Décisions de la Cour d'appel fédérale

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         OTTAWA, LE JEUDI 11 DÉCEMBRE 1997.

     A-759-96

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

         AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur le droit d'auteur,
         L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée;

         ET la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée

E N T R E :

     LES RÉSEAUX PREMIER CHOIX INC.,

     requérante,

     - et -

     CANADIAN CABLE TELEVISION ASSOCIATION -

     ASSOCIATION CANADIENNE DE TÉLÉVISION PAR CÂBLE,

     SOCIÉTÉ CANADIENNE DES COMPOSITEURS, AUTEURS ET ÉDITEURS DE      MUSIQUE, ALLARCOM PAY TELEVISION LIMITED, CABLE NEWS

     NETWORK, INC., CANADIAN HOME SHOPPING NETWORK (CHSN) LTD.,

     COUNTRY MUSIC TELEVISION, INC., CTV TELEVISION NETWORK LTD.,

     FAIRCHILD TELEVISION LTD., FIRST CHOICE CANADIAN

     COMMUNICATIONS CORPORATION, GOVERNEMENT DE L'ONTARIO,

     CONSORTIUM DE TÉLÉVISION QUÉBEC-CANADA INC.,

     LE RÉSEAU DES SPORTS, MÉTÉOMÉDIA INC., CHUM LIMITED,

     MUSIQUEPLUS INC., SOCIÉTÉ RADIO-CANADA,

     SHOWCASE TELEVISION INC., TALENTVISION TV LTD.,

     ADVENTURE UNLIMITED, THE FAMILY CHANNEL INC.,

     OPRYLAND USA INC., THE SPORTS NETWORK, THE WEATHER CHANNEL,

     VISION TV: CANADA'S FAITH NETWORK/RÉSEAU RELIGIEUX CANADIEN,

     YOUR CHANNEL TELEVISION INC., WOMEN'S TELEVISION

     NETWORK (WTN), ET YTV CANADA, INC.,

     intimés.

     JUGEMENT

         La demande est rejetée.

     " B.L. Strayer "

                                             J.C.A.

Traduction certifiée conforme

                 C. Bélanger, LL. L.

Date : 19971211


A-759-96

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

         AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur le droit d'auteur,
         L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée;

         ET la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée

E N T R E :

     LES RÉSEAUX PREMIER CHOIX INC.,

     requérante,

     - et -

     CANADIAN CABLE TELEVISION ASSOCIATION -

     ASSOCIATION CANADIENNE DE TÉLÉVISION PAR CÂBLE,

     SOCIÉTÉ CANADIENNE DES COMPOSITEURS, AUTEURS ET ÉDITEURS DE      MUSIQUE, ALLARCOM PAY TELEVISION LIMITED, CABLE NEWS

     NETWORK, INC., CANADIAN HOME SHOPPING NETWORK (CHSN) LTD.,

     COUNTRY MUSIC TELEVISION, INC., CTV TELEVISION NETWORK LTD.,

     FAIRCHILD TELEVISION LTD., FIRST CHOICE CANADIAN

     COMMUNICATIONS CORPORATION, GOVERNEMENT DE L'ONTARIO,

     CONSORTIUM DE TÉLÉVISION QUÉBEC-CANADA INC.,

     LE RÉSEAU DES SPORTS, MÉTÉOMÉDIA INC., CHUM LIMITED,

     MUSIQUEPLUS INC., SOCIÉTÉ RADIO-CANADA,

     SHOWCASE TELEVISION INC., TALENTVISION TV LTD.,

     ADVENTURE UNLIMITED, THE FAMILY CHANNEL INC.,

     OPRYLAND USA INC., THE SPORTS NETWORK, THE WEATHER CHANNEL,

     VISION TV: CANADA'S FAITH NETWORK/RÉSEAU RELIGIEUX CANADIEN,

     YOUR CHANNEL TELEVISION INC., WOMEN'S TELEVISION

     NETWORK (WTN), ET YTV CANADA, INC.,

     intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario) le mercredi 22 octobre 1997.

