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Date : 19991217


Dossier : A-182-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 DÉCEMBRE 1999

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


ENTRE :


QUEENSWOOD LAND ASSOCIATES LIMITED,


appelante,

    

- et -


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.


JUGEMENT

     L"appel est accueilli avec dépens devant la présente Cour et la Cour canadienne de l"impôt. Le jugement de la Cour canadienne de l"impôt est annulé et les nouvelles cotisations visant les années d"imposition 1986, 1987 et 1988 de l"appelante sont renvoyées au ministre pour qu"il les réexamine et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la remise de dette s"élevant à 8 303 261 $ ne doit pas être incluse dans le calcul du revenu de l"appelante pour l"année d"imposition 1986.

"    Robert Décary "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.



                                    

Date : 19991217


Dossier : A-182-97


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


ENTRE :


QUEENSWOOD LAND ASSOCIATES LIMITED,


appelante,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.






Audience tenue à Montréal (Québec) le mercredi 24 novembre 1999


Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 17 décembre 1999






MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE NOËL


Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE LÉTOURNEAU





Date : 19991217


Dossier : A-182-97


CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

ENTRE :


QUEENSWOOD LAND ASSOCIATES LIMITED,


appelante,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL


[1]      Il s"agit d"un appel d"un jugement par lequel la Cour canadienne de l"impôt a rejeté en partie l"appel interjeté par l"appelante à l"encontre de nouvelles cotisations pour les années d"imposition 1986, 1987 et 19881.

[2]      Dans ces nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national a décidé que la remise d"une dette d"une société acquise par l"appelante et fusionnée à elle par la suite donnait lieu à un revenu imposable pour l"appelante, correspondant au montant de la remise. L"issue du présent appel dépend de la qualification de cette remise de dette aux fins de l"impôt sur le revenu.

Les faits

[3]      Queenswood Land Associates Ltd. (l"appelante), une société ontarienne, a acquis, le 2 décembre 1986, les actions de R-104 Holdings Ltd. (R-104), une société de la Colombie-Britannique constituée en 1979 et maintenue sous le régime des lois de l"Ontario le 31 juillet 1986. Les deux sociétés ont fusionné le 24 décembre 1986.

[4]      Avant la fusion, l"appelante exploitait une entreprise en qualité de promoteur immobilier dans la région d"Ottawa. Elle était en bonne posture financièrement et ses dirigeants cherchaient des moyens de réduire les impôts qu"elle devait payer. Ils ont appris l"existence de R-104, qui exerçait les mêmes activités en Colombie-Britannique et qui avait subi des pertes imputables à la baisse de la valeur de ses biens immeubles.

[5]      À l"époque, R-104 avait fait de gros emprunts. Elle avait obtenu de la société First City Financial Corporation (First City2) un prêt avec participation qu"elle n"avait pas encore remboursé et en vertu duquel le prêteur, en plus de percevoir des intérêts à un taux représentant 2 p. 100 de plus que le taux préférentiel3, avait droit à une part du bénéfice tiré du projet financé4. La convention stipulait en outre que l"utilisation des fonds empruntés devait être approuvée par le prêteur5. L"emprunt était garanti par une charge grevant les terrains et une charge flottante sur les actifs de l"entreprise, ainsi que par une garantie personnelle des actionnaires de R-1046.

[6]      Au moment de son acquisition par l"appelante, R-104 devait la somme de 11 185 095 $ en vertu du prêt, y compris des intérêts courus d"environ 6 450 000 $.

[7]      L"opération par laquelle l"appelante a acquis les actions en circulation de R-104 a été conclue le 22 décembre 1986, au même moment que deux autres opérations connexes. Ce jour-là, First City a convenu de libérer R-104 de l"obligation de payer tout montant excédant 3 384 990 $7 au titre de sa dette et R-104 a consenti à First City une option lui permettant d"acquérir les terrains figurant dans son inventaire à un prix correspondant à leur juste valeur marchande (soit 2 155 000 $), option que First City a exercée le jour même8.

        

[8]      En se départant des terrains figurant dans son inventaire, R-104 a subi une perte d"entreprise de 9 442 196 $ correspondant à la différence entre le coût des terrains vendus (10 950 696 $) et sa part du produit de la vente (1 508 500 $)9. L"appelante a acquis toutes les actions en circulation de R-104 au prix de 10 $ le même jour10 et les deux sociétés ont fusionné deux jours plus tard. Il est bien établi que, le 22 décembre 1986, le coût de l"intérêt de R-104 sur les terrains aux fins de l"impôt sur le revenu s"élevait à 10 950 696 $11.

