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     Date : 20000616

     Dossier : A-58-00

CORAM : LE JUGE SHARLOW

ENTRE :


CANADIAN FOREST OIL LTD. ,


demanderesse,


CHEVRON CANADA RESOURCES

RANGER OIL LIMITED,


défenderesses,



OFFICE NATIONAL DE L'ÉNERGIE,


intervenant.







Demande tranchée à partir des prétentions écrites, sans comparution des parties


ORDONNANCE prononcée à Ottawa (Ontario), le 16 juin 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR      LE JUGE SHARLOW





     Date : 20000616

     Dossier : A-58-00

OTTAWA, ONTARIO, LE 16 JUIN 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :


CANADIAN FOREST OIL LTD.,


demanderesse,


CHEVRON CANADA RESOURCES

RANGER OIL LIMITED,


défenderesses,



OFFICE NATIONAL DE L'ÉNERGIE,


intervenant.



ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]          Canadian Forest Oil Ltd. a introduit une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle l'Office national de l'énergie a délivré une déclaration de découverte exploitable (DDE). L'Office national de l'énergie s'oppose, en vertu du paragraphe 318(2) des Règles, à transmettre, comme élément du dossier du tribunal, une copie certifiée conforme d'un document que Chevron Canada Resources a produit devant l'Office national de l'énergie pour que celui-ci l'examine avant de rendre sa décision. À l'appui de son objection, il affirme que ce document est protégé par le paragraphe 101(2) de la Loi fédérale sur les hydrocarbures.

[2]          Les faits ne sont pas contestés. Le 24 juillet 1991, l'Office national de l'énergie a délivré à Chevron Canada Resources et à d'autres personnes une attestation de découverte importante (ADI) en vertu de l'article 30 de la Loi fédérale sur les hydrocarbures, L.R.C. (1985), ch. 36 (2e suppl.), modifiée. L'ADI est désignée comme l'ADI 99 et vise des terres situées à la latitude de 60 degrés 30 minutes, longitude 123 degrés 30 minutes, sections 23-30 et 33-40 (5 110 hectares).

[3]          Au début de l'année 1999, une découverte exploitable a été faite lors du forage du puits de gaz Liard K-29 de Chevron et al., situé dans le périmètre de l'ADI 99. Le 15 octobre 1999, Chevron Canada Resources a demandé une DDE relativement au périmètre de l'ADI 99.

[4]          Selon la partie II.1 de la Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, et plus particulièrement l'article 28.2, l'Office national de l'énergie ne peut délivrer une DDE sans aviser de son intention, au moins trente jours au préalable, « les personnes qui, selon lui, seront touchées directement par [ses] décisions » . Toute personne ainsi avisée peut, dans un délai prescrit, demander la tenue d'une audience. S'il reçoit une telle demande, l'Office national de l'énergie tient une audience. Toute personne qui a demandé la tenue d'une audience a le droit d'être avisée de l'audience et peut y présenter des observations, y faire entendre des témoins et y produire une preuve. L'Office national de l'énergie peut ensuite rendre sa décision. Toute personne qui a demandé la tenue d'une audience a le droit d'être avisée de cette décision et, sur demande, elle a droit à la communication des motifs de la décision de l'Office national de l'énergie.

[5]          Après avoir tenu une enquête relativement à la demande de Chevron Canada Resources, l'Office national de l'énergie a conclu qu'une DDE devait lui être délivrée relativement à un périmètre couvrant une partie, mais non la totalité, du périmètre de l'ADI 99, ainsi qu'un périmètre additionnel non visé par l'ADI 99. L`Office national de l'énergie a avisé en conséquence de son intention de délivrer une DDE toutes les personnes qui, selon lui, seraient « touchées directement » . Toutes les parties ainsi avisées ont renoncé au préavis de 30 jours et à leur droit à la tenue d'une audience. L'Office national de l'énergie a délivré la DDE le 5 janvier 2000.