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario) le jeudi 11 décembre 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STRAYER

     LE JUGE McDONALD

     Date : 19971211

     A-759-96

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE McDONALD

         AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur le droit d'auteur,
         L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée;

         ET la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée

E N T R E :

     LES RÉSEAUX PREMIER CHOIX INC.,

     requérante,

     - et -

     CANADIAN CABLE TELEVISION ASSOCIATION -

     ASSOCIATION CANADIENNE DE TÉLÉVISION PAR CÂBLE,

     SOCIÉTÉ CANADIENNE DES COMPOSITEURS, AUTEURS ET ÉDITEURS DE      MUSIQUE, ALLARCOM PAY TELEVISION LIMITED, CABLE NEWS

     NETWORK, INC., CANADIAN HOME SHOPPING NETWORK (CHSN) LTD.,

     COUNTRY MUSIC TELEVISION, INC., CTV TELEVISION NETWORK LTD.,

     FAIRCHILD TELEVISION LTD., FIRST CHOICE CANADIAN

     COMMUNICATIONS CORPORATION, GOVERNEMENT DE L'ONTARIO,

     CONSORTIUM DE TÉLÉVISION QUÉBEC-CANADA INC.,

     LE RÉSEAU DES SPORTS, MÉTÉOMÉDIA INC., CHUM LIMITED,

     MUSIQUEPLUS INC., SOCIÉTÉ RADIO-CANADA,

     SHOWCASE TELEVISION INC., TALENTVISION TV LTD.,

     ADVENTURE UNLIMITED, THE FAMILY CHANNEL INC.,

     OPRYLAND USA INC., THE SPORTS NETWORK, THE WEATHER CHANNEL,

     VISION TV: CANADA'S FAITH NETWORK/RÉSEAU RELIGIEUX CANADIEN,

     YOUR CHANNEL TELEVISION INC., WOMEN'S TELEVISION

     NETWORK (WTN), ET YTV CANADA, INC.,

     intimés.

     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE LINDEN

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision en date du 19 avril 1996 par laquelle la Commission du droit d'auteur (la Commission) a fixé les tarifs applicables aux câblodistributeurs. La décision s'applique à la câblodistribution pour les années 1990 à 1995. Le tarif qui a été fixé est le tarif des droits que les câblodistributeurs doivent verser aux compositeurs, auteurs, musiciens et autres titulaires d'oeuvres et de prestations protégées par le droit d'auteur. La Société canadienne des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique (SOCAN) représente les titulaires de ces droits d'auteur. Dans sa décision, la Commission a notamment accordé une réduction de 15 pour 100 (l'ajustement pour le Québec ou l'ajustement) en ce qui concerne le tarif applicable aux services spécialisés de câblodistribution destinés aux marchés francophones. La Commission a refusé d'étendre l'ajustement aux services canadiens de télévision payante et aux services spécialisés américains. La requérante Premier Choix est le propriétaire du seul service de télévision payante de langue française, Super Écran. La question qui se pose dans la présente demande est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en n'étendant pas l'ajustement aux services canadiens de télévision payante et aux services spécialisés américains.


Pouvoirs de la Commission

[2]      En vertu de la Loi sur le droit d'auteur1, la Commission est habilitée à fixer des tarifs. Le régime institué par la Loi prévoit que des groupes représentant les titulaires de droit d'auteur peuvent déposer devant la Commission un projet de tarif des droits à percevoir. La Commission fait ensuite publier ce projet dans la Gazette du Canada et permet à tout opposant de faire valoir son point de vue. La Commission examine ensuite les propositions et, conformément au paragraphe 67.2(1), certifie le projet après y avoir apporté les modifications qu'elle juge nécessaires. Voici le libellé de ce paragraphe :

     67.2 (1) Lorsqu'elle a terminé son examen, la Commission certifie le projet de tarif, dont elle pourra avoir modifié les droits ou les modalités y afférentes, qui est dès lors le tarif homologué [...]         

