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Date : 20030121

Dossier : A-425-01

Référence neutre : 2003 CAF 27

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                              HERVEY BOUCHARD

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                               Défenderesse

                                      Audience tenue à Québec (Québec), le 21 janvier 2003.

                        Jugement prononcé à l'audience à Québec (Québec), le 21 janvier 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20030121

Dossier : A-425-01

Référence neutre : 2003 CAF 27

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                              HERVEY BOUCHARD

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                               Défenderesse

                                              MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                                             (Prononcés à l'audience à Québec (Québec)

                                                                 le 21 janvier 2003.)

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                 Le demandeur demande par voie de contrôle judiciaire que soit écartée une décision d'un juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt rendue le 15 juin 2001 et que soit déclaré assurable l'emploi qu'il occupait pour les périodes en litige, soit du 25 septembre au 22 décembre 1995, du 8 janvier au 20 décembre 1996 et du 6 au 7 janvier 1997. Comme on peut le constater par les dates, les périodes en litige sont en partie couvertes par l'ancienne Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985, ch. U-1 et la nouvelle Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, telles que modifiées. Comme les dispositions en litige sous les deux lois sont à toutes fins pratiques les mêmes, nous utiliserons le terme Loi pour référer indistinctement à l'une ou à l'autre législation.

[2]                 Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent :

Loi sur l'assurance-chômage, alinéa 3(2)d) et paragraphe 70(2)

3. (2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

d) tout emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

  

70. (2) Sur appel interjeté en vertu du présent article, la Cour canadienne de l'impôt peut infirmer, confirmer ou modifier le règlement de la question, peut annuler, confirmer ou modifier l'évaluation ou peut renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il l'étudie de nouveau et fasse une nouvelle évaluation; dès lors, elle est tenue de notifier par écrit sa décision et ses motifs aux parties à l'appel.

3. (2) Excepted employment is

[...]

(d) the employment of a person by a corporation if the person controls more than forty per cent of the voting shares of that corporation;

70. (2) On an appeal under this section, the Tax Court of Canada may reverse, affirm or vary the determination, may vacate, confirm or vary the assessment or may refer the matter back to the Minister for reconsideration and reassessment, and shall thereupon in writing notify the parties to the appeal of its decision and the reasons therefor.

Loi sur l'assurance-emploi, alinéa 5(2)b) et alinéa 103(3)d) dans la version anglaise et 103(3)b) dans la version française



5. (2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

b) l'emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;103. (3) Sur appel interjeté en vertu du présent article, la Cour canadienne de l'impôt peut annuler, confirmer ou modifier la décision rendue au titre de l'article 91 ou 92 ou, s'il s'agit d'une décision rendue au titre de l'article 92, renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il l'étudie de nouveau et rende une nouvelle décision; la Cour :

a) notifie aux parties à l'appel sa décision par écrit;

b) motive sa décision, mais elle ne le fait par écrit que si elle l'estime opportun.

5. (2) Insurable employment does not include

[...]

(b) the employment of a person by a corporation if the person controls more than 40% of the voting shares of the corporation;

103. (3) On an appeal, the Tax Court of Canada

(a) may vacate, confirm or vary a decision on an appeal under section 91 or an assessment that is the subject of an appeal under section 92;

(b) in the case of an appeal under section 92, may refer the matter back to the Minister for reconsideration and reassessment;

(c) shall notify in writing the parties to the appeal of its decision; and

(d) give reasons for its decision but, except where the Court deems it advisable in a particular case to give reasons in writing, the reasons given by it need not be in writing.

[3]                 Nous sommes d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie au motif que le juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt a fait défaut de motiver sa décision comme l'exige la Loi.


[4]                 Il est désolant de voir que, malgré les décisions de notre Cour dans les arrêts Aubé c. Procureur général du Canada, A-761-97, 26 mai 1998; Dion c. Ministre du Revenu national, A-627-97, 29 avril 1998; Gagnon c. Ministre du Revenu national, A-625-97, 29 avril 1998; Potvin-Gagnon c. Ministre du Revenu national, A-626-97, 29 avril 1998, pour n'en nommer que quelques-unes, nous soyons encore obligés, quatre ans plus tard, d'intervenir et d'infirmer une décision pour ce motif, et ce au détriment de la partie demanderesse et des contribuables qui doivent supporter les coûts du présent appel et d'une nouvelle audition, elle-même peut-être suivie d'un autre appel. Dans tous les cas mentionnés, la problématique résulte de décisions rendues par des juges suppléants. Alors que nous croyions avoir éradiqué le problème en 1998, de toute évidence, il refait surface à l'instar du chiendent qui, malgré qu'il soit arraché, finit par pousser à nouveau et a la propriété de se répandre très vite si des mesures appropriées ne sont pas prises. Il est d'autant plus désolant d'avoir à ce faire qu'il s'agit d'une cause type et que plusieurs autres cas sont en attente d'un règlement.

[5]                 En l'espèce, la décision ne fait que relater les faits et le déroulement de la procédure, indiquer les périodes en litige où il est allégué que le demandeur était employé d'une corporation dont il détenait plus de 40% des parts votantes, citer les dispositions pertinentes de la Loi relatives au contrôle d'une corporation par un employé et conclure que l'emploi n'était pas assurable, le tout sans aucune forme d'analyse de la preuve et sans même un renvoi à quelque élément de preuve au dossier.

[6]                 Or, s'il était admis par le demandeur (voir le paragraphe 3 du Mémoire des faits et du droit du demandeur) qu'il détenait 100% des actions de la corporation Les Entreprises Forestières Hervey Bouchard Inc. pour la période d'août 1995 à janvier 1997, il contestait vigoureusement l'allégation qu'il était à l'emploi de cette corporation. Sa prétention et la preuve testimoniale et documentaire qu'il a soumise au soutien de celle-ci était qu'il travaillait pour la compagnie Uniforêt Scierie Péribonka. La décision de deux pages du juge suppléant ne contient aucune référence à cette preuve et ne détermine pas qui était l'employeur du demandeur. Or, il s'agissait là de l'essence même du litige.


