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Date : 20040126

Dossier : A-548-02

Référence : 2004 CAF 36

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

                                                                                                                                                intimée

                                    Audience tenue à Toronto (Ontario) le 1er octobre 2003.

                                     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 26 janvier 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                               LA COUR


Date : 20040126

Dossier : A-548-02

Référence : 2004 CAF 36

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                   COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA COUR

A.        INTRODUCTION

[1]                À la toute fin de son année d'imposition 1993, la Compagnie pétrolière impériale Ltée a consenti trois prêts à court terme à deux sociétés dont chacune était une filiale à part entière d'une banque à charte canadienne. Les banques en question ont garanti les prêts, dont la valeur totale s'établissait à 500 millions de dollars.


[2]                Les prêts étaient structurés de manière à permettre à l'Impériale de réclamer une déduction pour placements équivalente au montant des prêts, réduisant ainsi son capital imposable ainsi que l'impôt sur les gains en capital dont elle était redevable selon la partie I.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1. Si l'Impériale avait consenti ces prêts aux banques en question, elle n'aurait pas pu réclamer de déduction pour placements.

[3]                Le ministre du Revenu national a invoqué la disposition générale anti-évitement (la DGAE) que l'on trouve à l'article 245 de la Loi pour refuser à l'Impériale l'avantage fiscal conféré par la déduction pour placements à laquelle les prêts lui auraient autrement donné droit. Le ministre soutient que l'Impériale a structuré les prêts de manière à obtenir les avantages que procure le fait de consentir des prêts à court terme et de bénéficier de la sécurité que représente le fait de prêter de l'argent à une banque, tout en se prévalant de l'avantage fiscal que représente une déduction pour placements dont on ne peut se prévaloir lorsqu'on consent un prêt à court terme à une banque. Suivant le ministre, l'Impériale a ainsi tenté de faire indirectement - réduire son impôt sur les gains en capital tout en bénéficiant de la sécurité commerciale que représentait le fait de consentir un prêt à une banque - ce qu'elle ne pouvait faire directement en consentant des prêts à court terme à une banque.

[4]                Le ministre en conclut que les prêts constituaient essentiellement des « opérations d'évitement » au sens du paragraphe 245(3) dont il est raisonnable de considérer qu'elles ont entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi, considérée dans son ensemble, abstraction faite des dispositions de la Loi établissant la DGAE.


[5]                L'Impériale a interjeté appel de la nouvelle cotisation du ministre devant la Cour canadienne de l'impôt, qui a fait droit à son appel : Compagnie pétrolière impériale Ltée c. Canada, (2002), D.T.C. 1954, [2003] C.T.C. 2754. La Cour est saisie de l'appel interjeté de cette décision par le ministre, qui fait valoir que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en ne concluant pas à un « abus » dans l'application des dispositions de la Loi dans son ensemble.

[6]                À notre avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention sur ces questions. Comme cela suffit pour rejeter l'appel, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument de l'Impériale suivant lequel le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant que les prêts constituaient des « opérations d'évitement » qui ont permis à l'Impériale d'obtenir un « avantage fiscal » .

B.        CONTEXTE FACTUEL

[7]                Les activités principales de l'Impériale pour toute la période considérée étaient le raffinage, la mise en marché et le transport de pétrole et de produits pétroliers. L'Impériale est assujettie à l'impôt spécial sur les grandes sociétés prévu à la partie I.3 de la Loi, qui oblige toute société dont le capital excède dix millions de dollars à la clôture de son exercice à payer un impôt uniforme. L'exercice de l'Impériale se termine le 31 décembre. Un des prêts en question a été consenti à la toute fin de novembre et les deux autres, en décembre 1993. Les trois prêts étaient remboursables au plus tard le 4 janvier 1994, le premier jour ouvrable de l'année 1994.


[8]                Dans le cadre de ses activités commerciales, l'Impériale a généré un excédent d'encaisse appréciable qui, en 1993, se chiffrait à 1,5 milliard de dollars. Le groupe des opérations d'encaisse de l'Impériale a pour mission de s'occuper du placement des excédents et de s'assurer que la compagnie dispose de fonds suffisants, que ce soit par ses recettes d'affaires ou par l'arrivée à terme de placements, pour couvrir ses dépenses d'exploitation quotidiennes.

