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Date: 20000531


Dossier: A-146-96

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

     LE MINISTRE FÉDÉRAL DES TRAVAUX

     PUBLICS DU CANADA

     Appelants


     - et -




     HERVÉ POMERLEAU INC.

     Intimée



     Audience tenue à Montréal (Québec) le mardi 16 mai 2000.


     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le mercredi 31 mai 2000.




MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE DÉCARY

MOTIFS CONCORDANTS PAR:      LE JUGE NOËL

MOTIFS DISSIDENTS PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU





Date: 20000531


Dossier: A-146-96

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

     LE MINISTRE FÉDÉRAL DES TRAVAUX

     PUBLICS DU CANADA

     Appelants


     - et -




     HERVÉ POMERLEAU INC.

     Intimée




     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]      Dans cet appel porté par Sa Majesté la Reine ("Sa Majesté") à l"encontre d"une décision rendue par monsieur le juge Denault et publiée à (1996), 108 F.T.R. 273, la Cour doit interpréter une clause de rajustement de taxe contenue dans des contrats conclus entre Sa Majesté et la soumissionnaire intimée.

[2]      Le contexte de cette affaire est on ne peut plus particulier.

[3]      La hausse de taxe en question avait été annoncée par le ministre des Finances avant le dépôt des soumissions; elle ne devait entrer en vigueur qu"après le dépôt desdites soumissions et n"était pas rétroactive à la date du dépôt des soumissions; la loi autorisant cette hausse de taxe n"était pas adoptée par le Parlement au moment du dépôt des soumissions; et le destin politique a voulu que le Parlement soit dissous quelques jours avant le dépôt des soumissions et qu"un nouveau gouvernement soit élu avant même la date prévue pour l"entrée en vigueur de la hausse de taxe. Bref, un casse-tête à la fois contractuel, législatif et politique dont je m"empresse de donner la toile de fond.

[4]      Le 19 avril 1983, le ministre des Finances, l"honorable Marc Lalonde, déposait un "Avis de motions des voies et moyens sur le budget" dans lequel il annonçait, entre autres, qu"à compter du 1er octobre 1984, la taxe fédérale de vente sur les matériaux de construction et l"équipement destinés au bâtiment passerait de 5% à 6%.

[5]      Le 9 juillet 1984, avant même que le Parlement ait adopté un projet de loi donnant effet à cet Avis, le Parlement était dissous et une élection générale était convoquée pour le 4 septembre 1984.

[6]      Le 11 juillet 1984, puis les 8 août, 22 août, 5 septembre, 12 septembre et 19 septembre 1984, l"entrepreneur intimé répondait à des appels d"offres relatifs à des projets à Sainte-Flavie et à Donnacona et déposait six soumissions. Dans chacune de ces soumissions l"entrepreneur avait calculé son prix en se fondant sur le taux de taxe de 5% qui était en vigueur au moment du dépôt de chacune desdites soumissions.

[7]      La formule de soumission complétée par l"entrepreneur contenait la clause type suivante:

     [...] lequel montant est global sous réserve de toute addition ou déduction prévue aux documents de contrat, sauf s"il y a changement à toute taxe imposée en vertu de la Loi de l"Accise, de la Loi sur la taxe d"Accise, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi des Douanes ou du tarif des douanes, et que ledit changement est rendu public après:
         (1)      la date où la présente soumission a été mise à la poste ou a été livrée par d"autre moyens, OU
         (2)      si la présente soumission est révisée, la date de la dernière révision,
     le montant de cette offre sera augmenté ou réduit de la manière énoncée dans CG22.

     [D.A., vol. 1 à la p. 26]            



[8]      La condition générale CG22 auquel renvoie la clause susdite se lisait comme suit:

     CG22      Augmentation ou diminution des coûts
     22.1      Le montant établi dans les Articles de convention doit être ni augmenté, ni diminué en raison d"une augmentation ou d"une diminution du coût des travaux résultant d"une augmentation ou d"une diminution du coût du travail, de l"outillage, des matériaux ou des échelles de salaire énoncées ou prescrites dans les Conditions de travail.
     22.2      Nonobstant le paragraphe CG22.1 et l"article CG35, le montant énoncé dans les Articles de convention doit faire l"objet d"un redressement de la manière prévue au paragraphe CG22.3, en cas de modification à une taxe imposée en vertu de la Loi sur l"accise, de la Loi sur la taxe d"accise, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi sur les douanes, ou du Tarif des douanes.
         22.2.1      survenant après la date à laquelle l"Entrepreneur a présenté une soumission pour le Contrat.
         22.2.2      s"appliquant aux matériaux, et
         22.2.3      influant sur le coût de ces matériaux pour l"Entrepreneur.
     22.3      En cas de changement fiscal suivant le paragraphe CG22.2, tout montant pertinent indiqué dans les Articles de convention sera augmenté ou diminué d"un montant égal au montant qui, sur examen des registres mentionnés à l"article CG51 représente l"augmentation ou la diminution, selon le cas, des coûts directement attribuables à ce changement.
     22.4      Aux fins du paragraphe CG22.2, lorsqu"une taxe fait l"objet d"un changement après la date à laquelle l"Entrepreneur a présenté une soumission mais alors que le ministre des Finances en avait donné avis public avant la date de présentation de la soumission, le changement fiscal est censé être survenu avant la date à laquelle la soumission a été présentée.

