Décisions de la Cour d'appel fédérale

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                                                                                                                                 Date : 20040312

                                                                                                                             Dossier : A-225-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CAF 99

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                         LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

                                DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                                            HI-RISE GROUP INC.

                                                                                                                                                  intimée

                                      Audience tenue à Toronto (Ontario), le 9 février 2004

                             Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario), le 12 mars 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                      LA JUGE SHARLOW


Date : 20040312

Dossier : A-225-03

Référence : 2004 CAF 99

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                         LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

                                DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU CANADA

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                                            HI-RISE GROUP INC.

                                                                                                                                                  intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit de l'appel interjeté contre la décision d'un juge de la Cour fédérale d'accueillir la demande de contrôle judiciaire présentée par la société Hi-Rise Group Inc. (l'intimée en l'espèce) à l'égard d'une décision prise par le responsable du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada (TPSGC ou l'appelant) ou en son nom, laquelle autorisait la communication de certains documents, conformément à une demande sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi).

[2]                La question en litige est de savoir si des documents dont la communication révélerait les loyers payés annuellement par TPSGC pour un édifice à bureaux situé à Hamilton (Ontario), de même que le prix des options par lesquelles l'édifice peut être acquis par TPSGC, contiennent des renseignements qui sont exemptés de la divulgation en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi. Le juge de la Cour fédérale a conclu qu'ils étaient exemptés et l'appelant soutient que le juge a commis une erreur à cet égard.

[3]                Le paragraphe 20(1) est ainsi libellé :

20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains:

     a) des secrets industriels de tiers;

     (a) trade secrets of a third party;

     b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

     (b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

     c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

     (c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

     d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

     (d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

Faits


[4]                En réponse à une demande de propositions (DDP) publiée par TPSGC en novembre 1999, l'intimée et d'autres soumissionnaires ont présenté une proposition pour la location de bureaux pour divers ministères fédéraux, à Hamilton (Ontario). La DDP exigeait un bail d'une durée de quinze ans. La DDP précisait également que TPSGC prendrait en considération des options d'achat à la fin de la deuxième, cinquième, dixième et quinzième année.

[5]                La proposition de l'intimée présentait le taux de location demandé et il s'agissait de la seule proposition qui établissait un prix relativement aux options d'achat à la fin de la deuxième, cinquième, dixième et quinzième année.

[6]                TPSGC a soumis les aspects financiers des diverses propositions à un tiers consultant à des fins d'analyse. Les évaluations financières ont été effectuées et les résultats documentés ont été transmis à TPSGC. Ces résultats comprenaient notamment une page sur laquelle figurait la valeur actualisée nette des cinq propositions de l'intimée, c'est-à-dire la valeur actualisée nette :

i)        du total des loyers payés à la fin du bail de quinze ans;

ii)       du loyer payé pendant les deux premières années du bail si l'option d'achat était exercée à ce moment-là;

iii)       du loyer payé pendant les cinq premières années du bail si l'option d'achat était exercée à ce moment-là;

iv)      du loyer payé pendant les dix premières années du bail si l'option d'achat était exercée à ce moment-là;

v)       du loyer payé pendant les quinze premières années du bail si l'option d'achat était exercée à ce moment-là.

[7]                Le contrat a été attribué à l'intimée et un avis annonçant publiquement cette décision a été publié vers le 15 décembre 2000.

[8]                Par la suite, les parties ont conclu un contrat relatif à la durée du bail, au prix du loyer et aux prix des options qui avaient été décrites dans la proposition de l'intimée.

[9]                En mai 2001, TPSGC a reçu une demande en vertu de la Loi pour la communication de [traduction] « renseignements sur le processus d'appel d'offres relatif au nouvel édifice fédéral au centre ville de Hamilton (Ontario) en 1999 » (dossier d'appel, onglet 14, page 104, paragraphe 3).

