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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Shilling c. M.R.N. (C.A.) [2001] 4 C.F. 364

Dossier : A-558-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 4 JUIN 2001

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

RACHEL SHILLING

intimée

JUGEMENT

L'appel est accueilli avec dépens et l'ordonnance rendue par le juge de première instance est infirmée. Il est répondu comme suit au point de droit qui a été énoncé aux fins d'une décision :

Rachel Shilling n'a pas le droit, par application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, d'être exemptée de payer l'impôt sur le salaire qui lui a été versé par Native Leasing Services, pour les années 1995 et 1996, dans les circonstances décrites dans l'exposé conjoint des faits.

                     « Marshall Rothstein »                

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010604

Dossier : A-558-99

Référence neutre : 2001 CAF 178

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

RACHEL SHILLING

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le mardi 27 mars 2001.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le lundi 4 juin 2001.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                                LA COUR


Date : 20010604

Dossier : A-558-99

Référence neutre : 2001 CAF 178

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

RACHEL SHILLING

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA COUR

INTRODUCTION


[1]         Il s'agit d'un appel interjeté par Sa Majesté contre une décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale le 9 janvier 1999 (Shilling c. MRN, [1999] 4 C.F. 178 (1re inst.)). Le juge de première instance a statué que le revenu d'emploi que l'intimée Rachel Shilling avait gagné en 1995 et en 1996 était exempt d'impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 pour le motif qu'il s'agissait des « biens meubles d'un Indien situés sur une réserve » , soit la condition nécessaire pour qu'il y ait exemption d'impôt.

[2]         Dans cet appel, il s'agit uniquement de savoir si le revenu d'emploi était « situé sur une réserve » pour l'application de l'alinéa 87(1)b). La réponse dépend de l'application du critère maintenant bien connu des « facteurs de rattachement » qui a initialement été énoncé dans l'arrêt Williams c. La Reine, [1992] 1 R.C.S. 877 et, en particulier, de la question de savoir si le fait que le bureau principal de l'employeur de Mme Shilling était situé dans une réserve suffit pour que le revenu d'emploi de cette dernière soit situé à cet endroit, lorsque d'autres facteurs de rattachement tendent à montrer le contraire.

LES FAITS

[3]         Mme Shilling est membre de la bande indienne de Rama et une Indienne en vertu de la Loi sur les Indiens. Elle est née en 1951 et a été élevée dans la réserve indienne de Rama, près d'Orillia (Ontario).

[4]         De 1971 à 1979, Mme Shilling a vécu à Toronto. En 1979, elle est retournée dans la réserve de Rama de façon que son fils âgé de sept ans puisse rencontrer le reste de sa famille et faire partie de la communauté de la réserve. Mme Shilling a trouvé du travail dans la réserve à titre de conseillère sociale de la bande. En 1984, ayant découvert que son fils faisait partie d'un groupe de cyclistes qui s'attirait des ennuis, Mme Shilling a décidé qu'il serait préférable de quitter la réserve.


[5]         Mme Shilling s'est donc portée candidate au poste de directrice exécutive du Ahkinomagai Kemik Education Council; elle a travaillé à l'école des Premières nations, à Toronto. Après avoir fait la navette entre sa résidence, dans la réserve de Rama, et son lieu de travail pendant un an, elle s'est installée à Toronto en 1985, où elle a toujours résidé depuis lors.

[6]         Même si Mme Shilling a presque toujours vécu à Toronto depuis qu'elle est adulte, elle a maintenu ses liens avec la réserve de Rama, où elle se rend régulièrement et qu'elle considère comme son foyer. Son identité personnelle est reliée à son appartenance à la bande de Rama et à la Première nation Ojibway.

[7]         En 1993, lorsque l'intimée a commencé à travailler auprès d'Anishnawbe Health Toronto (AHT), un centre de santé autochtone à Toronto, on lui a offert de passer un contrat soit avec AHT soit avec Native Leasing Services (NLS). Un an plus tôt, NLS avait conclu avec AHT des ententes par lesquelles NLS plaçait des employés auprès d'AHT. Mme Shilling a été informée qu'en choisissant NLS, elle bénéficierait de l'exemption d'impôt prévue à l'article 87. Elle a décidé de passer un contrat avec NLS.

[8]         NLS est une entreprise à propriétaire unique qui appartient à un Indien, Roger Obonsawin, et qui est exploitée par ce dernier. Le bureau principal de NLS est situé dans la réserve des Six nations de la rivière Grand, près de Brantford (Ontario).


[9]         L'intimée a occupé les postes ci-après énumérés auprès d'AHT : coordonnatrice d'un programme de formation pour les autochtones; coordonnatrice du programme de patrouille de rue; travailleuse-conseillère des services d'approche dans le cadre du programme de patrouille de rue; coordonnatrice chargée de mettre sur pied un programme Bon départ; au moment où l'instruction a eu lieu, l'intimée était directrice intérimaire de programme.

