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Date : 19990303

A-125-98

(T-2413-95)

Ottawa (Ontario), le mercredi 3 mars 1999.

CORAM :         LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

E n t r e :

                                                 FLEXI-COIL LTD.,

                                                                                                                     appelante,

                                                              - et -

                                    BOURGAULT INDUSTRIES LTD.,

                                                                                                                         intimée.

                                                       JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                                        « Robert Décary »           

                                                                                                                          J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


Date : 19990303

A-125-98

(T-2413-95)

CORAM :         LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

E n t r e :

                                                 FLEXI-COIL LTD.,

                                                                                                                     appelante,

                                                              - et -

                                    BOURGAULT INDUSTRIES LTD.,

                                                                                                                         intimée.

              Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan) le lundi 15 février 1999.

                           Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 3 mars 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                    LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                        LE JUGE ROBERTSON

                                                                                                   LE JUGE LINDEN


Date : 19990303

A-125-98

(T-2413-95)

CORAM :        LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

E n t r e :

                                                  FLEXI-COIL LTD.,

                                                                                                                  appelante,

                                                              - et -

                                   BOURGAULT INDUSTRIES LTD.,

                                                                                                                       intimée.

                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]         La Cour statue sur l'appel d'une décision par laquelle le juge Campbell, de la Section de première instance de notre Cour[1], a déclaré valide le brevet canadien no 1 227 863 (le brevet 863). Le juge de première instance a également déclaré que l'appelante (Flexi-Coil) contrefaisait le brevet 863 et il a accordé une injonction interdisant à Flexi-Coil de contrefaire le brevet 863, plus particulièrement de fabriquer, d'utiliser ou de vendre des rouleaux plombeurs qui contrefont l'une ou l'autre des revendications du brevet 863. Finalement, le juge de première instance a accordédes dommages-intérêts ou, subsidiairement, la comptabilisation des profits, au choix de l'intimée (Bourgault).


[2]         L'invention en litige a trait à un outil agricole du type communément appelé « rouleau plombeur » . Les cultivateurs se servent de rouleaux plombeurs pour compacter le sol au moment de la finition du lit de semences ou selon les besoins. Voici le libelléde la revendication 1, dont seuls les alinéas e), f) et h) sont en litige dans le présent appel[2]    :

[TRADUCTION]

1.              Un rouleau plombeur adapté pour être remorquéderrière un tracteur ou en tandem derrière un autre instrument monté sur roues comme par exemple un semoir pneumatique, comprenant    :

a) une section milieu du châssis ;

b) un dispositif permettant d'atteler le rouleau plombeur audit véhicule ;

c) une pluralité de roues pivotantes tournant sur des demi-essieux fixés par une articulation à ladite section milieu du châssis ;

d) deux sections de châssis à battants attachées par une articulation audit châssis du milieu et s'étendant latéralement à partir de ce point et capables de pivoter vers le bas lorsque la machine est en position de travail, pour maintenir une hauteur déterminée au préalable au-dessus d'un sol irrégulier ;

e) au moins un rouleau pivotant autour de ladite section milieu du châssis autour d'un premier axe essentiellement parallèle au sol et perpendiculaire au sens de déplacement du rouleau plombeur, et autour d'un second axe perpendiculaire au premier, de telle manière que le rouleau puisse suivre le profil et les irrégularités du sol et franchir les obstacles, par exemple les grosses roches, en passant par dessus ou de biais sans exercer de contraintes excessives sur les éléments du châssis ;

f) au moins un rouleau pivotant autour de chacune desdites sections de châssis à battants autour d'un premier axe essentiellement parallèle au sol et perpendiculaire au sens de déplacement du rouleau plombeur et sur un deuxième axe perpendiculaire au premier ;

g) lesdits rouleaux étant décalés pour pouvoir se chevaucher latéralement, disposition selon laquelle ladite section milieu du châssis et lesdites sections à battants comprennent des traverses avant et arrière sur lesquels les éléments de rouleau sont montés, ce qui permet le plombage complet du sol en une passe ;

h) une roue pivotante attachée par une articulation à chacune desdites sections de châssis à battants ;

i) un dispositif permettant de soulever par pivotement ladite section milieu du châssis centrale à partir d'une position de travail, dans laquelle ledit élément de rouleau fixé à ladite section milieu du châssis est en contact avec le sol, pour la faire passer à une position de transport dans laquelle ledit élément de rouleau n'est plus en contact avec le sol ;

j) un dispositif permettant de soulever par pivotement lesdites sections de châssis à battants à partir d'une position de travail, dans laquelle lesdits éléments de rouleau et les roues attachées à ces derniers sont en contact avec le sol, pour les faire passer à la position de transport, dans laquelle lesdits éléments de rouleau et lesdites roues ne sont plus en contact avec le sol ;

k) lesdits châssis à battants étant essentiellement orientés verticalement en position de transport, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de faire reculer l'instrument de plombage pour le faire passer de la position de transport à la position de travail, et vice versa.