[10]            À l'époque en cause, la coordonnatrice de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels de TPSGC (la coordonnatrice de l'accès) était investie des pouvoirs et attributions d'un responsable de TPSGC que ce dernier avait, par arrêté, délégué à la coordonnatrice en conformité avec l'article 73 de la Loi.

[11]            Lorsque le personnel du bureau de la coordonnatrice de l'accès, après avoir examiné la demande, a établi que TPSGC possédait les dossiers demandés et que certains renseignements contenus dans ces dossiers étaient des renseignements de tiers relatifs à l'intimée, l'intimée a été invitée à présenter ses observations relativement à la communication des documents. L'intimée s'est opposée à la communication des documents pour les raisons suivantes :


[traduction]

a)       les dossiers contiennent des renseignements financiers ou commerciaux qui sont de nature confidentielle, qui ont été transmis à titre confidentiel et qui ont toujours été traités comme tels par Hi-Rise (20(1)b));

b)      il s'agit de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes financières ou de nuire à la compétitivité de Hi-Rise (20(1)c));

c)      il s'agit de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver les négociations menées par Hi-Rise en vue du projet ou de projets futurs dans la région de Hamilton (20(1)d)).

[12]            Dans une lettre datée du 17 juillet 2001, la coordonnatrice de l'accès a avisé l'intimée qu'elle avait établi que les motifs soulevés n'étaient pas suffisants pour ne pas communiquer certaines parties précises des dossiers examinés. Après l'application des exemptions auxquelles l'intimée avait droit, les seuls renseignements au dossier dont la divulgation était en jeu étaient la valeur totale nette actualisée des diverses propositions de l'intimée dont font état les cinq documents mentionnés au paragraphe 6.

[13]            L'intimée a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

Décision visée par l'appel


[14]            Dans une décision rendue le 11 avril 2003, le juge de la Cour fédérale a conclu que les cinq documents en cause étaient exclus de la divulgation. Il a mentionné la préoccupation principale de l'intimée concernant la diffusion de ces documents en citant un passage de l'affidavit déposé par son président :

[traduction] Je m'attends à ce que d'autres DDP soient publiées pour la région de Hamilton dans le futur. Certaines de ces DDP seront pour le gouvernement du Canada. La connaissance des tarifs de location et du prix des options de Hi-Rise (lesquels sont fonction des coûts de construction et d'autres facteurs) désavantagera considérablement Hi-Rise et avantagera considérablement ses concurrents et les autres promoteurs de projet à Hamilton.

[15]            Le juge de la Cour fédérale a décidé que même si l'intimée n'avait pas prouvé que la divulgation de ces documents risquait vraisemblablement de lui causer des pertes et ou de lui nuire au sens des alinéas 20(1)c) ou d), leur divulgation révélerait des renseignements confidentiels qui avaient été fournis comme tels au sens de l'alinéa 20(1)b).

Position des parties

[16]            L'appelant soutient qu'en prenant cette décision, le juge de la Cour fédérale a mal interprété l'alinéa 20(1)b) de la Loi. Plus précisément, l'appelant prétend que le juge a commis une erreur en décidant que la valeur nette actualisée du total des coûts associés aux cinq options était un renseignement « fourni à une institution fédérale par des tiers » . Deuxièmement, l'appelant allègue que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en décidant que ces renseignements étaient des « renseignements confidentiels » au sens de la disposition.

[17]            L'intimée fait valoir que le juge de la Cour fédérale a pris une bonne décision et elle défend les motifs qu'il a donnés. L'intimée rappelle à la Cour que des conclusions de fait ne peuvent être infirmées que s'il est établi que le juge a commis une erreur manifeste et dominante et qu'il faut faire preuve du même degré de retenue à l'égard des inférences de fait (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235).

Analyse et décision

[18]            Avant d'analyser les erreurs alléguées, il convient de citer le paragraphe 2(1) de la Loi qui prévoit notamment :

La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées [...]

The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information ... in accordance with principles that government information should be available to the public, that necessary exemptions to the right of access should be limited and specific ...