[9]                Le groupe investit l'excédent d'encaisse de l'Impériale selon trois critères qui sont, par ordre décroissant d'importance : la sécurité du capital, les besoins de liquidités de l'entreprise et le taux de rendement. Les activités du groupe de gestion ne sont pas considérées comme un « centre de profits » de la compagnie. Au cours de l'année d'imposition 1993, l'Impériale a investi son excédent dans trois types de garanties qui, par ordre décroissant de sécurité du capital sont des « titres du gouvernement » , tels que des bons du Trésor, des « produits bancaires » , tels que des acceptations bancaires et des dettes à court terme d'institutions financières, et des « papiers commerciaux » , sous forme de prêts à court terme non garantis consentis à des entités autres que des institutions financières.


[10]            Au cours de l'année d'imposition 1993, le groupe de gestion de l'encaisse a investi la plus grande partie de l'excédent de l'Impériale dans des bons du Trésor, bien que la proportion en soit passée de 81 % en mars à 56 % en décembre. Au cours de la même période, le pourcentage de l'excédent qui a été investi dans des « produits bancaires » est passé de 10 % à 32 %. Ce passage des bons du Trésor aux produits bancaires est attribuable aux prêts consentis aux filiales des banques, prêts que le groupe de gestion de l'encaisse a considérés comme des « produits bancaires » . Le pourcentage des fonds investis dans des papiers commerciaux a lui aussi été augmenté.

[11]            Voici les détails des prêts en question :

1.          30 novembre 1993 : prêt de 100 millions de dollars à Royal Bank Export Finance Company Limited (REFCO) pour une période de 35 jours à un taux d'intérêt de 3,93125 %.

2.          1er décembre 1993 : prêt de 200 millions de dollars à REFCO pour une période de 34 jours à un taux d'intérêt de 3,8875 %.

3.          2 décembre 1993 : prêt de 200 millions de dollars à Toronto-Dominion Holdings (USA) Inc. (TDH) pour une période de 33 jours au taux applicable aux bons du Trésor canadien.

Les prêts consentis à REFCO étaient garantis par la Banque Royale du Canada (la Banque Royale) et le prêt à la TDH était garanti par la Banque Toronto-Dominion (la Banque TD).

[12]            En septembre 1993, la Banque Royale avait envoyé une offre de placements à l'Impériale pour l'inviter à consentir à REFCO un prêt d'argent qui serait garanti par un cautionnement de la Banque Royale. La proposition était assortie d'un avis juridique dans lequel un avocat du cabinet McMillan Binch se disait d'avis que, bien que la Banque Royale soit une « institution financière » au sens de l'alinéa 181(1)a), sa filiale REFCO ne l'est pas.

[13]            La Banque TD est également une « institution financière » et elle est la société-mère de TDH, qui détient des actions dans ses filiales et les finances.


[14]            Une autre filiale à part entière de la Banque TD, Toronto-Dominion Securities Inc., avait fait parvenir une proposition de placement à l'Impériale le 1er novembre 1993 pour l'inviter à consentir [TRADUCTION] « un prêt bien documenté » qui [TRADUCTION] « remplirait les conditions requises pour être considéré comme un placement admissible, ce qui donnerait droit à une déduction pour placements qui réduirait le capital imposable de Compagnie Pétrolière Impériale Limitée » . Il était précisé, dans la lettre d'envoi :

[TRADUCTION] Il importe de remarquer qu'il n'y aura pas d'exigence de période minimale de détention, mais nous recommandons tout de même une période de 30 jours. La solution proposée offrirait à Compagnie Pétrolière Impériale Limitée beaucoup plus de souplesse que la détention de titres du gouvernement, dont la période minimale de détention est de 120 jours. Il s'agit également d'un concept prudent de planification de l'impôt sur le capital, ce qui est confirmé par une opinion fiscale favorable émise par le cabinet McCarthy Tétrault.

[15]            Le cabinet d'avocats McCarthy Tétrault affirmait ce qui suit dans son avis juridique :

[TRADUCTION] ... un prêt consenti par un emprunteur à TD Holdings remplirait les conditions requises pour donner droit à une déduction pour placements en vertu de la Loi, sous réserve de la possible application de la disposition générale anti-évitement de l'article 245 [...] si l'article 245 ne s'applique pas, la garantie donnée par la Banque n'empêcherait pas le prêt de remplir les conditions requises pour donner droit à une déduction pour placements en vertu de la Loi.