[3]         Comme on le constatera plus loin dans les présents motifs, il est nécessaire d'établir la chronologie des événements qui se sont déroulés en l'espèce.

[4]         Bourgault a déposésa demande de brevet le 1er septembre 1989. Le brevet 863 intitulé « Wing Packer » (rouleau plombeur à battants) lui a étédélivréle 18 décembre 1990. Bourgault affirme que Flexi-Coil contrefait la revendication 1 de son brevet 863 en fabriquant et en vendant la version de 35 pieds par 62 pieds d'un outil agricole connu sous le nom de Flexi-Coil System 75 (le Flexi-Coil 75). Flexi-Coil avait commencéà mettre au point son Flexi-Coil 75 en mai 1988 et avait commencéà le vendre en février 1989, c'est-à -dire avant la délivrance du brevet 863.

[5]         Bourgault a fait parvenir à Flexi-Coil une mise en demeure en date du 13 février 1991 dans laquelle elle donnait à Flexi-Coil deux semaines pour s'engager par écrit à cesser immédiatement la fabrication, la distribution et la vente du Flexi-Coil 75. Flexi-Coil n'a pas répondu à la lettre et a continuéà fabriquer et à vendre le Flexi-Coil 75. Bourgault était au courant du fait que Flexi-Coil continuait à fabriquer et à vendre les rouleaux plombeurs Flexi-Coil 75, mais elle a attendu au 14 novembre 1995 pour intenter son action en contrefaçon contre Flexi-Coil. Depuis février 1991, Flexi-Coil offre en option un dispositif de pression à ressort qui peut être installésur son Flexi-Coil 75. Flexi-Coil allègue que, si le brevet devait être jugévalide, il n'est pas contrefait par la fabrication et la vente du Flexi-Coil 75, lorsque celui est vendu avec le bloc-ressorts de pression qui est offert en option.


[6]         Àl'audition de l'appel, Flexi-Coil a limitéaux prétentions suivantes les moyens qu'elle invoque pour contester la décision frappée d'appel. Certains de ces moyens sont de toute évidence des moyens subsidiaires :

1.    En ce qui a trait à l'interprétation du brevet : le juge de première instance a commis une erreur : a) en n'interprétant pas le brevet avant d'aborder les questions de validité et de contrefaçon ; b) en interprétant le brevet comme si les alinéas e) et f) de la revendication 1 ne portaient que sur deux axes ; c) en ne précisant pas ce qu'il faut entendre par « roue pivotante » à l'alinéa h) de la revendication 1.

2.    En ce qui a trait à la validité du brevet : le juge de première instance a commis une erreur en ne déclarant pas le brevet invalide pour cause : a) d'évidence ; b) de manque de franchise. (L'avocat de l'appelant a renoncé à l'audience à ses prétentions fondées sur l'antériorité.)

3.    En ce qui concerne la contrefaçon : le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les battants du Flexi-Coil 75 étaient munis de « roues pivotantes » lorsque le bloc-ressorts de pression offert en option était installé sur le rouleau plombeur.

4.    En ce qui concerne les réparations : le juge de première instance a commis une erreur : a) en ne limitant pas les réparations accordées à Bourgault en raison du temps qu'elle avait laissé s'écouler avant d'introduire l'instance ; b) en ne limitant pas au nord-ouest de la Saskatchewan son examen des dommages relatifs au système « monopasse » .

[7]         L'avocat de Flexi-Coil a expressément déclaréà la Cour qu'il ne conteste pas les conclusions de fait tirées par le juge de première instance, sauf indication contraire dans les présents motifs.


