Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Ruby Trading S.A. c. Parsons (C.A.) [2001] 2 C.F. 174






Dossier : A-90-00

OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 21 NOVEMBRE 2000

CORAM :      LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS


ENTRE :

     MYLES PARSONS, LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES

     OUVRIERS DU TRANSPORT, HABIBULA MUSTAFA, BAYRAM MON,

     KRASSIMIR STOYKOV et ANTON LITVICHKOV

     APPELANTS

     (DÉFENDEURS)

ET

     RUBY TRADING S.A.

     INTIMÉE

     (DEMANDERESSE)


     JUGEMENT


     L'appel est rejeté avec dépens.


     « Marshall Rothstein »

     Juge

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.





Date : 20001121


Dossier : A-90-00


CORAM:      LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS


ENTRE :

     MYLES PARSONS, LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES

     OUVRIERS DU TRANSPORT, HABIBULA MUSTAFA, BAYRAM MON,

     KRASSIMIR STOYKOV et ANTON LITVICHKOV

     APPELANTS

     (DÉFENDEURS)

     - et -


     RUBY TRADING S.A.

     INTIMÉE

     (DEMANDERESSE)




Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 31 octobre 2000


Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mardi 21 novembre 2000.



MOTIFS DU JUGEMENT EXPOSÉS PAR :      LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE ROTHSTEIN

     LE JUGE EVANS

                                        





Date : 20001121


Dossier : A-90-00


CORAM :      LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS


ENTRE :

     MYLES PARSONS, LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES

     OUVRIERS DU TRANSPORT, HABIBULA MUSTAFA, BAYRAM MON,

     KRASSIMIR STOYKOV et ANTON LITVICHKOV

     APPELANTS

     (DÉFENDEURS)

     - et -


     RUBY TRADING S.A.

     INTIMÉE

     (DEMANDERESSE)


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON


INTRODUCTION

[1]      La principale question litigieuse en l'espèce est celle de savoir si la Cour fédérale du Canada a compétence pour entendre l'action intentée par le propriétaire d'un navire étranger contre quatre de ses membres d'équipage étrangers et un syndicat canadien et son représentant pour avoir incité les membres d'équipage à rompre les contrats conclus avec le propriétaire du navire, ainsi que contre le représentant syndical et les membres d'équipage pour complot en vue de causer un préjudice pécuniaire.

LES FAITS

[2]      Il y a lieu de mentionner que la description du contexte factuel de la présente affaire est fondée sur les éléments de preuve versés au dossier soumis au juge en chef adjoint Lutfy de la Section de première instance. J'estime que ces éléments sont nécessaires pour replacer la décision dans son contexte mais je tiens à préciser que je ne formule ici aucune conclusion de fait. C'est là une tâche qui revient, bien sûr, au juge de première instance.

[3]      Les appelants Mustafa, Mon, Stoykov et Litvichkov, citoyens de la Turquie (Mon) et de la Bulgarie (les trois autres) étaient membres de l'équipage du Japan Rainbow II, un cargo enregistré à Panama et appartenant à l'intimée, une société libérienne. Le 5 février 2000, le navire était amarré au terminal de la United Grain Growers dans le port de Vancouver pour embarquer un chargement de céréales. Les membres d'équipage défendeurs étaient tous parties à des contrats de travail conclus avec les propriétaires du navire. Ces contrats n'étaient visés par aucune convention collective.

[4]      Vers midi le 5 février, l'appelant Parsons, un inspecteur de la Fédération internationale des ouvriers du transport appelante (la Fédération), organisme qui représente les membres d'équipage des navires de haute mer, est monté à bord du navire disant qu'il représentait M. Mon pour que l'intimée lui donne satisfaction à l'égard d'un certain nombre de plaintes concernant son salaire et son rapatriement en Turquie. En outre, M. Parsons a exigé que soit versée à M. Mon une somme de 3 600 $ (U.S.), représentant la prétendue différence entre le montant qui lui avait été versé en vertu de son contrat avec l'intimée et celui qu'il aurait reçu s'il avait été rémunéré conformément à une convention collective de la Fédération. Pendant qu'il négociait avec le représentant de l'intimée, M. Parsons a menacé de communiquer avec d'autres membres d'équipage du navire et de les encourager à exiger qu'on leur verse les salaires auxquels ils auraient eu droit en vertu d'un contrat de la Fédération. Pendant cette journée, il a, de fait, pris des dispositions en vue de représenter les trois autres membres d'équipage appelants et les assister pour faire cette demande.