Le cabinet d'avocats précisait aussi dans sa lettre que la DGAE ne s'appliquerait pas au prêt consenti à la TDH parce que celui-ci ne constituerait pas une « opération d'évitement » au sens du paragraphe 245(3) même si [TRADUCTION] « les prêteurs, dans le cadre d'une opération se rapportant à leurs prêts, vendaient un autre placement ne donnant pas droit à une déduction pour placements. »


[16]            L'Impériale a consenti les prêts et en a tenu compte lors du calcul, pour son année d'imposition 1993, de sa « déduction pour placements » , conformément à l'alinéa 181.2(4)b). L'obligation fiscale de l'Impériale en vertu de la partie I.3 a été calculée en conformité avec le paragraphe 181.1(1), qui frappait d'un impôt égal au produit de 0,225 % l'excédent éventuel de son capital imposable utilisé au Canada pour l'année sur son abattement de capital pour l'année, y compris la déduction pour placements.

[17]            La déduction pour placements d'une société pour une année d'imposition déterminée correspond au total des montants dont chacun représente la valeur comptable à la fin de l'année d'un élément d'actif de la société qui est, selon le cas : a) une action d'une autre société, b) un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière, c) une obligation, un effet, une hypothèque ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière. Ainsi, le capital imposable et, partant, l'impôt sur le capital exigible, est moins élevé si la société en question a consenti un prêt qui remplit les conditions requises pour donner droit à une déduction pour placements.


[18]            En l'espèce, les trois prêts remplissent les conditions prévues à la partie I.3 de la Loi pour donner droit à une déduction pour placements, réduisant ainsi de 755 600 $ l'obligation fiscale de l'Impériale. Toutefois, le ministre du Revenu national a invoqué la DGAE pour refuser à l'Impériale la plus grande partie de cet avantage fiscal. Dans sa nouvelle cotisation, le ministre a refusé 377,8 millions de dollars sur les 500 millions prêtés par l'Impériale. À l'ouverture de l'audience qui s'est déroulée devant la Cour de l'impôt, le ministre a ramené le montant refusé à 346,8 millions de dollars. Le ministre a accepté le reste au motif qu'il pouvait raisonnablement être rattaché à des sources déterminées, telles que des placements dans des papiers commerciaux, qui sont admissibles à la déduction pour placements et qui n'ont entraîné aucun abus dans l'application de la Loi.

C.        JUGEMENT DE LA COUR DE L'IMPÔT

[19]            Le juge de la Cour de l'impôt a accueilli l'appel de l'Impériale. Il a retenu le prêt de 200 millions de dollars consenti à REFCO le 1er décembre 1993, qu'il considérait comme représentatif des trois prêts et il a appliqué sa conclusion aux deux autres prêts.

[20]            Conformément à la méthode d'analyse de tout problème relatif à la DGAE proposée par le juge Rothstein dans l'arrêt OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2002] 2 C.F. 288, 2001 CAF 260 (l'arrêt OSFC), le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le prêt consenti à REFCO avait procuré un « avantage fiscal » à l'Impériale au sens des paragraphes 245(1) et 245(2), parce qu'il avait réduit l'impôt dont elle était redevable aux termes de la Loi.

[21]            Le juge de la Cour de l'impôt a également déclaré qu'il s'agissait d'une « opération d'évitement » au sens du paragraphe 245(3). Voici ce qu'il dit, au paragraphe 43 :

La preuve tend à me convaincre que le deuxième prêt à REFCO ne peut être raisonnablement considéré comme ayant été effectué principalement pour un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal [...] Je conclus que l'objet principal du deuxième prêt à REFCO était d'obtenir un avantage fiscal.


Parmi les éléments de preuve auxquels le juge fait allusion, il y a lieu de mentionner les notes de service internes échangées entre les employés du groupe de gestion de l'encaisse de l'Impériale, des lettres de cabinets d'avocats exprimant une opinion favorable au sujet de l'occasion que les prêts offraient au contribuable de réduire son impôt et les comptes rendus de gestion financière de l'Impériale.

[22]            Le juge s'est également penché sur le problème plus épineux de savoir si le prêt avait entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi, considérée dans son ensemble, abstraction faite des dispositions de la Loi établissant la DGAE. Appliquant l'analyse proposée dans l'affaire OSFC, le juge de la Cour de l'impôt a examiné les principes de base et la raison d'être du traitement fiscal que le paragraphe 181.2(4) réserve à la déduction pour placements. Il a conclu que cette disposition vise à éviter la double imposition de ce qui constitue essentiellement le même capital.