[8]         Il est acquis aux débats que les dispositions de la Loi sur les brevets[3] (la Loi) qui s'appliquent en l'espèce sont celles qui étaient en vigueur en 1989 et que les Règles de brevets applicables sont celles que l'on trouve à C.R.C. 1978, ch. 1250. Dans les présents motifs, j'emploie l'expression « mémoire descriptif » pour désigner, comme l'exige l'article 34 (maintenant article 27) de la Loi sur les brevets, à la fois la partie descriptive de la demande de brevet et la partie de la demande où se trouvent les revendications. Les mots « exposé de l'invention » désignent la partie descriptive de la demande de brevet[4] et le mot « revendication » désigne la partie de la demande de brevet qui renferme les revendications. Je constate que l'expression « exposé de l'invention » qui était employée dans les anciennes Règles sur les brevets[5] pour désigner « la partie du mémoire descriptif distincte des revendications » a été remplacée dans les nouvelles Règles sur les brevets[6] par le mot « description » .

Premier moyen : Interprétation du brevet

[9]         Je dois d'abord trancher l'argument soulevépar l'appelante en ce qui concerne l'opportunitéde se reporter à des éléments de preuve extrinsèques lorsqu'on interprète un brevet.

[10]       L'exposéde l'invention du brevet 863 comprend l'énoncésuivant :          [TRADUCTION]

Dans une application (non illustrée), une articulation à trois axes est installée, le troisième axe étant perpendiculaire aux premier et deuxième axes [...]

Le juge de première instance n'était pas « disposé [...] à accorder quelque importance que ce soit à cette partie du mémoire descriptif » [7], étant donné que, suivant certains éléments de preuve documentaires qui avaient été produits au procès, Bourgault avait demandé à son agent des brevets de supprimer de la demande de brevet toute mention de l'articulation à trois axes et que l'agent des brevets n'avait pas suivi ses instructions. Suivant le juge, la preuve documentaire soulevait « des doutes quant à la raison pour laquelle le mémoire descriptif est ainsi libellé[8] » .


[11]       Le juge de première instance a commis une erreur flagrante en rejetant ce paragraphe pour les motifs qu'il a invoqués. L'exposéde l'invention doit être pris au pied de la lettre. La question de savoir si l'inventeur voulait que l'invention soit conforme ou non à ce qui avait étéécrit n'est pas pertinente lorsqu'il s'agit d'interpréter le brevet. La « preuve documentaire » citée par le juge de première instance avait étéprésentée à la demande de l'appelante à l'appui de son argument quant au manque de franchise. Elle n'a pas étéprésentée pour faciliter l'interprétation du brevet et ne pouvait servir à cette fin. Le juge de première instance ne pouvait donc pas écarter ce paragraphe au motif qu'il n'avait peut-être pas étéinsérérégulièrement dans l'exposéde l'invention. Il pouvait cependant lui refuser toute valeur dans la mesure oùune interprétation légitime du brevet l'amenait à conclure que, dans ce contexte, il n'était ni utile ni pertinent.

a)    Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en n'interprétant pas le brevet avant d'examiner les questions de la validitéet de la contrefaçon ?

[12]       Il est de jurisprudence constante que, pour examiner les questions de validitéet de contrefaçon de brevets, le juge de première instance doit décider quelles sont l'interprétation et la portée appropriées des revendications du brevet[9]. En l'espèce, le juge de première instance a correctement énoncé les règles de droit applicables, mais est néanmoins passé directement aux questions de la validité et de l'interprétation sans avoir d'abord cité - et encore moins interprété - les revendications en litige. Il a fini par citer et interpréter les dispositions pertinentes des revendications qui étaient en litige, mais l'appelante maintient que c'était trop peu trop tard et elle demande la tenue d'un nouveau procès.


[13]       Je ne puis accepter l'argument de l'appelante. L'omission du juge de première instance de suivre la bonne méthode d'analyse suscite à première vue des réserves, mais n'entraîne pas en soi l'annulation de sa décision[10]. Il est vrai que le juge de première instance a suivi une méthode peu orthodoxe, mais je suis malgré tout convaincu, au vu de l'ensemble de ses motifs, qui sont très fouillés (90 pages), qu'il a fait porter son attention sur l'interprétation du brevet en suivant les principes juridiques applicables et qu'il a effectivement fini par interpréter le brevet, en partie de manière explicite, en partie de manière implicite. Pour ce qui est de la partie qu'il a effectivement interprétée explicitement, le devoir de notre Cour est de s'assurer que l'interprétation retenue par le juge de première instance est la bonne et qu'elle repose sur un examen indépendant de la revendication contestée, malgré le fait que cette interprétation soit entrelacée de considérations portant sur l'invalidité et la contrefaçon. En ce qui concerne la partie que le juge de première instance a interprétée de manière implicite, la Cour est tout aussi bien placée que le juge l'était pour l'interpréter. Ordonner le renvoi de l'affaire pour la tenue d'un nouveau procès constituerait un gaspillage de ressources judiciaires.