[3]      La SOCAN a déposé ce qu'on est convenu d'appeler le tarif 17, qui couvre la période de 1990 à 1995 inclusivement. Ce projet de tarif des droits à percevoir a fait l'objet d'audiences, qui ont eu lieu devant la Commission du 10 janvier 1995 au 1er février 1995. La décision que la Commission a rendue le 19 avril 1996 au sujet de ce tarif fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]      La Commission a rédigé une décision exhaustive de plus d'une soixantaine de pages dans laquelle elle a abordé une foule de questions. Elle a passé en revue l'histoire des services de câblodistribution au Canada et l'évolution de la législation relative à la radiodiffusion, ainsi que les divers projets soumis par les groupes concurrents. Bien que la Commission ait tranché de nombreuses questions, un seul aspect de sa décision est contesté, en l'occurrence la question de l'" ajustement pour le Québec " pour ce qui est des services américains spécialisés et des services canadiens de télévision payante.

[5]      La structure tarifaire que la Commission a homologuée conformément au paragraphe 67.2(1) de la Loi comporte deux volets. Le premier volet concerne les services de câblodistribution qui sont offerts avec le service de base et avec le service de base élargi2. Le second volet regroupe les services facultatifs. Par services facultatifs, il faut entendre les services canadiens de télévision payante, dont Super Écran, et les services spécialisés américains. La structure tarifaire du premier bloc de services a été calculée en prenant 1,7 pour 100 des recettes totales de l'ensemble de ces services pour une année déterminée et en divisant ensuite ce chiffre par le nombre total d'abonnés au câble au Canada au cours de l'année en question. Le chiffre ainsi obtenu est ensuite appliqué à chacun des câblodistributeurs en multipliant ce chiffre par le nombre d'abonnés de ce câblodistributeur. Le tarif applicable aux services facultatifs correspond tout simplement à une fraction des paiements d'affiliation, c'est-à-dire les paiements que les diffuseurs font aux diverses chaînes pour la fourniture de services de télévision payante canadienne et de services spécialisés américains. Ces paiements sont " fonction du nombre d'abonnés "3 de chaque service.

[6]      La Commission a ensuite procédé à une série d'ajustements en ce qui concerne le tarif applicable aux services regroupés pour tenir compte de certains facteurs spéciaux. En ce qui concerne l'ajustement pour le Québec, la Commission déclare :

     Compte tenu de la structure tarifaire retenue par la Commission, la façon la plus pratique d'en arriver à un tarif équitable pour ces services est d'établir un taux différent pour les télédistributeurs dans les marchés francophones4.         

La Commission a estimé que l'ajustement qu'il convenait de retenir dans les circonstances était de 15 pour 100. La Commission a poursuivi en disant :

     Point n'est besoin de procéder à cet ajustement dans le cas des services spécialisés américains ou des services canadiens de télévision payante. Il s'agit de services facultatifs. Qui plus est, comme le tarif est fonction des paiements d'affiliation, le montant des redevances s'ajuste automatiquement aux prix du marché. Il s'agit donc d'un cas où l'on peut s'en remettre au marché pour établir le montant approprié de redevances sans qu'il soit besoin de procéder à un ajustement5.         

C'est cet aspect de la décision, et cet aspect uniquement, qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Prétentions et moyens des parties

[7]      L'appelante affirme que la Commission a commis une erreur en n'étendant pas l'ajustement aux services canadiens de télévision payante et aux services spécialisés américains. Me David Kent, qui occupe pour Premier Choix, insiste pour dire que, comme les services de télévision payante francophones souffrent des mêmes handicaps économiques que ceux dont sont affligés les services regroupés, le même raisonnement s'applique et justifie que l'on accorde l'ajustement à sa cliente. Qui plus est, en n'accordant pas cette extension, la Commission a créé un régime qui permet aux services spécialisés de langue anglaise de jouir du rabais, alors que sa cliente n'en bénéficie pas. Suivant la requérante, il s'agit là d'un résultat anormal, parce que la raison d'être de l'ajustement est de reconnaître le problème de la viabilité économique des services de langue française.

