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Date : 19980706


A-281-98

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE STRAYER
         LE JUGE DESJARDINS

E n t r e :

     BASF COATINGS & INKS CANADA LTD.,

     appelante,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

Audience tenue à Toronto (Ontario), le lundi 29 juin 1998.

Jugement prononcé à l'audience à Toronto le jeudi 2 juillet 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      LE JUGE DESJARDINS


Date : 19980706


A-281-98

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE STRAYER

         LE JUGE DESJARDINS

E n t r e :

     BASF COATINGS & INKS CANADA LTD.,

     appelante,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (prononcé à l'audience à Toronto,

     le jeudi 2 juillet 1998)

LE JUGE DESJARDINS

[1]      Il s'agit de l'appel d'une décision par laquelle la Section de première instance1 a conclu qu'il n'était pas permis à l'appelante de déduire du " prix de vente " visé aux articles 42 et 50 de la Loi sur la taxe d'accise (" la Loi ")2, qui concernent la taxe de vente fédérale (TVF), les paiements rectificateurs accordés par l'appelante à ses grossistes, qui vendaient à rabais ses produits à certains acheteurs spécialisés.

[2]      Il est essentiel de bien comprendre les rapports qui existaient entre l'appelante et ses grossistes pour pouvoir trancher le présent appel.

[3]      À l'époque en cause, l'appelante exploitait une entreprise de vente de solvants, de diluants et de divers fluidifiants pour automobile. Elle n'exploitait qu'un petit nombre de points de vente au détail. N'étant pas dotée de son propre réseau de distribution, elle s'en remettait plutôt à un réseau de grossistes indépendants pour la distribution de ses produits.

[4]      Les grossistes dont l'appelante retenait les services recevaient un guide exposant les droits et les obligations des parties. Le guide précisait que le grossiste avait droit à une remise sur le prix de vente des produits qu'il vendait à certains acheteurs spécialisés appelés [TRADUCTION] " acheteurs des marchés de spécialité ", en l'occurrence des acheteurs de parcs automobiles, des carrossiers-constructeurs, des organismes gouvernementaux et des établissements d'enseignement. Cette clientèle achetait en plus grandes quantités et payait donc le plus souvent un prix moindre que celui qui était demandé à la clientèle de base de l'appelante comme les ateliers de débosselage. L'appelante avait conçu ce programme, le [TRADUCTION] " programme des marchés de spécialité " pour la protection des grossistes. Les concurrents de l'appelante vendaient leurs produits directement à leurs propres acheteurs spécialisés sans passer par des intermédiaires comme les grossistes. L'appelante procédait ainsi de manière à pouvoir vendre ses produits à sa clientèle spécialisée sans court-circuiter ses grossistes.

[5]      Lorsqu'ils achetaient des produits à l'appelante, les grossistes ignoraient à qui ils les vendraient par la suite. Ils payaient à l'appelante le prix indiqué sur la liste de prix courants des grossistes. L'appelante avait établi cette liste en partant du principe que le grossiste vendrait le produit à un utilisateur final au prix fort indiqué sur la liste. S'il vendait un produit à un client des marchés de spécialité sans avoir à réduire le prix, le grossiste n'avait pas droit de la part de l'appelante à une remise sur le prix de vente. Le grossiste qui vendait un produit à un client des marchés de spécialité au prix suggéré ou à un prix moindre pouvait demander à l'appelante une remise sur le prix de vente qu'il lui avait antérieurement payé. À cette fin, le grossiste remplissait chaque mois un formulaire de demande de crédit qui devait être approuvé par le directeur des ventes. Des contrôles mensuels étaient effectués au hasard pour s'assurer qu'aucune fausse réclamation n'était faite. L'appelante défalquait ensuite du montant de ses ventes taxables le montant de la subvention, réduisant d'autant le montant de taxe qu'elle devait payer.

[6]      Le ministre du Revenu national a refusé les réductions du prix de vente qui avaient été consenties aux grossistes et il a exigé de l'appelante le paiement de la taxe de vente intégrale. La somme réclamée dans la cotisation, intérêts et pénalités compris, s'élevait à 178 487,99 $, moins un crédit de 104 807 $, pour une somme nette due de 73 680,99 $. Le ministre a par la suite confirmé cette cotisation.