[5]      Vers 22 h 30 cette même journée, un avis de grève a été affiché sur le navire. Le chargement du navire a donc été arrêté. Les quatre membres d'équipage en grève exigeaient notamment la signature d'une convention collective pour laquelle la Fédération serait l'agent négociateur de l'équipage ainsi que le versement rétroactif des salaires calculés selon l'échelle utilisée habituellement dans les conventions de la Fédération.

[6]      Ruby Trading a immédiatement intenté une action contre les appelants devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Dans le cadre de cette action, Ruby Trading a présenté une requête tendant, notamment, à interdire aux appelants de faire du piquetage, de transmettre des avis de grève et d'entraver, de quelque manière que ce soit, le chargement ou les mouvements du Japan Rainbow II.

[7]      La requête a été entendue par le juge en chef adjoint Lutfy le 6 février 2000. Le 7 février, il a ordonné aux appelants de s'abstenir de faire du piquetage et d'afficher des avis de grève à l'égard du Japan Rainbow II; il a également ordonné aux membres d'équipage appelants de quitter le navire en attendant leur rapatriement. L'ordonnance devait demeurer en vigueur pendant 14 jours.

[8]      Les appelants ont interjeté appel de cette ordonnance devant notre Cour. Ils affirment que la Cour n'avait pas compétence pour accorder l'injonction, que même si elle en avait la compétence, elle a commis une erreur en l'accordant, et qu'il y a eu violation des principes de la justice naturelle à leur égard au cours de l'audience tenue par le juge en chef adjoint Lutfy.

[9]      En attendant l'audition du présent appel, le déroulement de l'action principale s'est poursuivi devant la Section de première instance. Les appelants ont présenté une requête devant cette section en vue de faire radier la déclaration de l'intimée pour défaut de compétence. Cette requête a été rejetée par le protonotaire Hargrave le 23 août 2000. Il a déclaré que la question de la compétence avait déjà été débattue devant le juge en chef adjoint dans le cadre de la requête en injonction, que la question de compétence était par conséquent visée par le principe de l'autorité de la chose jugée et que la mesure de redressement recherchée par les appelants ne pouvait être obtenue que dans le cadre du présent appel.



LA PORTÉE DU PRÉSENT APPEL

[10]      Pendant que l'injonction était en vigueur, le Japan Rainbow II a terminé son chargement et quitté Vancouver. Par conséquent, la question de la validité du prononcé de l'injonction est maintenant théorique. C'est pourquoi notre Cour a refusé, au cours de l'audition, d'examiner les questions suivantes soulevées par les appelants :

1.      Selon les critères applicables en matière d'injonction interlocutoire, l'intimée a-t-elle réussi à démontrer l'existence d'un préjudice irréparable?
2.      selon les critères applicables en matière d'injonction interlocutoire, l'intimée a-t-elle réussi à établir que la prépondérance des inconvénients justifiait l'octroi de l'injonction?
3.      les principes de justice naturelle et le droit à une audience équitable ont-ils été respectés lorsque le juge en chef adjoint Lutfy a entendu la requête des appelants?
4.      l'appelant pouvait-il présenter une nouvelle preuve par affidavit pour étayer l'appel?

[11]      Après avoir été informé de cette décision, toutes les parties ont demandé à notre Cour de déterminer si la Cour fédérale avait compétence pour entendre les diverses demandes contenues dans la déclaration, à savoir les demandes suivantes :

1.      dommages et intérêts pour rupture de contrat et complot visant à causer intentionnellement un préjudice pécuniaire;
2.      injonction interdisant aux défendeurs d'entraver l'exploitation du navire;
3.      ordonnance obligeant les défendeurs à respecter le par. 87.7(1) du Code canadien du travail;
4.      ordonnance obligeant les défendeurs à quitter le navire;
5.      dommages punitifs et exemplaires,
6.      intérêt et dépens.

[12]      Comme je l'ai déjà noté, la question de la compétence sur le fond de l'action principale a été traitée par le protonotaire Hargrave dans sa décision du 23 août. Les appelants ont interjeté appel de cette décision devant la Section de première instance. Cet appel a cependant été suspendu parce que les parties estimaient que cette question serait tranchée dans le cadre du présent appel. Cette opinion semble fondée sur la conclusion du protonotaire selon laquelle la question de la compétence était visée par le principe de l'autorité de la chose jugée, étant donné que le juge en chef adjoint Lutfy a accordé l'injonction demandée.