[19]            Il ressort clairement du paragraphe 2(1) que le législateur avait l'intention de consacrer le principe de la communication des renseignements de l'administration fédérale et de limiter et de préciser le nombre d'exceptions (Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Premier ministre) (1993), 57 F.T.R. 180, aux paragraphes 114 à 188, le juge Rothstein (maintenant juge de la Cour d'appel fédérale). Il appartient à la partie qui s'objecte à la divulgation de prouver que les dossiers demandés sont visés par une exception (Maislin Industries Ltd. c. Ministre de l'Industrie et du Commerce et al., [1984] 1 C.F. 939, à la page 943 (1re inst.); Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1992), 52 F.T.R. 22, paragraphe 36 (1re inst.); confirmé (1992), 45 C.P.R. (3d) 390 (C.A.F.).

[20]            Afin que les renseignements en cause soient visés par l'exception prévue à l'alinéa 20(1)b), l'intimée devait donc prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements demandés étaient :

a)       des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;

b)       des renseignements confidentiels;

c)       qu'elle avait fournis à une institution fédérale,

d)       qu'elle avait traités comme confidentiels de façon constante.

[21]            L'appelant admet que le critère de l'alinéa a) est respecté et il ne conteste pas la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle il a également été satisfait au critère de l'alinéa d).


[22]            Quant au critère selon lequel les renseignements doivent avoir été fournis à « une institution fédérale » , l'appelant soutient que les montants qui représentent la valeur nette actualisée des cinq propositions de l'intimée sont des renseignements qui ont été élaborés pour le compte de TPSGC par un tiers consultant. Certes, quelques variables utilisées dans le calcul contiennent des renseignements fournis par l'intimée, mais cette dernière n'a pas fourni les chiffres qui représentent la valeur nette actualisée. Il ne s'agit donc pas de renseignements « fournis » par l'intimée au sens de l'alinéa 20(1)b) (Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 à la page 54 (C.A.F.)).

[23]            Toutefois, le juge de la Cour fédérale était saisi de l'opinion d'un expert qui laissait à penser que les montants représentant la valeur nette actualisée, s'ils étaient diffusés, permettraient à un tiers de calculer avec une certitude raisonnable tant les loyers annuels que le prix des options à chacune des étapes. Il a accepté cette preuve et il a conclu que les renseignements fournis par l'intimée dans sa soumission et les renseignements contenus dans les valeurs nettes actualisées ne faisaient qu'un.

[24]            Il s'agit d'une conclusion que le juge de la Cour fédérale pouvait tirer compte tenu de la preuve dont il était saisie et il en découle que les renseignements contenus dans les valeurs nettes actualisées pouvaient alors constituer des renseignements « fournis » par l'intimée au sens de l'alinéa 20(1)b).

[25]            En ce qui concerne la conclusion selon laquelle ces renseignements étaient des « renseignements confidentiels » , le juge de la Cour fédérale a calqué son analyse sur celle du juge MacKay dans Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180, à la page 198 (1re inst.) :

[...] la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c'est-à-dire :


a) le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement dans l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;

c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'Administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.

[26]            Il a été admis devant le juge de la Cour fédérale qu'il avait été satisfait au premier critère. Quant au deuxième, le juge de la Cour fédérale a reconnu que pour établir que les renseignements avaient été communiqués confidentiellement dans l'assurance raisonnable qu'ils ne seraient pas divulgués, il fallait une preuve objective. À cet égard, le juge a mentionné deux éléments de preuve.

[27]            Tout d'abord, il a mentionné le paragraphe 12 de la « Demande de propositions » utilisée dans la présente affaire. Le voici :

[traduction] Le Locataire considère que les renseignements de location énumérés ci-dessous appartiennent à la catégorie des renseignements gouvernementaux normalement accessibles au grand public. Par conséquent, le Locataire se réserve le droit de mettre ces renseignements à la disposition du grand public, à savoir :

a) l'adresse de l'immeuble;

b) le nom et l'adresse du Locateur;

c) la date de commencement du Bail;

d) la date de fin du Bail;

e) les options de prolongation et les dates correspondantes;

f) la superficie des lieux loués.