     [D.A., vol 2 à la p. 171]           



[9]      Le 9 août 1984, en pleine campagne électorale, le ministre Lalonde émettait le communiqué no 84-126 intitulé "Le gouvernement redéposerait les mesures fiscales", dont il convient de citer quelques extraits pertinents:

     L"honorable Marc Lalonde, ministre des Finances, a annoncé aujourd"hui que le gouvernement, s"il est réélu, redéposerait au cours du nouveau Parlement les mesures fiscales et tarifaires proposées dans les budgets du 19 avril 1983 et du 15 février 1984 qui figuraient au Feuilleton des Communes au moment de la dissolution. Ces mesures prendraient effet aux dates stipulées dans les Avis de motions des voies et moyens de la dernière session.
     [...]
     Dans l"intervalle, et jusqu"à ce que le gouvernement prenne les mesures requises à cet effet, le ministère du Revenu national continuera d"administrer provisoirement, selon la tradition, les mesures budgétaires.
     Le ministre a ajouté qu"il faisait cette annonce dans le but de minimiser la confusion et l"incertitude chez les contribuables.
     [...]

     [D.A., vol. 2 à la p. 196]            



[10]      Le 4 septembre 1984, le gouvernement du premier ministre Turner était défait et le Parti progressiste conservateur, dirigé par M. Brian Mulroney, prenait le pouvoir. Le nouveau gouvernement entrait en fonction le 17 septembre 1984 et M. Michael Wilson devenait alors ministre des Finances.

[11]      Le 27 septembre 1984, le ministre Wilson émettait le communiqué no 84-144 intitulé "La taxe fédérale de vente augmentera comme prévu", dont je retiens les extraits suivants:

     Le ministre des Finances, Michael Wilson, a annoncé aujourd"hui que le gouvernement a décidé qu"il devait procéder à la hausse d"un point de pourcentage de la taxe fédérale de vente déjà prévue pour le 1er octobre 1984.
     La hausse avait été proposée initialement par le gouvernement précédent dans son budget d"avril 1983 pour financer le Programme spécial de relance.
     "Le gouvernement précédent a engagé des fonds dans le budget d"avril 1983 qu"il escomptait recouvrer par le biais de la taxe majorée," a déclaré M. Wilson. "Ces fonds sont déjà en grande partie dépensés. Ils nous ont laissé le soin de payer les factures et l"armoire est vide."
     " J"annonce l"instauration de la majoration maintenant pour dissiper toute incertitude qui pourrait régner à cet égard," a ajouté le ministre.
     La législation requise sera déposée dès que possible au cours du nouveau Parlement. Ainsi qu"annoncé initialement, l"augmentation de la taxe s"appliquera pour la période du 1er octobre 1984 au 31 décembre 1988.
     [...]

     [D. A., vol. 2, à la p. 200]            



[12]      Le 9 octobre 1984, le sous-ministre adjoint aux opérations du ministère des Travaux publics publiait la note de service suivante, intitulée "Hausse du taux de la taxe fédérale de vente":

     Nous avons été informés que la hausse de un point de pourcentage (1%) du taux de la taxe fédérale de vente, qui a été annoncée le 27 septembre 1984 par le Ministre des Finances, relève de la Loi sur la taxe d"accise.
     Par conséquent, les marchés de construction en vigueur le 1er octobre 1984, ainsi que les soumissions pour les projets de construction postées ou livrées au bureau des soumissions avant cette annonce, sont admissibles à un rajustement de prix. Ce rajustement doit se faire conformément à la méthode de calcul établie dans la formule "Soumission de construction", dans l"article CG22 des Conditions générales de la formule normalisée du gouvernement pour les marchés de construction et dans l"article 19 des Conditions générales de la formule abrégée de soumission et de marché.
     Vous trouverez ci-joint, à titre d"information, des extraits de la formule "Soumission de construction", des copies des clauses pertinentes des Conditions générales et du Communiqué du 27 septembre 1984 publié par le ministère des Finances.
     Afin d"assurer que les soumissionnaires tiennent compte de cette hausse de la taxe fédérale de vente lors de la préparation de leurs soumissions pour les appels d"offres futurs, veuillez faire en sorte que l"avis suivant soit inclus dans les "Instructions aux soumissionnaires":
         "Le ministère des Finances nous informe qu"à l"ouverture du Parlement, le 5 novembre 1984, une loi sera adoptée en vue d"augmenter le taux de la taxe fédérale de vente, avec effet rétroactif au 1er octobre 1984"
     Cet avis spécial devrait être inséré dans les documents de soumissions pour les appels d"offres des projets de construction lancés avant la date de l"adoption de la loi, prévue pour le début de novembre 1984.