[9]      Lorsqu"elle a produit sa déclaration d"impôt pour l"année d"imposition 1986, l"appelante a soutenu avoir subi une perte de 9 942 196 $ en raison de la vente des terrains12. La portion inutilisée de cette perte a été reportée et déduite du revenu qu"elle a gagné au cours des années d"imposition 1987 et 1988.

[10]      Le ministre a établi une nouvelle cotisation ajoutant notamment au revenu de l"appelante la remise de dette de 8 303 261 $ pour son année d"imposition 198613. Lorsqu"il a établi cette nouvelle cotisation, le ministre a soutenu qu"en raison de sa nature, la remise de dette donnait lieu à un revenu d"un montant correspondant pour le bénéficiaire de la remise. Subsidiairement, il a fait valoir que la remise a réduit le coût des terrains figurant dans l"inventaire cette année-là. Des nouvelles cotisations ont été établies en conséquence pour les années d"imposition 1987 et 1988.

[11]      L"appelante a interjeté appel devant la Cour canadienne de l"impôt. L"appel a été rejeté en partie par un jugement rendu le 18 février 199714. L"appelante a formé un appel à l"encontre de cette décision de la Cour canadienne de l"impôt dans la mesure où elle l"empêche de se prévaloir de la perte de 9 942 196 $ qu"elle prétend avoir subi au cours de l"année d"imposition 1986.

La décision portée en appel

[12]      Le juge de la Cour canadienne de l"impôt a cité abondamment dans ses motifs les arrêts prononcés par la Cour suprême du Canada dans les affaires Oxford Motors Co. Ltd. v. M.N.R.15 et Tip Top Tailors Limited v. M.N.R.16 Elle a déclaré, en se reportant à ces deux arrêts :

Je considère que les principes juridiques exprimés dans ces arrêts "    où est examiné en profondeur l"arrêt British Mexican sur lequel se fonde la thèse de l"appelante " peuvent et doivent s"appliquer à tous les cas de remise de dette ou d"accroissement ou de réduction de capital.17

[13]      Le juge de la Cour de l"impôt a ensuite énoncé le critère à appliquer pour décider si une remise de dette donnait lieu à un revenu ou devait être considéré au titre du capital :

Selon les principes juridiques, il faut examiner le but de la remise de dette ainsi que l"usage fait des fonds empruntés faisant l"objet de cette remise pour déterminer si le montant des dettes remises doit être inclus dans le calcul du revenu d"entreprise. À moins que la remise n"ait pour objet de restaurer le capital, l"usage fait des fonds empruntés faisant l"objet de la remise doit être examiné pour voir en quoi elle se rapportait à l"entreprise de l"emprunteur.

En l"espèce, malgré l"absence de preuve précise sur l"objet de la remise de dette, il ressort clairement des circonstances du marché conclu par les trois parties que l"objet de la remise n"avait rien à voir avec la restauration du capital du contribuable ou avec l"injection de capitaux nouveaux et qu"il ne s"agissait pas non plus d"un acte à titre gracieux. Les circonstances de l"espèce sont donc fondamentalement différentes de celles de l"affaire British Mexican . Par conséquent, la décision rendue dans cette affaire-là ne peut servir à régler la question en litige ici.18

[14]      Elle a enchaîné en disant :

Les prêts ont été utilisés comme fonds de roulement pour l"entreprise de la société. La dette créée était directement attribuable à l"entreprise : le montant total des prêts a été affecté à l"acquisition des terrains et l"intérêt dû sur les prêts a été ajouté au coût des terrains. Les fournisseurs (vendeurs) ont été payés grâce à des prêts consentis à l"acheteur par le prêteur et, n"eussent été les fonds empruntés, les sommes seraient encore dues aux vendeurs. Les coûts d"acquisition représentaient des montants dus non pas aux vendeurs, mais au prêteur et pour l"essentiel, la création d"une dette envers la banque correspondait simplement à une substitution de créancier relativement aux opérations effectuées (Tip Top Tailors, précité, p. 1234).19

[15]      En s"appuyant sur ce raisonnement, le juge de la Cour canadienne de l"impôt a conclu que la valeur de la remise de dette devait être déduite du coût des terrains figurant dans l"inventaire parce que ces montants " n"étaient plus dus aux créanciers substitués "20.