[10]       Le salaire de l'intimée est directement déposé dans son compte de banque depuis le compte de banque de NLS, à la succursale de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la CIBC), située dans la réserve Mississauga de New Credit. Jusqu'au mois de juin 1995, l'intimée avait un compte au Canada Trust, à Toronto. Le 14 juin 1995, elle a ouvert un compte à la succursale de la Banque Toronto-Dominion située dans la réserve de Walpole Island, au nord de Windsor. Son salaire est directement déposé dans ce compte depuis lors. C'est le seul compte de banque qu'elle possède; elle utilise ce compte pour toutes ses opérations bancaires. Ce compte a été établi sur Walpole Island parce qu'il y a là une réserve et que Walpole Island est situé à proximité de l'endroit où l'intimée se rend souvent pour des sueries.

[11]       L'intimée a touché un revenu d'emploi de 44 390 $ en 1995 et de 36 026 $ en 1996. NLS a retenu les cotisations d'assurance-chômage et au Régime de pensions du Canada. Aucune retenue n'a été effectuée à l'égard de l'impôt sur le revenu.


[12]       Le ministre du Revenu national a établi la cotisation de l'intimée et a inclus son revenu d'emploi, en 1995 et en 1996, dans son revenu imposable. Les oppositions que l'intimée a présentées à l'égard de la cotisation sont en suspens sur consentement, en attendant l'issue de la présente instance.

DÉCISION DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE

[13]       La question qui se posait à l'instruction a été présentée sous la forme d'un point de droit en vertu de la règle 220 des Règles de la Cour fédérale (1998). La preuve était composée d'un exposé conjoint des faits et d'extraits de l'interrogatoire préalable de l'intimée. Le point de droit qui a été énoncé aux fins d'une décision était le suivant :

[TRADUCTION]

Rachel Shilling a-t-elle le droit, par application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, d'être exemptée de payer l'impôt sur le salaire qui lui a été versé par Native Leasing Services, pour les années 1995 et 1996, dans les circonstances décrites dans l'exposé conjoint des faits?

En tirant une conclusion favorable à l'intimée, le juge de première instance a appliqué le critère des facteurs de rattachement établi dans l'arrêt Williams, précité.

[14]       Le juge de première instance a conclu que l'emplacement de l'employeur de l'intimée était un facteur de rattachement fort important à cause des conséquences juridiques et commerciales non négligeables de la relation d'emploi. Elle a dit que, si la relation d'emploi se terminait, le seul recours de l'intimée était à l'endroit de l'employeur qui se trouvait dans la réserve. Si l'employeur devenait insolvable, l'intimée pouvait ne pas être payée.


[15]       De plus, le juge de première instance a inféré, en se fondant sur l'emplacement de NLS, que le travail de l'intimée procurait un avantage à l'employeur qui se trouvait dans la réserve et que la réserve en tirait bénéfice, de sorte qu'il y avait un lien entre le revenu d'emploi de l'intimée et une réserve.

[16]       Le juge de première instance a rejeté l'argument de Sa Majesté selon lequel l'importance accordée à l'emplacement de l'employeur comme facteur de rattachement devrait être réduite puisque l'intimée a uniquement établi une relation d'emploi avec NLS afin d'obtenir un avantage fiscal. Le juge de première instance a statué que chaque personne a le droit d'organiser ses affaires de façon à minimiser l'impôt et que cela peut être accompli par la création de relations qui n'ont pas d'autre but que l'obtention d'un allégement fiscal.

[17]       Le juge de première instance n'a pu constater l'existence d'aucun lien logique entre la résidence de l'intimée, à Toronto, et l'emplacement de son revenu d'emploi. Elle a en outre conclu que les liens personnels et familiaux que l'intimée entretenait dans une réserve n'étaient pas une considération pertinente lorsqu'il s'agissait de déterminer l'emplacement du revenu d'emploi.

[18]       Le juge de première instance a également tenu compte du lieu et de la nature du travail de l'intimée. Elle a conclu que Mme Shilling effectuait son travail surtout à Toronto et parfois dans des réserves. Le travail de l'intimée bénéficiait à AHT, une organisation établie à Toronto ayant des liens professionnel avec plusieurs réserves.


[19]       Le juge de première instance a conclu qu'il n'y avait pas de base factuelle à l'appui de la conclusion selon laquelle les services d'AHT ou le travail effectué par l'intimée bénéficiaient à une réserve en particulier. Il n'était pas non plus possible, de conclure raisonnablement que la quantité de travail relativement restreinte effectuée par l'intimée dans diverses réserves était une base suffisante pour y fixer l'emplacement de son revenu d'emploi.

[20]       Enfin, le juge de première instance a fait remarquer que les parties s'entendaient pour dire que le lieu du paiement du salaire de l'intimée n'était pas pertinent. Les parties n'avaient invoqué aucun autre facteur de rattachement et le juge de première instance n'a tenu compte d'aucun autre facteur.

[21]       Étant donné l'importance de l'emplacement de l'employeur en tant que facteur de rattachement, le juge de première instance a conclu que le revenu d'emploi de Mme Shilling était situé dans une réserve et qu'il était donc exempt d'impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b), même si aucun des autres facteurs n'établissait de lien entre ce revenu et une réserve.