Le Locateur accepte que ces renseignements soient communiqués au public et convient de ne pas s'opposer de quelque façon que ce soit à la communication de ces renseignements.

Le juge de la Cour fédérale a décidé que cette disposition soulevait chez l'intimée une attente raisonnable selon laquelle les renseignements qui n'étaient pas énumérés demeureraient confidentiels.

[28]            Ensuite, le juge de la Cour fédérale disposait d'un courriel interne provenant de M. Fred Pincock, directeur des Services de gestion des locaux à bureaux et des biens immobiliers à TPSGC, qui avait écrit, en rapport avec la présente demande :

[traduction] Nous nous affairons à recueillir les renseignements demandés. Nous transmettrons ces renseignements au bureau de l'AIPRP en recommandant très fortement qu'aucun document ne soit communiqué. Les soumissions des proposants sont des documents exclusifs, lesquels révéleraient des renseignements de nature délicate sur le plan commercial. Par conséquent, les soumissions devraient être exclues de la diffusion.

Dans le présent cas, nous avons reçu trois soumissions. Dans la collectivité, tout le monde sait bien qui a présenté des soumissions. Il est également connu que l'une des soumissions a été exclue, ce qui laisse deux soumissions; l'une acceptée et l'autre pas. Par conséquent, tout renseignement communiqué en réponse à cette demande pourrait facilement permettre de savoir qui est le proposant.

À ma connaissance, la position du ministère a toujours été que les évaluations de soumission sont exclues des demandes de l'AIPRP. Il me semble que nous perdons beaucoup de temps et d'énergie à faire en sorte que ces documents soient transmis au bureau de l'AIPRP si, effectivement, le principe directeur veut que ces documents ne soient pas communiqués.

[29]            En se fondant sur ces deux éléments de preuve, le juge de la Cour fédérale a conclu que les renseignements en cause avaient été transmis confidentiellement dans l'assurance raisonnable qu'ils ne seraient pas divulgués.

[30]            Le juge de la Cour fédérale a ensuite analysé le troisième critère de l'arrêt Air Atonabee (précité) au regard duquel il fallait trancher la question de savoir si la protection de la confidentialité des documents favorisait la relation entre TPSGC et l'intimée dans l'intérêt public. Il a cité un passage de la décision du juge Strayer (maintenant juge de la Cour d'appel fédérale) dans Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d'État du Canada) (1994), 56 C.P.R. (3d) 58, page 64 (1re inst.). Dans cette décision, le juge Strayer a jugé que les soumissions étaient confidentielles mais que, du moment que le contrat était adjugé, il n'était plus nécessaire de les garder secrètes.

[31]            Le juge de la Cour fédérale a dit qu'il était facile de distinguer la présente affaire de Société Gamma. Il a ajouté, en accordant de la valeur au courriel de M. Pincock, que la préservation du caractère confidentiel des renseignements en cause était dans l'intérêt public. Il a dit (au paragraphe 21) :

Dans la présente affaire, j'accorde de la valeur à l'opinion de M Pincock, citée précédemment, pour définir le contenu du critère de l' « intérêt public » . À mon avis, la preuve révèle une ligne de conduite favorisant la confidentialité, tant de la part du gouvernement du Canada, par l'intermédiaire des représentants de TPSGC, que de celle des parties dans la situation de la demanderesse. Selon moi, le consentement à cette ligne de conduite ne devrait pas être considéré comme contraire à la Loi. Il faudrait plutôt le considérer comme nécessaire, dans l'intérêt public, pour garantir l'intégrité du processus d'appel d'offres dans la proposition de bail et d'option d'achat complexe de la présente affaire. Par conséquent, j'estime que, en l'espèce, la demanderesse est parvenue à démontrer de façon suffisamment convaincante que, selon un critère objectif, les documents en cause revêtent un caractère confidentiel.