[7]      Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) qui a entendu l'appel interjeté par l'appelante, a donné gain de cause à celle-ci3. Le juge de première instance a infirmé la décision du Tribunal pour les motifs qui suivent :

         [11]      J'estime que le libellé de ces dispositions législatives est clair, sans équivoque et susceptible d'être interprété dans son sens ordinaire. L'article 50 de la Loi prévoit que la taxe de vente est calculée " au moment où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou au moment où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre ". En conséquence, c'est en fonction de la vente de la marchandise par le fabricant au premier acquéreur (dans la chaîne de distribution) et du " prix de vente " alors payé que le montant de la taxe exigible est calculé. En l'espèce, la propriété des marchandises est passée de BASF au grossiste au moment où ce dernier les a reçues. C'est de cette opération que naît l'obligation fiscale de la défenderesse, et c'est en fonction d'elle qu'est calculé le montant de la taxe due.                 

     [...]

         [13] Je suis donc convaincu qu'il n'existe en droit aucun fondement qui puisse permettre à BASF de réduire rétroactivement son prix de vente et, par conséquent, son obligation fiscale. Il est clair que la taxe était payable sur le prix exigé des grossistes par BASF et que les subventions ultérieurement accordées par la défenderesse aux grossistes n'ont pas eu pour effet de réduire le " prix de vente " au sens de la loi applicable. En conséquence, le montant de la taxe de vente fédérale a été dûment établi en fonction du prix payé par le grossiste à BASF au moment de la vente intervenue entre eux, et l'avis de cotisation est valable.                 

[8]      Le juge de première instance a ajouté, à titre d'observation incidente, qu'en tout état de cause, les subventions accordées par BASF aux grossistes constituaient des dépenses promotionnelles, de sorte qu'elles n'avaient aucun rapport avec le prix de vente :

         [12] En outre, pour déterminer le " prix de vente " réel, il est nécessaire d'aller au-delà de l'opération initiale et d'examiner la nature fondamentale du rapport commercial établi entre les parties contractantes. Ce rapport est très différent en l'espèce de celui qui était en cause dans l'affaire Timmins Tire Sales c. M.R.N. , [1992] 5 T.C.T. 1092, que la défenderesse invoque à l'appui de ses prétentions. Contrairement à l'affaire Timmins, les subventions accordées par BASF aux grossistes dans le cadre du programme des marchés de spécialité constituaient des dépenses promotionnelles, de sorte qu'elles n'ont aucun rapport avec le prix de vente dont ont convenu le fabricant et les grossistes. Les deux témoins de la défenderesse ont affirmé que le programme des marchés de spécialité avait été conçu par la division du marketing de BASF afin de pénétrer de nouveaux marchés grâce à un réseau de grossistes. Les subventions versées par BASF visaient simplement à encourager les grossistes à participer au programme.                 

Nous sommes tous d'avis que le juge de première instance a commis une erreur en rendant cette décision.

[9]      L'alinéa 50(1)a) de la Loi, la disposition d'imposition, prévoit l'imposition d'une taxe de consommation ou de vente " sur le prix de vente [...] de toutes marchandises produites ou fabriquées au Canada payable [...] par le producteur ou le fabricant au moment où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou au moment ou la propriété des biens est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre ". Le " prix de vente " est défini comme suit à l'alinéa 42(1)a) de la Loi : " [...] ensemble des montants suivants : le montant exigé comme prix avant qu'un montant payable à l'égard de toute autre taxe prévue par la présente loi y soit ajouté "4.