[13]      Il ressort implicitement de l'ordonnance rendue par le juge en chef adjoint qu'il a estimé qu'il avait compétence pour accorder l'injonction interlocutoire mais rien n'indique qu'il ait examiné la question de savoir si la Cour avait compétence pour entendre les autres questions mentionnées dans la déclaration, et rien le poussait à le faire. Par conséquent, si nous limitions notre analyse à la question de la compétence du juge en chef adjoint Lutfy à l'égard de cette ordonnance, je ne pense pas que cela permettrait de régler la question de la compétence à l'égard du reste de l'action principale.

[14]      À strictement parler, la question de la compétence à l'égard de l'action principale n'est pas soulevée par le présent appel, mais nous avons convenu, à la demande des parties, de la traiter plutôt que de la renvoyer devant la Section de première instance en appel de la décision du protonotaire Hargrave. Cela nous paraît être une façon juste, rapide et moins coûteuse de régler cette question puisque les parties nous ont assurés que celle-ci serait de toute façon soumise de nouveau à notre Cour, qu'elles avaient examiné cette question en détail dans leurs mémoires, qu'elles étaient préparées à en débattre oralement et que les faits relatifs à la question de la compétence n'étaient pas contestés.

Les arguments des appelants

[15]      J'en arrive maintenant aux arguments présentés par les appelants. Ils soutiennent que la Cour fédérale n'a pas compétence sur le fond de l'action pour les raisons suivantes :

1.      La demande de l'intimée est basée sur les règles de common law en matière de responsabilité délictuelle et contractuelle.
2.      Les demandes du demandeur sont toutes de nature personnelle. Le demandeur n'a formulé aucune demande réelle.
3.      Les demandes personnelles de l'intimée fondées sur les règles contractuelles et délictuelles ne relèvent pas de la compétence maritime de la Cour fédérale.
4.      Subsidiairement, la compétence à l'égard des demandes contractuelles formées contre les membres d'équipage appelants (dans lesquelles il est, pour l'essentiel, allégué qu'ils ont entrepris une grève illégale) est « expressément attribuée » au Conseil canadien des relations industrielles conformément à la Division VI du Code canadien du travail. Il est affirmé que le CCRI a seul le pouvoir de déterminer s'il y a grève illégale.
5.      Dans la mesure où l'intimée cherche à imposer aux appelants le respect du paragraphe 87.7(1) du Code canadien du travail, elle doit présenter cette demande au CCRI qui s'est vu attribuer une compétence exclusive sur ce point.

ANALYSE

Généralités

[16]      La Cour suprême du Canada a formulé dans l'arrêt ITO - International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc.1 la méthode générale qu'il convient d'utiliser pour déterminer si la Cour fédérale du Canada a compétence sur une question donnée. Le juge McIntyre, s'exprimant pour les juges majoritaires, a énuméré les conditions essentielles qui permettent de conclure à la compétence de la Cour fédérale :

1.      Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2.      Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3.      La loi invoqué dans l'affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 18672.

[17]      Je me propose d'examiner d'abord ces trois conditions dans le contexte général de la présente affaire.

1. Attribution de compétence par voie législative

[18]      La première condition découle de fait que la Cour fédérale est une juridiction créée par la loi qui ne possède aucune compétence inhérente. En d'autres termes, la Cour n'a compétence sur une question que si la loi la lui attribue expressément3.

[19]      La Loi sur la Cour fédérale4 attribue à la Cour une compétence sur « le droit maritime canadien » :

22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas -- opposant notamment des administrés -- où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

22. (1) The Trial Division has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned.

2. ... « droit maritime canadien » Droit -- compte tenu des modifications y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale -- dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, aux termes de la Loi sur l'Amirauté, chapitre A-1 des Statuts revisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté.

2. ..."Canadian maritime law" means the law that was administered by the Exchequer Court of Canada on its Admiralty side by virtue of the Admiralty Act, chapter A-1 of the Revised Statutes of Canada, 1970, or any other statute, or that would have been so administered if that Court had had, on its Admiralty side, unlimited jurisdiction in relation to maritime and admiralty matters, as that law has been altered by this Act or any other Act of Parliament.

Par conséquent, la première condition est remplie si les demandes présentées par l'intimée font partie des règles du droit maritime canadien et si la compétence sur ces questions n'a pas été expressément attribuée à un autre organisme judiciaire.


