
A.      Frais de voyage et de
     subsistance d'avocat                      2 876,87 $
     (Annexe 1.1)
B      Frais divers
     (Annexe 2.1)                              5 630,50 $
2.      Pour      la conduite de
     l'audition              9 000 $
A.      Frais de voyage et
     de subsistance du
     témoin expert                              2 029,29 $
     (Annexe 2.1)
         TOTAL : 21 536,63 $

         Au début de l'audition, l'avocat des intimées a confirmé qu'il ne contestait pas les honoraires réclamés dans le mémoire de frais de l'appelante (qui s'élèvent à 11 000 $), mais que tous les débours réclamés étaient contestés.

         La principale question dans les présentes procédures est de savoir si l'appelante a fourni à l'officier taxateur la preuve suffisante des débours réclamés.


I.      POSITION DES INTIMÉES

         Voici la façon dont les intimées ont énoncé la question à l'audition et dans des observations écrites. Les intimées prétendent au début que l'affidavit de Kalra, qui est soi-disant la seule "preuve" déposée par l'appelante à l'appui de la taxation, ne contient pas suffisamment de détails pour permettre à l'officier taxateur d'adjuger une somme pour les débours réclamés. Dans l'affidavit contesté, la déposante prétend sous serment avoir examiné les dossiers de Gowling Strathy & Henderson, y compris les factures remises à l'appelante, ainsi que la documentation envoyée par celle-ci concernant les frais engagés. L'avocat des intimées soutient qu'aucun des documents examinés n'était joint à l'affidavit de Kalra ou déposé comme preuve dans les présentes procédures. L'avocat des intimées soutient en outre que l'affidavit de Kalra conclut en ces

termes :

         [TRADUCTION]
         8. Je suis informée par Hélène d'Iorio,l'un des co-avocats dans cette affaire, et j'y crois vraiment, que les débours énumérés dans le mémoire ci-joint ont été régulièrement et nécessairement engagés dans ce litige, et ont été payés par Allied directement ou par Gowling Strathy & Henderson en tant que leurs avocats.

         Ce témoignage, soutient l'avocat des intimées dans ses observations écrites, ne suffit manifestement pas, d'après la jurisprudence [voir F-C Research Institute Ltd. et al. c. La Reine et al., 95 DTC 5583 (Officier taxateur), à permettre à l'officier taxateur d'adjuger des sommes pour les débours réclamés dans un mémoire de frais. Dans cette affaire, l'officier taxateur G. Smith était saisi d'un affidavit semblable à celui de Kalra, et il s'est exprimé en ces termes :

         À mon avis, dans un mémoire, la simple énumération des débours, accompagnée d'une description générale et appuyée seulement d'une déclaration laconique relative au caractère raisonnable et nécessaire des débours, ne fournit pas suffisamment d'éléments d'information à partir desquels l'officier taxateur peut s'acquitter de ses fonctions et arriver à la conclusion que les débours réclamés étaient essentiels à la conduite des procédures, qu'ils ont été engagés avec prudence ou que la quantité ou le taux retenu, selon le cas, était raisonnable dans les circonstances.

         Dans l'affaire F-C Research, l'Officier taxateur Smith, selon l'avocat des intimées, ne faisait qu'appliquer correctement le texte du Tarif B, qui exige que les débours autres que les sommes versées au greffe doivent (c'est l'avocat qui souligne) être justifiés par une preuve suffisante. L'avocat des intimées soutient qu'en l'espèce, le même argument quant à l'insuffisance s'applique. À part diverses annexes qui identifient la nature et le montant des débours réclamés, l'affidavit de Kalra ne joint pas de reçus ni de factures particuliers pour que l'officier taxateur les examine. Il n'est simplement pas possible pour l'officier taxateur, conclut l'avocat des intimées, d'évaluer le caractère raisonnable, par exemple, des frais de logement et de repas réclamés dans les annexes.