[10]      Il est difficile, compte tenu du libellé de ces dispositions, d'accepter la thèse de l'intimée suivant laquelle, parce que la Loi ne prévoit pas expressément de réduction du " prix de vente " comme celle qui est visée à l'article 46 de la Loi (ou encore aux articles 181.1 et 232 de la Loi dans le cas de la taxe sur les produits et services (TPS)), la réduction du " prix de vente " consentie après la vente initiale n'a aucune incidence sur le montant de la taxe que le contribuable doit payer. L'intimée soutient que le juge de première instance a eu raison de conclure qu'en raison du libellé de l'alinéa 50(1)a) , le montant de la taxe due doit être calculé au moment de la survenance de l'un ou l'autre des événements prévus à cet alinéa, à savoir le moment de la livraison de la marchandise à l'acheteur ou le moment où la propriété des marchandises est transmise, selon la première de ces éventualités. Une telle interprétation, soutient-elle, s'accorde avec le sens courant et ordinaire de l'alinéa et tranche la question. La méthode d'interprétation téléologique de la Loi et les réalités économiques et commerciales de l'opération ne sauraient y changer quoi que ce soit lorsque le texte de la loi est clair5.

[11]      Nous estimons qu'en adoptant une telle approche, on interprète les dispositions pertinentes d'une façon inutilement rigide. Même en interprétant la disposition d'imposition, en l'occurrence l'alinéa 50(1)a), selon son sens courant et ordinaire, force est de conclure que l'intention du législateur fédéral était d'imposer une taxe sur le " prix de vente " des marchandises vendues. L'expression " prix de vente " n'exclut pas nécessairement de façon implicite le calcul d'une remise de prix, si une telle remise est par la suite consentie sur le " prix de vente ". Le fait que le législateur s'empresse de préciser que la taxe est " payable [...] au moment où les marchandises sont livrées [...] ou au moment où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre " exclut toute règle rigide en ce qui concerne le moment où le calcul de la taxe de vente doit être effectué. L'alinéa 50(1)a) vise le moment où la " taxe de vente " est " payable ", et non celui où elle est " calculée ". Nous croyons que le Tribunal avait raison de dire :

         [TRADUCTION]                 
         [...] Le Tribunal estime que le libellé de l'alinéa 50(1)a) de la Loi ne signifie pas, comme l'intimée le prétend, que le montant de la taxe due doit être calculé au moment où l'un ou l'autre des événements visés par ces alinéas se produit, c'est-à-dire lorsque les marchandises sont livrées à l'acheteur ou lorsque la propriété des marchandises est transmise. Le Tribunal estime plutôt que, bien que cette disposition cristallise l'obligation de payer la taxe, elle n'établit pas le montant de la taxe à payer. Le calcul de la taxe due est fonction de l'expression " prix de vente " que l'on trouve au paragraphe 50(1), et c'est l'article 42, et non l'alinéa 50(1)a) de la Loi, qui précise le sens de cette expression. Suivant le Tribunal, le calcul du montant de la taxe à payer est fonction de la somme effectivement reçue par le vendeur et, dans le cas qui nous occupe, cette somme ne peut être déterminée qu'après la survenance d'événements qui doivent d'abord se produire pour qu'on puisse établir ce que l'appelante a effectivement reçu, même si ces événements se produisent après ceux dont il est question à l'alinéa 50(1)a) de la Loi6.                 

[12]      Mais même si nous devions accepter que le mot " payable " vise non seulement le moment où le vendeur devient assujetti à la taxe, mais également le moment du calcul de cette taxe, il convient de remarquer qu'au moment de la transmission de la propriété aux grossistes, l'appelante et ses grossistes étaient liés par un contrat valide aux termes duquel une réduction du prix de vente ou un crédit applicable à celui-ci était dû. Il ne restait plus qu'à calculer le montant précis de cette remise. La réduction de prix était donc implicite au moment de la transmission de la propriété.

[13]      À titre subsidiaire, l'intimée plaide que, si nous concluons que l'alinéa 50(1)a) de la Loi n'exige pas que le montant de la taxe de vente soit calculé au moment où la propriété est transmise ou au moment où les marchandises sont livrées, les faits de la présente espèce n'appuient pas la conclusion réclamée par l'appelante. Selon l'intimée, le crédit consenti aux grossistes est distinct du " prix de vente " et constitue en réalité une subvention, une prime ou une dépense promotionnelle qui n'a rien à voir avec le " prix de vente " des marchandises.