b) L'articulation à deux axes vs l'articulation à trois axes

[14]       La principale question en litige en ce qui concerne l'interprétation du brevet est celle de savoir si les alinéas e) et f) de la revendication 1 se limitent à des rouleaux qui ont un premier et un second axes, mais pas un troisième. Le juge de première instance a conclu que le brevet décrivait un mécanisme d'articulation à deux axes et que la revendication 1 se limitait à une articulation à deux axes. Flexi-Coil affirme que le brevet ne comporte aucune restriction limitant les revendications à seulement deux axes et qu'au contraire, l'exposéde l'invention précise bien qu'une articulation à trois axes est également revendiquée dans le brevet d'invention et qu'elle constitue en fait une des applications privilégiées que l'on trouve à la page 8, ligne 8 du brevet[11] :

[TRADUCTION] Dans une application (non illustrée), une articulation à trois axes est installée, le troisième axe étant perpendiculaire aux premier et deuxième axes. Dans cette application, le support des éléments de rouleau 80 a un degréde rotation limité, soit environ 15 degrés autour du troisième axe, ce qui réduit le dérapage des éléments de rouleau extérieurs lorsque le rouleau plombeur est tirédans un virage prononcé.


[15]       Malgréles tentatives faites par l'avocat pour convaincre la Cour que le juge de première a commis d'autres erreurs en interprétant les alinéas e) et f) de la revendication 1, il est manifeste que son argument quant à l'interprétation de ces alinéas repose uniquement sur le présumédéfaut du juge de première instance d'accorder quelque valeur que ce soit à ce passage.

[16]       Ainsi qu'il a déjà étésignalé, le juge de première instance ne pouvait tout simplement pas faire fi du passage en litige pour la raison qu'il a donnée, c'est-à -dire que le passage en question s'était retrouvédans l'exposéde l'invention par suite d'une erreur commise par l'agent des brevets de Bourgault. Le juge de première instance aurait toutefois fort bien pu conclure que la mention dans l'exposéde l'invention d'un troisième axe n'avait aucune incidence sur la véritable interprétation de la revendication et il incombe à notre Cour de décider s'il lui était loisible de tirer une telle conclusion.

[17]       Il est de jurisprudence constante que le recours à l'exposéde l'invention est : (1) permis pour mieux comprendre les termes employés dans la revendication ; (2) inutile lorsque l'énoncéde la revendication est clair et non équivoque ; (3) inacceptable pour modifier la portée des revendications[12]. Toutefois, ainsi que le juge Stone l'a fait remarquer dans l'arrêt TWR Inc. c. Walbar of Canada Inc.[13], « [c]ela ne signifie pas toutefois que les revendications ne doivent jamais être interprétées à la lumière du reste du mémoire descriptif. Cela signifie que ce recours ne doit servir qu'à aider à comprendre le sens dans lequel sont employés les mots ou les expressions figurant dans la revendication » . Dans l'arrêt Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd.[14], le juge Robertson a cité et approuvé la mise en garde formulée par Hayhurst, qui avait déclaré, dans son ouvrage : [TRADUCTION] « Les termes doivent être pris dans leur contexte, de sorte qu'il est bien souvent risqué de conclure qu'un terme est simple et non ambigu sans examiner soigneusement le mémoire descriptif [...] »


[18]       Les termes employés aux alinéas e) et f) de la revendication 1 sont clairs, en ce qu'ils parlent d'un premier et d'un second axe, mais pas d'un troisième. On pourrait toutefois dire qu'ils sont ambigus dans la mesure oùils n'excluent pas expressément le troisième axe. Il est donc, à mon avis, plus prudent, avant de tirer une conclusion, d'examiner le reste du mémoire descriptif, non pas dans le but de modifier l'objet de la revendication ou de faire dire aux mots employés dans la revendication ce qu'ils ne disent pas, mais dans le but de saisir la signification précise de la revendication.

[19]       N'eût étéle passage invoquépar l'appelante, l'exposéde l'invention confirmerait sans aucun doute que l'invention se rapporte à une machine qui n'utilise que deux axes. Peu importe que l'on examine le « sommaire de l'invention » ou la « description détaillée des utilisations privilégiées » , force est de constater qu'un des aspects essentiels de l'invention est la présence d'un premier et d'un second axe, mais d'aucun autre axe.