     2. POSITION DE L'APPELANTE

         L'avocate de l'appelante conteste cette position hautement technique, adoptée par l'avocat des intimées à la taxation, selon laquelle tous les débours ne devraient pas être accordés parce que de véritables reçus n'étaient pas joints à un affidavit, même si des copies de ces reçus avaient été fournies à l'avocat des intimées à sa demande. L'avocate dit dans son mémoire que rien dans la règle 346 des Règles de la Cour fédérale, ni dans le Tarif B ne prévoit que, à l'occasion de la taxation, les reçus de tous les débours doivent être enregistrés comme preuve en étant joints à un affidavit. Le Tarif B prévoit seulement que les débours doivent être justifiés - c'est l'avocate qui souligne - (et non pas prouvés) par une preuve suffisante. D'après le Dictionary of Canadian Law, le mot "Evidence" (preuve) s'entend de [TRADUCTION] "1. Tout moyen par lequel un fait allégué est prouvé ou réfuté; 2. Une affirmation de fait, d'opinion, de croyance ou de connaissance, qu'elle soit essentielle ou non et qu'elle soit admissible ou non". Ce qui constitue une "preuve suffisante" doit être également examiné en tenant compte de la nature d'une taxation. Une taxation est une procédure administrative. À l'appui de cette idée, l'appelante cite le juge Ryan dans l'affaire M.R.N. c. Bethlehem Copper Corp. Ltd., [1977] 1 C.F. 577 (C.A.), à la page 579 :

         Cependant, la taxation est essentiellement une procédure administrative, bien que parfois, comme c'est le cas en l'espèce, elle puisse avoir un caractère discrétionnaire.

         L'avocate de l'appelante soutient que la documentation fournie à l'avocat des intimées est visée par la définition de preuve et qu'en tant que telle, elle peut être à juste titre examinée par l'officier taxateur. Il importe de noter et de considérer que, comme l'a ajouté encore l'avocate, l'appelante ne cherchait pas à produire à la taxation des documents qui n'avaient par ailleurs pas été produits. L'avocat des intimées a plutôt examiné la preuve justificative, et en a demandé des copies. Il s'ensuit, de la part de l'appelante à tout le moins, que la documentation fournie avait fait partie de la preuve à l'occasion de la taxation et ne serait pas désapprouvée pour le motif qu'elle ne faisait pas partie d'un affidavit. L'avocate de l'appelante termine cette partie de son argument en disant que les intimées ne subiraient pas de préjudice en s'appuyant sur une telle documentation, puisqu'elles avaient eu la possibilité de l'examiner.

         L'avocate de l'appelante soutient en outre que ce qui constitue une "preuve suffisante" a été abordé dans la jurisprudence. Ainsi qu'il est dit dans l'affaire Teledyne Industries, Inc. c. Lido Industrial Products Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 93 (C.F.1re inst.), à la page 98, chaque débours n'a pas à être justifié par un reçu :

         Évidemment, il faut prouver tous les débours à la satisfaction de l'officier taxateur et ce, même si ceux-ci ont été engagés à bon droit. Cela ne veut toutefois pas dire que toutes les dépenses doivent être rigoureusement appuyées d'un reçu du bénéficiaire du paiement. Il existe d'autres façons de prouver qu'une facture a été acquittée. À mon avis, la décision du protonotaire d'accorder ces dépens était fondée car ceux-ci ont été engagés à bon droit relativement à divers interrogatoires préalables. Par conséquent, la totalité du montant réclamé doit être taxée.

         En réponse aux intimées qui s'appuient sur la décision F-C Research Institute Ltd. (supra) pour prétendre que les débours de l'appelante ne devraient pas être accordés, l'avocate de l'appelante offre ce qui suit. La situation factuelle de l'espèce diffère de celle de l'affaire F-C Research Institute Ltd. dans laquelle le mémoire de frais déposé décrivait simplement les débours tels que les tarifs d'affranchissement, les frais de reprographie, les droits d'exportation et de transcription, et aucune documentation justificative n'a été fournie à l'avocat de la partie adverse.

         En l'espèce, l'avocate soutient qu'un mémoire de frais détaillé a été joint à l'affidavit de Jaspreet Kalra exposant, dans l'Annexe 1.1, les frais de voyage et de subsistance d'avocat, soulignant chaque voyage fait et mentionnant séparément les prix du billet d'avion, les frais de logement et de taxi. L'Annexe 1.2 donne séparément les frais de reprographie, de reliure, de télécopie et de messagerie; l'Annexe 2.1 fait état des frais de voyage et de subsistance du témoin expert, et détaille séparément les prix du billet d'avion, les frais de logement, de repas, de taxi et les frais divers engagés. En dernier lieu, l'avocate de l'appelante prétend que les intimées, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, a reçu avant l'audition des copies du rapport sur les dépenses établi par le témoin.

