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Date: 19981029


Dossier: A-316-94

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

ENTRE:

     CAISSE POPULAIRE DE DAVELUYVILLE

     (ARO (1984) INC.),

     Appelante

ET:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Intimée

     Audience tenue à Montréal (Québec), les mardi et jeudi, 27 et 29 octobre 1998

     Jugement prononcé à l'audience à Montréal (Québec), le jeudi, 29 octobre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU


Date: 19981029


Dossier: A-316-94

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

ENTRE:

     CAISSE POPULAIRE DE DAVELUYVILLE

     (ARO (1984) INC.),

     Appelante,

ET:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec),

     le jeudi, 29 octobre 1998)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      Nous sommes d'avis que cet appel de la décision du juge Dubé de la Division de première instance doit être rejeté avec dépens pour les motifs suivants.

[2]      Le juge de première instance n'a commis aucune erreur lorsqu'il a conclu que l'appelante était assujettie, en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (Loi), au paiement de la taxe de vente sur les biens de la Compagnie Aro (1984) Inc. (Aro) qui furent vendus entre le 4 et le 30 septembre 1987 et sur lesquels l'appelante possédait différentes garanties dont un acte de fiducie, une cession générale de créances et une cession de biens en stock. Ces garanties furent obtenues par l'appelante en contrepartie de la marge de crédit qu'elle avait consentie à la Compagnie Aro.

[3]      Le paragraphe 27(1) de la Loi impose une taxe de consommation et de vente sur toutes marchandises produites ou fabriquées au Canada et met sur le fabricant ou le producteur l'obligation de la prélever, de la percevoir et de la payer. L'alinéa 2(1)(a) de la Loi, à des fins de perception et de paiement de cette taxe, assimile à ce "fabricant" ou "producteur" un cessionnaire et quiconque continue les affaires d'un fabricant ou d'un producteur ou dispose de ses valeurs actives en qualité de fiduciaire. En outre, le paragraphe 27(3) de la Loi assujettit au paiement de la taxe la personne qui acquiert d'un fabricant, d'un producteur ou d'un cessionnaire le droit de vendre et vend ces marchandises. Dans leur intégralité, ces deux derniers articles se lisent:

     2(1)(a)      le cessionnaire         
     "fabricant ou producteur" Y sont assimilés:         
         le cessionnaire, le syndic de faillite, le liquidateur, l'exécuteur testamentaire ou le curateur de tout fabricant ou producteur et, d'une manière générale, quiconque continue les affaires d'un fabricant ou producteur ou dispose de ses valeurs actives en qualité fiduciaire, y compris une banque exerçant des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les banques ainsi qu'un fiduciaire pour des porteurs d'obligations;         
     27(3)      Si une personne qui n'est pas le fabricant, producteur, importateur, cessionnaire, ni le marchand en gros muni de licence ou l'intermédiaire ci-dessus mentionnés, acquiert de l'une de ces personnes ou contre elle le droit de vendre des marchandises, que ce soit par suite de l'application de la loi ou en conséquence d'une opération non sujette à l'impôt établi au présent article, la vente de ces marchandises par cette personne est imposable comme si elle était faite par le fabricant, le producteur, l'importateur, le cessionnaire, ou par le marchand en gros muni de licence ou l'intermédiaire, selon le cas, et la personne qui vend ainsi est assujettie au paiement de la taxe.         

[4]      À notre avis, c'est à bon droit que le juge de première instance a conclu que l'appelante avait, dans les faits, continué les affaires du fabricant de meubles Aro de façon à réduire les pertes qu'elle risquait de subir suite au crédit consenti et à la cessation immédiate des opérations de l'appelante. Cette conclusion de fait était amplement supportée par la preuve et justifiait à elle seule le rejet de l'action intentée par l'appelante.

[5]      De fait, alors que la Compagnie Aro était en sérieuses difficultés financières et après que son seul administrateur et actionnaire eut remis les clés de l'entreprise à l'appelante, cette dernière a injecté une somme additionnelle de 50,000$ pour permettre à l'entreprise de compléter la fabrication des biens meubles en chantier. Comme le juge l'a si bien établi à partir de la preuve, c'est l'appelante qui pouvait bénéficier de la continuation de la production et non le président d'Aro qui s'était désintéressé de son entreprise.

[6]      Au surplus, nous partageons les conclusions auxquelles le juge de première instance en est venu sur l'effet de l'acte de cession de biens en stock.

[7]      Les modifications apportées en 1982 à la Loi sur les connaissements (L.R.Q. 1977, c. C-53) pour la transformer en une Loi sur les connaissements, les reçus et les cessions de biens en stock (L.Q. 1982, c. 55) (Loi sur les cessions de biens en stock) avaient pour but d'améliorer et d'augmenter la compétitivité des institutions de crédit québécoises au niveau du financement à court terme des entreprises en leur accordant une protection identique à celle conférée aux banques à charte fédérale par les articles 178 et suivants de la Loi sur les banques (S.C. 1980-81, 82-83, c. 40).

