Décisions de la Cour d'appel fédérale

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     Date : 19981222

     Dossier : A-423-97

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 1998

CORAM :      Le juge DESJARDINS

         Le juge ROBERTSON

         Le juge McDONALD

Entre

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -

     PARDEE EQUIPMENT LIMITED,

     intimée

     JUGEMENT

     La Cour fait droit à l'appel et alloue à l'appelante ses frais et dépens de l'appel et en première instance. Le jugement de première instance est infirmé et les actions initiales, rejetées.

     Signé : Alice Desjardins

     ________________________________

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19981222

     Dossier : A-423-97

CORAM :      Le juge DESJARDINS

         Le juge ROBERTSON

         Le juge McDONALD

Entre

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -

     PARDEE EQUIPMENT LIMITED,

     intimée

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 20 octobre 1998

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 décembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :      Le juge McDonald

Y ONT SOUSCRIT :      Le juge Desjardins

     Le juge Robertson

     Date : 19981222

     Dossier : A-423-97

CORAM :      Le juge DESJARDINS

         Le juge ROBERTSON

         Le juge McDONALD

Entre

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -

     PARDEE EQUIPMENT LIMITED,

     intimée

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McDONALD

[1]      Il échet d'examiner si une compagnie, telle Pardee Equipment Limited (l'intimée) en l'espèce, peut revendiquer la déduction pour inventaire prévue à l'alinéa 20(1)gg) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) à l'égard de marchandises dont une autre compagnie est la propriétaire en titre, alors que la contribuable elle-même est investie de nombre d'autres attributs de la propriété. En d'autres termes, il s'agit de savoir quel degré de droit de propriété est nécessaire pour que des marchandises gardées par un contribuable pour la vente puissent être considérées comme faisant partie de son " inventaire ".

[2]      Voici les dispositions applicables de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi :

     20.(1) [...] sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :         
         [...]             
         gg) déduction pour inventaire -- une somme au titre de toute entreprise exploitée par le contribuable pendant l'année, égale au produit de 3 % du coût indiqué pour le contribuable, au début de l'année, des biens corporels (autres que des biens immeubles ou des intérêts dans ceux-ci) qui étaient         
             i) décrits dans l'inventaire du contribuable au titre de l'entreprise exploitée par ce dernier, et         
             ii) détenus par lui en vue d'être vendus ou encore d'être transformés, fabriqués, manufacturés, incorporés ou annexés à des biens destinés à être vendus dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, ou autrement convertis en ce genre de biens ou utilisés dans l'emballage de ce genre de biens"         

                                     [non souligné dans l'original]

Les faits de la cause

[3]      L'intimée vend, entretient, répare et donne à bail du matériel industriel lourd dans plusieurs localités en Alberta. Il s'agit surtout de machines fabriquées par Deere & Co., qui est une compagnie américaine. Ce matériel est distribué aux concessionnaires au Canada par John Deere Limited (Deere Canada) et porte la marque de commerce " John Deere ". L'intimée est un concessionnaire du matériel industriel John Deere depuis 1956.

[4]      Au fil du temps, elle a conclu des contrats de concession avec Deere Canada pour chacun de ses établissements en Alberta (contrats de concession ou contrats). Ces contrats sont essentiellement identiques, sauf la " zone de responsabilité " géographique assignée à chaque établissement local ou les machines spécifiquement désignées pour la vente dans chaque établissement. Ils font de l'intimée un concessionnaire autorisé du matériel John Deere, et comportent les stipulations qui régissant les rapports entre les deux parties.

[5]      Les contrats de concession qualifient le matériel vendu par l'intimée de " marchandises en consignation " et stipulent expressément qu'il " sera expédié chez le concessionnaire pour la vente en consignation ". Ils stipulent aussi que Deere Canada conserve le droit de propriété sur les marchandises en consignation, et que le concessionnaire les gardera en tant que marchandises appartenant à cette compagnie jusqu'à ce qu'il les vende ou donne à bail pour le compte de cette dernière. En outre, les produit de la vente est tenu pour être la propriété de Deere Canada.