     [D. A., vol. 2 à la p. 201]            

[13]      Le 8 novembre 1984, le ministre Wilson déposait à la Chambre des communes un "Avis de motions des voies et moyens modifiant la Loi sur la taxe d"accise" qui faisait état de l"intention du gouvernement de présenter un projet de loi qui, entre autres, viendrait majorer de 5% à 6% la taxe sur le prix de vente de certaines marchandises, et ce à compter du 1er octobre 1984 (art. 11 et 82 i) de l"Avis de motions. (D. A., vol. 2 aux pp. 206 et 221)

[14]      Le 13 novembre 1984, le sous-ministre adjoint aux opérations du ministère des Travaux publics se ravisait et émettait la note de service que voici:

     [...]
     Ceci fait suite à ma note de service du 9 octobre 1984 concernant la hausse projetée du taux de la taxe fédérale de vente. Nous venons de recevoir du Secrétariat du Conseil du Trésor, une note révisée nous informant que, bien que l"annonce initiale de cette hausse du taux de 1% ait été faite le 19 avril 1983, seuls les marchés de construction en vigueur à cette date ainsi que les marchés provenant des appels d"offres pour les projets de construction qui ont été envoyés par le courrier ou livrés au bureau des soumissions avant cette date et qui sont encore en vigueur le 1er octobre 1984, seront admissibles au rajustement, conformément à la méthode de calcul établie dans la formule pour les marchés de construction. Par conséquent, le rajustement s"applique qu"aux matériaux achetés après le 1er octobre 1984.

     [D. A., vol. 2 à la p. 223]            


[15]      Le 26 février 1985, la sanction royale était donnée à la Loi modifiant la Loi sur la taxe d"accise et la Loi sur l"accise (L.C. 1985, c. 3). Cette Loi, à ses articles 16(2) et 51, donnait suite législative aux intentions énoncées dans l"Avis de motions du 8 novembre 1984 relativement à la majoration du taux de la taxe de vente qui rétroagissait au 1er octobre 1984.

[16]      Le 25 mai 1987, l'entrepreneur Pomerleau réclamait de Sa Majesté une somme de $177,385.58 avec intérêts depuis le 1er octobre 1984. Au début du procès, la déclaration a été modifiée verbalement par le procureur de l"entrepreneur Pomerleau, lequel réclame désormais une somme de "$161,259.62 avec intérêts conformément au modalités de paiement MP 6.2 et MP 6.3". Cette somme, dont le montant n'est pas contesté, représente le coût additionnel total, pour l'entrepreneur, de la hausse de taxe de 1% entrée en vigueur le 1er octobre 1984.

[17]      Au cours du procès, l'entrepreneur a fait témoigner son directeur administratif, M.René Mathieu, que le juge Denault a trouvé "très articulé et crédible". Voici comment le juge Denault a résumé l'essentiel du témoignage de M. Mathieu:

     [7] Selon la preuve, René Mathieu savait, au moment où il a participé à la préparation des soumissions, que la taxe de vente pouvait être augmentée à compter du 1er octobre 1984 mais aussi que la dissolution de la Chambre avait pour effet de mettre fin à tous ses travaux de caractère législatif, qui devaient être repris comme s"ils n"avaient jamais été entrepris. Il avait en effet obtenu au début de l"année 1984 copie du Règlement du Sénat . Comme une première soumission devait être déposée le 11 juillet 1984, deux jours après la dissolution de la Chambre, il a toutefois averti ses estimateurs que la soumission devait être faite en tenant compte d"un taux de taxe de 5%. C"est d"ailleurs, selon lui, de cette façon que tous les sous-entrepreneurs à qui il avait demandé de participer à la soumission, et les fournisseurs de matériaux, avaient préparé leurs prix, en fonction d"une taxe de 5%. Toutes les soumissions, déposées entre le 11 juillet 1984 et le 19 septembre 1984 ont été faites sur la même base. Tel qu"indiqué plus haut, la demanderesse a été la plus basse soumissionnaire (la preuve a révélé que même si les soumissions avaient été faites en tenant compte d"une taxe sur les matériaux de 6%, la demanderesse aurait encore été la plus basse soumissionnaire), les contrats ont été signés et les travaux dûment exécutés.
         [mes soulignements]            

La preuve n"a pas révélé quel taux de taxe les autres soumissionnaires avaient utilisé dans le calcul de leur prix. La preuve établit par ailleurs qu"à compter du 27 septembre 1984, date du communiqué du ministre Wilson, toute nouvelle soumission préparée par l"entrepreneur Pomerleau était calculée sur la base d"une taxe de 6%. (Transcription, à la p. 52)

[18]      Le 18 janvier 1986, le juge Denault accueillait l"action et condamnait Sa Majesté à payer à l"intimée la somme de $161,259.62 avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 1986, date de la mise en demeure.