[32]            Avec égards, j'estime que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en n'appliquant pas les principes de Société Gamma et en décidant que, par conséquent, l'intimée pouvait raisonnablement s'attendre que les dossiers en cause soient gardés confidentiels et que cette confidentialité était dans l'intérêt public. Il est important de rappeler que, eu égard à la conclusion de fait antérieure du juge de la Cour fédérale, les renseignements que révéleraient les documents en cause étaient les loyers et le prix des options payé ou payable par TPSGC conformément au contrat conclu avec l'intimée.

[33]            La question qui se posait donc était de savoir si l'intimée, en prenant pour acquis que sa proposition serait retenue, pouvait raisonnablement s'attendre que les montants payables ou payés à même les fonds publics en conformité avec le contrat qui en découlerait demeureraient confidentiels en raison du fait que le processus qui avait mené au contrat était confidentiel.

[34]            Il s'agit d'une des questions auxquelles le juge Strayer a répondu dans Société Gamma (précité) quand il a dit, à la page 64:

[...] N'oublions pas que les propositions sont constituées en vue d'obtenir l'adjudication d'un contrat par le gouvernement qui, lui, effectue le paiement sur les deniers publics. Il existe peut-être de bonnes raisons de considérer les propositions ou les soumissions comme confidentielles tant que le contrat n'aura pas été adjugé, mais du moment que le contrat est adjugé ou refusé, il ne semble y avoir aucune nécessité, sauf dans des cas particuliers, de les garder secrètes. En d'autres termes, l'entrepreneur éventuel qui cherche à se faire adjuger un contrat par le gouvernement ne doit pas s'attendre que les conditions selon lesquelles il est prêt à contracter « entre autres celles touchant la capacité de rendement de son entreprise » , échappent totalement à l'obligation de divulgation incombant au gouvernement du Canada par suite de son devoir de rendre compte aux électeurs.[...]


[35]            Dans cette affaire, le juge Strayer devait trancher une demande de dossiers concernant deux propositions qui avaient été présentées en réponse à un appel d'offres en rapport avec des services de traduction précis. Le processus n'était pas sensiblement différent du processus dans la présente affaire. L'une de deux propositions avait été retenue.

[36]            Le juge Strayer a décidé que les dossiers relatifs aux deux propositions n'étaient plus confidentiels. Il a ordonné la divulgation de renseignements notamment sur le « prix unitaire » payable relativement aux services fournis en conformité avec le contrat qui avait été conclu par suite de l'acceptation de la proposition. Société Gamma avait soutenu que la divulgation de ces renseignements allait [traduction] « instruire nos concurrents à nos frais et [...] nuire à notre compétitivité » (page 62).

[37]            Je ne m'intéresse pas ici aux renseignements qui sous-tendent une proposition ou une offre qui n'est pas retenue et je n'exprime aucune opinion à leur sujet. Toutefois, je suis d'avis, comme le juge Strayer, que l'entrepreneur potentiel qui tente d'obtenir un contrat du gouvernement en participant à un processus de soumission confidentiel ne peut s'attendre à ce que les conditions financières demeurent confidentielles si sa proposition est retenue.


[38]            Les deux éléments de preuve sur lesquels le juge de la Cour fédérale s'est fondé ne sauraient faire oublier ce résultat. Certes, la preuve révèle que les conditions financières liées aux soumissions ont peut-être jusqu'à maintenant été gardées confidentielles, même après l'octroi du contrat, mais cela ne constitue qu'un aspect du critère. (Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2003] A.C.F. no 348, paragraphe 16 (1re inst.) (la juge Layden-Stevenson)). Il faut également décider si une telle pratique, si elle a existé, est conforme à la Loi (Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] A.C.F. no 7, paragraphe 13 (1re inst.)). La confidentialité d'un renseignement n'est justifiée en vertu de la Loi que si elle favorise un rapport de confidentialité, dans l'intérêt public (Air Atonabee, (précité)).