Analyse et décision

[16]      L"article 80 de la Loi régit le traitement fiscal d"une remise de dette. Voici le texte de cette disposition applicable à l"année d"imposition 1986 :

80(1) Where at any time in a taxation year a debt or other obligation of a taxpayer to pay an amount is settled or extinguished after 1971 without any payment by him or by the payment of an amount less than the principal amount of the debt or obligation, as the case may be, the amount by which the lesser of the principal amount thereof and the amount for which the obligation was issued by the taxpayer exceeds the amount so paid, if any, shall be applied

     (a) to reduce, in the following order, the taxpayer"s
         (i) non-capital losses,
         (i.1) farm losses,
         (ii) net capital losses, and
         (iii) restricted farm losses,
         for preceding taxation years, to the extent of the amount of those losses that would otherwise be deductible in computing the taxpayer"s taxable income for the year or a subsequent year, and

80(1) Lorsque, à une date quelconque pendant une année d"imposition, une dette contractée par un contribuable, ou une autre obligation contractée par un contribuable de payer une somme, est réglée ou éteinte après 1971, sans que ce contribuable effectue de paiement, ou par le paiement d"une somme inférieure au principal de la dette ou de l"obligation, selon le cas, la fraction du moins élevé des montants suivants: ce principal ou le montant pour lequel l"obligation a été émise par le contribuable qui est en sus de la somme ainsi versée, le cas échéant, doit servir

     (a) à réduire, dans l"ordre suivant:
         (i) les pertes autres que les pertes en capital,
         (i1) les pertes agricoles,
         (ii) les pertes en capital nettes, et
         (iii) les pertes agricoles restreintes,
         subies par le contribuable pour des années d"imposition antérieures, jusqu"à concurrence du total de ces pertes qui seraient par ailleurs déductibles lors du calcul du revenu imposable du contribuable pour l"année ou une année postérieure, et
     (b) to the extent that the excess exceeds the portion thereof required to be applied as provided in paragraph (a), to reduce in prescribed manner the capital cost to the taxpayer of any depreciable property and the adjusted cost base to him of any capital property,

unless

...

     (f) the excess is otherwise required to be included in computing his income for the year or a preceding taxation year or to be deducted in computing the capital cost to him of any depreciable property, the adjusted cost base to him of any capital property or the cost amount to him of any other property,
     (b) dans la mesure où cet excédent est supérieur à la fraction en question qui doit servir, en vertu de l"alinéa (a ), à réduire, de la manière prescrite, le coût en capital supporté par le contribuable, de tous biens amortissables du contribuable et le prix de base rajusté, pour lui, de tous biens en immobilisation

à moins que

[...]

     (f) l"excédent ne doive être par ailleurs inclus dans le calcul de son revenu pour l"année ou déduit lors du calcul soit du coût en capital, pour lui, de biens amortissables, soit du prix de base rajusté, pour lui, de biens en immobilisation,

[17]      Comme on peut le constater, les alinéas a ) et b) de l"article 80 prescrivent la manière dont une remise de dette doit être attribuée aux fins de l"impôt sur le revenu. Ils s"appliquent, sauf dans le cas visé à l"alinéa f ), c"est-à-dire saur lorsque le montant de la remise doit par ailleurs être inclus dans le revenu.

[18]      En l"espèce, l"appelante, estimant que le montant de la remise ne devait pas être inclus dans son revenu, a appliqué les alinéas a ) et b) de l"article 80, ce qui lui permettait de reporter la quasi-totalité du montant de la remise de dette21. L"intimée a, au contraire, prétendu que l"application de l"article 80 était exclue parce que, selon elle, le montant de la remise de dette "    [devait] être par ailleurs inclus dans le calcul [du] revenu [de l"appelante]. " L"intimée soutient plus particulièrement que la valeur de la dette doit être incluse dans le calcul du bénéfice de l"appelante en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi22. Subsidiairement, l"intimée affirme que la remise a pour effet de réduire le coût des terrains figurant dans l"inventaire de l"appelante par application du paragraphe 10(1)23.

[19]      La Loi précise les conséquences fiscales de la remise d"une dette dans des cas particuliers, dont aucun ne correspond à la situation en cause en l"espèce24. L"article 80 est la seule disposition destinée à régir la remise d"une dette de façon générale et, comme on le constate à la lecture de l"alinéa f ), il élude la question de savoir si pareille situation donne lieu à un revenu. Comme la Loi ne donne aucune indication à cet égard, il faut s"en remettre à la jurisprudence.