[8]      L'intimée affirme que la Commission a eu raison de ne pas étendre l'ajustement de manière à ce qu'il s'applique à tous les services. Me George Hynna, qui représente la SOCAN, soutient qu'il ressort des éléments de preuve portés à la connaissance de la Commission que c'est la viabilité économique des services spécialisés francophones qui pose un problème, pas les services de télévision payante. Me Hynna soutient qu'il aurait été déraisonnable d'étendre l'ajustement, compte tenu de la formule tarifaire à deux niveaux que la Commission a retenue. La raison d'être de l'ajustement était de refléter l'utilisation plus faible qui existe effectivement sur les marchés francophones. Comme les services canadiens de télévision payante et les services spécialisés américains sont facultatifs, le pourcentage des paiements d'affiliation sera directement fonction de l'utilisation réelle.

[9]      Les deux parties ont formulé des arguments au sujet de la norme de contrôle judiciaire applicable. La requérante soutient que la Cour devrait suivre les arrêts Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)6 et Canada (directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la Concurrence) c. Southam7. Comme il n'y a pas de clause privative, la Cour serait tenue d'appliquer une norme un peu moins élevée que celle du caractère manifestement déraisonnable, en l'occurrence la norme du caractère déraisonnable ordinaire. L'intimée soutient que la Cour est liée par l'arrêt qu'elle a rendue dans l'affaire Association canadienne des radiodiffuseurs c. SOCAN8. Dans cet arrêt, notre Cour a jugé qu'en rendant ce genre de décision, la Commission agissait dans le cadre de sa compétence et que la norme applicable au contrôle de sa décision était celle du caractère manifestement déraisonnable.

Analyse

a) La norme de contrôle

[10]      Dans toute demande de contrôle judiciaire, la question de savoir quelle norme de contrôle la Cour devrait appliquer est la première à laquelle la Cour doit répondre. Nous devons toujours être conscients du fait que, lorsque le législateur a institué un organisme spécialisé chargé de s'occuper de problèmes techniques, les décisions que rend cet organisme doivent se voir accorder un poids considérable. Pour déterminer quelle est la norme de contrôle judiciaire à appliquer, il convient de citer d'abord les propos qu'a tenus le juge Dickson dans l'arrêt S.C.F.P., section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Bruswick9 :

     La Commission a-t-elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire10?         

Il convient de souligner que l'affaire SCFP mettait en cause un tribunal spécialisé, en l'occurrence la Commission des relations de travail, qui agissait avec la protection d'une clause privative complète.

[11]      La norme du caractère manifestement déraisonnable a été davantage précisée dans l'arrêt Canada (procureur général) c. A.F.P.11, où le juge Cory dit :

     Le sens de l'expression " manifestement déraisonnable ", fait-on valoir, est difficile à cerner. Ce qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre. Pourtant, pour définir un critère nous ne disposons que de mots, qui forment, eux, les éléments de base de tous les motifs. Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. Dans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini : " Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente ". On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante : " Qui n'est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens ". Eu égard donc à ces définitions des mots " manifeste " et " déraisonnable ", il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s'agit là d'un critère très strict12.         

Dans l'affaire A.F.P., il s'agissait également d'un tribunal spécialisé qui était composé de représentants de la direction et des travailleurs et qui était protégé par une clause privative. Ainsi donc, dans des situations mettant en cause des tribunaux spécialisés dans des circonstances analogues, la Cour n'interviendra que si la décision en cause est clairement irrationnelle.

[12]      Notre Cour a déjà examiné la question de la norme de contrôle qui devrait s'appliquer aux décisions de la présente Commission dans l'arrêt Association canadienne des radiodiffuseurs, précitée. Invoquant des précédents, le juge Létourneau a déclaré :

     [...] la Commission est mieux placée que notre Cour pour trouver un juste équilibre entre les intérêts des titulaires de droit d'auteur et les usagers, et notre Cour n'interviendra que si le résultat atteint est manifestement déraisonnable13.         