             En bref, l'avocate de l'appelante soutient dans ses conclusions écrites que, compte tenu de la jurisprudence existante, de la nature d'une taxation et du pouvoir discrétionnaire de l'officier taxateur, les documents fournis à l'avocat des intimées relativement à la taxation constituaient de la preuve aux fins de la taxation. La taxation est une procédure administrative, qu'il faut distinguer de l'instruction d'une action devant la Cour où des règles de preuve strictes s'appliquent. On a reconnu que la pratique relativement aux taxations entre parties a été plus informelle. De plus, l'avocat des intimées, ayant examiné et obtenu des copies de la documentation étayant le mémoire de frais, ne devrait pas être autorisé à prétendre qu'une telle preuve ne devrait pas être examinée.

3.          ANALYSE

         J'ai conclu dans d'autres circonstances que la preuve absolue des débours n'est pas exigée d'une partie dont le mémoire de frais est taxé1. Dans l'affaire Melo's Food (voir note 1), l'argument relatif à la suffisance de la preuve a été soulevée dans le contexte d'une réclamation se rapportant à des photocopies, dans la partie des débours du mémoire de frais.

         Dans cette affaire, la partie dont le mémoire était taxé a, en fin de compte, pu me convaincre que, à tout prendre, une preuve suffisante avait été produite pour conclure que la plupart des photocopies faites étaient essentielles et raisonnables. La partie adverse dans la même affaire avait au début prétendu qu'une déclaration générale dans un affidavit, semblable à celle qu'on trouve en l'espèce, ne suffisait pas à décharger la partie dont le mémoire est taxé de l'obligation de convaincre l'officier taxateur de la nécessité des copies et du caractère raisonnable des quantité et du taux facturé. Voici mon raisonnement (aux pages 18 et 19) :

         [...] Il s'agit de l'Obligation de présenter une preuve suffisante ou raisonnable pour convaincre l'officier taxateur que les frais ont été engagés. Tout devient ensuite une question de degré de la preuve. Une déclaration générale semblable à celle que le juge Teitelbaum a critiquée dans l'affaire Diversified2 et qui a également été commentée dans l'arrêt F-C Research Institute3 ne suffirait pas à convaincre un officier taxateur. De la même façon, une preuve absolue et détaillée ne constitue pas une condition indispensable à respecter pour qu'un montant puisse être accordé. Comme l'officier Stinson l'a dit à maintes reprises, plus la preuve est détaillée, moins le résultat sera lié au pouvoir discrétionnaire de l'officier taxateur, mais cela ne signifie pas que celui-ci ne peut invoquer son pouvoir discrétionnaire pour rendre une décision en l'absence d'une preuve convaincante.
         Qu'en est-il de la preuve dont je suis saisi? Cette preuve se compose d'un affidavit de l'avocat principal qui est intervenu au dossier, qui comporte en annexe une liste imprimée de tous les débours réclamés dans l'affaire. La liste imprimée indique la date à laquelle les photocopies ont été faites, mais ne comporte aucun relevé cumulatif du nombre de photocopies qui ont été faites non plus qu'aucune explication à l'appui des photocopies. Pour compléter cette preuve, la défenderesse fournit dans ses observations écrites des explications au sujet de la plupart des photocopies qui ont été faites.

Il s'est également posé dans cette affaire la question du taux facturé pour les photocopies. Bien qu'elle soit en marge du débat sur la suffisance de la preuve, cette question présente néanmoins un intérêt.

         La preuve présentée au sujet du taux exigé par l'avocate de la défenderesse est ténue, semblable au type de déclaration générale qui se trouve dans l'affidavit examiné dans les arrêts Diversified et F-C Research Institute. La preuve ne comporte aucune ventilation détaillée des frais réels des photocopies. Encore une fois, si je devais appliquer à la lettre le raisonnement que le juge Teitelbaum a suivi dans l'arrêt Diversified et refuser d'accorder un montant à cet égard, je pourrais par le fait même refuser à une partie qui a eu gain de cause le droit qu'elle a d'obtenir le remboursement des débours raisonnables et nécessaires.