[8]      Avec l'entrée en vigueur de ces modifications, un entrepreneur qui jadis devait, lors d'un emprunt, donner des garanties personnelles ou hypothécaires ou procéder par nantissement commercial ou acte de fiducie avec les limites inhérentes à ces sûretés et les coûts s'y rattachant pouvait dorénavant emprunter sur ses biens en inventaire et le cessionnaire acquérait alors un droit de propriété sui generis sur les biens ainsi cédés à compter de l'acte de cession. Le cessionnaire ne peut toutefois disposer des biens que si le cédant est en défaut. La définition de "bien en stock" couvre tout bien meuble, y compris un bien en cours de transformation (article 11 de la Loi sur les cessions de biens en stock) et la cession elle-même peut s'étendre à des biens futurs (article 13 de la Loi sur les cessions de biens en stock). Dans ce dernier cas, la cession n'a d'effet à l'égard de ces biens qu'à compter du moment où le cédant devient propriétaire desdits biens cédés.

[9]      L'intention du législateur d'effectuer un transfert du droit de propriété sui generis du cédant au cessionnaire apparaît clairement dans les explications données à l'Assemblée nationale lors du débat en 2ième lecture par le ministre de la Justice qui parrainait le projet de loi (Journal des Débats, Commission permanente de la Justice, 12 décembre 1982):

     p. B-11232:      Cet article institue au premier alinéa la cession de biens en stock c'est-à-dire les biens en réserve de l'entreprise ou ce que l'on appelle communément les biens en inventaire. Cette cession opère en faveur du créancier prêteur un transfert des droits de propriété sur les biens de l'entrepreneur, afin d'assurer le remboursement d'un emprunt ou d'une ouverture de crédit. Cette cession n'implique pas la dépossession du stock d'entre les mains de l'entrepreneur, ce qui lui permet de poursuivre normalement les activités de son entreprise, ce qui n'était pas le cas auparavant.         
     p. B-11241:      Le Code civil, dans sa teneur actuelle, contient des privilèges qui n'opèrent pas le transfert de propriété. Alors, comme ce qui était demandé par les institutions de crédit québécoises était des dispositions analogues finalement ou du moins qui donnaient les mêmes garanties que les banques obtiennent en vertu de leur loi fédérale, c'est la raison pour laquelle nous avons mis des dispositions qui opéraient le transfert de propriété dans ce sens-là.         

[10]      Il faut dire que ce concept emprunté à la common law était à l'époque étranger au droit civil québécois et à sa notion traditionnelle de garantie sans transfert de propriété. On peut d'ailleurs voir dans l'arrêt Multi-Stores Faber Ltée c. Yvon Nadeau Décor Inc. et Centura Québec Limitée, [1986] R.J.Q. 2334 (C.P.) une réticence à donner plein effet aux articles 1, 11 et 12 de la Loi sur les cessions de biens en stock. Dans cette affaire, la Cour provinciale refusa erronément d'y voir une importation du principe d'un transfert de propriété tel qu'il existait en vertu de la Loi sur les banques. Elle conclut que la Loi sur les cessions de biens en stock ne créait qu'une nouvelle garantie et qu'il ne pouvait en être autrement en droit civil (p. 2339).

[11]      L'effet juridique d'un acte de cession des biens en stock conclu en vertu de la loi québécoise est de faire du prêteur un cessionnaire des biens à compter de la signature de l'acte de cession. L'enregistrement de l'acte de cession au registre prévu à cet effet par l'article 45 vise à rendre opposables aux tiers le statut de cessionnaire acquis par le prêteur et, par conséquent, le droit de propriété sui generis qui lui a été conféré sur lesdits biens. La Cour d'appel du Québec a d'ailleurs reconnu dans un arrêt récent (Compagnie Montréal Trust c. Bérard, [1997] R.J.Q. 332) le droit de propriété du cessionnaire sur les biens cédés.

[12]      Toutefois, l'appelante soumet en se fondant sur la décision de cette Cour dans The Queen v. Canadian Imperial Bank of Commerce, 86 D.T.C. 6390 qu'elle ne peut être considérée, aux fins de l'alinéa 2(1)(a) de la Loi, comme un fabricant ou un producteur que lorsqu'elle exerce les droits qui lui sont conférés par l'acte de cession. Elle ajoute qu'elle a, en l'espèce, renoncé à se prévaloir de cette garantie et des droits qu'elle lui confère.

[13]      Tout d'abord, l'emploi du mot "garantie" pour décrire la nature de la sûreté conférée en vertu de la Loi sur les banques ou celle d'une cession de biens et les droits qui s'y rattachent porte à confusion car le cessionnaire, tel que déjà mentionné, acquiert un droit de propriété. D'ailleurs, dans l'arrêt Banque de Montréal c. Hall, [1990] R.C.S. 121, aux pp. 133-134, le juge La Forest réitère au sujet de la nature de la sûreté conférée au prêteur en vertu de l'article 178 de la Loi sur les banques que l'effet de cette dernière est de conférer un droit de propriété sur le bien en question.