[6]          Canadian Forest Oil Ltd. détient une participation de concessionnaire dans un permis de prospection, PP 363, qui couvre un périmètre directement attenant à l'ADI 99, le long de sa limite nord. Le périmètre du PP 363 n'est pas inclus dans le périmètre couvert par la DDE en cause en l'espèce. Selon l'Office national de l'énergie, Canadian Forest Oil Ltd. n'était pas « touchée directement » par la DDE; il ne l'a donc pas avisée de son intention de délivrer la DDE.

[7]          Canadian Forest Oil Ltd. affirme avoir des motifs de croire que le gisement à la source de la découverte faite par Chevron Canada Resources s'étend au périmètre visé par le PP 363 et que la DDE aurait donc dû couvrir ce périmètre. Canadian Forest Oil Ltd. soutient que, si elle avait été avisée de l'intention de l'Office national de l'énergie de délivrer la DDE, elle aurait eu la possibilité d'exposer ces renseignements, de sorte que l'Office national de l'énergie aurait pu en tenir compte. L'inclusion d'une partie du périmètre du PP 363 dans la DDE aurait permis à Canadian Forest Oil Ltd. de bénéficier de certains avantages dans le cadre d'une demande d'une licence de production.

[8]          Le 26 janvier 2000, Canadian Forest Oil Ltd. a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire qui a amorcé la présente instance. Cette demande de contrôle judiciaire conteste la décision de l'Office national de l'énergie portant que Canadian Forest Oil Ltd. n'est pas « touchée directement » , ainsi que sa décision quant à la définition du périmètre visé par la DDE. L'avis inclut une demande de transmission, par l'Office national de l'énergie, d'une copie certifiée conforme de tous les documents dont il disposait quand il a rendu sa décision de délivrer la DDE.

[9]          Tous ces documents ont maintenant été produits, à l'exception du document technique déposé par Chevron Canada Resources à l'appui de sa demande de DDE. Pour plus de commodité, j'appellerai ce document « l'exposé de Chevron » . Il semble que les renseignements contenus dans l'exposé de Chevron auraient été pertinents relativement aux deux décisions visées par la présente demande de contrôle judiciaire.

[10]          L'Office national de l'énergie s'oppose à la transmission de l'exposé de Chevron en raison des dispositions suivantes de l'article 101 de la Loi fédérale sur les hydrocarbures :


(2) Subject to this section, information or documentation is privileged if it is provided for the purposes of this Act or the Canada Oil and Gas Operations Act or any regulation made under either Act, or for the purposes of Part II.1 of the National Energy Board Act, whether or not the information or documentation is required to be provided.

(2.1) Subject to this section, information or documentation that is privileged under subsection (2) shall not knowingly be disclosed without the consent in writing of the person who provided it, except for the purposes of the administration or enforcement of this Act, the Canada Oil and Gas Operations Act or Part II.1 of the National Energy Board Act or for the purposes of legal proceedings relating to its administration or enforcement.

(3) No person shall be required to produce or give evidence relating to any information or documentation that is privileged under subsection (2) in connexion with any legal proceedings, other than proceedings relating to the administration or enforcement of this Act, the Oil and Gas Production and Conservation Act or Part II.1 of the National Energy Board Act.

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les renseignements fournis pour l'application de la présente loi, de la Loi sur les opérations pétrolières au Canada, de leurs règlements ou de la partie II.1 de la Loi sur l'Office national de l'énergie sont protégés, que leur fourniture soit obligatoire ou non.


(2.1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les renseignements protégés au titre du paragraphe (2) ne peuvent, sciemment, être communiqués sans le consentement écrit de la personne qui les a fournis, si ce n'est pour l'application de la présente loi, de la Loi sur les opérations pétrolières au Canada ou de la partie II.1 de la Loi sur l'Office national de l'énergie ou dans le cadre de procédures judiciaires à cet égard.

(3) Nul ne peut être tenu de communiquer les renseignements protégés au titre du paragraphe (2) au cours de procédures judiciaires qui ne visent pas l'application de la présente loi, de la Loi sur les opérations pétrolières au Canada ou de la partie II.1 de la Loi sur l'Office national de l'énergie.