         Dans l'affaire Samsonite (supra, renvoi 1), il était question du fardeau de la preuve général imposé à la partie demandant une évaluation. J'y ai conclu en ces termes (à la p. 10)

         À mon avis, il appartient à la demanderesse de prouver les différents débours et honoraires réclamés. Il ne suffit pas qu'elle déclare simplement de façon générale dans un affidavit que tous les frais engagés étaient raisonnables et nécessaires et devraient donc être accordés. Une justification supplémentaire est requise à l'appui de ce qui pourrait être considéré comme une déclaration intéressée, même si je ne suis pas prêt à examiner à la loupe chaque inscription figurant dans les deux affidavits et chaque pièce jointe à ceux-ci pour trouver le moindre détail qui permettrait d'établir le lien entre lesdits documents et les différents montants réclamés. Cet exercice ne devrait pas être un jeu de devinettes et je devrais être en mesure de lier assez facilement les frais engagés aux pièces justificatives fournies au soutien de ces montants.

         Les deux prononcés soulignés ci-dessus ne sont pas, à mon avis, contradictoires. Ils ne tentent pas non plus de banaliser ce qu'a dit le juge Teitelbaum dans l'affaire Diversified (supra, renvoi 2). Joindre à un affidavit, pour étayer un mémoire de frais, des copies de notes, de factures, de pièces justificatives et d'autres documents justificatifs pourrait très bien se révéler la meilleure façon d'étayer un mémoire de frais, mais cela ne doit pas en être ainsi dans tous les cas. Ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, plus la preuve est détaillée, moins le pouvoir discrétionnaire est utilisé par l'officier taxateur. Les Règles de la Cour fédérale exigent la présentation d'une preuve "suffisante" à l'appui des débours, et non d'une preuve irréfutable. Autrement dit, la partie dont le mémoire est taxé doit convaincre, tout compte fait et non indubitablement, l'officier taxateur de la nécessité et du caractère raisonnable des dépenses réclamées. Un affidavit contenant tout juste une déclaration générale ne suffit certainement pas à convaincre, à quelque niveau de preuve que ce soit, un officier taxateur. Mais un affidavit semblable à celui versé au dossier de l'espèce auquel est joint de façon générale à des annexes de débours peut se révéler suffisant. Il en est particulièrement ainsi si cette preuve est accompagnée, complétée par de véritables copies de factures qui ont été envoyées au client (ces copies ont été produites à l'audition de la taxation), et suivie d'explications suffisantes de la part de la partie dont le mémoire est taxé. À mon avis, c'est seulement à ce moment-là qu'une telle preuve suffit à convaincre un officier taxateur, à tout prendre, de la nécessité et du caractère raisonnable des débours et qu'il est satisfait au critère de la "preuve suffisante" énoncé dans les Règles.

         Dans une récente taxation, mon collègue C. Stinson4 a dit ceci au sujet du fardeau de la preuve qui incombe à une partie à l'occasion d'une évaluation des débours (aux p. 9 et 10).

         [U] certain travail a été fait; cependant, en raison de l'absence d'éléments de preuve expliquant certaines inscriptions, comme l'"amortissement" relatif aux photocopies...il est difficile, sinon impossible, d'attribuer le montant correspondant vraiment à l'indemnité applicable en l'espèce.
         J'accorde respectivement des montants de 232,13 $, 70,70 $, 155 $ et 300 $. Les officiers taxateurs sont souvent saisis d'une preuve loin d'être complète et doivent, tout en évitant d'imposer aux parties perdantes des frais déraisonnables ou non nécessaires, s'abstenir de pénaliser les parties qui ont gain de cause en refusant de leur accorder une indemnité lorsqu'il est évident que des frais ont effectivement été engagés. Cela signifie que l'officier taxateur doit jouer un rôle subjectif au cours de la taxation. Dans les motifs que j'ai formulés le 2 novembre 1994 dans Youssef Hanna Dableh c. Ontario Hydro, no de greffe T-422-90, j'ai cité, à la page 4, une série de motifs de taxation indiquant le raisonnement à suivre en matière de taxation des frais. [...] J'ai examiné les débours réclamés dans les présents mémoires de frais d'une façon compatible avec ces différentes décisions. De plus, à la page 78 de l'ouvrage intitulé Phipson On Evidence, quatorzième édition (Londres : Sweet & Maxwell, 1990), il est mentionné, au paragraphe 4-38, que [TRADUCTION] "la norme de preuve exigée en matière civile est généralement décrite comme le fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités". Par conséquent, le déclenchement de la procédure de taxation ne devrait pas se traduire par une hausse de ce fardeau vers un seuil absolu. Si la preuve n'est pas absolue pour le plein montant réclamé et que l'officier taxateur est saisi d'une preuve non contredite, bien qu'infime, indiquant qu'un montant a effectivement été engagé pour le déroulement du litige, il n'aura pas exercé une fonction quasi judiciaire en bonne et due forme en décidant de taxer l'élément à zéro comme seule solution de rechange à l'octroi du plein montant. Les litiges semblables à celui de la présente action ne se déroulent pas uniquement grâce à des dons de charité versés par des tierces parties désintéressées. Selon la prépondérance des probabilités, il serait absurde de n'accorder aucun montant à la taxation. J'en suis arrivé à la conclusion que, pour certains montants, comme les télécopies et les photocopies, il convenait d'accorder un montant inférieur au montant réclamé, mais supérieur à zéro, à titre d'indemnité appropriée. L'informatisation des tâches de bureau régulières au cours des dernières années permet maintenant d'isoler certains frais par client.