[20]       La seule question qu'il nous reste à trancher est donc celle de savoir si la mention, dans l'exposéde l'invention, d'un troisième axe dans une seule application non illustrée suffit pour interpréter la revendication comme englobant un troisième axe. La réponse est, évidemment, négative. La mention du troisième axe n'est pas expliquée et ne cadre pas avec le reste du mémoire descriptif. La revendication elle-même se limite à deux axes et on ne peut tout simplement pas se servir d'un passage de l'exposéde l'invention pour élargir la portée de la revendication en y incorporant un troisième axe pour ensuite la faire invalider en invoquant l'antérioritéou l'évidence. Le tribunal ne doit pas être « trop ruséou formaliste » et doit examiner le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile » [15]. Les propos que lord Halsbury a tenus dans l'arrêt Tubes, Ltd. v. Perfecta Seamless Steel Tube Company, Ld.[16], que le juge en chef Duff, dans l'arrêt Western Electric Co. v. Baldwin International Radio of Canada[17], et le juge Dickson, dans l'arrêt Consolboard Inc.[18], ont approuvés, sont particulièrement utiles dans le cas qui nous occupe :

[...] il faut considérer [...] l'ensemble du document pour découvrir ce qu'il veut dire -il ne faut pas prendre un passage isolédu reste et le déclarer incompatible avec l'invention dans son ensemble, mais voir l'essentiel de ce que l'inventeur veut dire en réalité[...]


[21]       Je conclus donc que le juge de première instance a bien interprétéles alinéas e) et f) de la revendication 1 en concluant qu'ils se limitent à deux axes, malgréle fait que la raison qu'il a donnée pour expliquer pourquoi il ne tenait pas compte du passage de l'exposéde l'invention oùil était fait mention d'un troisième axe n'était pas la bonne.

c)    Les « roues pivotantes »

[22]       Le juge de première instance n'a pas tiréde conclusion explicite au sujet de l'interprétation des mots « roues pivotantes » que l'on trouve à l'alinéa h) de la revendication 1. Dans son mémoire des faits et du droit, l'appelante a soutenu, sur le fondement des termes que l'on trouve dans l'exposéde l'invention, que cette revendication parle de roues qui ont une fonction de soutien. Àl'audience, l'avocat a plutôt fait porter principalement son attaque sur le mot « pivotante » pour affirmer que cette revendication parle de roues qui, non seulement touchent le sol, mais entrent en contact avec lui.

[23]       L'argument de l'avocat contredit de façon flagrante le libellédes revendications. La revendication 1 emploie l'expression « roue pivotante » à l'alinéa h)et les mots « lesdites roues » à l'alinéa j) de la même façon qu'elle emploie l'expression « rouleau pivotant » aux alinéas e)et f), « lesdits rouleaux pivotants » à l'alinéa g), « ledit rouleau » , à l'alinéa i)et « lesdits rouleaux » à l'alinéa j). Le même terme -pivotante -est donc employé, même si la fonction est manifestement différente, selon que la revendication parle des roues ou des rouleaux plombeurs. La même expression est également utilisée que la roue ou le rouleau soit ou non « en contact avec le sol » (aux alinéas i) et j)). L'expression « pivotante » n'a donc, dans le brevet, manifestement aucun sens technique qui a étéportéà notre connaissance et elle est employée que les roues et les rouleaux entrent ou non en contact avec le sol et que les roues aient ou non une fonction de soutien. Je n'ai rien trouvédans l'exposéde l'invention qui modifierait le sens non technique de l'expression.

Deuxième moyen :                          La validitédu brevet


a)    Évidence

[24]       L'avocat de Flexi-Coil fait essentiellement reposer son argument relatif à l'évidence sur la question de l'articulation à deux axes. Il soutient soit que l'introduction de l'articulation à deux axes de préférence à l'articulation à trois axes qui était déjà connue et utilisée était évidente, soit que ce n'est pas ce que montrait le brevet, si elle n'était pas évidente. La conclusion que j'ai déjà tirée et par laquelle j'ai conclu que la revendication 1 ne vise que l'articulation à deux axes tranche le sort de ce dernier argument.