ANALYSE

Énoncé du point litigieux

a)          Dispositions législatives applicables

[22]       Le paragraphe 87(1) prévoit ce qui suit :


Loi sur les Indiens,L.R.C. (1985), ch. I-5

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

87. (1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83, the following property is exempt from taxation, namely,

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

[23]       Le revenu d'emploi d'un contribuable au cours d'une année donnée est « le salaire [...] que le contribuable a reçu au cours de l'année » : Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e supp.), ch. 1, paragraphe 5(1).

b)          Principes généraux

[24]       La Cour suprême du Canada n'a pas dressé de liste ou apprécié l'importance relative des facteurs à prendre en compte en déterminant si le revenu d'emploi d'un Indien est situé dans une réserve pour l'application de l'alinéa 87(1)b). Néanmoins, la détermination de la question de savoir si, eu égard aux faits particuliers, le revenu d'emploi d'un Indien est visé par l'exemption doit être au départ fondée sur le cadre d'analyse qui a été établi par la Cour, dont nous tirons les propositions ci-après énoncées.


[25]       Premièrement, même si l'impôt sur le revenu est un impôt sur la personne, il est perçu « quant à l'un » des biens; or, aux fins de l'impôt, le revenu est un bien. Par conséquent, l'exemption prévue à l'article 87 s'étend à l'imposition du revenu d'emploi d'un Indien s'il est situé dans une réserve : Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29.

[26]       Deuxièmement, la question de savoir si un bien incorporel est situé dans une réserve dépend de l'examen de facteurs créant un lien entre le bien et une réserve. L'identité de ces facteurs et l'importance qu'il convient de leur accorder ne peuvent pas être déterminées dans l'abstrait. Dans l'arrêt Williams, précité, aux pages 899 et 900, Monsieur le juge Gonthier a résumé la méthode à employer pour déterminer et soupeser les facteurs de rattachement :

Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants : l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

[27]       Troisièmement, la Cour suprême du Canada a défini d'une façon plutôt générale l'objet de l'exemption d'impôt prévue à l'article 87 qui, dans sa forme actuelle, remonte à l'année 1876, bien avant l'introduction de l'impôt sur le revenu au Canada. Ainsi, dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, Monsieur le juge La Forest a dit que l'article 87 devait être interprété comme faisant partie des dispositions figurant aux articles 87 à 90 de la Loi sur les Indiens, lesquelles étaient destinées à protéger les Indiens de diverses façons contre l'érosion de leur base économique, à savoir les terres de réserve et les biens personnels appartenant à un Indien dans une réserve. En se fondant sur le dossier historique, le juge a conclu ce qui suit (à la page 131) :

Depuis [1763], la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.


[28]       Quatrièmement, il a également été établi dans l'arrêt Mitchell, précité, qu'étant donné que les diverses immunités et exemptions relatives aux biens personnels prévues aux articles 87 à 90 s'appliquaient uniquement aux biens situés dans une réserve, ces dispositions ne servent pas à remédier d'une façon générale à la situation défavorable, sur le plan économique à laquelle font face de nombreux Indiens. Elles ne s'appliquent donc pas si un Indien décide d'acquérir et de posséder des biens personnels « sur le marché » plutôt que dans une réserve : Mitchell, précité, à la page 131.

c)          Emplacement du revenu d'impôt

[29]       Comme il en a déjà été fait mention, la Cour suprême n'a pas encore eu l'occasion d'appliquer au revenu d'emploi le critère des facteurs de rattachement qui a été énoncé dans l'arrêt Williams, précité. L'arrêt Williams lui-même se rapportait à l'emplacement de prestations d'assurance-chômage.

[30]       Toutefois, dans plusieurs cas, la présente Cour a eu à appliquer la jurisprudence de la Cour suprême afin de déterminer si le revenu d'emploi d'un Indien était situé dans une réserve et si, par conséquent, il était exempt d'impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.


[31]       Ainsi, dans les arrêts Folster c. Canada, [1997] 3 C.F. 269 (C.A.) et Bell c. Canada, [2000] 3 C.N.L.R. 31 (C.A.F.), on a dit que les facteurs suivants étaient peut-être pertinents lorsqu'il s'agissait de déterminer si le revenu d'emploi d'un Indien est situé dans une réserve : l'emplacement de l'employeur ou son lieu de résidence; la nature du travail, le lieu de travail et les circonstances dans lesquelles le travail est accompli par l'employé, et notamment la nature de tout avantage qu'en tire la réserve; le lieu de résidence de l'employé.

[32]       Le lieu où l'employé était payé a également été considéré comme un facteur de rattachement qui pouvait être pertinent, même si l'on n'a pas accordé beaucoup d'importance à ce facteur : Bell c. La Reine, 98 D.T.C. 1857 (C.C.I.), aux paragraphes 45 à 47. La décision du juge de la Cour de l'impôt a été confirmée en appel et son identification des facteurs de rattachement a été approuvée : [2000] 3 C.N.R.L. 32, au paragraphe 35 (C.A.F.).