[19]      Ce dossier n"a pas, après analyse, l"ampleur qu"il semblait avoir à première vue. Le procureur de l"intimée reconnaît sans peine que le juge de première instance a pu, à l"occasion, employer le mot "prorogation" alors qu"il n"est question dans cette affaire que de "dissolution" des Chambres. Le procureur reconnaît aussi qu"il ne plaide pas que l""avis public" auquel renvoie la clause CG22 doive prendre la forme d"un avis de motions des voies et moyens; d"ailleurs, selon son propre argument, c"est le communiqué du Ministre en date du 27 septembre 1984 et non pas l"Avis de motions en date du 8 novembre 1984, qui constitue l""avis public" que vise le contrat. Le procureur rappelle, également, que contrairement au juge de première instance, il n"appuie pas sa proposition sur les articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 . Le procureur souligne enfin qu"il s"agit ici d"un cas où la dissolution des Chambres et le dépôt des soumissions sont survenus avant même que la taxe en litige ne puisse être l"objet d"un prélèvement anticipé " elle ne devait en effet être applicable qu"à compter du 1er octobre 1984 ", de sorte que les précédents administratifs relatifs à des cas de pré-exécution fiscale ne sont aucunement remis en question. Je précise, ici, que par "pré-exécution fiscale", je renvoie à cette politique administrative en vertu de laquelle le ministère du Revenu perçoit une taxe non encore approuvée par le Parlement mais dont on sait, parce que le ministre des Finances l"a déjà annoncé, qu"elle sera rétroactive. Cette perception anticipée est parfois décrite comme un paiement volontaire.

[20]      Le débat porte essentiellement sur l"interprétation qu"il faut donner à l"expression "avis public" qu"on retrouve à la clause CG22. Selon les procureurs de Sa Majesté, cette expression vise tout avis public donné par le ministre des Finances indépendamment de tout contexte parlementaire; cet avis produirait ses effets dès lors qu"il est donné et peu importe qu"il y ait par la suite dissolution du Parlement. Selon le procureur de l"intimée, cette expression vise un avis public donné par le ministre des Finances dans un contexte parlementaire; cet avis cesserait d"être opposable en vertu du contrat dès lors qu"au moment du dépôt des soumissions, il n"y avait plus de Parlement en mesure d"adopter une loi donnant effet à l"intention annoncée d"imposer une taxe. En outre, d"ajouter le procureur de l"intimée, si doute il y avait quant au sens de l"expression "avis public", ce doute devrait jouer en faveur de la partie qui a contracté l"obligation (en l"espèce la soumissionnaire intimée) en vertu de la règle d"interprétation des contrats établie à l"article 1019 du Code civil du Bas-Canada .

[21]      L"interprétation du contrat que suggère l"intimée m"apparaît correcte ou à tout le moins raisonnable dans les circonstances. Les paragraphes .2, .3 et .4 de CG22 visent un "changement fiscal" survenu après le dépôt d"une soumission. Ce "changement fiscal" doit résulter de la "modification à une taxe imposée en vertu de la Loi sur l"accise" et d"autres lois nommément identifiées. L""avis public" que donne le ministre des Finances est l"avis du "changement fiscal", donc nécessairement, d"une modification législative à venir avec effet rétroactif. Cet "avis public" est donné avant le dépôt de la soumission.

[22]      Or nous savons, de la convention qui s"est développée en matière de politique budgétaire et qui permet exceptionnellement à l"État de prélever, sur une base volontaire, une taxe que le Parlement n"a pas encore approuvée, que l"avis public qui permet cette exécution anticipée est un avis formel de l"intention qu"a le gouvernement de déposer une loi à cet effet. C"est d"un avis d"intention législative dont il s"agit et il ne peut, selon moi, en être autrement: la mesure est tellement exceptionnelle dans notre système parlementaire que l"avis public ne saurait être dissocié du processus législatif qui doit éventuellement être complété et sans lequel l"avis ne saurait avoir d"effet.

[23]      Aussi, quand le contrat renvoie à l"avis public d"une modification à une taxe imposée en vertu d"une loi, il renvoie nécessairement à cet avis même auquel la loi en question est venu donner effet. La loi, ici, est celle qui est entrée en vigueur en février 1985, et l"avis, ici, auquel cette loi est venu donner effet, est le communiqué du Ministre en date du 27 septembre 1984.