[20]      Avant d"étudier la jurisprudence, il est important de noter qu"aucun trompe-l"oeil de quelque sorte que ce soit n"est allégué en l"espèce. L"opération à l"origine de la perte d"entreprise et l"ampleur de cette perte ne sont pas en litige; il en est de même de l"opération par laquelle R-104 et l"appelante ont fusionné. La seule question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la remise de dette en soi, dont le montant convenu est de 8 303 261 $, devrait, compte tenu des précédents jurisprudentiels et des principes commerciaux reconnus25, être incluse dans le calcul du bénéfice de l"appelante. Si elle ne doit pas l"être, l"intimée reconnaît que l"appel doit être accueilli26.

[21]      L"arrêt de principe, ou à tout le moins la décision apparemment la plus ancienne, sur cette question est l"arrêt rendu par la Chambre des lords dans l"affaire British Mexican Petroleum Co., Ltd. v. Jackson27. Cet arrêt traite de la remise d"une dette commerciale. British Mexican était une entreprise qui achetait et vendait du pétrole. En raison d"une baisse importante du prix du pétrole, elle s"est retrouvée dans l"incapacité de payer à son fournisseur le pétrole qui lui avait été livré. Plutôt que de mettre British Mexican en faillite, le fournisseur lui a remis une portion importante de sa dette28.

            

[22]      British Mexican avait contracté cette dette pour s"approvisionner en pétrole au cours de l"année d"imposition 1921 et la remise de dette est survenue au cours de l"année d"imposition suivante. Lord Macmillan et lord Thankerton, dont les autres lords partageaient l"opinion, ont statué que l"année au cours de laquelle la dette a pris naissance ne pouvait pas être rouverte et que la remise ne pouvait pas être considérée comme une opération commerciale conclue au cours de l"année où elle a été accordée29. Lord Macmillan a souligné dans ses motifs que le résultat aurait très bien pu être différent si la remise était survenue au cours de l"année où la dette avait été contractée30.

[23]      Dans l"affaire Oxford Motors, un fournisseur anglais d"automobiles a consenti à son distributeur canadien un rabais de 250 $ par automobile vendue. Les rabais ont pris la forme de crédits imputés à la dette de l"appelante relativement aux automobiles livrées l"année précédente. L"appelante s"est appuyée sur l"arrêt British Mexican pour faire valoir que le rabais avait été consenti au cours de l"année suivant celle où la dette avait été contractée, de sorte qu"il n"était pas imposable pour cette année d"imposition.

[24]      La majorité des juges de la Cour suprême ont rejeté cet argument31. La Cour a fait remarquer que l"arrêt British Mexican n"a pas établi que la remise d"une dette commerciale ne peut jamais être prise en compte pour le calcul du bénéfice d"une entreprise. La majorité n"a pas tenu compte de l"argument lié à l"année d"imposition pertinente et elle a statué que les rabais faisaient partie du bénéfice commercial réalisé par l"appelante au cours de l"année où ils ont été consentis :

[Traduction] Le résultat de l"offre faite par [le fournisseur] était que le stock d"automobiles de l"appelante, s"il était vendu au Canada, lui rapporterait un bénéfice additionnel brut de 250 $ par automobile. Vu sous un autre angle, le coût de chaque automobile vendue au Canada était réduit de 250 $.
...

Les rabais étaient intimement liés aux opérations commerciales de l"appelante et ... le bénéfice qu"elle en a tiré était nettement un bénéfice d"exploitation pour l"entreprise.32

[25]      Dans l"affaire Tip Top Tailors33, l"appelante avait pour pratique habituelle de payer chaque lot d"étoffe de laine acheté en Grande Bretagne en achetant chaque fois à cette fin des livres sterling au taux de change alors en vigueur. Vers la fin de l"année 1947, l"appelante, croyant que la livre serait dévaluée, a obtenu une marge de crédit qu"elle a utilisée pendant environ deux ans pour ses achats de laine. Lorsque la livre a été dévaluée, en 1949, l"appelante a réglé son découvert bancaire au taux alors en vigueur, réalisant ainsi un gain de 170 000 $ que le ministre a traité comme un revenu.