[23]            Pour éviter la double imposition, le montant du prêt ne doit pas être inclus à la fois dans le capital du prêteur - même si la promesse de remboursement constitue une valeur immobilisée pour lui - et dans celui de la société qui a contracté le prêt - même si elle profite de l'argent prêté avant de le rembourser. En conséquence, la Loi permet à la société qui a contracté le prêt de déduire le prêt admissible de son capital en se prévalant d'une déduction pour placements. Le juge a expliqué que, comme on ne violerait pas le principe interdisant la double imposition en considérant le prêt consenti par l'Impériale à REFCO comme un prêt donnant droit à une déduction pour placements, le prêt ne pouvait raisonnablement être considéré comme ayant entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi.

[24]            Le juge a ensuite examiné la situation des institutions financières sous le régime d'imposition des grandes sociétés et a conclu que, à la différence des dettes à long terme contractées par les institutions financières, les prêts à court terme consentis aux institutions financières ne sont pas admissibles à la déduction pour placements parce que le capital de base des institutions financières est calculé différemment de celui des autres sociétés. Étant donné que les prêts à court terme consentis aux institutions financières ne font pas partie de leur capital imposable, il n'est pas nécessaire de permettre au prêteur de les déduire à titre de déduction pour placements pour éviter d'imposer deux fois le même capital.

[25]            Le juge de la Cour de l'impôt a étayé davantage sa conclusion en faisant observer que le prêt consenti à REFCO satisfaisait aux critères de placement appliqués par le groupe de gestion de l'encaisse de l'Impérial. La sécurité du capital était garantie car le prêt était cautionné par la Banque Royale; de plus, le montant prêté était liquide, car son échéance maximale était de 35 jours. Enfin, même si des frais étaient payables à REFCO, de sorte que le taux d'intérêt net était moins élevé que ce qu'il aurait été si le prêt avait été consenti à une banque, le taux de rendement était intéressant si l'on tenait compte de l'impôt ainsi épargné.


[26]            Pour conclure que le prêt n'avait pas entraîné d'abus dans l'application de dispositions déterminées de la Loi, le juge de la Cour de l'impôt a déclaré (au paragraphe 59) :

Elle n'a fait que suivre l'invitation de l'alinéa 181.2(4)b) en souscrivant plus de titres à court terme d'un type et moins d'un autre type [...]

[27]            Dans son analyse de l'abus, le juge de la Cour de l'impôt a fait remarquer (au paragraphe 62) qu'il fallait examiner l'opération dans le contexte plus large de la partie I.3 dans son ensemble. Il a conclu (au paragraphe 67) que le prêt n'avait pas entraîné d'abus dans l'application des dispositions de la Loi, parce qu'on contreviendrait au principe fondamental du paragraphe 181.2(4) (empêcher la double imposition) si l'on appliquait la DGAE au prêt.

D.        CADRE LÉGISLATIF

[28]            Voici les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui concernent l'impôt spécial sur les grandes sociétés et qui nous intéressent en l'espèce :

Loi de l'impôt sur le revenu

181.1(1) Toute société est tenue de payer, en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition, un impôt égal à 0,225 % de l'excédent éventuel de son capital imposable utilisé au Canada pour l'année sur son abattement de capital pour l'année.

181.1 (1) Every corporation shall pay a tax under this Part for each taxation year equal to 0.225% of the amount, if any, by which

(a) its taxable capital employed in Canada for the year

exceeds

(b) its capital deduction for the year.

(2) Dans le cas où l'année d'imposition d'une société compte moins de 51 semaines, le montant déterminé selon le paragraphe (1) pour l'année relativement à la société est réduit du produit de la multiplication de ce même montant par le rapport entre le nombre de jours de l'année et 365.

(2) Where a taxation year of a corporation is less than 51 weeks, the amount determined under subsection 181.1(1) for the year in respect of the corporation shall be reduced to that proportion of that amount that the number of days in the year is of 365.

(4) Est déductible de l'impôt payable par ailleurs par une société en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, le total des montants suivants :

a) la surtaxe canadienne payable par la société pour l'année;

b) la partie, demandée en déduction par la société, de ses crédits de surtaxe inutilisés pour les sept années d'imposition précédentes et les trois années d'imposition suivantes.