[6]      D'autres marchandises, appelées " articles vendus " dans les contrats de concession, sont envoyées au concessionnaire à un tout autre titre. Aux termes de ces contrats, " la propriété et la possession " de ces articles, à savoir des pièces de rechange, des accessoires mineurs au-dessous d'une certaine valeur et autres petites pièces, reviennent au concessionnaire dès paiement. La déduction pour inventaire en litige ne concerne que les marchandises en consignation.

[7]      L'intimée commande tout son matériel industriel lourd directement chez Deere US, qui expédie les marchandises commandées directement de l'usine aux concessionnaires individuels. Deere Canada s'occupe de toute la documentation relative aux commandes de matériel passées par l'intimée. Pendant toute la période en question, celle-ci décidait à sa seule discrétion du nombre et du type de machines industrielles qu'elle commandait.

[8]      Une fois la commande passée, elle ne peut plus l'annuler, bien que certains changements dans les spécifications et les dates d'expédition soient possibles avant la " date limite ". Toutes les marchandises commandées sont expédiées aux concessionnaires FOB ex usine. Les contrats de concession ne prévoient pas le retour des invendus à Deere Canada ou à Deere US dans le cours normal des affaires. Sur demande, un concessionnaire doit expédier n'importe laquelle ou lesquelles des marchandises en consignation à une destination et selon les modalités spécifiées par Deere Canada.

[9]      Les contrats font à Deere Canada obligation de s'assurer contre l'endommagement du matériel durant le transport et pendant un certain temps après la livraison. La prime d'assurance est facturée à l'intimée. Une fois le matériel livré, l'intimée est responsable de toute perte, endommagement ou détérioration, et doit payer à Deere Canada la valeur intégrale de toute perte non couverte par l'assurance. L'intimée est également tenue à tous les frais d'essai et de préparation du matériel à la vente.

[10]      Une fois le matériel commandé et expédié, Deere Canada envoie au concessionnaire une facture qui en indique le " prix de gros ". Celui-ci est la somme du prix réservé au concessionnaire (et que publie Deere Canada), des frais de transport et de manutention, des surcharges, des droits de douane et des taxes de vente et autres frappant le transfert du matériel au concessionnaire. De temps à autre, Deere Canada offre diverses remises pour encourager l'intimée à passer des commandes supplémentaires de certaines marchandises ou à régler une ou des factures en souffrance.

[11]      L'intimée doit payer le prix de gros à Deere Canada conformément aux stipulations expresses concernant le type de matériel commandé. Normalement, il se passe un certain intervalle après la livraison où l'intimée n'est tenue faire aucun versement avant que le matériel ne soit vendu ou donné à bail (le délai de vente). Pendant ce délai, le montant impayé du prix de gros ne produit aucun intérêt.

[12]      Si, à l'expiration du délai de vente, le concessionnaire n'a pas vendu ou donné à bail le matériel, il doit alors verser à Deere Canada un " acompte sur invendus " en espèces, dont le montant, qui varie en fonction du type de matériel, se situe dans la plupart des cas entre 15 p. 100 et 25 p. 100 du prix de gros. Ces acomptes sont à valoir sur le solde impayé du prix de gros. Des acomptes additionnels sur invendus, s'élevant à 25 p. 100 de ce solde impayé, doivent être versés tous les six mois par la suite jusqu'à ce que le matériel soit vendu ou donné à bail.

[13]      Chaque fois qu'une machine est vendue, le solde impayé du prix de gros en est immédiatement exigible. Ce solde est égal à la différence entre le prix de gros, établi par Deere Canada, et la somme de tous les acomptes et autres versements faits au titre de la machine. L'intimée est tenue de remettre ce montant à Deere Canada après chaque vente, quel que soit le prix auquel la machine a été vendue. En conséquence, elle a le droit de conserver comme bénéfice tout excédent résultant de la différence entre le solde impayé et le prix d'achat, si excédent il y a. Elle doit aussi supporter toute perte encourue dans la vente, si perte il y a.