Ayant tranché la question préliminaire, je peux maintenant procéder à l'évaluation proprement dite.

Article 1.A Frais de voyage et de subsistance des avocats (Annexe 1.1)

         L'ordonnance du juge Strayer est muette sur ce point, mais selon l'avocate de l'appelante, ce que ladite ordonnance accordait était bien au-delà de ce que le tarif accorderait par ailleurs. Les frais réclamés sous cette rubrique, conclut-elle, est ce que le Tarif peut accepter normalement.

         L'avocat des intimées prétend par contre qu'aucune somme ne devrait être accordée sous cette rubrique, puisque le juge Strayer n'a donné aucune directive sur ce poste particulier. L'absence d'une telle directive est révélatrice, dit l'avocat, si on examine l'ordonnance du juge Joyal de la Section de première instance. Devant cette section, une directive particulière a été donnée pour permettre à l'appelante de recouvrer les frais de voyage et de subsistance des avocats pour divers services.

         J'accorderai une partie de la somme réclamée pour le motif que ce que l'ordonnance du juge Strayer accorde est bien au-delà de ce que le Tarif accorde habituellement. L'alinéa 2b) du Tarif B prévoit que les autres débours nécessaires à la poursuite de l'instance peuvent être accordés. Voici ce qui était raisonnablement nécessaire et accordé comme tel sous ce poste :

     22-12-93      Prix du billet d'avion      374,01 $
     10-02-94      Prix du billet d'avion      187,00 $
             Repas & taxis              39,92 $
     28-02-95      Prix du billet d'avion et
             stationnement              420,21 $ (un avocat seulement)
             Logement                  125,64 $ (un avocat seulement)
             Logement et taxi          136,00 $ (un avocat seulement)
     29/03/95      Frais de repas              912,26 $
             TOTAL              2 195,04 $

Article 1.B Frais divers (Annexe 1.2)

         Les paragraphes 2 et 5 de l'ordonnance du juge strayer portent :

         (2) Des frais raisonnables de préparation, de reliure et d'expédition des dossiers d'appel doivent être accordés.
         (5) L'appelante aura droit à des frais raisonnables de reprographie et de reliure de documents présentés à la Cour, à des avocats, au sténographe judiciaire et au client au cours de l'appel, et de toute autre reproduction nécessaire à la conduite de l'appel, pourvu qu'elle puisse présenter la preuve suffisante de ces frais à l'officier taxateur.
         1. Frais versés à Industrie Canada

         Le montant de 100 $ n'est pas contesté et est accordé.

