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     Date : 19980616

     Dossier : A-336-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 16 JUIN 1998

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE McDONALD

Entre :

     ANIL JINDAL,

     appelant

     (intimé),

ET :

     ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE,

     intimée

     (requérante).

     JUGEMENT

         L'appel est rejeté sans frais.

                         " Julius A. Isaac "

     Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


     Date : 19980616

     Dossier : A-336-96

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE McDONALD

Entre :

     ANIL JINDAL,

     appelant

     (intimé),

ET :

     ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE,

     intimée

     (requérante).

     Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le jeudi 14 mai 1998

     Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le mardi 16 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      LE JUGE LÉTOURNEAU

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :      LE JUGE EN CHEF

     LE JUGE McDONALD

     Date : 19980616

     Dossier : A-336-96

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE McDONALD

Entre :

     ANIL JINDAL,

     appelant

     (intimé),

ET :

     ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE,

     intimée

     (requérante).

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      Le présent appel porte sur l'interprétation du paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail (le Code) qui prive un arbitre de sa compétence à entendre une plainte pour congédiement injustifié lorsque le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. L'appel concerne une ordonnance d'un juge de la Section de première instance qui, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, a infirmé la conclusion d'un arbitre selon laquelle l'appelant avait été injustement congédié en vertu des paragraphes 242(2) et (3) du Code.

[2]      L'appelant a perdu son emploi dans les circonstances suivantes. L'intimée dit avoir entrepris une restructuration massive de ses activités pour en améliorer l'efficacité et le rendement, la compétitivité et la rentabilité, plus précisément au département de marketing et des ventes où travaillait l'appelant. Cette restructuration faisait suite à un rapport de vérification interne qui concluait que l'intimée devait remédier à certaines lacunes, dissiper la confusion et éliminer le chevauchement de certaines fonctions et responsabilités autant à l'intérieur des départements qu'entre ceux-ci, et notamment dans le département de l'appelant.

[3]      M. Campbell, qui était directeur du marketing et des ventes, a déclaré devant l'arbitre que, dans le cadre de la réorganisation, le nombre des départements est passé de 17 à cinq et que le nombre de postes a été réduit à 62 dans ces cinq départements au lieu des 87 postes qui étaient auparavant répartis entre les 17 départements.

[4]      C'est dans le cadre de ce processus de restructuration que l'appelant a reçu, le 2 avril 1992, une lettre l'informant que son emploi chez l'intimée " prenait fin " le 30 avril 1992 et qu'il recevrait, entre autres avantages qui lui étaient dus, une indemnisation allant jusqu'à 11 mois de traitement à compter du 1er mai 1992, s'il ne réussissait pas à se trouver un autre poste au sein de la société ou ailleurs. La lettre adressée à l'appelant l'informait que le regroupement de toutes les fonctions de marketing et de ventes sous une seule unité organisationnelle avait entraîné une réduction des postes consacrés à l'exécution de ces fonctions.

[5]      L'appelant a déposé une plainte pour congédiement injustifié qui a été entendue par un arbitre qui a tranché en sa faveur et qui a ordonné sa réintégration avec plein traitement rétroactif. L'intimée a demandé le contrôle judiciaire de cette décision devant un juge de la Section de première instance qui a infirmé la décision de l'arbitre. L'appelant se pourvoit maintenant devant la présente Cour.

La décision de l'arbitre

[6]      Au début de l'audition de la plainte pour congédiement injustifié, l'intimée a contesté la compétence de l'arbitre à entendre la plainte au motif que l'appelant avait été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression de son poste. Le paragraphe 242(3.1) du Code est rédigé dans les termes suivants :

     L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :         
     a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste.         

[7]      L'arbitre a rejeté l'objection concernant sa compétence. À son avis, il avait été mis fin à l'emploi de l'appelant et celui-ci ne pouvait plus être rappelé au travail. Par conséquent, à son avis, la cessation d'emploi n'était pas un licenciement au sens du paragraphe 242(3.1) du Code1. Étant donné que le paragraphe 242(3.1) était une exception à la compétence conférée à un arbitre, le fardeau de prouver en fait et en droit l'applicabilité de cette exception incombait à l'employeur qui, de l'avis de l'arbitre, ne s'en était pas acquitté.

[8]      Étant arrivé à la conclusion que l'exception à sa compétence ne s'appliquait pas et que l'employeur avait admis qu'il n'avait pas de motif valable de congédier l'appelant, l'arbitre a conclu que l'appelant avait injustement été congédié.

Analyse de la décision du juge des requêtes

[9]      Le juge des requêtes a infirmé la conclusion de l'arbitre au motif que l'appelant avait perdu son emploi à cause d'une réorganisation massive et que, par conséquent, l'arbitre n'avait pas compétence pour décider du fond de la plainte.