2 & 3. Règle de droit fédéral et « loi du Canada »

[20]      La Cour fédérale a été créée aux termes de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 à titre de « tribuna[l] additionne[l] pour la meilleure administration des lois du Canada » 5. Aux fins de l'art. 101, « loi du Canada » s'entend d'une loi fédérale ou d'une autre règle de droit fédéral.

[21]      Le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle 1867 attribue au Parlement le pouvoir de légiférer dans le domaine de « la navigation et [des] expéditions par eau » , et il est incontestable que le droit maritime canadien, tel que défini à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, constitue un vaste ensemble de règles de droit fédéral régissant toutes les demandes concernant les questions maritimes et d'amirauté6. Étant donné la nature des demandes formulées par l'intimée contre les appelants, il semble que les règles de la common law en matière de contrat et de responsabilité délictuelle soient essentielles à l'examen de la présente affaire. De la même façon que pour la première condition, la Cour n'aura compétence que si les principes de common law applicables à l'affaire ont été incorporés au droit maritime canadien.

[22]      Les tribunaux ont déclaré il y a longtemps que la portée du droit maritime canadien n'est limitée que par le partage constitutionnel des compétences législatives de sorte qu'en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté, on doit éviter d'empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière relevant de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle7. La Cour suprême du Canada a formulé, dans l'affaire ITO la première fois, le critère suivant qui permet de déterminer si les deuxième et troisième conditions sont remplies :

Le critère permettant d'établir si la question examinée relève du droit maritime exige de conclure que cette question est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale8.

[23]      Je vais maintenant examiner les différents arguments des appelants.

Les demandes de nature contractuelle et délictuelle relèvent-elles du droit maritime canadien?

[24]      J'estime, en me fondant sur l'analyse qui précède, que la seule question qui reste à trancher sur ce point est de savoir si les sujets sur lesquels portent les demandes de nature délictuelle et contractuelle sont si étroitement liés aux affaires maritimes qu'ils constituent légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. Il est utile d'examiner la jurisprudence pour répondre à cette question.

[25]      Dans l'arrêt ITO, qui fait autorité dans ce domaine, la principale question dont était saisie la Cour suprême était de savoir si le demandeur pouvait poursuivre pour négligence devant la Cour fédérale le défendeur, propriétaire de l'entrepôt où avait été volée une partie d'un envoi de calculatrices électroniques qui avait été expédié du Japon pour un autre défendeur. Les juges majoritaires de la Cour ont conclu que la proximité du port de Montréal des activités d'acconage, le rôle que jouait ITO dans les activités portuaires, le rapport existant entre le contrat de transport maritime et le fait que les calculatrices ne devaient être entreposées que pendant une courte période après leur débarquement du navire, constituaient un lien de connexité suffisant entre la question en litige et les affaires maritimes pour faire légitimement relever les demandes du droit maritime canadien et de la compétence de la Cour fédérale.

[26]      L'affaire Bow Valley Husky c. St. John Shipbuilding Ltd., portait sur une poursuite en responsabilité civile pour négligence découlant d'un incendie grave survenu sur une plate-forme pétrolière en raison d'une défectuosité d'un système de disjoncteur de fuite à la terre (DFT). Le juge McLachlin, (tel était alors son titre), s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a jugé que la question était entièrement liée aux affaires maritimes :

Il s'agit en l'espèce de responsabilité délictuelle dans un contexte maritime. La Cour d'appel, sous la plume du juge Cameron, a statué que « [l]es activités de la plate-forme Bow Drill 3 sont essentiellement de nature maritime, quoi qu'il s'agisse d'une activité maritime d'un type moderne » ... La plate-forme n'était pas seulement une plate-forme flottante, mais un bâtiment navigable. Comme l'a dit le juge Cameron [référence omise], la plate-forme « peut se propulser par ses propres moyens, même lorsqu'elle fait du forage, elle est vulnérable aux dangers de la mer, elle n'est pas attachée en permanence au fond de l'océan et elle peut voyager à travers le monde afin de forer à la recherche du pétrole » . Subsidiairement, même si la plate-forme n'est pas un bâtiment navigable, la réclamation fondée sur la responsabilité délictuelle qui a été exercée à la suite de l'incendie n'en serait pas moins une question maritime puisque l'objet principal de la plate-forme Bow Drill III était une activité se déroulant dans les eaux navigables. Le fonctionnement du système de réchauffage des conduites de la plate-forme était dangereux parce que le système DFT qui avait été installé ne convenait pas dans un contexte maritime sans mise à la terre. Les réclamations exercées contre les défenderesses pour défaut de mise en garde comportaient des allégations selon lesquelles les défenderesses connaissaient les exigences spéciales concernant le matériel maritime comme l'incombustibilité ou l'ininflammabilité. Dans la présente affaire, les questions relatives à la responsabilité du fait des produits sont clairement dominées par des considérations d'ordre maritime.9