[25]       Quant à savoir si l'introduction de l'articulation à deux axes était évidente, force m'est de m'en remettre aux conclusions du juge de première instance sur ce point. L'avocat affirme que le juge de première instance n'a pas examinéle fait que, suivant la preuve, l'articulation à deux axes faisait déjà partie de la technologie existante, en l'occurrence le rouleau plombeur portéfabriquépar Flexi-Coil[19]. Contrairement à ce que l'avocat prétend, le juge de première instance a bel et bien mentionné le rouleau plombeur porté et le témoignage donné par M. Friggstad au sujet du rouleau plombeur porté[20], mais il a fait remarquer que M. Friggstad lui-même avait, dans les produits fabriqués ultérieurement, abandonné l'articulation à deux axes et avait plutôt retenu l'articulation à trois axes lorsqu'il utilisait le rouleau plombeur en combinaison avec un semoir pneumatique[21]. Si l'articulation à deux axes avait été évidente plus tôt, le juge de première instance pouvait bien se demander pourquoi elle n'était pas utilisée par le même fabricant lorsqu'il en avait besoin en combinaison avec un semoir pneumatique.

b) Manque de franchise


[26]       Flexi-Coil affirme que le brevet est invalide pour manque de franchise, en raison du défaut de Bourgault ou de son mandataire d'indiquer au Bureau canadien des brevets les antériorités pertinentes au cours de l'examen de sa demande de brevet. Plus précisément, Flexi-Coil soutient que Bourgault a omis d'informer le Bureau des brevets de l'existence de la machine Friggstad HPL qui, selon le juge de première instance, revêtait « une grande importance dans l'argumentation concernant la validitédu brevet[22] » .

[27]       Ainsi que le juge de première instance l'a fait remarquer, cette contestation du brevet pour « manque de franchise » combine en réalitédeux arguments distincts : le brevet est invalide parce que Bourgault a volontairement induit le Bureau des brevets en erreur au sens du paragraphe 53(1) de la Loi et, indépendamment des dispositions du paragraphe 53(1), le brevet est invalide parce que Bourgault avait l'obligation d'indiquer les antériorités au Bureau des brevets et qu'elle a omis de se conformer à cette obligation.

[28]       Le juge de première instance a rejetél'argument tirédu paragraphe 53(1) après avoir conclu qu' « il n'y a, en l'espèce, absolument aucune preuve d'une intention d'induire en erreur » [23]. Cette conclusion est inattaquable.

[29]       En ce qui concerne la présumée obligation de divulgation des antériorités, le juge de première instance a conclu à bon droit que la divulgation exigée par l'article 21 et la formule 24 des Règles sur les brevets ne s'étendait pas à la divulgation des antériorités. Qui plus est, et contrairement à ce que le juge de première instance a estimé, aucune demande n'avait étéprésentée par un examinateur en vertu de l'article 40 des Règles en vue d'obtenir qu'on lui indique les antériorités dans un pays étranger.

[30]       Àl'audience, l'avocat de Flexi-Coil a fortement tablésur l'arrêt très récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Cadbury Schweppes Inc. c. FBI Foods Ltd[24] pour soutenir que l'obligation de divulgation est plus exigeante que celle qui était auparavant imposée par la loi ou par la jurisprudence. Il a notamment cité le passage suivant des motifs du juge Binnie, au paragraphe 46 :

Je ne crois pas qu'il soit bien utile pour les intimées en l'espèce d'invoquer le droit de la propriétéintellectuelle. Cela ne tient pas compte du « marché » qui est au coeur même de la protection conférée par les brevets. Un brevet est un monopole légal accordéen contrepartie de la divulgation totale et complète de son invention par le breveté. La divulgation est la condition essentielle du marchéintervenu entre le breveté, qui obtenait à l'époque un monopole de 17 ans sur l'exploitation de son invention, et le public, qui obtient le libre accès à tous les renseignements nécessaires pour mettre en oeuvre l'invention. Par conséquent, au moins un des objectifs de principe qui sous-tendent les réparations que le titulaire d'un brevet peut demander en vertu de la loi est de rendre la divulgation plus attrayante, et à ainsi faire en sorte que des connaissances utiles soient rendues publiques le plus rapidement possible conformément à l'intérêt public [...]

[31]       L'avocat attache à ce passage un sens plus large que celui qui est permis. La question soumise à la Cour se rapportait à un abus de confiance et à des secrets commerciaux. La « divulgation totale et complète de son invention par le breveté » dont parle le juge Binnie ne peut être, à mon sens, que celle que la loi, les règles et la jurisprudence[25] exigent déjà . En outre, même si l'obligation de divulgation avait été élargie comme le prétend l'avocat, les répercussions de cette extension se feraient sentir non pas au niveau de la validité du brevet, mais au niveau des réparations, lorsque des considérations d'equity pourraient entrer en jeu.