[26]      La Cour suprême a statué que la façon dont le ministre avait traité le gain correspondait à la bonne solution entre deux points de vue34. Le juge Locke35 a statué que l"appelante s"était prévalue de la possibilité d"acheter de la laine en livres anglaises pour réduire ses coûts parce qu"elle prévoyait une dévaluation de la livre. Il ne voyait pas en quoi la situation de l"appelante concernant le bénéfice tiré de la dévaluation de la livre pouvait se distinguer de la vente à découvert de sucre. Selon lui, l"appelante s"était simplement lancée dans une opération spéculative dans le but de réduire le coût de son approvisionnement en laine36. Le juge Rand37 estimait, pour sa part, que le gain découlant du taux de change était si étroitement lié aux paiements faits par l"appelante dans le cadre de ses activités commerciales qu"il en faisait partie38.

[27]      Je crois que ces décisions permettent d"affirmer sans se tromper que dans les cas où la remise d"une dette d"une entreprise touche une "    dette commerciale ", ou une dette si étroitement liée aux activités commerciales de l"entreprise qu"elle ne peut en être séparée, la remise de dette fera habituellement partie du bénéfice tiré de l"exploitation de l"entreprise39. Toutefois, lorsque la remise touche une dette distincte et séparée des activités commerciales d"une entreprise, elle n"aura habituellement pas d"incidence sur le bénéfice tiré de son exploitation au cours de l"année.

[28]      En ce qui concerne la distinction entre les opérations commerciales proprement dites et les activités accessoires à ces opérations, le juge Rand a tenu les propos suivants dans l"arrêt Tip Top Tailors :

[Traduction] ... l"outillage servant à l"exploitation de l"entreprise qui gagne le revenu est distinct de l"entreprise même; et les fluctuations de sa valeur n"ont pas de conséquences sur les bénéfices et les pertes de l"entreprise.40

Il a enchaîné en expliquant la différence entre l"outillage d"une entreprise et ses activités génératrices de revenus en se reportant aux propos tenus par Lord Macmillan dans Montreal Coke and Manufacturing Company v. M.N.R.:

[Traduction] L"entreprise d"aucune des appelantes ne consiste à conclure des opérations financières. La nature de leur entreprise ressort suffisamment de leur appellation. Ce sont ces entreprises qu"elles exercent dans le but de gagner une revenu. À l"instar des autres gens d"affaires, elles doivent disposer d"un capital pour exploiter leur entreprise, mais leurs accords financiers sont tout à fait distincts de leurs activités génératrices de revenu.41

[29]      Par conséquent, il est établi que, dans les cas où la remise est accordée relativement à une dette contractée dans le cadre d"une relation prêteur-emprunteur dans le but de financer les activités d"une entreprise, la remise sera généralement traitée comme une réduction de la dette en capital car elle ne fait pas partie des [Traduction] "    activités commerciales normales de l"entreprise "42.

[30]      Plus récemment, la Cour canadienne de l"impôt a rendu une décision sur la qualification de la remise d"une dette découlant d"un prêt consenti pour financer les activités de promoteur immobilier de l"emprunteuse43. Le juge Rip de la Cour canadienne de l"impôt a exprimé l"opinion que la question de savoir si une remise de dette doit être considérée au titre du revenu ou du capital tenait à celle de savoir si la dette elle-même est au titre du revenu ou du capital. Il a ajouté :

Lorsqu"une personne souscrit au capital-actions d"une société, il s"agit d"une opération en capital, peu importe l"utilisation que la société fait de l"argent. La société peut utiliser les fonds pour acheter une usine ou pour acheter des articles de stock; dans les deux cas, les fonds obtenus des actionnaires sont du capital. De même, lorsqu"une société emprunte de l"argent de sa banque pour financer l"acquisition d"éléments d"actif, dont des stocks, par exemple, l"opération entre le prêteur et l"emprunteur est en capital. La dette est au titre du capital.44

Le juge Rip a ensuite conclu :

Le remboursement du prêt par [l"emprunteur] n"aurait eu aucune incidence sur son bénéfice dans l"année du remboursement; la remise d"une partie de son prêt ne devrait pas non plus avoir d"incidence sur son bénéfice. La remise partielle de la dette ne représentait rien d"autre pour [l"emprunteur] qu"une économie, et une économie ne doit pas être incluse dans le revenu d"un contribuable.45

[31]      Le juge de la Cour de l"impôt a semblé reconnaître en l"espèce que la remise a été accordée dans le cadre de la relation normale prêteur-emprunteur. L"avocat du ministre a indiqué au cours de l"instruction qu"il avait l"intention de démontrer que le prêt avec participation ne constituait pas un accord de financement habituel, mais le juge de la Cour de l"impôt a souligné, dans ses motifs, que "    aucune preuve [à cet effet] n"a été présentée et, au moment de l"argumentation, aucune jurisprudence à l"appui de ce point de vue n"a été présentée non plus. "46 Par conséquent, le juge de la Cour de l"impôt n"a pas tiré de conclusion défavorable relativement à l"accord de la convention de prêt et rien ne permet de croire qu"elle se démarque du type de prêt qu"une entité prêteuse et un promoteur immobilier concluraient dans le cours normal de leurs activités commerciales.