On remarquera que, malgré le fait que la Loi sur le droit d'auteur ne renferme aucune clause privative, le juge Létourneau a décidé de ne pas appliquer la norme du bien-fondé, mais qu'il a plutôt retenu celle du caractère manifestement déraisonnable.

[13]      Si l'on examine l'arrêt récent que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Pezim, précitée, où le juge Iacobucci a analysé la gamme de normes qui existent et les facteurs appliqués pour choisir l'une d'elles, il est évident que le choix de la norme de contrôle appropriée n'est pas une proposition à prendre ou à laisser. Il a expliqué que :

     Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s'applique à l'égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise. À une extrémité de la gamme, où la norme du caractère raisonnable de la décision appelle le plus haut degré de retenue, ce sont les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n'existe aucun droit d'appel prévu par la loi14.         

Ainsi, la norme du caractère manifestement déraisonnable est la norme qu'il convient d'appliquer lorsqu'un tribunal spécialisé est saisi d'une question qui relève de sa compétence et qu'il est protégé par une clause privative mais que la loi ne prévoit pas de droit d'appel.

[14]      Plus récemment, la Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt Southam15, déclaré que, lorsqu'un tribunal hautement spécialisé se prononce sur une question qui relève entièrement de sa compétence, la Cour devrait faire preuve d'un degré élevé de retenue envers ce tribunal, même en l'absence de clause privative et en présence d'un droit d'appel conféré par la loi. Le juge Iacobucci a reconnu l'existence d'une troisième norme de contrôle :

     Je conclus que cette troisième norme devrait être fondée sur la question de savoir si la décision du Tribunal est déraisonnable. Ce critère doit être distingué de la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, et en vertu de laquelle les tribunaux doivent dire si la décision du tribunal administratif est manifestement déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans l"ensemble, n"est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s"il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s"il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n"avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l"encontre de l"essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable16.         

Bien que, dans l'arrêt Southam, la loi accordât un droit d'appel et que la présente demande soit une demande de contrôle judiciaire, il faut tenir compte du raisonnement général qui a été suivi dans cet arrêt et dans l'arrêt Pezim pour déterminer si l'on devrait s'écarter de la norme retenue par le juge Létourneau dans l'arrêt Association canadienne des diffuseurs, précité, en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la Commission en l'espèce. À cet égard, on devrait, outre les facteurs usuels, tenir particulièrement compte de la nature de la question soumise à la Commission et de son expertise en la matière.

[15]      La Commission est un tribunal spécialisé. Elle est appelée à examiner des éléments de preuve complexes dans le domaine de l'économie, de la technologie du câble et de la statistique. La question qui lui est soumise est au coeur de sa compétence. Les propos tenus par le juge Iacobucci dans l'arrêt Southam sont de nouveau utiles. Il déclare :

     Comme les cours d"appel sont susceptibles d"éprouver de la difficulté à bien saisir les ramifications économiques et commerciales des décisions du Tribunal et que, par conséquent, elles sont moins aptes que celui-ci à voir à la réalisation de l"objet de la Loi sur la concurrence , il est logique d"en déduire que l"objet de la Loi est mieux servi si les cours d"appel font montre de retenue à l"égard des décisions du Tribunal17.         

En d'autres termes, le Tribunal était mieux placé que la Cour pour rendre la décision en question. Il n'y a aucun doute que la Commission comprend mieux qu'une juridiction d'appel les questions techniques et économiques qui sont en litige en l'espèce et qui ont des ramifications dans l'industrie de la radiodiffusion. La Loi a créé la Commission pour qu'elle réglemente les redevances pour la gestion collective des droits d'exécution. Sous cet aspect, la Commission est davantage une institution économique ou commerciale qu'un organisme juridique. Aux termes de la Loi sur le droit d'auteur, le règlement des différends juridiques portant sur la propriété et le respect des droits d'auteur est expressément confié aux tribunaux judiciaires18, qui sont vraisemblablement mieux placés pour juger ces questions. Les questions économiques et techniques sont toutefois confiées à la Commission. Les objets de la loi sont donc mieux servis si la juridiction d'appel fait montre d'une grande retenue envers la présente commission spécialisée.