Troisième moyen :                          La contrefaçon

[32]       Flexi-Coil affirme que, si le brevet est valide, ses modèles du Flexi-Coil 75 qui comprennent le dispositif de pression à ressort facultatif ne contrefait pas la revendication 1 parce qu'on ne peut prétendre que les roues sont des « roues pivotantes » au sens de l'alinéa h) de la revendication 1, étant donnéqu'elles ne jouent aucun rôle de soutien et qu'elles n'entrent en contact avec le sol que de façon intermittente.


[33]       Le juge de première instance a conclu à la contrefaçon. Suivant son appréciation de la preuve, y compris des bandes magnétoscopiques déposées en preuve, même si les blocs-ressort étaient réglés de manière à transférer le poids du châssis des roues aux rouleaux plombeurs, « il se produit un contact intermittent des roues avec le sol » et « les roues assurent au moins un certain support à l'instrument[26] » .

[34]       Le juge de première instance a donc souscrit tacitement à l'interprétation proposée par Flexi-Coil (et que j'ai déjà écartée dans les présent motifs) et, encore là , il a conclu, au vu de l'ensemble de la preuve, qu'il y avait contrefaçon. En supposant que son interprétation est la bonne, je ne vois aucun raison de modifier la conclusion à laquelle il en est venu.

[35]       Peu importe l'interprétation retenue, Flexi-Coil succomberait quand même. En effet, ainsi que la Cour d'appel d'Angleterre l'a déclarédans l'arrêt British United Shoe Machinery Co., Ld. v. Gimson Shoe Machinery Co., Ld.[27], le fait qu'une machine puisse [TRADUCTION] « être utilisée d'une manière qui ne déclenche pas un mécanisme automatique » n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de résoudre la question de la contrefaçon. Or, il s'agit en l'espèce d'une revendication portant sur une machine, pas sur un procédé, et la contrefaçon reprochée porte sur la fabrication et la vente de la machine, pas sur son utilisation. Telle qu'il est fabriqué et vendu, le Flexi-Coil 75 contrefait la revendication 1 et le simple fait que tout acheteur de la machine peut se procurer la trousse de blocs-pression facultatifs de manière à les régler sur la machine au moment qui lui conviendra[28] ne permet pas au fabricant ou au vendeur d'échapper aux accusations de contrefaçon.

Quatrième moyen :                         Réparations

a)    Retards subis avant l'introduction de l'instance


[36]       Flexi-Coil affirme qu'eu égard aux circonstances, il aurait étéraisonnable de la part du juge de première instance de limiter les dommages à ceux qui avaient étésubis au cours des 30 jours suivant la date à laquelle la déclaration avait étésignifiée. Suivant cet argument, Bourgault aurait dûsignifier sa déclaration peu de temps après avoir transmis sa mise en demeure, le 13 février 1991, au lieu d'attendre au 14 novembre 1995. Suivant l'avocat, le juge de première instance a commis une erreur en reprochant vraisemblablement à Flexi-Coil d'avoir procédéà la mise au point et à la fabrication de son Flexi-Coil 75 avant la délivrance du brevet le 18 décembre 1990 et la Cour devrait exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire que le juge de première instance aurait exercéen se fondant sur un principe erroné.

[37]       Bien qu'il y ait une phrase dans les motifs du juge de première instance qui donne ouverture au moyen soulevépar l'avocat, je suis convaincu, après avoir lu l'ensemble de la partie des motifs qui est consacrée à cette question, que, lorsqu'il a conclu que Flexi-Coil « comprenait la responsabilité » [29] qu'entraîne la production d'un dispositif contrefait, le juge de première instance songeait essentiellement à la période qui s'est écoulée après l'envoi de la mise en demeure. Il n'existe aucune raison, même à la lumière de l'arrêt récent que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Cadbury Schweppes Inc.[30], d'intervenir dans l'exercice que le juge de première instance a fait de son pouvoir discrétionnaire sur cette question.

b) Dommages-intérêts limités au nord-ouest de la Saskatchewan

[38]       Le juge de première instance a accordédes dommages-intérêts à Bourgault pour la perte de ventes de « systèmes d'ensemencement monopasse » (que Bourgault définit comme un système dans lequel le rouleau plombeur est tiréen tandem avec un semoir pneumatique montésur remorque comprenant un cultivateur ou autre machine de travail du dol), à condition que Bourgault prouve « au cas par cas, qu'il a subi des dommages du fait qu'un acheteur donnéd'un "système monopasse" Flexi-Coil aurait achetéun "système monopasse" Bourgault, n'eût étéla mise en vente du Flexi-Coil 75[31] » .