[10]      Après avoir examiné soigneusement le dossier et la décision de l'arbitre, je suis convaincu que le juge des requêtes est parvenu à la bonne conclusion.

[11]      À mon avis, l'arbitre a donné une interprétation erronée du concept de licenciement dont il est question au paragraphe 242(3.1) du Code. Contrairement à sa conclusion, je crois que le terme " licenciement ", utilisé dans cette disposition dans un sens général et sans réserve, fait référence autant à une cessation d'emploi permanente qu'à une cessation d'emploi temporaire. Bien entendu, abstraction faite du terme utilisé par un employeur pour décrire une cessation d'emploi et aviser l'employé qu'il cessera de travailler pour lui, il faut examiner l'ensemble des faits et des circonstances qui mènent à une telle cessation d'emploi pour déterminer si elle est temporaire ou permanente.

[12]      En fait, la notion de " suppression d'un poste " au paragraphe 242(3.1) du Code n'a pas de sens si le terme " licencié " fait référence à une cessation d'emploi temporaire avec possibilité de rappel. La suppression d'un poste qui entraîne la disparition de la fonction dans son ensemble mène inévitablement à un licenciement permanent des personnes affectées à ce poste. La cessation d'emploi est, dans le présent contexte, synonyme de licenciement ou, pour reprendre les mots du professeur Christie et de ses collègues qui s'appliquent au présent contexte, [TRADUCTION] " la suppression permanente d'un poste constitue un licenciement"2.

[13]      À quelques reprises, notamment en l'espèce, certains arbitres ont donné un sens restrictif au terme " licenciement " : [TRADUCTION] " cessation temporaire de travail avec possibilité de rappel ". Non seulement cette interprétation restrictive n'est-elle pas justifiée par le libellé du paragraphe 242(3.1) du Code, étant donné que cette disposition ne se limite pas à un licenciement temporaire mais, comme le signale N. Grossman, une telle interprétation restrictive [TRADUCTION] " établit un dangereux précédent qui pourrait encourager les employeurs à prétendre que des employés sont " licenciés " dans des circonstances où il n'y a en fait aucun espoir de rappel simplement pour se réserver la possibilité d'invoquer l'alinéa 242(3.1)a )3.

[14]      En l'espèce, je suis convaincu, tout comme le juge des requêtes, que la cessation de l'emploi de l'appelant constitue un licenciement au sens du paragraphe 242(3.1).

[15]      Je suis d'accord avec le juge des requêtes qui conclut que l'arbitre n'a pas examiné de façon appropriée le sens de l'expression " suppression d'un poste " dont il est question au paragraphe 242(3.1). La décision de l'arbitre sur ce point est sommaire et, au mieux, ambiguë. Après avoir conclu que l'exception à sa compétence ne s'appliquait pas parce qu'il avait été mis fin à l'emploi de l'appelant et que celui-ci n'avait pas été licencié, il n'a pas réellement discuté du concept de " suppression d'un poste ". Comme le signale à juste titre le juge des requêtes, la " suppression d'un poste " ne se produit pas seulement lorsque les activités cessent d'être exercées, mais aussi lorsque les activités qui font partie du groupe d'activités exercées par un employé sont désormais réparties entre d'autres personnes4.

[16]      Nous n'avons pas pour nous aider, en l'espèce, la transcription de la preuve qui a été présentée à l'arbitre. Toutefois, sa décision renferme une analyse utile et suffisante de la preuve pertinente à cette question.

[17]      À la page 3 de sa décision, l'arbitre fait référence au rapport de vérification interne de l'intimée qui a été déposé devant lui sous la Pièce 6. Dans cette vérification des activités commerciales de l'intimée, on reconnaît que l'accent porte moins sur les activités commerciales consistant à générer des revenus pour conserver des emplois que sur la production de profits pour appuyer d'autres initiatives. Par suite de ce changement, le rapport formulait les observations et recommandations suivantes, particulièrement pour ce qui a trait aux ventes :

Page 9 du rapport de vérification

[TRADUCTION]

5.3      Ventes et services après vente

Il y a chevauchement des tâches et inefficacité dans la fonction des ventes et des services après vente. En général, les fonctions sont réparties entre les bureaux commerciaux, les divisions techniques et la comptabilité commerciale. En outre, ce partage des responsabilités n'est pas le même dans toutes les unités organisationnelles ou les centres commerciaux.

Le chevauchement des tâches dans la fonction des ventes dans les divisions techniques et les bureaux commerciaux est inefficace et cause certains ressentiments entre les deux organismes. Ce chevauchement des fonctions entraîne également un partage incertain des responsabilités pour les services après vente, causant l'insatisfaction des clients, ce qui mène à des paiements en retard, des retenues sur les derniers paiements et des contestations continuelles de factures. Ces deux symptômes compromettent la rentabilité des activités commerciales.