[32]      Le juge de la Cour de l"impôt a reconnu, dans ses motifs, que les activités génératrices de revenu de l"appelante consistaient à acheter, aménager et vendre des terrains et que les prêts ont été utilisés pour fournir l"appelante le fond de roulement nécessaire à ces fins. Elle a reconnu que les prêts ont bel et bien servi à financer l"acquisition des terrains figurant dans son inventaire et leur aménagement. Néanmoins, après avoir constaté que le prêt était "    directement attribuable à l"entreprise ", elle s"est appuyée sur les arrêts Tip Top Tailors et Oxford Motors pour affirmer que les prêts et leur remise faisaient partie des activités commerciales de l"appelante.
[33]      À mon humble avis, le juge de la Cour de l"impôt a ainsi mal interprété les arrêts Tip Top Tailors et Oxford Motors. Tip Top Tailors est un cas d"espèce. Dans cette affaire, la convention de prêt a été conclue dans le but précis de tirer parti de la dévaluation prévue de la livre anglaise. L"appelante a décidé de mettre délibérément en oeuvre une politique de découvert élevé pour atteindre ce but. C"est dans ce contexte que le juge Locke a dit :
[Traduction] ... il s"agissait d"un stratagème conçu pour réaliser un bénéfice dans une composante essentielle des activités commerciales de l"appelante, savoir l"achat de livres sterling un élément d"une opération commerciale intégrée consistant à acheter des fournitures et à les payer dans cette devise.47
[34]      Dans Oxford Motors, la Cour devait se prononcer sur un rabais assujetti à la vente d"éléments figurant dans l"inventaire qui, comme on pouvait s"y attendre, a été jugé [Traduction] "    étroitement " lié aux activités commerciales de l"appelante.
[35]      Rien de la sorte ne s"est produit en l"espèce. Le juge de la Cour de l"impôt a conclu, quant aux faits, que les prêts ont servi à fournir à l"appelante le fond de roulement nécessaire à la poursuite de ses activités de promoteur immobilier. Toutefois, elle a statué que " les coûts d"acquisition représentaient des montants dus non pas aux vendeurs, mais au prêteur "48. À son avis, le prêteur, lorsqu"il a avancé les fonds empruntés, s"est simplement substitué aux vendeurs des terrains et est en fait devenu créancier du solde du prix de vente49.
[36]      En l"absence de trompe-l"oeil ou d"une autre conclusion de même nature, le juge de la Cour de l"impôt ne pouvait pas qualifier différemment aux fins de l"impôt sur le revenu la relation juridique de l"appelante avec ses prêteurs et ses fournisseurs50. Si l"on s"en remet à la preuve, le coût d"acquisition des terrains figurant dans l"inventaire de l"appelante était dû et a été effectivement versé aux vendeurs des terrains en cause et l"entité prêteuse a simplement avancé les fonds nécessaires pour financer ces achats. Le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur en choisissant en fait de redéfinir la relation entre les parties à partir de sa propre perception des faits. En l"absence de conclusion portant que les opérations en cause n"ont pas eu l"effet que les parties leur attribuent, le juge de la Cour de l"impôt ne pouvait pas passer outre leur effet juridique.
[37]      Lors de l"audition de l"appel, l"avocat du ministre a fait valoir un moyen subsidiaire à l"appui d"une partie de la décision visée par l"appel. Reconnaissant que la remise emportait la réduction d"une dette en capital, il a soutenu qu"elle devait néanmoins être traitée comme un revenu en ce qui concerne la partie de cette remise qui touche les intérêts courus sur le solde des emprunts.
[38]      Son raisonnement, tel que je le perçois, voulait que la portion de la remise de dette représentant du capital corresponde à de l"argent effectivement déboursé pour acquérir les terrains figurant dans l"inventaire. Il convenait donc de tenir compte de cette partie de la remise de dette pour calculer le coût des terrains figurant dans l"inventaire de R-104. Les intérêts courus ont également été ajoutés au coût des terrains figurant dans l"inventaire, parce que R-104 a décidé de les "    capitaliser ". Cependant, étant donné le remise de la dette, ils n"ont jamais été déboursés. Par conséquent, l"avocat a fait valoir que la partie de la remise de dette touchant les intérêts courus devrait logiquement être ajoutée au bénéfice de l"appelante, car il s"agit d"un coût qui a été engagé, mais qui n"a jamais été payé.
[39]      En invoquant cet argument, l"avocat confond le coût des terrains figurant dans l"inventaire de l"appelante, établi en 1986, et l"objet de la remise. Le coût des terrains figurant dans l"inventaire de R-104 aux fins de l"impôt sur le revenu n"a jamais été contesté. Il inclut le coût des terrains proprement dits, le coût de leur aménagement et les intérêts courus que R-104 était autorisée à ajouter au coût des terrains en vertu de la version du paragraphe 18(9) en vigueur en 1986. L"intimée avait admis en l"espèce que le 22 décembre 1986, le coût des terrains figurant dans l"inventaire de R-104 aux fins de l"impôt sur le revenu s"établissait à 10 950 696 $51.
[40]      D"autre part, l"objet de la remise correspondait aux montants dus en vertu de la convention de prêt et impayés le 22 décembre 1986. Il n"est pas contesté que ces montants étaient effectivement dus et exigibles à l"époque, pour ce qui est à la fois du capital et des intérêts. Par conséquent, la seule question à trancher aux fins de l"impôt sur le revenu est celle de savoir si la dette, au moment de la remise, était au titre du revenu ou du capital. En l"espèce, il semble clair, pour les motifs déjà exposés, que la dette était au titre du capital et il s"ensuit que sa remise n"a pas d"incidence sur le bénéfice réalisé par l"appelante au cours de l"année.
[41]      Je suis donc d"avis d"accueillir l"appel avec dépens devant la présente Cour et la cour d"instance inférieure, d"annuler le jugement de la Cour canadienne de l"impôt et de renvoyer l"affaire au ministre pour qu"il la réexamine et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la remise de dette de 8 303 261 $ ne doit pas être incluse dans le calcul du revenu de l"appelante pour son année d"imposition 1986.