Ce total est déductible dans la mesure où il ne dépasse pas l'excédent éventuel du montant visé à l'alinéa c) sur le total visé à l'alinéa d) :

c) le montant qui, n'eût été le présent paragraphe, correspondrait à l'impôt payable par la société pour l'année en vertu de la présente partie;

d) le total des montants représentant chacun le montant déduit en application du paragraphe 125.3(1) dans le calcul de l'impôt payable par la société en vertu de la partie I pour une année d'imposition se terminant avant 1992, au titre de son crédit d'impôt de la partie I.3 inutilisé (au sens de l'article 125.3) pour l'année.

...

(4) There may be deducted from a corporation's tax otherwise payable under this Part for a taxation year an amount equal to the total of

(a) its Canadian surtax payable for the year, and

(b) such part as the corporation claims of its unused surtax credits for its 7 immediately preceding and 3 immediately following taxation years,

to the extent that that total does not exceed the amount by which

(c) the amount that would, but for this subsection, be its tax payable under this Part for the year

exceeds

(d) the total of all amounts each of which is the amount deducted under subsection 125.3(1) in computing the corporation's tax payable under Part I for a taxation year ending before 1992 in respect of its unused Part I.3 tax credit (within the meaning assigned by section 125.3) for the year.

...

181.2 (4) La déduction pour placements d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition correspond au total des montants dont chacun représente la valeur comptable à la fin de l'année d'un élément d'actif de la société qui est, selon le cas :

a) une action d'une autre société;

b) un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière;

c) une obligation, un effet, une créance hypothécaire ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière;

d) une dette du passif à long terme d'une institution financière;

                                               ...

181.2 (4) The investment allowance of a corporation (other than a financial institution) for a taxation year is the total of all amounts each of which is the carrying value at the end of the year of an asset of the corporation that is

(a) a share of another corporation,

(b) a loan or advance to another corporation (other than a financial institution),

(c) a bond, debenture, note, mortgage, hypothecary claim or similar obligation of another corporation (other than a financial institution),

(d) long-term debt of a financial institution,

                                               ...


[29]            La disposition générale anti-évitement (DGAE) se trouve à l'article 245. En voici les dispositions qui nous intéressent dans le présent appel.

245. (2) En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

245. (2) Where a transaction is an avoidance transaction, the tax consequences to a person shall be determined as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that, but for this section, would result, directly or indirectly, from that transaction or from a series of transactions that includes that transaction.

(3) L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables -- l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables -- l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

(3) An avoidance transaction means any transaction

(a) that, but for this section, would result, directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit; or

(b) that is part of a series of transactions, which series, but for this section, would result, directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit.

(4) Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble -- compte non tenu du présent article -- n'est pas visée par le paragraphe (2).

(4) For greater certainty, subsection 245(2) does not apply to a transaction where it may reasonably be considered that the transaction would not result directly or indirectly in a misuse of the provisions of this Act or an abuse having regard to the provisions of this Act, other than this section, read as a whole.


E.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

(i) Objet de la DGAE

[30]            La DGAE a pour objet de réprimer les procédés abusifs d'évitement fiscal qui échappent par ailleurs aux règles anti-évitement : Vern Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, 7th ed. (Toronto, Carswell, 2002), à la page 862. Ainsi, si le contribuable ne remplit pas les conditions des dispositions législatives qu'il invoque, le ministre n'a pas besoin de recourir à la DGAE. De même, la DGAE n'est pas nécessaire si une règle anti-évitement plus précise s'applique, comme par exemple les paragraphes 110.6(6), (7) et (8), qui comblent des lacunes bien précises en matière d'exemption des gains en capital.

[31]            En d'autres termes, la DGAE est la disposition anti-évitement de dernier recours. Elle vise à offrir un cadre permettant d'établir une distinction entre la volonté légitime des contribuables de minimiser leur impôt et les stratagèmes abusifs d'évitement fiscal. Ainsi que Krishna le signale, à la page 858 de son ouvrage : [TRADUCTION] « les procédés que le contribuable utilise pour réduire au minimum sa charge fiscale sont légitimes et acceptables; l'évasion fiscale ne l'est pas » .


[32]            En restreignant l'évitement fiscal légitime aux procédés qui ne vont pas à l'encontre des principes fondamentaux des dispositions législatives qu'invoque le contribuable, la DGAE a pour effet de restreindre la portée du principe posé dans l'arrêt Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1, à la page 19 : [TRADUCTION] « Tout homme a le droit, s'il le peut, de diriger ses affaires de façon que son assujettissement aux impôts prescrits par les lois soit moindre qu'il ne le serait autrement » . D'ailleurs si le stratagème examiné dans l'affaire Duke of Westminster était utilisé de nos jours au Canada, il tomberait probablement sous le coup de la DGAE, selon les auteurs Peter W. Hogg, Joanne E. Magee et Jinyan Li, Principles of Canadian Income Tax Law, 4th ed. (Toronto, Carswell, 2002), à la page 584.