[16]      Bien que la présente loi ne comporte pas de clause privative, le fait que le législateur n'a pas prévu de droit légal d'appel donne à penser qu'une très grande retenue est justifiée. Cela est particulièrement vrai lorsqu'un organisme à qui de vastes pouvoirs discrétionnaires sont conférés examine une question technique très précise qui relève de toute évidence de sa compétence. On se souviendra que, même dans l'affaire Southam, où un droit d'appel était expressément conféré, la norme de contrôle retenue a été celle du caractère raisonnable, et non celle du bien-fondé.

[17]      À la lumière de ces nouveaux enseignements de la Cour suprême du Canada, je suis, à l'instar du juge Létourneau, d'avis que la norme de contrôle qui convient le mieux en l'espèce devrait demeurer celle du caractère manifestement déraisonnable. Je suis persuadé que l'absence de droit légal d'appel, le large pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission et la caractère hautement technique de la question qui lui est soumise justifient la plus grande retenue, même s'il n'existe pas de clause privative. La troisième norme de contrôle définie par le juge Iacobucci dans l'arrêt Southam convient peut-être davantage dans les cas où un tribunal spécialisé n'est pas protégé par une clause privative et où la loi prévoit un droit d'appel, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, étant donné que la loi ne prévoit aucun droit d'appel.

b) Application de la norme

[18]      La question à se poser est donc celle de savoir si l'on peut dire que la décision par laquelle la Commission a refusé d'étendre l'ajustement aux services canadiens de télévision payante et aux services spécialisés américains était manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle. Je suis d'avis de répondre par la négative à cette question.

[19]      La Commission a adopté une structure tarifaire à deux volets. Chaque volet était conçu de manière à s'appliquer à un type différent de service. La Commission a conclu qu'une formule reposant sur un tarif établi en fonction du nombre d'abonnés convenait aux services regroupés. Le taux de redevance est ainsi calculé en fonction de données provenant de l'ensemble des services regroupés qui sont offerts partout au pays. La Commission a estimé que l'application du tarif de redevances ainsi obtenu serait problématique dans le cas de certaines régions et de certains diffuseurs. Elle a donc procédé à des ajustements là où elle estimait qu'il convenait d'en faire19.

[20]      En ce qui concerne l'ajustement pour le Québec, la Commission a conclu qu'en moyenne les Québécois utilisaient moins les services de câblodistribution que les citoyens du reste du Canada. La Commission a reconnu que la raison de la réduction relative de cette utilisation dans cette région valait pour l'ensemble des marchés francophones. Il faillait donc procéder à un ajustement dans le cas des réseaux de câblodistribution qui livraient ces services sur ces marchés. Autrement, les droits payés par ces fournisseurs de services ne donneraient pas une image fidèle de l'utilisation des oeuvres et prestations protégées par le droit d'auteur, ce qui, après tout, est le but principal visé.

[21]      Pour justifier sa décision de ne pas étendre l'ajustement aux services canadiens de télévision payante et aux services spécialisés américains, la Commission a expliqué que ces services sont soumis à une formule tarifaire différente. Comme la raison d'être de la mise en application de l'ajustement était de corriger les iniquités imputables à l'application d'une formule tarifaire déterminée, lorsqu'une formule différente est employée, l'ajustement ne s'applique pas nécessairement.

[22]      La Commission a décidé que, parce que la structure de la formule tarifaire applicable aux services canadiens de télévision payante et aux services spécialisés américains correspond à un pourcentage des paiements d'affiliation, il n'y a donc aucune raison d'ajuster les redevances. La Commission s'est dite d'avis que les redevances seraient rajustées par le jeu des libres forces du marché. En d'autres termes, lorsque les services canadiens de télévision payante et les services spécialisés américains font l'objet d'une utilisation qui est inférieure à la moyenne, cet état de fait se traduit par des paiements d'affiliation moins élevés. Parce que le montant des droits à payer est fonction de ces paiements d'affiliation, les redevances à payer refléteront cette utilisation inférieure à la moyenne. Il n'en serait pas ainsi dans le cas de la formule tarifaire qui s'applique aux services regroupés.