[14]      Dans sa comptabilité, Deere Canada qualifie les acomptes sur invendus d'acomptes remboursables. En conséquence, la vente d'une machine est inscrite comme étant la réception de l'intégralité du prix de gros avec remboursement correspondant de tout acompte sur invendus, reçu avant la vente. En cas de transfert du matériel entre concessionnaires1, Deere Canada inscrit l'opération à titre de remboursement intégral de tous les acomptes reçus, le cas échéant, de l'expéditeur avec réception correspondante du même montant du destinataire.

[15]      Les contrats de concession limitent le nombre d'heures où une machine peut servir aux démonstrations. Si ce nombre d'heures est dépassé, l'intimée est tenue à la valeur de la dépréciation ou des dommages causés au matériel. Les paiements relatifs à l'usure sont à valoir sur le solde impayé.

[16]      Si un client demande qu'une machine soit modifiée pour répondre à un besoin spécifique, l'intimée a le droit de procéder aux modifications nécessaires, à sa discrétion et à ses frais. Dans la majorité des cas, ces modifications consistent en accessoires spécialisés ou sur mesure, que Deere US ne fabrique pas. Si le service d'ingénierie de Deere Us approuve la modification, la garantie " John Deere " du matériel demeure valide.

[17]      Deere Canada inspecte chaque mois les établissements des concessionnaires pour s'assurer que toutes les machines qui ne sont pas intégralement payées demeurent au lieu où elles ont été livrées ou, si elles n'y sont pas, qu'il y a une explication acceptable de l'absence. Faute d'explication satisfaisante de la part du concessionnaire, l'intégralité du solde impayé de la machine manquante est immédiatement exigible.

[18]      Pour chacune de ses années d'imposition de 1978 à 1982, l'intimée portait à l'actif son " avoir propre " dans le matériel reçu de Deere Canada. Cet avoir propre était égal à la valeur du matériel, défalcation faite du solde du prix de gros qu'elle devait encore à cette dernière. Pour chacune de ces années d'imposition, l'intimée a revendiqué une déduction pour inventaire en application de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi, à raison de 3 p. 100 du total de cet " avoir propre " et de la valeur de toutes les pièces, fournitures et matériel usagé en stock. Le ministre a autorisé la déduction relative aux pièces, fournitures et matériel usagé, mais a rejeté toute déduction relative au matériel pour lequel l'intimée devait encore de l'argent à Deere Canada (c.-à-d. les marchandises en consignation). L'intimé a intenté le 19 janvier 1990 une action en revendication de la déduction pour inventaire à l'égard de ce matériel.

[19]      L'intimée appliquait une méthode comptable différente pour chacune de ses années d'imposition de 1983 à 1986. Toutes les sommes qu'elles devait encore à Deere Canada figuraient maintenant au passif. La valeur de tout le matériel en sa possession (prix de revient ou valeur marchande si elle était inférieure) était portée à l'actif. En première instance, l'intimée a produit en preuve l'expertise comptable démontrant que cette nouvelle méthode traduisait la nature véritable des opérations entre Deere Canada et elle-même, bien mieux que la forme sous laquelle celles-ci figurent dans les contrats de concession.

[20]      Pour chacune de ces années d'imposition, l'intimée a revendiqué une déduction pour inventaire de 3 p. 100 du prix de revient ou de la valeur marchande, si elle est inférieure, de tout le matériel en sa possession. Cette déduction a été rejetée, mais le ministre a autorisé une déduction pour inventaire de 3 p. 100 de la différence entre ce que l'intimée devait à Deere Canada et le prix de revient ou la valeur marchande, si elle était inférieure, du matériel en stock.