[14]      Ceci dit, étant donné la similitude des droits et pouvoirs conférés par la Loi sur les cessions de biens en stock, nous sommes prêts à admettre que la décision de notre Cour dans l'affaire de la Banque canadienne impériale de commerce s'applique aux faits de la présente affaire même si l'alinéa 2(1)(a) de la Loi réfère à l'exercice de pouvoirs conférés en vertu de la Loi sur les banques.

[15]      À notre avis, l'exercice des droits et des pouvoirs conférés à un cessionnaire en vertu d'une cession de biens en stock ne se concrétise pas seulement dans les cas où il y a une prise de possession des biens par le cessionnaire. Il peut, en cas de saisie des biens en stock par un autre créancier, prendre la forme d'une opposition afin de conserver faite par le cessionnaire (voir Multi-Stores Faber Ltée c. Yvon Nadeau Décor Inc. et al., supra). En outre, il n'est pas nécessaire que le cessionnaire prenne lui-même possession des biens cédés en garantie (Leblanc et autres c. Caisse Populaire Laurier, [1988] R.J.Q. 1725 (C.P.). Les actes de son mandataire sont suffisants. Or, l'article 16 de la Loi sur les cessions de biens en stock stipule que le cédant est le mandataire de l'appelante aux fins de l'exploitation de l'entreprise:

     Art. 16      Aux fins de l'exploitation de l'entreprise, le cédant exerce sur les biens cédés les pouvoirs d'un mandataire du cessionnaire. Toute dépense engagée pour l'exploitation de l'entreprise demeure à la charge du cédant.         

[16]      Au surplus, tout comme le juge de première instance, nous sommes d'avis que, dans le cas présent, l'appelante a, de fait, exercé le contrôle sur les biens en possession de son mandataire et que la vente desdits biens a eu lieu dans le seul intérêt de l'appelante en réduction de la marge de crédit qu'elle avait consentie au cédant. C'est d'ailleurs, comme nous l'avons déjà mentionné, la raison pour laquelle l'appelante, alors que les difficultés financières du cédant étaient sérieuses et que l'entreprise allait fermer ses portes, avait consenti un crédit additionnel afin de profiter de la vente des biens qui seraient ainsi produits.

[17]      En outre, la preuve a révélé qu'une fois ces sommes investies et une fois l'appelante mise en possession des clés de l'entreprise, celle-ci a exercé un contrôle continu des dépenses de fonctionnement de l'entreprise conduisant au parachèvement des travaux. Cette opération de contrôle a fait partie d'un continuum qui a débuté par un geste de l'appelante qui a permis la continuation des opérations de fabrication et de production et s'est soldé par l'encaissement des produits de la vente des biens fabriqués, y compris les taxes dues au gouvernement par le fabricant ou producteur. L'ensemble des actions prises par l'appelante témoigne d'un exercice des droits et des pouvoirs qui lui étaient conférés par l'acte de cession des biens en stock. La remise à l'appelante des produits de la vente par le contrôleur de la Compagnie Aro qui agissait comme mandataire de l'appelante était conforme à l'article 3 de l'acte de cession qui prévoyait que les produits de la vente appartenaient en pleine propriété à l'appelante en cas de défaut du cédant de rencontrer ses obligations à l'égard du cessionnaire. Comme le juge de première instance le souligne, la vente des biens ne pouvait se faire en vertu de l'article 5 de l'acte de cession sans le consentement de l'appelante.

[18]      Étant donné la conclusion à laquelle nous en sommes venus quant à l'application de l'alinéa 2(1)(a) et par conséquent du paragraphe 27(1) de la Loi, nous sommes d'avis que le paragraphe 27(3) ne s'applique pas en l'espèce car la vente fut faite par le cessionnaire que l'alinéa 2(1)(a) assimile au fabricant ou au producteur.


[19]      Malgré les efforts louables de la procureure de l'appelante qui a clairement exposé ses prétentions, l'appel sera rejeté avec dépens.

     Gilles Létourneau

     j.c.a.

[20]     

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     DIVISION D'APPEL


Date: 19981029


Dossier: A-316-94

Entre :

     CAISSE POPULAIRE DAVELUYVILLE

     (ARO (1984) INC.)

     Appelante

     ET

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Intimée

    

     MOTIFS DU JUGEMENT

    

[21]          COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-316-94

INTITULÉ DE LA CAUSE:          CAISSE POPULAIRE DAVELUYVILLE

                         (ARO (1984) INC.)

     Appelante

                         ET

                         SA MAJESTÉ LA REINE

     Intimée

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDITION:              le 27 octobre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES DÉCARY, LÉTOURNEAU ET LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER)

LUS À L'AUDIENCE PAR:          l'Honorable juge Létourneau

     En date du:                  29 octobre 1998

COMPARUTIONS:                     

         Me Manon Thivierge      pour l'appelante

         Me Francis Archambault

         Me Marie Bélanger et      pour l'intimée

         M. Yannick Houle (stagìaire)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

         HEENAN BLAIKIE

         Montréal, Québec          pour l'appelante

         Morris Rosenberg

         Sous-procureur général

         du Canada              pour l'intimée

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