[23]      La thèse de la requérante repose sur l'idée que la Commission a créé l'ajustement pour le Québec en réponse aux difficultés qu'éprouvent les services de câblodistribution francophones. En n'étendant pas l'ajustement aux services de télévision payante, la Commission n'aurait pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à ces difficultés et se serait fondée sur des facteurs non pertinents. La requérante nous exhorte à reconnaître que les services de télévision payante de langue française ont tout autant besoin d'un ajustement que les services spécialisés de langue française, en raison des difficultés économiques qu'éprouvent ces deux groupes. L'avocat de la requérante soutient également que la décision crée une anomalie, étant donné que les services spécialisés offerts sur les marchés francophones bénéficieront de l'ajustement, mais que sa cliente n'en bénéficiera pas.

[24]      Aucun des moyens invoqués pour prétendre que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable ne m'a convaincu. Je ne vois pas pourquoi la Commission devait accorder dans sa décision une subvention aux services de câblodistribution francophones. À mon sens, l'ajustement pour le Québec a été utilisé en raison des anomalies statistiques créées par la formule tarifaire retenue par la Commission pour calculer la somme à payer pour les services regroupés. Dans les cas où la formule tarifaire ne crée pas ces anomalies (comme dans le cas de la formule utilisée pour les services canadiens de télévision payante et les services spécialisés américains), aucun correctif n'était justifié. En résumé, on ne saurait affirmer qu'il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de refuser de corriger un problème qui n'existait pas.

[25]      Pour ces motifs, la demande est rejetée.

     " A.M. Linden "

                                                 J.C.A.

" Je souscris à ces motifs

     Le juge B.L. Strayer "

" Je souscris à ces motifs

     Le juge F.J. McDonald "

Traduction certifiée conforme     

                     C. Bélanger, LL. L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

Date : 19971211

A-759-96

             AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C.(1985), ch. C-42, modifiée;
             ET la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée
             E n t r e :
             LES RÉSEAUX PREMIER CHOIX INC.

     requérante,

                 - et -
             CANADIAN CABLE TELEVISION ASSOCIATION -ASSOCIATION CANADIENNE DE TÉLÉVISION PAR CÂBLE, SOCIÉTÉ CANADIENNE DES COMPOSITEURS, AUTEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE, ALLARCOM PAY TELEVISION LIMITED, CABLE NEWS NETWORK, INC., CANADIAN HOME SHOPPING NETWORK (CHSN) LTD., COUNTRY MUSIC TELEVISION, INC., CTV TELEVISION NETWORK LTD., FAIRCHILD TELEVISION LTD., FIRST CHOICE CANADIAN COMMUNICATIONS CORPORATION, GOUVERNEMENT DE L'ONTARIO, CONSORTIUM DE TÉLÉVISION QUÉBEC-CANADA INC., LE RÉSEAU DES SPORTS, MÉTÉOMÉDIA INC., CHUM LIMITED, MUSIQUEPLUS INC., SOCIÉTÉ RADIO-CANADA, SHOWCASE TELEVISION INC., TALENTVISION TV LTD., ADVENTURE UNLIMITED, THE FAMILY CHANNEL INC., OPRYLAND USA INC., THE SPORTS NETWORK, THE WEATHER CHANNEL, VISION TV: CANADA'S FAITH NETWORK/RÉSEAU RELIGIEUX CANADIEN, YOUR CHANNEL TELEVISION INC., WOMEN'S TELEVISION NETWORK (WTN), et YTV CANADA, INC.

     intimés.