[21]      Pour chacune de ses années d'imposition de 1983 à 1988, l'intimée a aussi revendiqué un crédit d'impôt à l'investissement en application de l'article 127 de la Loi, à l'égard de certaines marchandises en sa possession. Le ministre a rejeté la revendication en totalité. Le 31 décembre 1990, l'intimée a intenté une action en revendication de la déduction pour inventaire à l'égard de chacune de ses années d'imposition 1983 à 1986, et du crédit d'impôt à l'investissement à l'égard de ses années d'imposition 1983 à 1987. Cette action a été fusionnée avec son action antérieure. Revenu Canada a fait appel devant notre Cour après que la Section de première instance eut fait droit à l'une et l'autre actions.

La décision de la Cour fédérale, Section de première instance, 97 D.T.C. 5279

[22]      La juge de première instance a conclu que les rapports entre Deere Canada et l'intimée avaient été qualifiés à tort d'arrangement de vente en consignation. Pour parvenir à cette conclusion, elle a rappelé qu'il est de droit constant que la terminologie des contrats ne régit pas la qualification juridique des rapports qu'ils créent. En conséquence, le fait que les contrats de concession qualifient expressément le matériel en question de " marchandises en consignation " n'est pas un facteur déterminant.

[23]      Après examen attentif de l'attitude des parties, la juge de première instance a conclu que les opérations portant sur les " marchandises en consignation " constituaient à juste titre des ventes, sous réserve d'un droit garanti de Deere Canada jusqu'à l'acquittement intégral du prix d'achat. Dans son appréciation des faits, elle a constaté que le droit détenu par Deere Canada sur le matériel en question était davantage celui d'un créancier garanti que celui d'un propriétaire. Ses conclusions étaient essentiellement fondées sur les faits suivants : (1) les machines en question n'étaient pas et ne pouvaient pas être retournées à Deere Canada; et (2) bien que le matériel pût faire l'objet de transferts entre concessionnaires, le transfert ne se faisait pas sans perte ou bénéfice pour l'intimée et nécessitait le consentement de l'autre concessionnaire.

[24]      Enfin, la juge de première instance a relevé la différence entre les faits de la cause et ceux de l'affaire La Reine c. Dresden Farm Equipment, 89 D.T.C. 5019 (C.A.F.), où notre Cour a rejeté la déduction pour inventaire revendiquée par un concessionnaire autorisé John Deere par ce motif qu'aux termes du contrat de concession, les marchandises étaient en consignation chez le concessionnaire et, de ce fait, ne pouvaient être considérées comme faisant partie de ses stocks. Tout en reconnaissant que dans Dresden, notre Cour posait que les stocks du contribuable ne comprenaient que les marchandises dont il était propriétaire, elle a relevé que notre Cour n'examinait pas quel type de droit de propriété était la condition nécessaire. En outre, elle a conclu que notre Cour n'y examinait pas le cas où les attributs du droit de propriété étaient partagés avec quelqu'un d'autre que le contribuable et qui était le propriétaire en titre jusqu'à la vente des marchandises.

[25]      L'intimée soutient que par son arrêt Friesen c. Sa Majesté la Reine, 95 D.T.C. 5551 (C.S.C.), la Cour suprême du Canada a mis en doute le bien-fondé de la décision Dresden. Il a été jugé que le terme " inventaire ", tel qu'il est défini au paragraphe 248(1) de la Loi, devait s'interpréter selon son sens courant, de façon conforme aux principes ordinaires de comptabilité commerciale et aux usages du commerce. Bien qu'en fin de compte, la juge de première instance ait conclu que l'arrêt Friesen ne mettait pas en doute la décision Dresden, elle a suivi le mode d'interprétation prescrit par la Cour suprême pour le terme " inventaire ". Elle a conclu des faits de la cause qu'il était conforme aux principes ordinaires de comptabilité et aux usages du commerce de considérer le matériel en question comme faisant des stocks de l'intimée, puisque celle-ci, et non John Deere, assumait les risques et les bénéfices du droit de propriété.