[39]            Le juge de la Cour fédérale a décidé qu'il en était ainsi. Il a conclu que le critère de l' « intérêt public » justifiait la protection des documents en cause contre leur divulgation (Motifs du jugement, paragraphe 21). En se fondant sur le courriel de M. Pincock, il a décidé qu'il était nécessaire de favoriser la confidentialité des montants payés ou payables en vertu du bail pour garantir l'intégrité du processus d'appel d'offres dans le cadre de la « proposition de bail et d'option d'achat complexe » de l'affaire.


[40]            En tirant cette conclusion, le juge de la Cour fédérale a peut-être perdu de vue le fait que TPSGC, l'institution publique qui est la première concernée en matière d'intégrité du processus d'appel d'offres, avait une opinion différente. La décision de diffuser les cinq documents avait été prise par la coordonnatrice de l'accès au nom du responsable de TPSGC. Il est clair qu'elle ne partageait pas le point de vue de M. Pincock selon lequel la diffusion de ces renseignements à cette étape du processus nuirait à ce dernier. Dans ces circonstances, le juge de la Cour fédérale ne pouvait pas fonder son appréciation de l'intérêt public sur l'opinion exprimée par M. Pincock dans son courriel.

[41]            En outre, même si l'opinion de M. Pincock était celle de TPSGC, le juge de la Cour fédérale ne disposait d'aucune preuve à l'appui de sa position, ni d'ailleurs d'aucun motif permettant de qualifier de secrets les renseignements en cause, après l'acceptation de la proposition de l'intimée. Tel que mentionné dans Société Gamma, il y a de bonnes raisons de préserver le caractère confidentiel des renseignements pendant le processus d'appel d'offres, mais des considérations différentes entrent en jeu une fois le contrat accordé et les fonds publics engagés. En l'absence de circonstances particulières (notamment de sécurité nationale), je ne vois pas comment l'intérêt public pourrait bénéficier de la confidentialité des montants payés ou payables par le gouvernement conformément à des obligations contractuelles avec des tiers.

[42]            L'intimée savait que TPSGC agissait au nom du gouvernement et que des deniers publics allaient être versés si sa proposition était retenue. Le droit du public de savoir comment le gouvernement dépense les fonds publics comme moyen de le tenir responsable de ses dépenses est un principe fondamental bien connu en matière de responsabilité gouvernementale. Sans faire de commentaire à l'égard des autres renseignements qui faisaient partie de sa proposition, l'intimée ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les montants payés ou payables en vertu du contrat qui fut obtenu demeurent confidentiels.

[43]            À mon humble avis, le juge de la Cour fédérale ne pouvait conclure que les documents en cause étaient des renseignements confidentiels au sens de l'alinéa 20(1)b) compte tenu de la preuve dont il était saisi.

[44]            J'accueillerais l'appel avec dépens tant en première instance qu'en appel, j'annulerais la décision du juge de la Cour fédérale et j'ordonnerais la communication des pages 147, 148, 149, 150 et 151 de la pièce I à l'appui de l'affidavit confidentiel de Lucille Delbos souscrit le 5 octobre 2001. L'ordonnance de divulgation entrerait en vigueur 60 jours à compter de la date de la présente ordonnance, ou si autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême est demandée pendant cette période, le jour de la décision relative à la demande d'autorisation.

                                                                                      « Marc Noël »                

                                                                                                     Juge                       

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   A-225-03

INTITULÉ :                                  LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DU CANADA

c.

HI-RISE GROUP INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 9 FÉVRIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :       LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                    LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                 LE 12 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Valerie Anderson                             POUR L'APPELANT

Leonard Ricchetti                            POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                            POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

McMillan Binch                               POUR L'INTIMÉE

Toronto (Ontario)


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