"    Marc Noël "
J.C.A.
"    Je souscris à ces motifs,
         Robert Décary J.C.A. "
"    Je souscris à ces motifs,
         Gilles Létourneau J.C.A. "
Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

COUR D"APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          A-182-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Queenswood Land Associates Limited c.
                             Sa Majesté la Reine

LIEU DE L"AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L"AUDIENCE :      24 novembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :          Le juge Décary

                             Le juge Létourneau


DATE DES MOTIFS :          17 décembre 1999

ONT COMPARU :

Me Wilfrid Lefebvre, c.r.          POUR L"APPELANTE
Me Daniel Marecki              POUR L"INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault              POUR L"APPELANTE

Montréal (Québec)

Me Morris Rosenberg          POUR L"INTIMÉE

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1Cette décision est publiée dans 97 D.T.C. 1048.

2First City est la dernière de trois sociétés interreliées qui ont financé les activités de R-104 au cours de ses sept ans d"existence.

3Convention de prêt, par. 2.2, Dossier d"appel, vol. à la p. 402.

4Id., clause B des attendus et par. 3.2 aux p. 397 et 403.

5Id., al. 7.1(4), à la p. 408.

6Id., par. 2.5 et 2.6, à la p. 402.

7Accord de règlement, Dossier d"appel, vol. I, à la p. 94.

8Convention d"option, Dossier d"appel, vol. I, à la p. 237.

9Soit la part du produit de la vente revenant à R-104, c"est-à-dire 70 p. 100 de 2 155 000 $. La part restante de 30 p. 100 a été versée aux trois actionnaires de R-104 qui avaient acquis chacun un intérêt indivis de 10 p. 100 sur les terrains figurant dans l"inventaire de R-104 à l"occasion d"un refinancement antérieur. (Voir l"accord de règlement, précité note 6, par. E, à la p. 95.)

10Convention d"achat d"actions, Dossier d"appel, vol. 1, à la p. 130.

11Mémoire des faits et du droit de l"intimée, par. 11. L"intimée conteste l"effet de la remise sur ce montant, mais le coût des terrains n"est par ailleurs pas en litige.