[33]       L'importance à accorder à l'un quelconque de ces facteurs peut varier selon les faits d'une affaire donnée, et ce, même si le bien en question (un revenu d'emploi) et l'impôt (un impôt sur le revenu) appartiennent à une même catégorie. Néanmoins, la jurisprudence donne à entendre qu'il faut prêter une attention particulière à la nature du travail accompli par l'employé et aux circonstances y afférentes. Comme Monsieur le juge Linden l'a expliqué dans l'arrêt Folster, précité, au paragraphe 27 :

À mon avis, étant donné le but poursuivi par le législateur en créant l'exemption d'impôt et le genre de bien meuble en cause, l'analyse doit porter sur la nature de l'emploi de l'appelante et les circonstances qui s'y rapportent. Le genre de bien meuble en cause, c'est-à-dire le revenu d'emploi, est tel qu'on ne peut juger de sa nature sans se référer aux circonstances dans lesquelles il a été gagné. De même que le situs des prestations d'assurance-chômage doit être déterminé par rapport à l'emploi ouvrant droit aux prestations, de même l'analyse de l'emplacement du revenu d'emploi est subordonnée à un examen de toutes les circonstances qui ont donné lieu à l'emploi.


Application du contexte

1)                    Emplacement de l'employeur

[34]       Le juge de première instance a conclu que l'emplacement de l'employeur était le facteur le plus important aux fins de la détermination de l'emplacement du revenu d'emploi de Mme Shilling pour l'application de l'alinéa 87(1)b). Elle a dit que l'employeur, NLS, avait son bureau principal dans la réserve des Six nations de la rivière Grand et que le propriétaire de l'entreprise, M. Obonsawin, résidait dans la réserve et y exploitait son entreprise. Elle a inféré que l'entreprise établie dans la réserve et son propriétaire, M. Obonsawin, doivent avoir tiré profit de la relation d'emploi et que la réserve doit en avoir tiré bénéfice.

[35]       À notre avis, le juge de première instance a commis une erreur en accordant autant d'importance, dans ce cas-ci, à l'emplacement de l'employeur. En l'absence de renseignements factuels autres que ceux qui sont énoncés dans l'exposé conjoint des faits et dans la transcription de l'interrogatoire préalable de Mme Shilling, il est difficile de déceler l'existence d'un lien étroit entre l'emplacement de l'employeur et l'objet de l'article 87. Pour que l'on accorde beaucoup d'importance au fait que l'employeur est situé dans une réserve, il faut disposer d'une preuve en plus du simple fait qu'il existe une relation d'emploi avec un employeur qui est dans une réserve. Il a déjà été statué que l'emplacement de l'employeur n'est pas important du simple fait que c'est le lieu où la dette, c'est-à-dire le droit au revenu d'emploi, peut être exécutée. L'application du droit international privé a expressément été rejetée par le juge Gonthier dans l'arrêt Williams, précité, à la page 891 :


On ne voit pas en quoi le lieu d'exécution normal d'une dette est pertinent pour décider si l'imposition de la réception du paiement de la dette représenterait une atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur une réserve. Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé.

[36]       L'exposé conjoint des faits et la transcription de l'interrogatoire préalable de Mme Shilling ne renferment aucun détail qui puisse accroître l'importance de ce facteur. Le bureau principal de NLS se trouve dans une réserve et NLS a des comptes bancaires dans une autre réserve, mais rien n'indique quelles activités, le cas échéant, de l'entreprise de NLS sont exercées depuis le bureau principal, si des résidents de la réserve sont employés à cet endroit ou de quelle façon la réserve bénéficie du contrat de travail de Mme Shilling.

[37]       Le dossier est en outre fort peu détaillé et imprécis en ce qui concerne M. Obonsawin et ses entreprises. Ainsi, l'exposé conjoint des faits ne fait pas mention du lieu de résidence de l'unique propriétaire de NLS, M. Obonsawin. Cependant, il fait mention d' « OI » , ce qui est apparemment l'appellation générale de diverses entreprises de M. Obonsawin, dont NLS. Toutefois, le dossier ne révèle pas où OI exploite son entreprise. Étant donné que l'exposé conjoint des faits dit que Mme Shilling est une employée de NLS et qu'elle a décidé de devenir une employée d'OI, et puisque NLS est une entreprise à propriétaire unique, nous avons supposé, aux fins du présent appel, qu'OI et NLS constituent sur le plan juridique une seule entité.


[38]       Le seul élément de preuve se rapportant aux activités de NLS montre qu'au cours de chaque période de paie, NLS effectue les travaux d'écritures relatifs au salaire de chaque employé et aux retenues y afférentes et fournit ces renseignements au service de la paie de la CIBC. Lorsque la CIBC produit un registre de paie, NLS l'approuve. La CIBC retire ensuite des fonds du compte de NLS et dépose directement dans le compte de chaque employé individuel le montant qui est dû à celui-ci au titre du salaire.