[11]          Chevron Canada Resources fait valoir que le paragraphe 101(3) interdit le prononcé d'une ordonnance enjoignant à l'Office national de l'énergie de produire l'exposé de Chevron et que, quoi qu'il en soit, la production ne doit pas être ordonnée parce que la demande de contrôle judiciaire sera inévitablement rejetée ou, subsidiairement, parce que la production de l'exposé de Chevron permettrait à Canadian Forest Oil Ltd. d'obtenir plus de renseignements que ceux auxquels les parties « touchées directement » auraient eu accès si une audience avait été tenue. Ce dernier argument s'appuie sur une pratique adoptée par l'Office national de l'Énergie qui consiste à segmenter ses audiences, de sorte qu'aucune partie ne peut prendre connaissance de la preuve fournie par les autres.

[12]          Le premier point relève de l'interprétation législative. Pour le trancher, je tiendrai pour acquis que l'exposé de Chevron est protégé par le paragraphe 101(2), qu'il inclut des renseignements de valeur pour Chevron Canada Resources et que la divulgation de ces renseignements à Canadian Forest Oil Ltd. ou à d'autres concurrents pourrait causer un préjudice à Chevron Canada Resources. Je reconnais en outre que la protection légale accordée par le paragraphe 101(2) est fondée sur des motifs d'ordre public importants. Je suis d'accord avec l'avocat de Chevron Canada Resources pour dire que les objectifs visés par la Loi fédérale sur les hydrocarbures sont tributaires d'un régime qui incite les sociétés exploitantes de ressources qui désirent obtenir des droits de prospection et de production à faire une divulgation complète et franche. Il faut donc se demander si le paragraphe 101(3) interdit le prononcé d'une ordonnance enjoignant à l'Office national de l'énergie de produire l'exposé de Chevron comme élément du dossier du tribunal en l'espèce.

[13]          Canadian Forest Oil Ltd. fait valoir que le paragraphe 101(3) n'interdit pas le prononcé d'une telle ordonnance parce que la présente demande de contrôle judiciaire constitue une procédure qui vise l'application de la Loi fédérale sur les hydrocarbures ou de la partie II.1 de la Loi sur l'Office national de l'Énergie. L'avocat de Chevron Canada Resources a soutenu que l'interprétation large du paragraphe 101(3) proposée par Canadian Forest Oil Ltd. risquerait de réduire à néant l'efficacité de la protection légale accordée par le paragraphe 101(2), car elle pourrait permettre à quiconque de se voir reconnaître le droit d'accès à des renseignements protégés en déposant simplement une demande de contrôle judiciaire. L'avocat de Canadian Forest Oil Ltd. affirme, par contre, que la Cour ne pourra pas contrôler efficacement la décision de l'Office national de l'énergie si ces renseignements ne sont pas divulgués.

[14]          Selon moi, le paragraphe 101(3) n'interdit pas le prononcé d'une ordonnance prescrivant la production de l'exposé de Chevron. La Loi fédérale sur les hydrocarbures édicte la réglementation applicable aux ressources pétrolières et gazières dans certaines régions du Canada. Le pouvoir de délivrer des DDE relativement à ces terres, conféré à l'Office national de l'énergie, fait partie intégrante de ce régime de réglementation; par conséquent, la délivrance d'une DDE constitue un aspect de l'application de la Loi fédérale sur les hydrocarbures. La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question de la validité de la délivrance d'une DDE. Je dois donc conclure que l'instance constitue une procédure qui vise l'application de la Loi fédérale sur les hydrocarbures.

[15]          J'estime que la présente procédure vise aussi l'application de la partie II.1 de la Loi sur l'Office national de l'énergie. La procédure légale régissant la délivrance des DDE est établie par la partie II.1 de la Loi sur l'Office national de l'énergie. La demande de contrôle judiciaire soulève la question de la validité de la décision de l'Office national de l'énergie quant à l'identité des parties « touchées directement » . Il s'agit d'un aspect crucial de la procédure légale.