[24]      Le Parlement qui aurait pu donner effet à l"Avis de motions du 19 avril 1983 ayant été dissous le 9 juillet 1984, cet Avis de motions ne pouvait plus être rattaché à un processus législatif et il ne pouvait plus, dès lors, être l"avis visé par la clause CG22. Je constate d"ailleurs que c"est l"approche retenue par le Ministre lui-même qui a cru nécessaire, avec un nouveau Parlement, de recommencer le processus à zéro et d"y aller d"un communiqué autonome, puis d"un Avis de motions avant de proposer l"adoption de la loi. C"est l"approche, aussi, qu"a retenue dans un premier temps le ministère des Travaux publics.

[25]      Qu"en est-il, cependant, du communiqué émis par le ministre Lalonde, le 9 août 1984, pendant la campagne électorale? Ce communiqué ne saurait avoir d"effet dans les circonstances. Il se dit, et il est conditionnel: le ministre ne pouvait pas, au moment où le sort du gouvernement dont il était membre était incertain, prendre l"engagement de déposer un projet de loi devant un Parlement virtuel. Le ministre pouvait promettre; il ne pouvait s"engager. Or, comme je l"ai déjà dit, l"annonce d"une modification à une taxe imposée par une loi n"est tolérée dans notre système politique que dans un contexte parlementaire. Le communiqué du 9 août 1984 n"a pas d"effet parce qu"il n"y avait pas de Parlement susceptible d"y donner suite.

[26]      J"en arrive ainsi à la même conclusion que celle à laquelle en arrive le juge Denault au paragraphe 25 de ses motifs:

     [...] analysé sous l"angle strictement contractuel, dans la mesure où le changement fiscal n"avait pas été complété lors de la dissolution des Chambres et ce, avant le dépôt de la première soumission, la partie défenderesse ne peut opposer à la demanderesse la présomption contenue à l"article 22.4 des Conditions générales du Contrat.

[27]      Même si doute il y avait quant au sens à donner dans les circonstances à l"expression "avis public", ce doute, ainsi que le dit l"article 1019 du Code civil du Bas-Canada , devrait jouer en faveur de l"entrepreneur soumissionnaire, d"autant plus que les porte-parole du gouvernement ont eux-mêmes fait état de la confusion qui pouvait régner. Le ministre Lalonde a parlé de confusion et d"incertitude. Le ministre Wilson a parlé d"incertitude. Le ministère des Travaux publics a émis deux communiqués contradictoires. Dans un énoncé de politique intitulé "Le processus budgétaire canadien: Propositions d"amélioration" et publié par le ministre Wilson en Mai 1985, le ministre des Finances notait ce qui suit, à la p. 17:

     [...] Une prorogation ou une dissolution du Parlement ajoute aux incertitudes et à la confusion entourant l"adoption éventuelle des mesures fiscales proposées qui sont mises en oeuvre par anticipation.

S"il y avait confusion entourant la mise en oeuvre par anticipation, à plus forte raison y avait t-il confusion s"il n"y avait pas encore, comme en l"espèce, mise en oeuvre par anticipation.

[28]      L'interprétation que j'ai retenue constitue par ailleurs celle qui m'apparaît la plus juste dans les circonstances. L'entrepreneur s'était à l'avance renseigné sur les effets d'une dissolution du Parlement eu égard à un avis de motions du genre de celui déposé par le ministre Lalonde en avril 1993. Il avait alors appris que ce genre d'avis devenait caduc et c'est en toute bonne foi que lui-même et ses sous-traitants ont calculé le prix des soumissions sur la base de la taxe en vigueur au moment du dépôt des soumissions plutôt que sur la base d'une hausse que le déclenchement des élections rendait purement hypothétique. L'entrepreneur a eu raison, à mon avis, de s'inquiéter de l'effet sur ses soumissions de la dissolution du Parlement et il a eu raison de croire que dans les circonstances, le processus législatif qui, seul, pouvait entraîner une hausse de taxe rétroactive, devait repartir à zéro avec le Parlement nouvellement élu. C'est précisément ce qui devait se passer et c'est précisément ce que le ministre Wilson a fait.

[29]      Si le ministre des Travaux publics avait voulu dissiper dans le sens qu"il plaide aujourd"hui le doute et la confusion que les ministres Lalonde et Wilson avaient notés dans leurs communiqués respectifs et que son ministère lui-même avait reconnus en publiant à cet égard deux notes de service contradictoires, il lui eût été facile d'informer les entrepreneurs à l'avance de la pratique

qu'ils devaient suivre. Le procureur de l'intimée a mis en preuve la pratique suivie par le ministère des Travaux publics, en 1989, lors de l'annonce, dans le budget du 27 avril 1989, de la hausse à venir en janvier 1990 de la taxe de vente et de l'introduction en janvier 1991 de la nouvelle taxe sur les produits et services. Le ministère avait à ce moment modifié la formule de soumission dite "de construction - grands travaux" en insérant, après la clause principale que j'ai reproduite au paragraphe 7, une note informant les entrepreneurs de la démarche à suivre, laquelle variait selon qu'il s'agissait de la taxe de vente ou de la taxe sur les produits et services. (D.A., vol. 2 aux pp. 260 et 261) Les entrepreneurs savaient ainsi à quoi s'en tenir. En l'espèce, l'entrepreneur Pomerleau n'a pas eu cette chance.