[39]       Même si NLS a bénéficié du travail de l'intimée, il n'y a rien dans le dossier qui permette d'inférer que la réserve des Six nations ait de quelque façon bénéficié de l'emploi que l'intimée exerçait auprès de NLS. Il n'existe tout simplement pas la moindre preuve à ce sujet.

[40]       Les faits sur lesquels les parties se sont entendues indiquent que, lorsque l'intimée travaillait au Centre d'emploi du Canada à Toronto de 1990 à 1992, elle avait l'habitude de se rendre aux bureaux de NLS pour y lire leur bulletin d'information afin de se mettre au fait des possibilités d'emploi pour les autochtones. Cela donne à entendre que NLS accomplissait certaines activités importantes de son entreprise depuis un bureau situé à Toronto, du moins de 1990 à 1992. Il se peut qu'en 1995 et 1996, NLS ait été exploitée depuis le bureau principal situé dans la réserve des Six nations, mais aucun élément de preuve n'établit exactement à quel endroit, au cours de la période pertinente, l'entreprise de NLS était de fait exploitée.


[41]       Il n'y a pas non plus de preuve indiquant la nature de la relation d'emploi existant entre Mme Shilling et NLS. Le contrat de travail n'a pas été produit en preuve. Nous ne disposons d'aucun élément de preuve au sujet de la relation existant entre AHT et NLS ou au sujet de la personne à laquelle l'intimée s'adresserait en cas de rupture de la relation qu'elle entretient avec AHT. Par conséquent, il n'est pas possible de dire quels seraient les obligations et droits légaux des parties en cas de rupture de la relation entre AHT et l'intimée. En l'absence de pareille preuve, les conclusions que le juge de première instance a tirées au sujet de l'importance, sur le plan commercial et juridique, de la relation d'emploi existant entre NLS et Mme Shilling sont de nature conjecturale et ne justifient pas l'importance qu'elle a accordée à l'emplacement de l'employeur en tant que facteur rattachant le revenu d'emploi de Mme Shilling à une réserve.

[42]       Nous tenons également à faire remarquer que le bureau principal de NLS était situé dans la réserve des Six nations. Rien ne montre que NLS ait eu un lien avec la bande de Rama dont Mme Shilling était membre. Nous reconnaissons que l'alinéa 87(1)b) traite des biens personnels d'un Indien qui sont situés dans « une réserve » plutôt que dans « la réserve » de l'Indien en question. Le juge de première instance a inféré (au paragraphe 73) que les biens d'un Indien, dans quelque réserve qu'ils soient situés, sont visés par l'exemption d'impôt prévue à l'alinéa 87(1)b). Toutefois, nous ne sommes pas convaincus que le libellé de l'alinéa 87(1)b) doive être ainsi interprété, bien que nous reconnaissions que les biens personnels d'un Indien peuvent entraîner les avantages prévus à l'article 87, et ce, même si le propriétaire de ces biens ne réside pas dans une réserve, comme c'est le cas pour Mme Shilling.


[43]       Dans l'arrêt Desnomie c. La Reine (2000), 186 D.L.R. (4th) 718, au paragraphe 21 (C.A.F.), la Cour a exprimé des doutes au sujet de la question de savoir si l'article 87 s'applique aux biens personnels situés dans une autre réserve que celle du contribuable. Ces doutes sont renforcés par un passage de l'arrêt Leonard v. R. in Right of British Columbia (1984), 52 B.C.L.R. 389, à la page 395 (C.A.), où Monsieur le juge Macfarlane semble avoir adopté l'approche plus restrictive en ce qui concerne la portée de l'article 87 :

[TRADUCTION]

Il est raisonnable d'interpréter l'article en disant qu'une exemption de taxe sur un bien personnel d'un Indien sera restreinte à l'endroit où le possesseur de ce bien est censé l'avoir en sa possession, c'est-à-dire sur les terres qu'un Indien occupe en tant qu'Indien, la réserve. [Non souligné dans l'original.]

Le juge La Forest a cité ce passage en l'approuvant dans l'arrêt Mitchell, précité, à la page 132.

[44]       Il s'agit d'une question importante, mais étant donné que les éléments factuels qui ne figurent pas dans le dossier mis à notre disposition nous empêchent de considérer l'emplacement de l'employeur comme un facteur important, il n'est pas nécessaire de statuer sur l'interprétation à donner aux mots « une réserve » .


[45]       Il importe de faire une autre remarque au sujet de l'emplacement de l'employeur. Le fait que l'intimée a été amenée à avoir une relation d'emploi avec NLS pour des raisons de planification fiscale importe peu s'il n'est pas allégué que l'opération est factice, ou que la règle générale anti-évitement énoncée à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu s'applique. Or, Sa Majesté n'a fait aucune allégation de ce genre dans ce cas-ci. Comme le juge de première instance l'a conclu, on ne devrait pas accorder une importance réduite au fait que l'employeur est situé dans une réserve du simple fait que des raisons de planification fiscale et le désir d'éviter d'avoir à payer l'impôt sur le revenu avaient amené l'intimée à exercer l'emploi en question. Voir Neuman c. Ministre du Revenu national, [1998] 1 R.C.S. 770, au paragraphe 39. D'autre part, en l'absence d'éléments de preuve étayant l'importance accrue à accorder à ce facteur de rattachement, le fait d'avoir passé un contrat avec un employeur situé dans une réserve ne se verra accorder qu'une importance restreinte, et ce, indépendamment de la question de savoir si des raisons de planification fiscale étaient à l'origine du contrat.