[16]          Après avoir conclu que je peux ordonner la production de l'exposé de Chevron, je dois maintenant examiner la question de savoir si je dois l'ordonner. En théorie, je serais fortement tenue de justifier une ordonnance exigeant la production de documents protégés dans le cadre d'une procédure mal fondée au point d'être inévitablement vouée à l'échec. Toutefois, je ne suis pas disposée, à cette étape, à procéder à pareille évaluation du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas disposée non plus à retenir l'argument portant que Canadian Forest Oil Ltd. n'aurait pas été autorisée à prendre connaissance de l'exposé de Chevron même si on lui avait reconnu la qualité de personne « touchée directement » . Cet argument pourrait avoir une certaine valeur si Canadian Forest Oil Ltd. contestait uniquement la décision de l'Office national de l'énergie quant aux personnes qui seraient « touchées directement » . Toutefois, la contestation de Canadian Forest Oil Ltd. ne se limite pas à cet élément.

[17]          Il ne s'ensuit cependant pas que la Cour doit ordonner la production immédiate de l'exposé de Chevron. Aucun élément produit devant moi ne justifie l'élimination inéluctable et complète de la protection accordée par la loi ni la divulgation de renseignements qui n'ont de valeur pour Chevron Canada Resources que s'ils demeurent confidentiels. Il se peut bien que les parties de l'exposé de Chevron qui sont les plus pertinentes relativement aux questions en litige dans la demande de contrôle judiciaire n'incluent pas les renseignements techniques et financiers les plus délicats. La règle 151, qui régit les ordonnances de confidentialité, est conçue précisément pour régler le problème de la protection des renseignements confidentiels de valeur contre leur divulgation inutile.

[18]          Pour ces motifs, l'objection soulevée par l'Office national de l'énergie en vertu du paragraphe 318(2) des Règles est accueillie, sous réserve des dispositions suivantes :

     (a)          Chevron Canada Resources peut signifier et déposer une requête en vertu de la règle 151, en vue d'obtenir une ordonnance déclarant confidentiels les renseignements qu'elle a soumis à l'Office national de l'énergie à l'appui de sa demande de déclaration de découverte exploitable pour le puits Liard K-29 de Chevron et al. (l'exposé de Chevron).
     (b)          La requête prévue par la règle 151 sera présentée au plus tard le 30 juin 2000. Les parties peuvent convenir de proroger ce délai jusqu'au 30 août 2000, au plus tard. Elles pourront demander l'autorisation de la Cour pour le proroger au-delà de cette date.
     (c)          Si Chevron Canada Resources ne signifie et ne dépose pas de requête en vertu de la règle 151 dans le délai prescrit, l'Office national de l'énergie fournira des copies certifiées conformes de l'exposé de Chevron au greffe et à Canadian Forest Oil Ltd. dans les 20 jours suivant l'expiration de ce délai.
     (d)          Si Chevron Canada Resources signifie et dépose une requête en vertu de la règle 151 dans le délai imparti, l'Office national de l'énergie ne sera pas tenu de fournir une copie certifiée de l'exposé de Chevron, à moins que l'ordonnance prononcée à la suite de cette requête ne l'exige.


                                 « Karen R. Sharlow »

                            

                                     J.C.A.




Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          A-58-00     
INTITULÉ DE LA CAUSE :      CANADIAN FOREST OIL LTD. c. CHEVRON CANADA RESOURCES RANGER OIL LIMITED ET AUTRES
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE VENDREDI 9 JUIN 2000

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :              VENDREDI 16 JUIN 2000     


ONT COMPARU :

Me Bruce Mellett                      POUR LA DEMANDERESSE

Me Daniel J. McDonald, c.r.                  POUR LA DÉFENDERESSE
Me Peter Noonan                      POUR L'INTERVENANT


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Bruce Mellett                      POUR LA DEMANDERESSE

Bennett Jones

Calgary (Alberta)

Me Daniel J. McDonald, c.r.                  POUR LA DÉFENDERESSE

Burnet, Duckworth & Palmer

Calgary (Alberta)

Me Peter Noonan                      POUR L'INTERVENANT

Office national de l'énergie

Calgary (Alberta)

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