[30]      Je rejetterais l'appel avec dépens.


     "Robert Décary"

     j.c.a.



Date : 20000531


Dossier : A-146-96

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

     LE MINISTRE FÉDÉRAL DES TRAVAUX

     PUBLICS DU CANADA

     Appelants


     - et -




     HERVÉ POMERLEAU INC.

     Intimée




     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]      J"ai eu l"avantage de lire l"opinion du juge Décary ainsi que celle du juge Létourneau. Comme le juge Décary et le juge Denault avant lui, je suis d"avis que l"article 22.4 de la clause CG22 est ambigu quant au sens à donner aux mots " avis public ". Selon moi, puisque l" " avis public " prévu à l"article 22.4 porte sur la modification d"une taxe imposée par voie législative, il est loin d"être clair que le processus législatif puisse échapper au sens à donner à ces mots comme le suggère le juge Létourneau.

[2]      En effet, lorsque l"article 22.4 est lu dans le contexte de la clause où il se situe, la thèse selon laquelle les parties se sont entendues à l"égard d"un avis relié au processus législatif et qui devait subir le sort de la loi qu"il annonçait, se défend tout aussi bien que la thèse contraire. Il s"ensuit que le premier avis serait devenu caduc lors de la dissolution de la Chambre, et que le deuxième serait sans effet puisqu"émis après la dissolution de la Chambre et avant la formation d"un nouveau gouvernement.

[3]      Puisque nous sommes en matière contractuelle, que la clause entachée d"ambiguïté fut stipulée par le ministère des Travaux publics et que cette ambiguïté donne ouverture à l"interprétation retenue par l"intimée, c"est à bon droit, selon moi, que le juge Denault a retenu l"interprétation qui favorisait l"intimée.1

[4]      Comme le juge Décary, je rejetterais l"appel avec dépens.




Marc Noël

j.c.a.





Date : 20000531


Dossier : A-146-96


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

        

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

     LE MINISTRE FÉDÉRAL DES TRAVAUX

     PUBLICS DU CANADA

     Appelants

ET :

     HERVÉ POMERLEAU INC.

     Intimée



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      J"ai eu le bénéfice de lire l"opinion de mon collègue, le juge Décary, mais malheureusement je ne peux y souscrire. Je m"en remets pour les données factuelles à l"exposé clair et concis qu"il en a fait, sauf au besoin à évoquer et parfaire certains faits nécessaires à la compréhension de mon raisonnement.

[2]      Fondamentalement, la position de l"intimée telle qu"exprimée dans son mémoire repose sur la théorie du contre-avis: la dissolution du Parlement équivaut à un contre-avis à l"avis public donné par le ministre des Finances le 19 avril 1983, avis public par lequel le ministre annonçait une augmentation de 1% de la taxe fédérale de vente. Celle retenue par mon collègue, comme je la comprends, repose sur la théorie d"absence d"avis public valable. Au plan conceptuel, les deux théories se rapprochent considérablement, sans pour autant être identiques. En fait, l"intimée soutient qu"il n"y a pas eu d"avis public valable parce que celui-ci a été subséquemment annulé alors que mon collègue retient également qu"il n"y a pas eu d"avis public valable parce que cet avis public ne pouvait être dissocié du processus législatif et que ce dernier était suspendu par la dissolution du Parlement. Au plan pratique, les deux théories se confondent car elles débouchent sur un résultat identique. Comme l"approche de l"intimée et celle de mon collègue ont pour fondement commun l"absence d"avis public valable, je me propose d"analyser les deux positions ensemble car, et je le dis avec beaucoup d"égards, je crois qu"elles découlent des mêmes méprises, soit quant à la nature même de l"avis prévu au contrat, à la finalité recherchée par cet avis et au principe d"interprétation applicable dans les circonstances.

