Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031202

Dossier : A-46-03

Référence : 2003 CAF 464

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     demandeur

et

KATHLEEN GRAY

défenderesse

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 novembre 2003

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                           LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                                  LA JUGE SHARLOW


Date : 20031202

Dossier : A-46-03

Référence : 2003 CAF 464

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     demandeur

et

KATHLEEN GRAY

défenderesse

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STONE

[1]                 Il s'agit d'une demande visant à contrôler et à annuler, en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi), la décision, en date du 29 novembre 2002, par laquelle un juge-arbitre a accueilli un appel d'une décision d'un conseil arbitral et annulé la décision du conseil en date du 2 octobre 2001.


[2]                 La défenderesse a reçu des prestations pour la période du 4 février 2001 au 21 mars 2001. Elle avait déclaré, dans ses cartes de déclaration ou par l'entremise du système de déclarations par téléphone (Télédec), qu'elle n'avait pas de revenus alors qu'elle avait travaillé au cours de cette période pour Remco Forwarding 1983 Ltd. et avait gagné 3 922,27 $. La Commission a conclu que la défenderesse avait, aux termes de l'alinéa 38(1)c) de la Loi, « sciemment omis de déclarer » tout ou partie de sa rémunération et que cela constituait une violation « grave » en raison du montant du versement excédentaire. Dans son avis à la défenderesse, la Commission a erronément qualifié la violation de « mineure » . Cette erreur a par la suite été corrigée. La Commission a infligé une pénalité de 2 144 $.

[3]                 À l'audience devant le conseil, la défenderesse a réitéré la position qu'elle avait prise devant la Commission : les cartes de déclaration qu'elle avait signées avaient mal été remplies par une amie et celle-ci avait commis une erreur en ne déclarant pas les nouveaux revenus. Elle a déclaré :

[traduction] Une amie a rempli les cartes pour moi. Elle n'a pas mentionné Remco Forwarding et a posté les cartes pour moi. Je ne les ai pas moi-même remplies parce que j'étais dans mon grenier et je cherchais d'où provenait une fuite dans la toiture et qu'elle allait au magasin et pouvait les poster pour moi.

Elle a aussi reconnu qu'elle avait dû faire des déclarations incorrectes par l'entremise du système Télédec, mais n'a pas expliqué pourquoi les renseignements fournis étaient incorrects.


[4]                 Le conseil arbitral n'a pas accepté cette explication et a rejeté l'appel dans lequel la défenderesse contestait tant la pénalité que l'avis de violation. Après avoir résumé la preuve au dossier, le conseil a toutefois mentionné le nouvel argument de la défenderesse soulevé à l'audience, à savoir qu'on devrait la libérer de la pénalité en raison de ses difficultés financières. Le conseil a dit ce qui suit :

[traduction] Elle a dit au conseil qu'elle est une mère célibataire ayant trois enfants et qu'elle n'a pas les moyens de payer une pénalité.

Le conseil a cependant conclu que la défenderesse avait sciemment donné des renseignements faux ou erronés et a rejeté son appel. Il n'a pas mentionné, dans le dispositif de l'appel, cette nouvelle allégation.

[5]                 Après avoir noté que le conseil n'avait pas tenu compte de l'argument des difficultés financières soulevé par la défenderesse, le juge-arbitre a eu recours, relativement à la question de la pénalité, aux arrêts R. c. Tracy (1992), 71 C.C.C. (3d) 329 (C.A.C.-B.), de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, et R. c. Savard (1998), 126 C.C.C. (3d) 562 (C.A. Qué.), de la Cour d'appel du Québec, lesquels ont été rendus en vertu de lois pénales fédérales. L'effet cumulatif de ces arrêts est le suivant : pour fixer le montant d'une amende, le juge avait l'obligation de tenir compte de la capacité de payer de l'accusé. Comme le conseil n'avait pas pris en considération l'argument des difficultés financières pour fixer le montant de la pénalité, le juge-arbitre a renvoyé l'affaire devant un conseil composé de membres différents pour qu'il rende une nouvelle décision.


[6]                 Il semble que ce soit en 1998 qu'on ait pour la première fois soulevé devant la Cour l'argument selon lequel un conseil arbitral doit être guidé par les principes de droit pénal lorsqu'il examine les pénalités infligées par la Commission en vertu de la Loi. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Lai (1998), 229 N.R. 42 (C.A.F.), le juge Marceau, qui s'est prononcé au nom de la Cour, a rejeté cet argument en disant, au paragraphe 4 :

En tout état de cause, nous nous trouvons, non pas dans un contexte de droit pénal, mais dans un contexte de droit administratif. Les sanctions prévues par la Loi doivent être considérées, non pas comme une punition, mais comme une dissuasion nécessaire pour protéger le régime tout entier dont l'application appropriée repose sur la véracité des déclarations des bénéficiaires. [...] La position adoptée par le juge-arbitre, si elle est confirmée, limiterait le pouvoir discrétionnaire d'infliger des pénalités conféré à la Commission [...]. Cela ferait échec à la volonté du législateur.