[26]      En conséquence, la juge de première instance a conclu que les marchandises en question étaient " détenues ", au sens de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi, par l'intimée pour la vente et que celle-ci avait droit à la déduction pour inventaire, comme elle le revendiquait dans l'action. La Couronne ayant reconnu que pareille conclusion signifierait que l'intimée a droit au crédit d'impôt à l'investissement par application de l'article 127 de la Loi, la juge de première instance a également fait droit à ce chef de demande.

Analyse

[27]      La revendication de la déduction pour inventaire sous le régime de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi est subordonnée aux quatre conditions suivantes :

     (i)          la déduction doit être revendiquée sur le coût du bien au début de chaque année d'imposition;
     (ii)      il faut que ce soit un bien corporel autre qu'un bien ou un droit immobilier;
     (iii)      il faut que le bien ait été porté sur l'inventaire du contribuable;
     (iv)      le bien doit avoir été détenu pour la vente dans le cours normal des affaires du contribuable.

Cf. Burrard Yarrows Corporation c. Sa Majesté la Reine, 86 D.T.C. 6459 (C.F. 1re inst.) en page 6461, confirmé 88 D.T.C. 6352 (C.A.F.). Seules les deux dernières conditions sont en jeu en l'espèce.

[28]      Dans Dresden susmentionné, en page 5023, le juge Urie a conclu qu'un bien ne pouvait valablement faire partie des stocks du contribuable que si celui-ci avait un droit de propriété dessus. En conséquence, le ministre n'aurait gain de cause que s'il faisait la preuve que l'intimée n'avait pas un droit de propriété suffisant sur le matériel en question pour que celui-ci puisse être considéré comme faisant partie de ses stocks.

[29]      Comme noté supra, notre Cour était appelée, dans Dresden, à examiner les stipulations d'un contrat de concession entre Deere Canada et un marchand de matériel agricole. Les dispositions essentielles de ce contrat sont pratiquement les mêmes que celles qui régissent les rapports entre Deere Canada et l'intimée en l'espèce. Après avoir analysé les stipulations relatives aux marchandises en consignation, le juge Urie a conclu que les transferts de matériel de Deere Canada au concessionnaire relevaient plutôt d'un arrangement de vente en consignation. Il s'ensuit que l'intimée n'a jamais acheté les marchandises en question et qu'il n'y avait aucun " coût " y afférent, en fonction duquel la déduction pour inventaire pourrait être calculée.

[30]      Il est indéniable qu'en l'espèce, le transfert du matériel de Deere Canada à l'intimée est qualifié de consignation dans les contrats de concession. Or, la juge de première instance a fait observer qu'il est de droit constant que le fait qu'un transfert de marchandises soit qualifié de consignation n'est pas un facteur déterminant. Il s'agit donc d'examiner toutes les circonstances pour dégager la nature véritable de la convention entre les parties; v. Re Bristol Yacht Sales Inc. et al., (1984) 51 C.B.R. 279 (C.S.C.-B.), page 283, et Dresden susmentionné, page 5024.

[31]      La " vente en consignation " a vu le jour à titre de méthode de financement des stocks pour obvier à la vente conditionnelle ou à l'hypothèque mobilière; v. B. Coburn, " Consignment Sales and the Personal Property Security Act " (1981-82) 6 Can. Bus. L.J. 40, en page 42. En termes simples, la vente en consignation est une convention contractuelle par laquelle le propriétaire livre ses marchandises à une autre partie (le consignataire) pour que celle-ci les vende à un tiers. Le produit de la vente doit être remis au fournisseur, défalcation faite d'une certaine somme en paiement de l'opération de vente effectuée par le consignataire; v. Re Stephanian's Persian Carpets Limited (1980), 34 C.B.R. 33 (H.C.J. Ont.), pages 37 et 38.