Théorie du contre-avis et théorie de l"absence d"avis public valable

[3]      Il ne s"agit pas en l"espèce d"analyser et de déplorer l"étendue de la confusion qui entoure le processus législatif au moment de la dissolution ou de la prorogation du Parlement, mais plutôt d"interpréter une disposition spécifique du contrat régissant les parties, soit plus précisément le concept "d"avis public" que l"on retrouve dans l"article 22.4 de la clause CG22 relative à l"augmentation ou à la diminution des coûts d"exécution de ce contrat. Pour le bénéfice du lecteur, je reproduis la clause CG22 dans son entier:

     CG22      Augmentation ou diminution des coûts
     22.1      Le montant établi dans les Articles de convention doit être ni augmenté, ni diminué en raison d"une augmentation ou d"une diminution du coût des travaux résultant d"une augmentation ou d"une diminution du coût du travail, de l"outillage, des matériaux ou des échelles de salaire énoncées ou prescrites dans les Conditions de travail.
     22.2      Nonobstant le paragraphe CG22.1 et l"article CG35, le montant énoncé dans les Articles de convention doit faire l"objet d"un redressement de la manière prévue au paragraphe CG22.3, en cas de modification à une taxe imposée en vertu de la Loi sur l"accise, de la Loi sur la taxe d"accise, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi sur les douanes, ou du Tarif des douanes.
         22.2.1      survenant après la date à laquelle l"Entrepreneur a présenté une soumission pour le Contrat.
         22.2.2      s"appliquant aux matériaux, et
         22.2.3      influant sur le coût de ces matériaux pour l"Entrepreneur.
     22.3      En cas de changement fiscal suivant le paragraphe CG22.2, tout montant pertinent indiqué dans les Articles de convention sera augmenté ou diminué d"un montant égal au montant qui, sur examen des registres mentionnés à l"article CG51 représente l"augmentation ou la diminution, selon le cas, des coûts directement attribuables à ce changement.
     22.4      Aux fins du paragraphe CG22.2, lorsqu"une taxe fait l"objet d"un changement après la date à laquelle l"Entrepreneur a présenté une soumission mais alors que le ministre des Finances en avait donné avis public avant la date de présentation de la soumission, le changement fiscal est censé être survenu avant la date à laquelle la soumission a été présentée.

     [D.A., vol. 2 à la p. 171]


[4]      À mon avis, le sens à donner au terme "avis public" est tributaire de la finalité recherchée par la clause CG22. De toute évidence, les dispositions contenues dans la clause CG22 visent à mettre le contrat à l"abri de toute fluctuation des coûts, à l"exception de celle relative aux matériaux lorsqu"elle résulte d"une augmentation ou d"une diminution de la taxe applicable à ces matériaux, soit en l"espèce la taxe fédérale de vente. Dans ce cas, les clauses 22.2, 22.3 et 22.4 visent à protéger équitablement les deux parties au contrat en tenant compte d"une modification possible du taux de taxe ainsi que du fait qu"un soumissionnaire a été ou non avisé en temps utile d"une telle possibilité afin qu"il puisse se prémunir contre les conséquences financières qui peuvent en résulter.

[5]      Si l"on garde à l"esprit la finalité évidente recherchée par les parties par le biais de l"article 22.4, il me faut convenir que cette disposition contractuelle est claire et sans ambiguïté. Il devient évident que le mot "avis" qui s"y retrouve doit recevoir son sens commun, usuel et courant, soit selon le dictionnaire anglais Merriam-Webster Collegiate Dictionary, 2000 , celui de "warning or intimation of something" ou "notification by one of the parties to an agreement". Le dictionnaire Le Petit Robert définit l"avis comme étant "ce que l"on porte à la connaissance de quelqu"un". Le Dictionnaire de droit québécois et Canadien va dans le même sens: il le définit comme étant la "démarche par laquelle on porte quelque chose à la connaissance de quelqu"un": (Hubert Reid, 2e éd., Wilson et Lafleur Ltée, Montréal, 1996, p. 53). C"est précisément ce que les appelants ont fait en l"instance: ils ont porté à la connaissance de l"intimée le fait qu"il y aurait éventuellement une hausse de la taxe de vente fédérale.

[6]      Il ne fait aucun doute que l"avis public donné par le ministre des Finances le 19 avril 1983 rencontre les exigences de l"article 22.4 et enclenche purement et simplement son processus d"application conformément à l"intention clairement exprimée des parties. Comme le disent si bien les auteurs Baudoin et Jobin dans leur ouvrage sur Les Obligations (5e éd., Yvon Blais, Cowansville, 1998 , p. 344):

     Face à un contrat clair, le rôle du juge en est un d"application plutôt que d"interprétation. La différence entre application et interprétation n"est pas sémantique: le processus d"application vise l"adéquation d"une norme juridique définie à une situation factuelle donnée, alors que l"interprétation vise à définir la portée de la norme juridique avant de pouvoir l"appliquer.