2)                    Lieu et nature du travail de l'employé

[46]       Le juge de première instance doutait que le lieu où l'intimée fournissait ses services soit pertinent aux fins de la détermination de l'emplacement du revenu d'emploi. Toutefois, à son avis, s'il devait être tenu compte de l'emplacement, le fait que l'intimée travaillait à Toronto tendait à montrer que le revenu d'emploi était situé en dehors d'une réserve.

[47]       À notre avis, le lieu de travail est en général un facteur important, mais non exclusif, à prendre en compte en déterminant l'emplacement du revenu d'emploi. Dans l'arrêt Williams, qui portait sur une question d'assurance-chômage, le lieu du travail donnant droit aux prestations a été considéré comme un facteur important pour établir si les prestations subséquentes d'assurance-chômage auraient pour effet de porter atteinte au droit d'un Indien en sa qualité d'Indien dans une réserve. À la page 896, le juge Gonthier a fait les remarques suivantes :

L'emplacement du revenu d'emploi donnant droit aux prestations est donc un facteur important pour déterminer si l'imposition des prestations subséquentes porterait atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur la réserve. En effet, dans le cas d'un Indien dont le revenu d'emploi qui donne droit à des prestations était situé sur la réserve, la concordance entre les incidences fiscales des cotisations et des prestations disparaît car, pour cet Indien, le revenu d'emploi initial était exonéré d'impôt. L'impôt payé sur les prestations subséquentes fait donc plus que compenser les économies d'impôt réalisées grâce au versement de cotisations. Il s'agit plutôt d'une atteinte aux droits engendrés par le fait que l'Indien travaillait sur la réserve. [Non souligné dans l'original.]


Si le lieu du travail donnant droit aux prestations, influe sur le lieu où sont versées les prestations d'assurance-chômage, le lieu du travail, dans les affaires de revenu d'emploi, devrait également être une considération pertinente.

[48]       Il en est ainsi parce que ce sont les services fournis par l'employé qui donnent naissance au droit à un revenu d'emploi. Le fait qu'un Indien est employé dans une réserve indique qu'il a gagné un revenu d'emploi en sa qualité d'Indien, dans l'exercice d'un emploi faisant partie intégrante de la réserve : Folster, précité, au paragraphe 14. Le contraire serait également vrai, c'est-à-dire que l'emploi exercé en dehors d'une réserve indique que l'Indien gagne son revenu d'emploi sur le marché. Dans l'arrêt Mitchell, précité, le juge La Forest a dit ce qui suit au nom de la majorité, à la page 131 :

[...] l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens. [Non souligné dans l'original.]

[49]       En l'espèce, l'intimée travaille à Toronto. Ce facteur tendrait à montrer que le revenu d'emploi est situé en dehors d'une réserve. Toutefois, selon l'analyse se rapportant aux facteurs de rattachement, le lieu du travail à lui seul n'est pas concluant. Normalement, il faut tenir compte de la nature de l'emploi dans son ensemble et des circonstances y afférentes en vue de déterminer quel lien existe, le cas échéant, entre l'emploi exercé en dehors d'une réserve et une réserve.


[50]       C'est ce qui a été fait dans l'arrêt Folster, précité, où, même si l'emploi était exercé en dehors de la réserve, son emplacement près de la réserve, sur une terre qui devait être annexée à la réserve, et pour un hôpital dont la clientèle était principalement constituée d'Indiens de la réserve, était suffisant pour que le revenu d'emploi soit situé dans une réserve. De fait, dans l'arrêt Bell, précité, Monsieur le juge Létourneau a subséquemment dit, au paragraphe 36, que la nature de l'emploi et les circonstances y afférentes sont les considérations qui indiquent le mieux si les biens personnels en question font partie du marché.

[51]       AHT semble être une organisation de services sociaux qui s'occupe de soins de santé préventifs et fournit de l'aide, à Toronto, aux autochtones qui ne sont pas dans une réserve. AHT et sa clientèle hors réserve tirent bénéfice du travail de l'intimée, contrairement à ce qui se produisait dans l'affaire Folster, où les patients de l'hôpital habitaient presque tous dans la réserve. Comme le juge de première instance l'a conclu, l'emploi n'est pas rattaché à une réserve indienne au sens physique du terme du simple fait que la nature de l'emploi consiste à fournir des services à des Indiens.