[32]      Les principales caractéristiques de la vente en consignation sont les suivantes :

     (i)          après chaque vente, le consignataire répond du produit de la vente au fournisseur;
     (ii)      le consignataire peut fixer le prix de vente et garder à titre de commission la différence entre ce prix de vente et le prix de gros fixé par le fournisseur;
     (iii)      le consignataire doit avoir le droit de retourner les marchandises, et le fournisseur celui d'en exiger le retour à tout moment;
     (iv)      le risque de perte et les frais de transport peuvent être assumés soit par le consignataire soit par le fournisseur;
     (v)      des comptes distincts doivent être tenus par le fournisseur et le consignataire;
     (vi)      le droit de propriété sur les marchandises est transféré directement par le fournisseur à l'acheteur au détail, par l'intermédiaire du consignataire agissant en qualité de mandataire;
     (vii)      les marchandises en consignation doivent être spécifiquement identifiables comme telles, et le fournisseur doit vérifier régulièrement ce stock.

Voir Coburn, op. cit., pages 49 et 50.

[33]      Les contrats de concession en l'espèce réservent le droit de propriété à Deere Canada jusqu'à ce que la matériel soit vendu ou donné à bail à un tiers. L'intimée est tenue de lui payer intégralement le prix de gros quel que soit le prix auquel ce matériel a été vendu. Le produit de toute vente ou location est tenu pour être la propriété de Deere Canada. Les contrats ne prévoient expressément aucun droit de retourner les marchandises à Deere Canada, mais celle-ci peut ordonner au concessionnaire de les expédier à toue autre destination. L'intimée peut transférer les marchandises à d'autres concessionnaires avec l'assentiment de Deere Canada. Celle-ci procède périodiquement à l'inspection des établissements concessionnaires, et chacun de ces derniers est tenu de rendre compte du lieu où se trouvent les marchandises en consignation, sans exception.

[34]      Il a été fait grand cas en première instance du fait que l'intimée n'avait aucun droit expressément prévu pour ce qui est du retour des marchandises. Ce fait n'est cependant pas un facteur déterminant. Il ne s'agit là que d'un simple facteur à prendre en considération parmi d'autres pour examiner les rapports entre Deere Canada et l'intimée.

[35]      Les acomptes sur invendus versés par l'intimée ne signifient pas l'obligation de payer les marchandises avant la vente au détail ou la location. Si le matériel est vendu, transféré à un autre concessionnaire ou si le concessionnaire liquide son entreprise, ces acomptes sont portés à son crédit. En conséquence, ce sont plutôt des acomptes remboursables servant à inciter le concessionnaire à vendre les marchandises en question.

[36]      L'intimée soutient que les stipulations du contrat qui indiquent expressément un arrangement de vente en consignation doivent être réinterprétées à la lumière des principes ordinaires de comptabilité commerciale et des usages du commerce. Cet argument n'est pas fondé. Les contrats de concession ont été négociés et conclus par des parties avisées, qui n'ont aucun lien de dépendance l'une envers l'autre. Les stipulations des contrats de concession traduisent manifestent leur volonté de conclure un arrangement de vente en consignation. Cette volonté ressort de la distinction dans les clauses respectives entre le droit de propriété sur les marchandises en consignation et le droit de propriété sur les articles vendus. Deere Canada conserve le droit de propriété sur les marchandises en consignation jusqu'à ce que le concessionnaire les vende ou donne à bail pour le compte de la compagnie. Qui plus est, il est prévu que le produit de la vente est la propriété de Deere Canada. Par contre, celle-ci ne garde le droit de propriété sur les articles vendus que jusqu'au moment où le concessionnaire en règle le prix.