[14]      Nous ne souscrivons ni à la thèse de l'intimée ni à la conclusion du juge de première instance suivant laquelle les rajustements de prix constituaient des dépenses promotionnelles. Ces crédits n'ont pas, à notre avis, été consentis aux grossistes pour encourager et récompenser leur participation au programme des marchés de spécialité de l'appelante. Les grossistes ne recevaient pas une " prime ", une subvention ou une commission en fonction du nombre de ventes qu'ils réussissaient à conclure avec des acheteurs des marchés de spécialité. La subvention accordée était davantage de la nature d'un crédit visant à permettre aux grossistes de livrer une concurrence efficace sur le marché des acheteurs spécialisés, qui s'attendent normalement à payer un prix moindre que celui que paient les clients au détail ordinaires. Il est évident que, si les grossistes avaient pu, au moment où ils les achetaient à l'appelante, savoir la quantité exacte de produits qu'ils allaient vendre aux acheteurs des marchés de spécialité, le prix de vente initial demandé par l'appelante pour les produits en question aurait été moins élevé. Comme il était impossible pour les grossistes de connaître à l'avance le volume des ventes conclues avec les acheteurs des marchés spécialisés, l'appelante était forcée de demander aux grossistes le prix de liste intégral pour réduire ensuite ce prix une fois qu'une vente définitive était conclue.

[15]      L'appel sera accueilli avec dépens, la décision du juge de première instance sera annulée et l'appel interjeté de la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur sera rejeté. Bien que l'appelante ait demandé que les dépens afférents à l'instance introduite devant la Section de première instance lui soient adjugés, nous constatons que, probablement en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 1312 des Règles, le juge de première instance n'a pas jugé bon d'adjuger des dépens. Nous ne voyons aucune " raison spéciale " de modifier sa conclusion à cet égard.

     " Alice Desjardins "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              A-281-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      BASF Coatings & Inkc Canada Ltd. c. Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          29 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (les juges Stone, Strayer et Desjardins) prononcés à l'audience le 2 juillet 1998 par le juge Desjardins

ONT COMPARU :

Me Jonathan Stansby                  pour l'appelante

Me Mark Jadd

Me Anne Turley                  pour l'intimée

Me André Chamberlain

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikie                  pour l'appelante

Toronto (Ontario)

Me George Thomson                  pour l'intimée

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      La Reine c. BASF Coatings & Inks Canada Ltd., (6 avril 1998), T-1092-93 (C.F. 1re inst.).

2      L.R.C. (1985), ch. E-15.

3      BASF Coatings & Inks Canada Ltd. v. M.N.R. [1993] C.I.T.T. 5.

4      Voici des extraits de ces dispositions :
     42. [...]
     " prix de vente " Relativement à l'établissement de la taxe de consommation ou de vente, s'entend :
     a) sauf dans le cas des vins, de l'ensemble des montants suivants :
         (i) le montant exigé comme prix avant qu'un montant payable à l'égard de toute autre taxe prévue par la présente loi y soit ajouté,
     [...]
     50.(1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente au taux spécifié au paragraphe (1.1) sur le prix de vente ou sur la quantité vendue de toutes marchandises :
     a) produites ou fabriquées au Canada :
     (i) payable, dans tout cas autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas (ii) ou (iii), par le producteur ou fabricant au moment où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou au moment où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre, [...]

5      Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pages 326 et 327, Canadian Turbo (1993) Ltd. c. Ministre du Revenu national (douanes et accise), (1996), 206 N.R. 164, à la page 169, Friesen c. La Reine, [1995] 3 R.C.S. 103.

6      Le Tribunal, citant la décision qu'il avait déjà rendue dans l'affaire Timmins Tire Sales Ltd. v. M.N.R., [1992] C.I.T.T. No. 20; (1992), 5 T.C.T. 1092 (T.C.C.E.), avait précédemment déclaré qu'à son avis, l'expression " prix de vente " au paragraphe 50(1) de la Loi s'entendait du " prix effectif " ou de la " valeur nette réalisée ".

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