La Cour a adopté la même position dans les arrêts Turcotte c. Canada (Commission de l'assurance-emploi), [1999] A.C.F. no 311 (C.A.), dossier de la Cour no A-186-98 (C.A.), et Procureur général du Canada c. Deen, 2003 CAF 435, dossier de la Cour no A-45-03. Comme l'importation des principes de droit pénal par le juge-arbitre va clairement à l'encontre du raisonnement suivi dans ces arrêts, sa conclusion sur ce point ne doit pas être maintenue.


[7]                 L'autre question est de savoir si, dans des circonstances comme celles de la présente affaire, un juge-arbitre peut exiger d'un conseil arbitral qu'il examine un « facteur atténuant » comme celui invoqué en l'espèce, à savoir l'incapacité de payer. La Cour a conclu qu'un conseil arbitral peut prendre en considération toute circonstance atténuante ayant trait à des fausses déclarations faites sciemment : Turgeon c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1997), 212 N.R. 247 (C.A.F.); Morin c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (1996), 134 D.L.R. (4th) 724 (C.A.F.). Voir également l'arrêt Mucciarone c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1997] A.C.F. no 89, dossier de la Cour no A-464-96 (C.A.). En fait, même le Guide de la politique des Services d'assurance de la Commission, que la Cour a cité dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Morin, [1997] A.C.F. no 712, dossier de la Cour no A-681-96 (C.A.), au paragraphe 2, préconise cette ligne de conduite :

Les circonstances atténuantes sont celles qui réduisent la gravité d'une infraction parce que celle-ci a été commise dans une situation inhabituelle ou hors de l'ordinaire. Dans de telles circonstances, la pénalité sera moindre que s'il y avait simplement eu fausse déclaration.          

[8]                 Ce qui n'est cependant pas si clair, c'est s'il convient d'appliquer le même principe lorsque, comme en l'espèce, les « circonstances atténuantes » invoquées devant le conseil arbitral n'existaient pas au moment où la fausse déclaration a sciemment été faite et ne sont apparues qu'après, par suite de l'infliction de la pénalité prévue au paragraphe 38(1). Le conseil arbitral et le juge-arbitre étaient aux prises avec une situation semblable dans l'arrêt Stark c. Canada (Ministre du Revenu national), [1997] A.C.F. no 637, dossier de la Cour no A-701-96 (C.A.). Le conseil arbitral a refusé de réduire le montant de la pénalité en raison de « difficultés financières » et a plutôt recommandé à la Commission de le faire. Cette dernière a rejeté cette recommandation. Le prestataire a ensuite interjeté appel de la décision du conseil devant un juge-arbitre, qui a accueilli cet appel. La Cour a annulé cette décision au motif que « la décision ou l'ordonnance » du conseil ne pouvait faire l'objet d'un appel devant le juge-arbitre, mais elle a renvoyé l'affaire au juge-arbitre pour qu'il la renvoie au conseil arbitral au motif que ce dernier possédait effectivement « le pouvoir de modifier une pénalité dans des circonstances exceptionnelles » et qu'il n'a pas exercé cette compétence. La Cour a ensuite donné au conseil la directive de revoir le montant de la pénalité en tenant compte des difficultés financières invoquées et de décider si le montant de la pénalité « devrait être modifié ou confirmé » .


[9]                 Il n'appert pas que le conseil arbitral a pris en considération l'argument des difficultés financières invoqué par la défenderesse. Cela s'est traduit par un défaut d'exercice de compétence. Nous sommes donc d'avis que le conseil devrait examiner la question de savoir si « l'incapacité de payer » invoquée par la défenderesse constitue un facteur atténuant justifiant une réduction de la pénalité. Le conseil doit donc soit accepter cet argument, soit le rejeter. Par conséquent, la Cour doit accueillir la demande, annuler la décision du juge-arbitre en date du 29 novembre 2002, et renvoyer l'affaire au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre de son choix pour qu'il la renvoie au conseil arbitral afin que ce dernier statue à nouveau sur l'affaire conformément aux motifs du présent jugement.

« A.J. STONE »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                           A-46-03         

INTITULÉ :                                                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA           

demandeur

et

                                                         

KATHLEEN GRAY

défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 27 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                      LES JUGES ROTHSTEIN ET SHARLOW

DATE DU JUGEMENT ET

DES MOTIFS :                                                LE 2 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Sadian Campbell                                                POUR LE DEMANDEUR

Kathleen Gray POUR LA DÉFENDERESSE, AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                             

Morris Rosenberg                                               POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada                   

Kathleen Gray                                                     POUR LA DÉFENDERESSE, AGISSANT POUR

Orangeville (Ontario)                                           SON PROPRE COMPTE


Date : 20031202

Dossier : A-46-03

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 DÉCEMBRE 2003

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

            demandeur

                                                         et

                                       KATHLEEN GRAY

            défenderesse

                                              JUGEMENT

La demande est accueillie. La décision du juge-arbitre, en date du 29 novembre 2002, est annulée et l'affaire renvoyée au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre de son choix pour qu'il la renvoie au conseil arbitral afin que ce dernier statue à nouveau sur l'affaire conformément aux motifs du présent jugement.

« A.J. Stone »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.