[37]      Les observations suivantes, faites par le juge Marceau dans Saskatchewan Wheat Pool c. La Reine, 85 D.T.C. 5034, en page 5038 (C.A.F.), semblent applicables en l'espèce :

     Il convient de remarquer, en premier lieu, qu'il ne s'agit pas d'un cas où une partie désire invoquer une quelconque preuve extrinsèque, soit pour établir la nature véritable d'une convention, soit pour démontrer que l'écrit la constatant n'était pas censé faire état de toutes les modalités de l'entente, soit pour clarifier ou compléter certaines dispositions du document. Il s'agit d'un cas où une partie soutient après coup que ce qu'elle entendait faire, et ce qu'elle disait faire en réalité lorsqu'elle a signé le contrat, ne saurait être pris comme tel, parce que les effets juridiques découlant du contrat ne correspondaient pas et ne pouvaient pas correspondre à ce que l'une et l'autre des parties croyaient alors faire. Il me semble qu'une prétention aussi inhabituelle dans une procédure qui ne vise pas à annuler un contrat, ne pourrait être acceptée que s'il était totalement impossible de comprendre et d'interpréter les droits et obligations découlant du contrat en fonction de ce que les parties voulaient qu'ils soient.         

                                     [non souligné dans l'original]

Or il n'y a en l'espèce aucune ambiguïté dans les contrats de concession. Il est clair que les marchandises en question sont en consignation. L'intimée entendait tirer profit, et a effectivement tiré profit, de l'arrangement de vente en consignation, savoir le financement sans intérêt de sa concession de matériel industriel. Elle ne saurait être autorisée maintenant à réinterpréter le contrat comme ayant pour effet de l'investir d'un droit de propriété suffisant pour lui permettre de prétendre à des avantages fiscaux supplémentaires.

Conclusions

[38]      Il est indubitable que les parties n'entendaient pas faire de leur arrangement contractuel une convention entre vendeur et acheteur, sauf en ce qui concerne les marchandises désignées comme articles vendus dans les contrats de concession. Après avoir examiné ces derniers dans leur ensemble ainsi que l'attitude de ces parties, je conclus que ces rapports traduisent plutôt un arrangement de vente en consignation. Il s'ensuit que l'intimée n'a jamais eu le droit de propriété sur les marchandises en question, lequel est transféré directement à l'acheteur ou au locataire au détail, par l'intermédiaire de l'intimée agissant en qualité de mandataire de Deere Canada. Bien que l'intimée assume certains risques inhérents au droit de propriété, ces risques ne sont pas suffisants pour lui permettre de se prévaloir de l'alinéa 20(1)gg) de la Loi. Les marchandises en question étaient en consignation, et il n'y avait aucun coût en jeu puisque l'intimée ne les a pas achetées de Deere Canada.

[39]      Attendu que l'intimée n'était pas propriétaire du matériel en question et n'a pas droit à la déduction pour inventaire prévue à l'alinéa 20(1)gg) de la Loi, elle n'a pas droit non plus au crédit d'impôt à l'investissement que prévoit l'article 127 de la même loi. Le contribuable doit être propriétaire de son propre matériel pour revendiquer ce crédit d'impôt.

Décision

[40]      Je me prononce pour l'accueil de l'appel avec dépens en première instance et en appel et, par conséquent, pour l'infirmation de la décision et le rejet des actions en première instance.

     Signé : F.J. McDonald

     ________________________________

     J.C.A.

" Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : Alices Desjardins, J.C.A. "

" Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : J.T. Robertson, J.C.A. "

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

APPEL CONTRE LE JUGEMENT RENDU PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE LE 6 MAI 1997 DANS LE DOSSIER T-3480-90

DOSSIER No :              A-423-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Sa Majesté la Reine c. Pardee Equipment Limited

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :          20 octobre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE McDONALD

Y ONT SOUSCRIT :          Le juge Desjardins

                         Le juge Robertson

LE :                          22 décembre 1998

ONT COMPARU :

M. Douglas Titosky                  pour l'appelante

M. James Kindrake                  pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg              pour l'appelante

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Lucas Bowker & White              pour l'intimée

Edmonton (Alberta)

__________________

1      Les contrats de concession prévoient qu'avec l'approbation de Deere Canada, le matériel peut être transféré d'un concessionnaire à l'autre. Peu importe que le transfert se traduise par un bénéfice ou par une perte, Deere Canada a droit à l'intégralité du prix de gros.

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