[27]      Dans Shibamoto & Co. c. Western Fish Producers, Inc.10, notre Cour a examiné un contrat concernant le traitement du saumon et d'oeufs de saumon sur un navire usine. Le juge MacGuigan a écrit ce qui suit lorsqu'il a déterminé que la Section de première instance de la Cour fédérale avait compétence en l'espèce :

Or, contrairement à ce qu'elles allèguent, il est absolument impossible, vu l'arrêt ITO de soutenir que le sabotage d'une entreprise de transformation de poisson par la fraude, le dol, le complot et l'inexécution de contrat est une matière de droit provincial plutôt que de droit maritime canadien. Étant donné que le droit des contrats et de la responsabilité délictuelle relève du droit maritime canadien dans la mesure où la résolution d'un litige l'exige, on ne saurait soutenir que certaines parties de cet ensemble de règles de droit ne relève pas du droit maritime. Selon la définition énoncée dans l'arrêt ITO, le droit maritime canadien est l'ensemble des règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.11


[28]      Compte tenu des principes énoncés dans les affaires susmentionnées, j'estime que les demandes présentées par l'intimée dans l'action principale sont suffisamment reliées aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. L'intimée soutient que les membres d'équipage appelants travaillaient dans un contexte maritime, soit l'exploitation d'un navire. L'appelant Parsons, représentant la FIT (organisme qui représente exclusivement des marins marchands), est monté à bord du navire et a invité les membres de l'équipage à rompre leurs contrats. Les membres d'équipage appelants ont violé leurs contrats en refusant de travailler à bord du navire. Cette décision a eu pour effet d'entraver l'exploitation du navire; son chargement n'a pu être embarqué et son départ a été retardé, ce qui a causé un préjudice à l'intimée.

[29]      Par conséquent, sous réserve des conclusions auxquelles j'arrive plus loin, j'estime que le juge en chef adjoint Lutfy avait compétence pour rendre l'ordonnance du 7 février 2000 et que la Cour fédérale avait compétence pour entendre les demandes de nature contractuelle et délictuelle formées par l'intimée dans l'action principale.

Compétence en matière personnelle et réelle

[30]      Pour ce qui est des arguments selon lesquels la Cour n'a pas compétence pour entendre ces demandes parce qu'elles sont de nature personnelle et non réelle, je note qu'outre l'attribution d'une compétence à l'égard des cas « opposant notamment des administrés » par l'art. 22, l'art. 43 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit :

43. (1) Sous réserve du paragraphe (4), la Cour peut, aux termes de l'article 22, avoir compétence en matière personnelle dans tous les cas.

43. (1) Subject to subsection (4) [a provision that restricts in personam actions related to collisions between ships], the jurisdiction conferred on the Court by section 22 may in all cases be exercised in personam.

Par conséquent, si les demandes de nature contractuelle et délictuelle relèvent de la compétence de la Cour, cette compétence peut également s'exercer en matière personnelle. Voir, par exemple, les affaires examinées ci-dessus.

Grève illégale

[31]      Les membres d'équipage appelants soutiennent que la prétention selon laquelle il y a eu rupture de contrat de leur part revient à affirmer qu'ils ont fait une grève illégale. Ils affirment que c'est une question qui a été « attribuée expressément » au Conseil canadien des relations du travail (CCRT) par le Code canadien du travail12 et qu'elle ne relève donc plus de notre Cour. Ils fondent cet argument sur l'art. 91 du Code et sur la jurisprudence selon laquelle les demandes d'ordonnance présentées en vertu des dispositions que l'art. 91 a remplacées ont été expressément confiées au Conseil.

[32]      Je ne pense pas que le Code du travail ou les décisions citées soient applicables en l'espèce. Si je retenais les arguments présentés par les membres d'équipage dans la présente affaire, il faudrait que j'admette que le législateur voulait que le Code régisse les relations de travail entre les propriétaires d'un navire étranger et les membres d'équipage étrangers. Je ne trouve aucun élément indiquant que telle ait été l'intention du législateur, et les appelants n'ont cité aucune décision permettant d'affirmer que le Parlement peut légiférer à l'égard d'un contrat extraterritorial de ce type, conclu par des sujets de droit étrangers.