     (le souligné est mien)

[7]      Admettre en l"espèce que l"avis public du 19 avril 1983 n"est pas valable aux fins du contrat, c"est, premièrement, importer sans raison valable, dans les termes mêmes de la disposition contractuelle pourtant claire, une ambiguïté externe et étrangère au contrat, soit celle qui entoure le processus législatif, pour, par la suite, conclure que la disposition contractuelle elle-même est ambigüe, qu"elle requiert interprétation et que l"ambiguïté doit s"interpréter contre celui qui a rédigé le contrat. Il est évident que ministres et députés ainsi que les parties au présent contrat ont tour à tour, à des périodes différentes, eu des opinions différentes sur l"effet que la dissolution du Parlement pouvait avoir sur le processus législatif, la législation déposée et annoncée ainsi que sur la validité des mesures de pré-exécution fiscale. Mais cela n"a pas pour effet d"obscurcir la clarté d"une disposition contractuelle exigeant simplement qu"un avis soit donné d"une hausse possible de taxe.

[8]      Même en admettant que les parties ont pu avoir et ont eu des divergences de vues quant à l"interprétation à donner aux mots "avis public" de la clause 22.4 par suite de l"ambiguïté du processus législatif, cette divergence de vues ne conduit pas inexorablement à la conclusion que la disposition est ambigüe. "Le fait que des parties entretiennent une divergence d"ordre interprétatif n"entraîne pas de façon automatique qu"une ambiguïté existe réellement": Baudoin et Jobin, supra, p. 345. C"est à mon sens encore plus vrai lorsque l"ambiguïté est externe au contrat lui-même et n"affecte pas son application ou celle de la disposition pertinente. En d"autres termes, l"intimée ne pouvait se servir d"éléments externes au contrat pour y créer une ambiguïté qui le sert et lui permet d"invoquer à son profit la règle de l"article 1019 du Code civil du Bas-Canada selon laquelle l"ambiguïté doit s"interpréter en sa faveur.

[9]      Admettre que l"avis public du 19 avril 1983 n"est pas valable, c"est aussi confondre le concept d"avis public prévu à la clause 22.4 du contrat et celui d"Avis de motions des voies et moyens sur le budget par lequel l"avis public du contrat fut exécuté. S"il est vrai que l"Avis de motions des voies et moyens, nécessaire à la mise en branle du processus législatif, a cessé d"avoir effet à l"intérieur dudit processus par la dissolution du Parlement, on ne peut en dire la même chose en ce qui a trait au contrat entre les parties car la condition de l"article 22.4, soit que l"intimée soit informée avant la fermeture des soumissions d"ajuster celles-ci en fonction d"une éventuelle hausse de taxe, a été dûment réalisée et pleinement satisfaite, de sorte que le changement de taxe qui a effectivement eu le 1er octobre 1984 tel qu"annoncé à l"intimée le 19 avril 1983 est réputé être intervenu avant que les soumissions de cette dernière ne soient déposées. En d"autres termes, le but de l"avis public prévu à l"article 22.4 était atteint et sa fonction exercée et épuisée avant même que le Parlement ne soit dissous et que ne naisse l"ambiguïté du processus législatif afférente ou conséquente à cette dissolution.

[10]      Les péripéties du processus électoral et législatif, si intéressantes et si intriguantes qu"elles ont pu être, ne sauraient changer la réalité factuelle et juridique des choses ou, si l"on préfère, masquer la véritable perspective du déroulement des événements. L"intimée a reçu en temps opportun un avis l"informant d"une hausse possible de taxe et l"avisant de se protéger contre une telle hausse en l"insérant immédiatement dans sa soumission. De toute évidence, pour mieux se positionner à l"égard des autres soumissionnaires, elle a préféré maintenir une soumission plus basse en spéculant sur le fait que la taxe ne serait peut-être pas adoptée ainsi que sur l"effet juridique de la dissolution du Parlement. Elle a perdu en partie sur le premier volet de sa spéculation car, même si elle s"est bien positionnée comme elle le voulait, la taxe a tout de même été imposée tel que prévu de telle sorte qu"elle fait face aujourd"hui à l"obligation d"en supporter les conséquences. Aussi se rabat-elle maintenant sur le deuxième volet de sa spéculation en détournant l"attention de son contrat, le tout au détriment des contribuables qui, par la voie du ministre des Finances, l"ont pourtant dûment avisée d"une hausse de la taxe et qui, malgré l"entier respect de leur obligation contractuelle, sont néanmoins requis de payer le prix de cette spéculation.

[11]      C"est une chose que de faire bénéficier d"une ambiguïté législative le contribuable qui, démuni et contre son gré, se retrouve aux prises avec les effets néfastes d"une telle ambiguïté. Mais c"est à mon avis une toute autre chose que d"étendre ce bénéfice à une partie contractante qui, dûment avisée de se protéger, choisit plutôt de spéculer sur cette ambiguïté pour, dans un premier temps, mieux se positionner au plan contractuel et par la suite, une fois le contrat obtenu, chercher à tirer à nouveau profit de l"ambiguïté.

[12]      Pour ces motifs, je suis d"avis d"accueillir l"appel, d"infirmer le jugement de première instance et de rejeter l"action de la demanderesse avec dépens.



     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.

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1      Article 1019 du Code civil du Bas-Canada.

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