         2. Frais de reprographie

         Il y a à trancher seulement la question de savoir si toutes les photocopies sont essentielles5. Ainsi qu'il a été mentionné dans l'Annexe 1,2 de l'affidavit de Kalra, le coût total de la reprographie était de 2 893,04 $ plus 145,80 $ (Bradda Printing) pour un total réclamé de 3 038,84 $. Les dossiers d'appel et les appendices de ceux-ci avaient un total de 2 463 pages. Huit exemplaires en ont été faits, quatre pour la Cour, un pour l'avocat des intimées, deux pour l'avocat de l'appelante et une pour AlliedSignal Inc., soit un total de

19 704 exemplaires au coût de 1 576,32 $. Ce montant de 1 576,32 $ n'est pas contesté par les intimées et est donc accordé parce qu'il est raisonnable. Les photocopies restantes étaient pour les livres de jurisprudence et de références. L'appelante a déposé quatres livres de jurisprudence, ainsi que deux volumes contenant les références figurant dans son exposé des faits et du droit. Tout comme les dossiers d'appel, huit exemplaires en ont été tirés pour les avocats et le client.

         L'avocat des intimées soutient de son côté que, en vertu de l'ordonnance du juge Strayer, l'appelante aura droit à des frais raisonnables de reprographie et de reliure de documents présentés à la Cour, à des avocats, au sténographe judiciaire et au client au cours de l'appel, et de toute autre reproduction nécessaire à la conduite de l'appel, pourvu qu'elle puisse présenter la preuve suffisante de ces frais à l'officier taxateur (C'est l'avocat qui souligne). Il n'existe, conclut l'avocat des intimées, aucune preuve satisfaisante permettant à l'officier taxateur d'accorder ces frais de reprographie restants.

         Ainsi que je l'ai expliqué au début des présents motifs, taxer à zéro dollars les exemplaires restants manifestement tirés serait absurde. La preuve concernant ces exemplaires additionnels n'est pas aussi détaillée comme on le souhaiterait, mais je ne peux pas faire autrement que de m'appuyer sur mon expérience et mon pouvoir discrétionnaire pour accorder un montant, avec bien entendu le risque qu'une indemnisation pleine d'un débours par ailleurs légitime peut ne pas être réalisée.

         Selon mes calculs, 36 163 exemplaires étaient jugés nécessaires pour cette instance. De ce nombre, 19 704 exemplaires ( ou 19 704 x 0,08 $ = 1 576,32) ont été admis par l'avocat des intimées. Les exemplaires restants, soit un total de 16 459, se rapportent, prétend-on, à des exemplaires tirés des livres de jurisprudence et de références. Ces livres font partie du dossier de la Cour, et je peux donc conclure que les 16 459 exemplaires additionnels (16 459 x 0,08 $ = 1 316,72) étaient, tout compte fait, raisonnablement nécessaires et devraient être accordés comme tels. Le total accordé s'élève donc à 2 893,04 $, et à 145,80 $ pour l'impression à l'extérieur (Bradda printing). Ce chiffre final de 3 038,84 $ s'élève à ce qui avait au début été réclamé puisque j'ai pu calculer le nombre total d'exemplaires tirés sans trop de difficulté. Ce n'est peut-être pas le cas tout le temps, particulièrement lorsque la preuve n'est pas détaillée.

         3. Frais de reliure

         Ces frais s'élèvent à 1 101,95 $ ainsi qu'il ressort de l'Annexe 1.2 de l'affidavit de Kalra. Ma seule question se rapporte aux frais de reliure de 909,45 $ qui portent une date ultérieure au jour où les dossiers d'appel avaient été déposés (c.-à-d. le 28 mars 1994) et à l'audition réelle de l'appel qui a eu lieu les 6 à 9 mars 1995. N'ayant reçu aucune autre explication sur cet écart apparent, je dois, à tout prendre, rejeter cette réclamation de 909 $, ce qui laisse 1992,50 $ pour ce poste.

         4.      Recherche juridique automatisée          9,97 $
         5.      Frais de télécopieur              139,68 $
         6.      Frais des appels interurbains          118,61 $
         7.      Frais de taxi                      38,78 $
         9.      Frais de messagerie                  448,13 $

         Les frais divers ci-dessus sont accordés parce qu'ils sont raisonnables dans les circonstances de l'espèce.

         8. Frais de transcription des copies

         L'appelante a retiré les frais de transcription des copies qui s'élevaient à 634,54 $.

     Article 2. A Frais de voyage et de subsistance du témoin expert (Annexe 2.1)

         Pour raison de commodité, je reproduis le paragraphe 1 de l'ordonnance du juge Strayer :

         (1) Des honoraires et des débours raisonnables doivent être accordés relativement à un témoin expert de l'appelante à l'égard de réunions pour la préparation de l'audition de l'appel et pour la présence à l'appel, y compris les frais de voyage, de logement et de subsistance.