[33]            De surcroît, la Chambre des lords a elle-même reconnu qu'en tant qu'outil facilitant l'interprétation des lois fiscales, la formule célèbre énoncée dans l'arrêt Duke of Westminster provenait d'une époque où l'interprétation des lois reposait sur la méthode d'analyse littérale. Elle semble donc aller à contre-courant de la jurisprudence moderne, dans laquelle les tribunaux ont étendu aux lois fiscales la méthode téléologique suivie pour les autres lois (voir, par exemple, les arrêts W.T. Ramsay Ltd. c. Inland Revenue Commissioners, [1982] A.C. 300, aux pages 316 et 317; Inland Revenue Commissioners c. McGuckian, [1997] 1 W.L.R. 991, au paragraphe 25).

(ii) Interprétation judiciaire de la DGAE


[34]            Écrivant pour les juges majoritaires de notre Cour dans l'affaire OSFC, le juge Rothstein a expliqué les trois étapes que comporte l'analyse de la DGAE. En premier lieu, le tribunal doit décider si un « avantage fiscal » a été procuré au sens du paragraphe 245(3). Si ce n'est pas le cas, la DGAE ne s'applique pas, ce qui met fin au débat. S'il y a eu un « avantage fiscal » , le tribunal doit passer à la deuxième étape et se demander s'il s'agit d'une « opération d'évitement » au sens du paragraphe 245(3). S'il n'y a pas eu d' « opération d'évitement » , la DGAE ne s'applique pas et, là encore, le débat est clos.

[35]            Si l'opération a procuré au contribuable un « avantage fiscal » et constitue une « opération d'évitement » , le tribunal doit passer à la troisième étape et se demander si l'opération a entraîné un « abus » dans l'application de la Loi au sens du paragraphe 245(4). Cette analyse comporte deux volets.

[36]            En premier lieu, le tribunal doit décider s'il s'agit d'une opération « dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus » dans l'application des dispositions de la Loi. Pour décider s'il y a eu abus, le tribunal doit cerner l'objet ou le principe ou les principes de base des dispositions applicables de la Loi et décider si l'opération d'évitement va à l'encontre de cet objet ou de ce principe. Si c'est le cas, l'opération a entraîné un abus et la DGAE s'applique.

[37]            Toutefois, s'il n'y a pas d'abus, il faut répondre à une seconde question secondaire. Le tribunal doit alors décider si l'opération a entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi, considérée dans son ensemble, abstraction faite des dispositions de la Loi établissant la DGAE. La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si l'opération va à l'encontre de tout principe fondamental des dispositions de la Loi dans son ensemble. Dans l'affirmative, l'opération peut avoir entraîné un abus aux fins de l'application de la DGAE.


[38]            Dans l'arrêt OSFC Holdings, le juge Rothstein a expliqué (au paragraphe 70) que, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a eu abus, on ne peut tenir compte que des principes qui sont « clairs et non ambigus » :

Le paragraphe 245(4) ne peut être considéré comme une abdication par le Parlement de son rôle de législateur en faveur d'un jugement subjectif de la Cour ou de juges en particulier. En édictant le paragraphe 245(4), le Parlement a imposé à la Cour le fardeau de déterminer la politique générale du Parlement, comme motif de refus d'un avantage fiscal découlant d'une opération qui est par ailleurs conforme aux exigences de la Loi. Si le Parlement n'a pas fait preuve de clarté et d'absence d'ambiguïté à l'égard de la politique générale qu'il envisageait, la Cour ne saurait décider qu'il y a eu abus, et le respect de la Loi doit l'emporter. [Non souligné dans l'original.]

[39]            Bien que la Loi ne prévoie pas explicitement que le principe fondamental doit être « clair et non ambigu » , cette obligation découle implicitement du libellé du paragraphe 254(4), qui permet de soustraire à la DGAE l'opération d'évitement fiscal « dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble » .

[40]            Ainsi, s'il est raisonnable de considérer que l'opération n'a pas entraîné d'abus, de façon directe ou indirecte, la DGAE ne s'applique pas. En fait, on accorde au contribuable le bénéfice du doute. En conséquence, pour que la DGAE s'applique, il faut qu'il soit évident qu'il y a eu un abus dans l'application des dispositions pertinentes de la Loi ou dans l'application de la Loi dans son ensemble. Il ne suffit pas qu'un tribunal puisse raisonnablement considérer qu'il y a eu un abus dans l'application de la Loi.


(iii) « Abus » , misuse et abuse

a) Version française et version anglaise du paragraphe 245(4)

[41]            La version anglaise et la version française du paragraphe 245(4) diffèrent à deux égards. Tout d'abord, dans la version française, le législateur n'emploie qu'un seul mot, « abus » , pour qualifier les actes requis pour qu'une opération puisse tomber sous le coup de la DGAE. Le Harrap's French and English Dictionary (London, Harrap Books Ltd., 1989) donne comme équivalents anglais du mot français abus les termes « abuse, misuse » , alors que Le Nouveau Petit Robert (Paris, Le Robert, 1993) donne la définition suivante du mot « abus » : « action d'abuser d'une chose, usage mauvais, excessif ou injuste » . Or, dans la Loi, le législateur emploie deux termes dans la version anglaise : misuse, dans le cas de dispositions législatives précises, et abuse, lorsqu'il s'agit de la Loi dans son ensemble.

[42]            Deuxièmement, contrairement au texte anglais, le texte français n'établit pas de distinction entre les « dispositions de la présente loi » et les « dispositions de la présente loi lue dans son ensemble » ( « provisions of this Act » et « provisions of this Act ... read as a whole » ). La version française prévoit en effet que la DGAE ne vise que les opérations qui ont entraîné un « abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble [...] »


[43]            Dans l'affaire OSFC Holdings, le juge Rothstein a formulé des commentaires au sujet de la différence qui existe entre la version anglaise et la version française du paragraphe 245(4). Il a rappelé les propos suivants tenus par le juge Bowman dans le jugement RMM Canadian Enterprises Inc. c. R., [1998] 1 C.T.C. 2300, au paragraphe 49 (C.C.I.) :

L'emploi des mots misuse et abuse dans la version anglaise par rapport au simple mot « abus » dans la version française est attribuable à une nuance linguistique plutôt qu'à une nuance de l'intention du législateur.

Le juge Rothstein a conclu (au paragraphe 60) :

Compte tenu de l'observation du juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, j'interpréterais la version française comme englobant les deux critères de la version anglaise.

b) Sens des mots « misuse » et « abuse » dans la version anglaise

[44]            Les termes misuse et abuse n'ont fait l'objet d'aucune définition dans la Loi et leur sens serait [TRADUCTION] « nébuleux » (Hogg, McGee et Li, à la page 581). Bien qu'ils soient parfois employés de façon interchangeable, ils comportent de légères nuances.

L'expression anglaise « misuse of the provisions of this Act » (abus dans l'application des dispositions de la présente loi)

[45]            Le Shorter Oxford English Dictionary, 5e éd. (Oxford, Oxford University Press, 2002) définit le terme « misuse » comme l'usage mauvais ou illicite de quelque chose. Dans son ouvrage The Fundamentals of Canadian Income Tax, 6e éd. (Scarborough, Carswell, 2000), à la page 873, Vern Krishna, définit l'abus dans l'application d'une disposition législative comme une opération d'évitement qui va à l'encontre de l'objet essentiel d'un principe déterminé :


[TRADUCTION] Il importe d'établir une distinction entre l'objet d'une disposition déterminée et son effet. Un contribuable peut se servir d'une disposition législative pour diminuer ses impôts (le principe de l'arrêt Westminster) si, en agissant ainsi, il ne va pas à l'encontre de l'objet de cette disposition.

Ainsi, pour l'application de la DGAE, une opération n'entraîne un abus que si elle va à l'encontre du principe, de l'objet ou de la fonction de la ou des dispositions que le contribuable invoque pour se soustraire à l'impôt ou pour réduire sa charge fiscale.

[46]            Le paragraphe 245(4) parle des « dispositions de la présente loi » ( « provisions of this Act » ) et non de « la disposition de la présente loi » ( « provision of this Act » ). Il s'ensuit que lorsqu'il procède à l'analyse de l'abus, le tribunal n'a pas nécessairement à se borner à décider si les actes en question ont entraîné un abus dans l'application de la disposition précise sur laquelle le contribuable se fonde; il peut tenir également compte des dispositions connexes. En l'espèce, le ministre doit démontrer que l'opération en cause a entraîné un abus dans l'application des dispositions relatives à la déduction pour placements en démontrant que le prêt était structuré de manière à faire échec au principe clair et non équivoque sous-jacent au paragraphe 181.2(4).