12Déclaration d"impôt, Dossier d"appel, vol. I à la p. 72. Le montant réclamé à l"origine s"élevait à 9 443 657 $, mais il est maintenant convenu qu"il se chiffre à 9 942 196 $.

13La somme de 8 446 605 $ est mentionnée comme montant de la remise au paragraphe 16 du mémoire des faits et du droit de l"intimée, mais l"appelante affirme au paragraphe 16 de son propre mémoire que le montant convenu est de 8 303 261 $.

14La Cour canadienne de l"impôt était aussi saisie du traitement réservé à un montant de 1 229 990 $ versé par l"appelante à First City par l"entremise de R-104 dans le cadre de l"opération. Dans son jugement, la Cour de l"impôt a exprimé son accord avec l"appelante pour dire que ce paiement réduisait la dette de R-104 envers First City et ne faisait donc pas partie de la dette visée par la remise. Aucun appel incident n"a été interjeté relativement à cette décision.

1559 D.T.C. 1119, (Oxford Motors).

1657 D.T.C. 1232, (Tip Top Tailors).

17Précité note 1, à la p. 1054, la note de bas de page a été omise.

18Ibid.

19Ibid.

20Id., à la p. 1055.

21Un montant de 39 839 $ a été appliqué aux pertes autres qu"en capital subies au cours d"années antérieures en application de l"alinéa 80(1)a ). (Voir le Tableau de l"évolution des pertes reportées, Dossier d"appel, vol. I, à la p. 75.) L"appelante avait par ailleurs très peu de biens amortissables par nature, de sorte que l"alinéa 80(1)b ) avait aussi une application limitée.

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9(1) Subject to this Part, a taxpayer"s income for a taxation year from a business or property is his profit therefrom for the year. 9(1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d"une entreprise ou d"un bien pour une année d"imposition est le bénéfice qu"il en tire pour cette année.


23

10(1) For the purpose of computing income from a business, the property described in an inventory shall be valued at its cost to the taxpayer or its fair market value, whichever is lower, or in such other manner as may be permitted by regulation. 10(1) Aux fins du calcul du revenu tiré d"une entreprise, les biens figurant dans un inventaire sont évalués au coût supporté par le contribuable ou à leur juste valeur marchande, le moins élevé de ces deux éléments étant à retenir, ou de toute autre façon permise par les règlements.


24Voir, par exemple, l"alinéa 12(1)x ) et le paragraphe 13(7.1).

25J"utilise cette expression dans le sens que lui a attribué la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Canderel Limited c. La Reine, 98 D.T.C. 6100, aux p. 6107 et 6108.

26Mémoire des faits et du droit de l"intimée, par. 17.

27(1932) 16 T.C. 570 (British Mexican)

28Id., motifs de la Division du Banc du Roi, aux p. 584 et 586.

29Id., lord Tankerton, à la p. 592, et lord Macmillan, à la p. 593.

30Id., à la p. 594.

31Le juge Cartright était dissident.

32Précité, note 15, aux p. 1121 et 1122.

33Précité, note 15.

34Le juge Cartright était dissident.

35Aux motifs duquel a souscrit le juge en chef.

36Précité, note 16, à la p. 1236.

37Aux motifs duquel a souscrit le juge Fauteux.

38Précité, note 16, à la p. 1235.

39La décision M.R.N. c. Enjay Chemical Co. Ltd., 71 D.T.C. 5293 (C.F. 1re inst.) illustre l"application correcte de ce principe.

40Supra note 16 at 1233.

41Montreal Coke and Manufacturing Company v. Minister of National Revenue, [1944] A.C. 126, [1944] 1 All E.R. 743, [1944] 3 D.L.R. 545 [2 D.T.C. 654].

42Geo. T. Davie and Sons Ltd. v. M.N.R., 8 D.T.C. 1045, à la p. 1052, le juge Cameron.

43Molstad Development Company Limited c. Le Reine, 97 D.T.C. 913 (un appel de cette décision est toujours en instance devant la Cour).

44Id.,à la p. 920.

45Id.,à la p. 921 (la note de bas de page a été omise).

46Motifs du jugement, précités, note 1, à la p. 1050.

47Précité, note 16, aux p. 1236 et 1237.

48Précité, note 1, à la p. 1054.

49Le passage pertinent de ses motifs est cité au paragraphe 14 des présents motifs.

50Voir l"arrêt récent de la Cour suprême dans l"affaire Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] A.C.S. 30, et plus particulièrement le par. 41 de cet arrêt.

51Supra note 11.

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