[52]       En concluant que la nature des tâches de l'intimée ne constitue pas un facteur de rattachement avec une réserve, nous n'omettons pas de tenir compte du fait que les services fournis sont des services sociaux à l'intention des autochtones, par opposition à un emploi exercé dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise à but lucratif. Toutefois, il existe dans les villes canadiennes un grand nombre d'organisations à but non lucratif offrant des services sociaux. Les employés de pareilles organisations ne sont pas exemptés de l'impôt sur le revenu. Compte tenu du but restreint de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, le fait que l'emploi en question se rapporte à la prestation de services sociaux à des autochtones en dehors d'une réserve ne confère pas pour autant un traitement fiscal privilégié en vertu de cette disposition.

3)                    Lieu de résidence de l'employé

[53]       À l'audience qui a eu lieu devant le juge de première instance, l'avocat de Sa Majesté a concédé que le fait que Mme Shilling résidait en dehors d'une réserve n'était pas pertinent en tant que facteur de rattachement. De plus, l'avocate de l'intimée a soutenu que le fait que sa cliente résidait à Toronto ne devrait pas être retenu à son détriment; en effet, comme on l'a reconnu dans l'arrêt Corbière c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 203, pour de nombreux autochtones, résider à l'extérieur d'une réserve n'est pas voulu.

[54]       Dans ses motifs, le juge de première instance semble avoir accordé une certaine importance à la concession faite par Sa Majesté (paragraphe 56) et à l'argument fondé sur l'arrêt Corbière (paragraphe 57). Toutefois, le motif pour lequel le juge a rejeté le lieu de résidence de l'employée en tant que facteur de rattachement semble être énoncé dans la remarque qu'elle a faite (au paragraphe 58), à savoir qu'elle ne pouvait voir aucun lien logique entre l'emplacement du revenu d'emploi pour l'application de l'article 87 et le lieu de résidence de l'employée, ou les liens personnels et familiaux que cette dernière avait dans une réserve.


[55]       En appel, on a contesté la pertinence de la question relative au lieu de résidence de Mme Shilling. L'avocat de Sa Majesté a soutenu que, dans la mesure où il avait concédé que la résidence n'était pas pertinente en tant que facteur de rattachement, il s'agissait d'une concession portant sur un point de droit qu'il devrait être en mesure de retirer : voir Sport Maska Inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564, à la page 612; Symes c. Canada, [1991] 3 C.F. 507, à la page 524 (C.A.), conf. [1993] 4 R.C.S. 695.

[56]       L'avocate de l'intimée s'est opposée à la rétractation, mais elle a honnêtement reconnu que la présente Cour n'est pas liée par la concession antérieure que Sa Majesté avait faite. La question de savoir si une circonstance ou un état de choses est pertinent dans une analyse des facteurs de rattachement est un point de droit qu'il appartient à la Cour de régler. Étant donné qu'il n'a pas été démontré que la rétractation causerait un préjudice à l'intimée, qu'elle la priverait par exemple de la possibilité de présenter une preuve ou de produire des documents, Sa Majesté peut se rétracter.


[57]       Il se peut que normalement, la résidence ne soit pas un facteur important aux fins du rattachement d'un bien incorporel à une réserve, mais dans les affaires qui ont été tranchées avant l'affaire Corbière, la question n'a pas non plus été considérée comme non pertinente. Ainsi, dans le contexte de l'emplacement des prestations d'assurance-chômage, le juge Gonthier a dit, dans l'arrêt Williams, précité, à la page 897, que compte tenu de l'importance de l'emplacement du revenu d'emploi donnant droit aux prestations, le facteur de la résidence ne peut avoir d'importance que « s'il indique un emplacement différent de celui de l'emploi qui a rendu admissible aux prestations » . De plus, dans les arrêts Folster, précité, et Bell, précité, la résidence a été incluse en tant que facteur pouvant être pertinent aux fins de la détermination de l'emplacement du revenu d'emploi pour l'application de l'article 87, mais on a dit qu'en général, on n'accorderait pas beaucoup d'importance à ce facteur.

[58]       En l'espèce, l'intimée travaillait et résidait à Toronto. Le lieu du travail et sa nature sont les facteurs importants ayant pour effet de situer le revenu d'emploi en dehors d'une réserve. Le fait que l'intimée résidait en dehors d'une réserve est un facteur moins important tendant à indiquer la même chose.

[59]       Puisqu'il n'y a pas de facteurs importants rattachant le revenu d'emploi de Mme Shilling à une réserve, le fait qu'elle résidait à Toronto pendant la période pertinente n'influe pas vraiment sur la décision. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner à fond l'argument voulant que, en examinant le critère des facteurs de rattachement établi dans l'arrêt Williams, précité, la Cour soit obligée, compte tenu de l'arrêt Corbière, précité, de considérer comme non pertinent le fait que l'employé réside en dehors d'une réserve.