[7]                 Dans son effort pour soutenir la décision du juge suppléant, la procureure de la défenderesse nous réfère, dans son Mémoire des faits et du droit, au paragraphe 8 de la décision qui se lit :

Le litige ne porte que sur les périodes travaillées par le travailleur s'échelonnant du 25 septembre 1995 au 7 janvier 1997 alors que la situation juridique de ce dernier était celle d'un employé d'une corporation dont il détenait plus de 40 % des parts votantes.

Elle soumet qu'il appert de ce passage que le juge a conclu que le demandeur était à l'emploi de la compagnie Les Entreprises Hervey Bouchard Inc. Avec respect, nous ne pouvons partager ce point de vue.

[8]                 Ce paragraphe auquel la défenderesse nous renvoie fait partie du narratif des faits comme d'ailleurs le paragraphe 3 de la décision qui mérite d'être reproduit :

Le 8 septembre 1998, Hervey Bouchard, le travailleur, demanda à l'intimé qu'il soit statué sur la question de savoir s'il avait exercé un emploi assurable, pour la période du 25 septembre au 22 décembre 1995, du 8 janvier au 20 décembre 1996, du 6 janvier au 7 mars 1997, du 19 mai au 19 décembre 1997 et du 5 janvier au 27 février 1998, lorsqu'au service de Uniforêt Scierie Pâte Inc., le payeur, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.

                                                                                                                                         (mon soulignement)

Doit-on aussi inférer de ce paragraphe que le juge suppléant a plutôt conclu que le demandeur travaillait pour la compagnie Uniforêt Scierie Pâte Inc. de Péribonka?


[9]                 Au surplus, en admettant pour fin de discussion que le paragraphe 8 de la décision, par une interprétation libérale pour ne pas dire généreuse, puisse être lu dans le sens soumis par la procureure de la défenderesse, soit que le demandeur était l'employé de Les Entreprises Hervey Bouchard Inc., un fait inéluctable demeure : il s'agit d'une conclusion sans motif sur un sujet contesté par le demandeur alors que la preuve documentaire et testimoniale est contradictoire et a donné lieu à des interprétations divergentes de la part des parties. Comme cette Cour le disait dans l'affaire Dion, précitée, au paragraphe 4 :

Or la décision de la Cour canadienne de l'impôt est muette sur ces éléments qui sont au coeur du litige et on se serait attendu, du moins en ce qui a trait aux plus importants, à ce qu'il en soit convenablement fait état dans les motifs du juge compte tenu de l'obligation qui lui est faite par la Loi de motiver sa décision.

[10]            À l'audience, la procureure de la défenderesse s'est appuyée sur un arrêt succinct, rendu oralement par notre Cour en mars 2001, et nous en a remis copie : Trillium Labels Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2001] A.C.F. no. 353. De toute évidence, cette décision doit être distinguée et n'a pas la portée que la défenderesse veut lui donner.

[11]            De fait, la Cour ne s'est ni penchée, ni prononcée sur l'obligation de motiver imposée par la Loi en matière d'assurabilité de l'emploi. Elle n'a pas fait référence aux dispositions impératives de la Loi et à la jurisprudence constante de notre Cour sur la question.


[12]            Lors de sa plaidoirie, le procureur du demandeur nous a plutôt demandé que l'affaire soit retournée à la Cour canadienne de l'impôt pour une nouvelle audition. La procureure de la défenderesse a insisté pour que nous déterminions la question de fond. Mais le litige soulève des questions de crédibilité et nous ne possédons que des extraits de la transcription des témoignages. Il ne nous apparaît pas approprié, dans les circonstances et compte tenu de l'importance de l'affaire, de procéder à une première détermination fondée sur une appréciation de la preuve alors que cette responsabilité incombe au juge de la Cour canadienne de l'impôt. Il s'agit là, point n'est besoin de le rappeler, précisément de sa fonction. En outre, au delà du fait que nous ne disposons pas de tous les éléments de preuve qui étaient devant le juge suppléant, le fait de procéder à rendre jugement pourrait porter préjudice à l'une ou l'autre des parties en la privant de son droit de demander une révision judiciaire.

[13]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie avec dépens, la décision du juge suppléant infirmée et l'affaire sera retournée au juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt, ou à un juge qu'il désigne, autre que le présent juge suppléant, pour une nouvelle audition.

[14]            Étant donné que la question ici en litige est la même que celle qui se soulève dans le dossier A-426-01, Les Entreprises Forestières Hervey Bouchard Inc. c. La Procureure générale du Canada, et vu le fait que les deux dossiers ont fait l'objet d'une enquête et d'une preuve communes devant la Cour canadienne de l'impôt, copie des présents motifs sera déposée dans le dossier A-426-01 au soutien du jugement rendu dans ledit dossier.

                                                                                                                                       "Gilles Létourneau"                 

                                                                                                                                                                 j.c.a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                 SECTION D'APPEL

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                                       

DOSSIER :                                                 A-425-01

  

INTITULÉ :                                                HERVEY BOUCHARD c. LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                        QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 21 janvier 2003

CORAM :                                                  LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

  

DATE DES MOTIFS :                              le 21 janvier 2003

  

COMPARUTIONS :

Me Claude Leblanc                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Me Nathalie Lessard                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                                 

Morency, Philion, Leblanc                                                             POUR LE DEMANDEUR

Québec (Québec)

Ministère de la Justice                                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)

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