         Selon l'avocate de l'appelante, le rapport sur les dépenses établi par le témoin expert, le Dr John Sibilia, a été rendu disponible aux fins d'examen à la demande de l'avocat des intimées, et a également présenté à l'officier taxateur à l'audition de la taxation.

         Voici les détails des dépenses réclamées. L'appel a duré quatre jours (plus deux jours de préparation). Le logement de l'expert est donc pour six jours au prix moyen de 127,67 $ US par jour. Le prix du billet d'avion est de 335,75 $US. Les frais de repas s'élèvent à 135 $US, soit en moyenne 22,50 $ par jour. Les frais de taxi sont, en moyenne, de 24,83 $ par jour pour des taxis en partance pour l'aéroport et en provenance de celui-ci. Au cours du séjour du Dr Sibilia à Ottawa, seulement 22 $ ont été dépensés pour des frais de taxi. Les frais divers s'élevaient à 70,60 $, soit en moyenne 11,76 $ par jour, et ont été détaillés dans le rapport comme frais de téléphone et d'affranchissement.

         L'avocat des intimées rejette les sommes ci-dessus pour le motif qu'aucune documentation justificative (p. ex. des factures d'hôtel) concernant ces frais n'a été présentée en preuve. La seule somme que l'avocat est disposé à accepter est le prix du billet d'avion (335,75 $), puisqu'il ne fait pas de doute que le Dr Sibilia a été présent à l'audition de l'appel et que le prix du billet d'avion est évidemment le prix de la classe économique.

         Je suis disposé à accorder la somme réclamée par l'appelante, excepté les frais de logement que je trouve excessifs. Même à un taux de change d'environ 1,35 $, les frais par jour pour le logement à l'hôtel s'élèvent à plus de 170 $ par jour, ce qui est clairement considérable. Un taux plus raisonnable serait de 100 $ par nuit, soit 600 $ pour six nuits de logement. Le mémoire de frais est donc réduit pour refléter les changements ci-dessus apportés aux frais de voyage et de subsistance du témoin expert (1 564,50 $ au lieu de 2 209,26 $).

         Le mémoire de frais de 21 536,63 $ présenté par l'appelante est taxé et accueilli pour la somme de 18 846,05 $. Un certificat de taxation portant cette somme sera délivré.

                             Marc D. Reinhardt

                             Officier taxateur

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION D'APPEL

     A-660-93

ENTRE

     ALLIEDSIGNAL INC.,

     appelante,

     et

     DU PONT CANADA INC.

     et THE COMPLAX CORPORATION,

     intimées.

     TAXATION DES FRAIS - MOTIFS

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION D'APPEL

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      A-660-93
INTITULÉ DE LA CAUSE :              AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc. et The Complax Corporation
LIEU DE LA TAXATION :              Ottawa
DATE DE LA TAXATION :              Le 26 mars 1997

MOTIFS DE L'OFFICIER TAXATEUR :      Marc D. Reinhardt

EN DATE DU                      16 juillet 1997

AVOCATS :

Hélène d'Iorio                      pour l'appelante

Arthur Renaud                      pour les intimées

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson

Avocats

160, rue Elgin

Ottawa (Ontario)

K1P 1C3                          pour l'appelante

Sim, Hugues, Ashton & McKay

330, avenue University,

6e étage

Toronto (Ontario)

M5G 1R7                          pour les intimées

__________________

     1      Voir Samsonite Canada Inc. c. Les Entreprises National Dionite Inc., [1995] F.C.J. No. 849 (QL) et Melo's Food Centre Ltd. c. Borges Food Ltd., T-916-89, décision non publiée en date du 8 août 1996.

     2      Re Diversified Products Corp. et al. c. Tye-Sil Corp. Ltd. (1990), 34 C.P.R. (3d) 264) (C.F.1re inst.).

     3      F-C Research Institute et al. c. La Reine et al. (1995) DTC 5583, G.M. Smith, O.T.

     4      Grace M. Carlile c. S.M.R., A-486-93, décision non publiée en date du 8 mai 1997.

     5      Il a été convenu que le coût réel de la reprographie était de 0,08 $ la page.

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