L'article 87.7 du Code canadien du travail

[33]      Les appelants soutiennent que la demande présentée par l'intimée en vue d'obtenir une ordonnance exigeant le respect de l'art. 87.7 du Code du travail est également une question qui a été expressément attribuée au CCRI. En voici les dispositions pertinentes :

87.7 (1) Pendant une grève ou un lock-out non interdits par la présente partie, l'employeur du secteur du débardage ou d'un autre secteur d'activités visé à l'alinéa a) de la définition de « _entreprise fédérale_ » à l'article 2, ses employés et leur agent négociateur sont tenus de maintenir leurs activités liées à l'amarrage et à l'appareillage des navires céréaliers aux installations terminales ou de transbordement agréées, ainsi qu'à leur chargement, et à leur entrée dans un port et leur sortie d'un port.

87.7 (1) During a strike or lockout not prohibited by this Part, an employer in the long-shoring industry, or other industry included in paragraph (a) of the definition "federal work, undertaking or business" in section 2, its employees and their bargaining agent shall continue to provide the services they normally provide to ensure the tie-up, let-go and loading of grain vessels at licensed terminal and transfer elevators, and the movement of the grain vessels in and out of a port.

...

(3) Sur demande présentée par un employeur ou un syndicat concerné ou sur renvoi fait par le ministre, le Conseil peut trancher toute question liée à l'application du paragraphe (1) et rendre les ordonnances qu'il estime indiquées pour en assurer la mise en oeuvre.

(3) On application by an affected employer or trade union, or on referral by the Minister, the Board may determine any question with respect to the application of subsection (1) and make any order it considers appropriate to ensure compliance with that subsection.

[34]      Je n'examinerai pas cet argument. L'intimée n'a aucunement indiqué qu'elle entendait maintenir cette demande. En outre, j'estime que la question est désormais théorique. Peu importe qu'il y ait eu effectivement une grève, les céréales ont été chargées, le navire a quitté le port et les membres de l'équipage appelants ont quitté le pays.

CONCLUSION

[35]      En résumé, j'estime que l'ordonnance rendue par le juge en chef adjoint Lutfy et les demandes en responsabilité contractuelle et délictuelle mentionnées dans la déclaration de l'intimée relèvent de la compétence de la Cour fédérale. L'appel est donc rejeté avec dépens.



     « J. Edgar Sexton »

     Juge


« J'y souscris.

Le juge Marshall Rothstein »

« J'y souscris.

Le juge John M. Evans »






Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  A-90-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MYLES PARSONS ET AL.
                             et
                         RUBY TRADING S.A.
LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 31 OCTOBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                  LE JUGE ROTHSTEIN
                         LE JUGE EVANS
EN DATE DU                  21 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

G. James Baugh                  POUR LES APPELANTS

Peter Swanson

Andrew Mayer                  POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McGrady, Baugh et White

Vancouver (Colombie-Britannique)          POUR LES APPELANTS

Campney et Murphy

Vancouver (Colombie-Britannique)          POUR L'INTIMÉE
__________________

1 [1986] 1 R.C.S. 752 [ci-après ITO ].

2 Ibid., p. 766.

3 Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, p. 474, par. 46 [ci-après Succession Ordon].

4 L.R.C. 1985, ch. F-7.

5      101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.
         101. The Parliament of Canada may, notwithstanding anything in this Act, from Time to Time provide for the Constitution, Maintenance, and Organization of a General Court of Appeal for Canada, and for the Establishment of any additional Courts for the better Administration of the Laws of Canada.

6      Succession Ordon, précité, note 3, p. 489, par. 71. On trouvera une analyse plus détaillée de la définition de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale dans ITO, précité, note 1, p. 774 et s.

7      Voir ITO , précité, note 1, p. 774, Monk Corp c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779, p. 795 [ci-après Monk].

8      Voir Ibid. Voir également Bow Valley Husky c. St. John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210, p. 1259 [ci-après Bow Valley] et Succession Ordon, précité, note 3, p. 489, par. 71.

9 Ibid., p. 1258, par. 85.

10 [1990] 1 C.F. 542 (C.A.F.).

11 Ibid., p. 560.

12 L.R.C. (1985), ch. L-2, modifié.

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