[60]       Néanmoins, nous ne croyons pas qu'il convienne de se fonder sur l'arrêt Corbière en l'espèce. Dans l'arrêt Corbière, précité, la Cour suprême du Canada a statué que la résidence autochtone était un motif analogue pour l'application de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et qu'une disposition législative conférant le droit de voter aux élections de la bande uniquement aux membres de la bande résidant dans la réserve constituait un acte discriminatoire envers ceux qui résidaient en dehors de la réserve. La décision était en partie fondée sur l'observation selon laquelle, dans bien des cas, les Indiens ne choisissent pas volontairement de vivre en dehors d'une réserve, mais qu'ils sont plutôt contraints de le faire par suite de la pénurie de logements et de l'absence de possibilités économiques dans les réserves ainsi que par suite des lois et des politiques gouvernementales qui obligeaient par le passé les membres de bandes à vivre en dehors des réserves.

[61]       Bien sûr, cette Cour est tenue de suivre l'arrêt Corbière, précité. Toutefois, même si l'article 15 de la Charte a été plaidé, il n'y a pas eu de plaidoiries importantes sur ce point, et encore moins de preuve. À notre avis, il n'est pas évident que l'observation que la Cour suprême a faite dans l'arrêt Corbière, précité, s'applique nécessairement à une analyse des facteurs de rattachement fondée sur l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Ainsi, on ne sait pas trop de quelle façon il serait porté atteinte à la dignité de l'intimée s'il était tenu compte, dans une analyse des facteurs de rattachement, du fait qu'elle réside en dehors d'une réserve. Compte tenu de la complexité de l'analyse fondée sur l'article 15 et en l'absence de plaidoiries complètes et de preuve, nous ne sommes pas prêts à dire que l'arrêt Corbière, précité, l'emporte sur les arrêts antérieurs selon lesquels le lieu de résidence peut être pertinent dans une analyse des facteurs de rattachement.

CONCLUSIONS

[62]       En l'espèce, seul l'emplacement du bureau principal de l'employeur a pour effet de rattacher le revenu d'emploi de l'intimée à une réserve; or, aucun élément de preuve ne permet d'accorder à ce facteur l'importance que le juge de première instance lui a accordée. D'autre part, le lieu du travail et sa nature, facteurs qui ont en général été considérés comme les plus importants dans une analyse des facteurs de rattachement dans les affaires de revenu d'emploi, ainsi que le lieu de résidence de l'intimée indiquent que le revenu d'emploi de Mme Shilling était situé en dehors d'une réserve.


[63]       Les facteurs rattachant le revenu d'emploi à un emplacement situé en dehors d'une réserve l'emportent sur ceux qui le rattachent à une réserve. Le revenu d'emploi de Mme Shilling pour les années 1995 et 1996 n'est donc pas situé dans une réserve et n'est pas exempt d'impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

[64]       L'emploi de Mme Shilling ne doit donc pas être considéré comme faisant partie du « marché » . Cette conclusion semble peut-être illogique puisqu'elle s'applique à une autochtone qui s'identifie à sa bande et à une Première nation et qui travaille auprès d'un organisme social assurant la prestation de programmes d'aide aux autochtones, en bonne partie en rétablissant les liens qu'ils ont avec leur culture et leurs traditions.

[65]       Toutefois, dans le contexte de la détermination de l'emplacement de biens incorporels pour l'application de l'article 87, il faut mettre en contraste les expressions « sur le marché » et « partie intégrante d'une réserve » : Folster, précité, au paragraphe 14. Si Mme Shilling avait été une employée d'AHT, son revenu d'emploi n'aurait sans aucun doute pas été exempt d'impôt. L'exemption d'impôt prévue à l'alinéa 87(1)b) ne vise pas à remédier à la situation généralement défavorable des Indiens au Canada sur le plan économique.


[66]       Le travail de Mme Shilling doit donc être considéré comme faisant partie du « marché » , à moins que le fait que celle-ci est employée par une entreprise dont le bureau principal et le compte bancaire sont situés dans des réserves ne soit en tant que tel suffisant pour que son emploi fasse « partie intégrante d'une réserve » . Pour les motifs que nous avons énoncés, nous ne croyons pas que ce soit le cas.

[67]       Par conséquent, nous accueillons l'appel et nous infirmons l'ordonnance du juge de première instance avec dépens. Il est répondu comme suit au point de droit qui a été énoncé aux fins d'une décision :

Rachel Shilling n'a pas le droit, par application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, d'être exemptée de payer l'impôt sur le salaire qui lui a été versé par Native Leasing Services, pour les années 1995 et 1996, dans les circonstances décrites dans l'exposé conjoint des faits.

                     « Marshall Rothstein »                

Juge

                        « John M. Evans »                    

Juge

                          « B. Malone »                       

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                                        A-558-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       SA MAJESTÉ LA REINE

c.

RACHEL SHILLING

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 27 mars 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                             Messieurs les juges Rothstein, Evans et Malone

DATE DES MOTIFS :                                                 le 4 juin 2001

ONT COMPARU

M. Paul Plourde, c.r.                                                        pour l'appelante

Mme Leslie Pinder                                                             pour l'intimée

Mme Clarine Ostrove

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg                                                     pour l'appelante

Sous-procureur général du Canada

Mandell Pinder                                                                 pour l'intimée

Vancouver (C.-B.)

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