            

     MOTIFS DU JUGEMENT

            

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              A-759-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Les Réseaux Premier Choix c.
                     Association canadienne de télévision par câble et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      le mercredi 22 octobre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Linden le jeudi 11 décembre 1997, auxquels ont souscrit les juges Strayer et McDonald

ONT COMPARU :

     Me David W. Kent              pour la requérante
     Me Y.A. George Hynna          pour la société intimée, la Société canadienne des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique
     Me Mario Bouchard              pour la Commission du droit d'auteur intervenante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

     McMillan Binch              pour la requérante
     Toronto (Ontario)
     Gowling, Strathy & Henderson      pour la société intimée, la
     Ottawa (Ontario)              Société canadienne des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique
     Me Mario Bouchard              pour la Commission du droit
     Commission du droit d'auteur      d'auteur intervenante
     Ottawa (Ontario)
     Morris/Rose/Ledgett              pour l'Association
     Toronto (Ontario)              canadienne de télévision par câble
     McMillan Binch              pour Allarcom Pay
     Toronto (Ontario)              Television Limited, First Choice Canadian Communication Corporation Limited et The Family Channel Inc.
     Johnston & Buchan              pour Cable News Network
     Ottawa (Ontario)              Inc., Canadian Home Shopping Network (CHSN) Ltd, Fairchild Television Ltd., MétéoMedia Inc. et Talentvision TV Ltd.
     Smith, Lyons, Torrance,          pour Country Music
     Stevenson & Mayer              Television Inc. et Opryland
     Toronto (Ontario)              USA Inc.
     Borden & Elliot              pour CTV Television
     Toronto (Ontario)              Network Ltd.
     Me Bernard Montigny          pour le Consortium de
     Sainte-Julie (Québec)          Télévision Québec-Canada Inc.
     Smart & Biggar              pour le Réseau des Sports,
     Ottawa (Ontario)              Adventure Unlimited et The Sports Network
     Fasken Campbell Godfrey          pour Chum Limited et
     Toronto (Ontario)              MusiquePlus Inc.
     Services juridiques              pour la Société Radio-
     Société Radio-Canada          Canada
     Ottawa (Ontario)
     McCarthy, Tétrault              pour Showcase Television
     Toronto (Ontario)              Inc., Your Channel Television Inc. et Women's Television Netwotk (WTN)
     Johnston & Buchan              pour Canadian Satellite
     Ottawa (Ontario)              Communications Inc. et Regional Cable Systems Inc.
     Fraser & Beatty              pour Weather Channel
     Ottawa (Ontario)
     McMillan Birch              pour Vision TV: Canada's
     Toronto (Ontario)              Faith Network
__________________

1      L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée.

2      Le " service de base " est le bloc minimal de services que tout abonné reçoit lorsqu'il s'abonne. La Commission applique également ce tarif au " service de base élargi ", qui désigne le bloc de services supplémentaires que l'abonné reçoit lorsqu'il paie pour le deuxième niveau de services. Comme plus de 90 pour 100 des abonnés à qui est offert le service de base élargi le reçoivent automatiquement, ces deux services forment un service de base de facto . Ces services sont appelés " services regroupés ".

3      Décision de la Commission, à la page 31.

4      Décision de la Commission, aux pages 24 et 25.

5      Décision de la Commission, à la page 25.

6      [1994] 2 R.C.S. 557.

7      [1997] 1 R.C.S. 748.

8      (1994), 58 C.P.R. (3d) 190 (C.A.F.).

9      [1979] 2 R.C.S. 227.

10Idem, à la page 237.

11[1993] 1 R.C.S. 941.

12Idem, aux pages 963 et 964.

13Précité, note 8, à la page 197.

14 Arrêt Pezim, précité, à la page 590.

15 Précité, note 13.

16 Idem, à la page 776.

17Précité, note 21, à la page 773.

18L'article 37 de la Loi dispose :
     37. La Cour fédérale, concurremmment avec les tribunaux provinciaux, a juridiction pour instruire et juger toute action, poursuite ou procédure civile intentée pour infraction à une disposition de la présente loi ou pour l'application des recours civils que prescrit la présente loi.

19Ainsi, la Commission a établi un tarif différent pour les câblodistributeurs qui offraient trois services ou moins regroupés au motif que le tarif était fixé en fonction des câblodistributeurs qui offraient en moyenne, sur tout le territoire canadien, 6,81 services regroupés (décision, à la page 25.)

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