Recommandation

La direction devrait préciser clairement les responsabilités relatives aux fonctions des ventes et des services après vente pour éviter autant que possible que les mêmes fonctions soient exécutées par des organismes différents. Les relations fonctionnelles et la responsabilité des ventes et du marketing entre la nouvelle organisation du marketing, les bureaux commerciaux et les divisions techniques doivent être définies.

[18]      La direction a accepté les deux recommandations du rapport. Elle a reconnu qu'il y avait des chevauchements considérables dans les fonctions de marketing et de ventes parmi les 17 entités commerciales différentes au sein de sa division des recherches chargée du marketing et des ventes et elle a entrepris de réorganiser et de restructurer la division du marketing et des ventes5.

[19]      Le directeur du marketing et des ventes, M. Phil Campbell, dont la crédibilité n'a pas été mise en doute, a témoigné au sujet de la confusion qui existait en particulier à la division des ventes et de la réorganisation qui a été entreprise par suite du dépôt du rapport de vérification interne pour rationaliser cette fonction et accroître la compétitivité de l'intimée. Il a déclaré que l'appelant avait simplement été une des victimes de ce processus de réorganisation, comme il ressort de cet extrait reproduit aux pages 9 et 10 de la décision de l'arbitre :

     [TRADUCTION]         
     Un rapport de vérification a été préparé en date du 13 novembre 1991, et il a été déposé dans cette instance sous la Pièce 6 ; ce rapport expose en détail la confusion qui existait en particulier dans les divisions des ventes. Il y avait 17 bureaux commerciaux. Ces bureaux fonctionnaient comme un véritable labyrinthe. Campbell a déclaré que souvent les bureaux se faisaient de la concurrence par inadvertance, ou poursuivaient des objectifs contradictoires. Il a dit qu'une réorganisation était essentielle pour rationaliser la compagnie et la rendre plus concurrentielle. Au cours de la réorganisation qui a suivi, ces 17 départements ont été réduits à cinq. Il y avait 87 postes dans les 17 départements ; il devait y en avoir 62 dans les cinq nouveaux départements. Bien que cela signifie une réduction de 25 postes, au total huit postes ont été supprimés parce qu'un certain nombre d'employés ont été déplacés. Jindal, a-t-il dit, a été simplement une des victimes de ce processus. On a mis beaucoup d'accent sur le concept de la réorganisation dans les activités commerciales. Des coefficients revenu-dépenses ont été fixés comme objectifs à atteindre, de même que les prévisions de revenus. Campbell, en tant que directeur des ventes, a été choisi pour nommer les responsables des cinq départements. Il a choisi quatre personnes mais il lui reste encore à trouver quelqu'un pour diriger la section des " projets de technologie avancée ".         

[20]      À mon avis, la conclusion du juge des requêtes selon laquelle il y a eu suppression du poste de l'appelant par suite de la réorganisation de la division des ventes, la suppression du poste de l'appelant et le partage de ses activités entre d'autres personnes sont appuyés par la preuve dont était saisi l'arbitre qui n'a pas appliqué les principes juridiques appropriés à cette notion.

[21]      Une fois que l'intimée avait établi, comme elle l'a fait, que le licenciement de l'appelant résultait de raisons commerciales légitimes, l'arbitre n'avait plus compétence pour entendre la plainte pour congédiement injustifié.

[22]      Par ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel sans frais.

                         " Gilles Létourneau "

     Juge

" Je souscris à ces motifs,

     Julius A. Isaac, juge en chef "

" Je souscris à ces motifs,

     F.J. McDonald, juge "

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     DIVISION D'APPEL

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              A-336-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Anil Jindal c.
                     Énergie atomique du Canada Limitée
LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 14 mai 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE EN CHEF, DU JUGE LÉTOURNEAU ET DU JUGE McDONALD

DATE :                  le 16 juin 1998

ONT COMPARU :

Paul Walsh, c.r.                      POUR L'APPELANT

Paul Edwards                      POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Anhang Walsh & Company                  POUR L'APPELANT

Winnipeg (Manitoba)

Duboff Edwards Haight & Schachter          POUR L'INTIMÉE

Winnipeg (Manitoba)

__________________

     1      Voir p. 13 de sa décision, à la p. 19 du dossier d'appel.

     2      Christie, England et Cotter, Employment in Canada, 2e éd., Butterworths, Toronto, 1993, p. 680. Voir également S.R. Ball, Canadian Employment Law, Canada Law Book Inc., Aurora, 1998, p. 21-12 ; H.A. Levitt, The Law of Dismissal in Canada, Canada Law Book, Aurora, 1992, p. 46 et 47 ; Air Canada c. Davis, (1994) 72 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.).

     3      Norman Grossman, Federal Employment in Canada, Carswell, Toronto, 1990, ch. 8, p. 118.

     4      Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, aux p. 663 et 664.

     5      Voir p. 10 du rapport de vérification interne, à la p. 60 du dossier d'appel.

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