[39]       L'avocat de Flexi-Coil soutient que la portée de la demande de dommages-intérêts de Bourgault devrait être limitée aux seules ventes qui peuvent être conclues dans le nord-ouest de la Saskatchewan, parce que l'expert de Bourgault qui a témoignéau sujet des dommages n'a pu parler que de ce qui se passait dans le nord-ouest de la Saskatchewan. L'avocat n'a pas citéaucun précédent pour appuyer une proposition aussi étonnante et il a à toutes fins utiles abandonnécet argument après un bref échange avec la Cour.

[40]       Par ces motifs, j'en suis arrivéà la conclusion que l'appel devrait être rejetéavec dépens.

                                                                              « Robert Décary »         

                                                                                                 J.C.A.

« Je suis du même avis. »

Le juge Allen M. Linden

« Je suis du même avis. »

Le juge J.T. Robertson

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


                            COUR D'APPEL FÉDÉRALE

   AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              A-125-98 (T-2413-95)

INTITULÉDE LA CAUSE :             Flexi-Coil Ltd. c. Bourgault Industries Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 15 février 1999

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Décary le 3 mars 1999

avec l'appui des juges Robertson et Linden

ONT COMPARU :

Me Roger T. Hughes, c.r.                   pour l'appelante

Me Gordon S. Clarke

Me Nicholas Fyfe, c.r.                         pour l'intimée

Me Brian Isaac

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton & McKay        pour l'appelante

Toronto (Ontario)

Me Gordon S. Clarke

Caledon East (Ontario)

Smart & Biggar                                  pour l'intimée

Ottawa (Ontario)



[1]     Publiée sous l'intitulé Bourgault Industries Ltd. c. Flexi-Coil Ltd., (1998), 80 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.).

[2]     Dossier d'appel, vol. 3, onglet 1, aux pages 373 et 374.

[3]     L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée.

[4]     Voir l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 520 (le juge Dickson).

[5]     C.R.C. 1978, ch. 1250.

[6]     DORS/96-423.

[7]     Supra, note 1, par. 48, à la page 34.

[8]     Idem, à la page 33.

[9]     Voir les arrêts Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc., (1995), 61 C.P.R. (3d) 499, à la page 506 (C.A.F.) et Dableh c. Hydro-Ontario, [1996] 3 C.F.. 751, à la page 774 (C.A.F.).

[10]    Voir les arrêts Atlas Copco Aktiebolag c. CIL Inc., (1992) 41 C.P.R. (3d) 348, aux pages 351 et 352 (C.A.F.) et Dableh, supra, note 9, à la page 775.

[11]    Dossier d'appel, vol. 3, onglet 1, à la page 370.

[12] Voir les arrêts Beecham Canada Ltd. et al. c. Procter-Gamble Co., (1982), 61 C.P.R. (2d) 1, à la page 14 (C.A.F.) (le juge Urie) et Dableh, supra, note 9, à la page 776.

[13]    (1991), 39 C.P.R. (3d) 176, à la page 188.

[14]    (1994), 56 C.P.R. (3d) 470, à la page 482 (C.A.F.).

[15]    Consolboard Inc. supra, note 4, aux pages 520 et 521 (le juge Dickson).

[16]    (1902), 20 R.P.C. 77, à la page 96.

[17]    [1934] R.C.S. 570, à la page 572.

[18]    Supra, note 4, à la page 524.

[19]    Annexe F, dossier d'appel, vol. 6, onglet 5, à la page 1311.

[20]    Supra, note 1, par. 70, à la page 42.

[21]    Supra, note 1, para. 71, à la page 42.

[22]    Supra, note 1, para. 10, à la page 12.

[23]    Supra, note 1, par. 82, à la page 47.

[24]    C.S.C., dossier no 25778, 28 janvier 1999, [1999] S.C.J. No. 6.

[25]    Notamment l'arrêt Consolboard Inc., supra, note 4.

[26]    Supra, note 1, par. 152, aux pages 75 et 76.

[27]    (1928), 45 R.P.C. 290, aux pages 301, 304 et 308 (C.A.).

[28]    Dossier d'appel, vol. 3, onglet 11, à la page 523.

[29]    Supra, note 1, par. 105, à la page 57.

[30]    Supra, note 24.

[31]    Supra, note 1, par. 187, à la page 89.


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