Abus, abstraction faite des dispositions de la Loi « lue dans son ensemble » qui établissent la DGAE


[47]            Au paragraphe 186 des Notes techniques du ministre des Finances extraites du document intitulé Canada, Ministère des Finances, Notes explicatives sur le projet de loi concernant l'impôt sur le revenu (Ottawa, ministère des Finances, juin 1988), il est précisé que le paragraphe 245(4) s'inspire de la doctrine de l' « abus de droit » du droit civil (voir, par exemple, John E. C. Brierley et Roderick A. Macdonald, éd., Quebec Civil Law : An Introduction to Quebec Private Law (Toronto, Emond-Montgomery, 1993) aux pages 154, 250 et 287, et Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La Responsabilité Civile, 6e édition (Cowansville, Yvon Blais, 2003) aux pages 186 à 192 et 204 à 234.

[48]            On trouve également ce qui suit dans les Notes techniques (au paragraphe 186) :

Par ailleurs, une opération pourrait être considérée comme abusive à la lumière de la Loi, lue dans son ensemble, même si l'on pouvait prétendre, selon une interprétation étroite, qu'elle n'entraîne pas d'abus dans l'application d'une disposition particulière. En conséquence, dans l'interprétation de la Loi dans son ensemble, les dispositions particulières seront lues dans le contexte des autres dispositions de la Loi et en harmonie avec celles-ci, de manière à obtenir un résultat conforme à l'agencement général de la Loi.

Ainsi, même si le prêt de l'Impériale n'a pas entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi relatives à la déduction pour placements, il tombera sous le coup de la DGAE s'il est raisonnable de considérer qu'il a entraîné, directement ou indirectement, un abus dans l'application des dispositions de la loi, considérée dans son ensemble, abstraction faite des dispositions de la Loi établissant la DGAE.

(iii) Le prêt a-t-il entraîné un abus (misuse) dans l'application des dispositions de la Loi?

a) Principe fondamental des dispositions


[49]            C'est à partir du texte même de la loi qu'on doit inférer le principe, s'il en est, sur lequel repose de façon non ambiguë les dispositions législatives qui nous intéressent. Pour procéder à cet exercice d'interprétation législative, il faut recourir à des moyens extrinsèques, et notamment à la jurisprudence, au compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes, aux déclarations des ministres ou des ministères, aux notes explicatives, aux bulletins, circulaires, aux ouvrages de doctrine, aux périodiques, etc. (voir Howard J. Kellough & Peter E. McQuillan, Taxation of Private Corporations and their Shareholders, 3e éd. (Toronto, Association canadienne d'études fiscales, 1999) à la page 16:123).

[50]            L'impôt spécial sur les grandes sociétés est une des mesures introduites dans le budget du 27 avril 1989 pour réduire le déficit fédéral. Cette mesure fiscale est entrée en vigueur le 23 octobre 1990 avec la promulgation du projet de loi C-28. Elle a eu pour effet d'élargir l'assiette fiscale des sociétés en s'assurant que les grandes sociétés supportent une part plus grande et plus juste du fardeau fiscal des sociétés. Ainsi, seules les sociétés dont le capital se chiffre à plus de dix millions de dollars à la clôture de leur exercice sont assujetties à l'impôt spécial sur les grandes sociétés.

[51]            L'impôt spécial sur les grandes sociétés est unique du fait qu'il assujettit les grandes sociétés à un impôt minimal du fait que le montant de l'impôt sur le capital payable par une société déterminée est diminué du montant d'impôt sur le revenu qu'elle a payé (paragraphes 181.1(4) et (5)). Le Black's Law Dictionary, 7e éd. (St. Paul, West Publishing Co., 1999) définit comme suit l'impôt minimal : [TRADUCTION] « Impôt à taux unique pouvant frapper les sociétés [...] et visant à les empêcher d'échapper à l'impôt par des procédés comme les exclusions, les déductions et les crédits » .


[52]            Voici, à cet égard, ce que déclare le ministère des Finances dans ses Documents budgétaires du 27 avril 1989 au chapitre C intitulé « Mesures fiscales » :

Le budget propose des impôts supplémentaires sur les sociétés afin de contribuer à réduire le déficit fédéral. Un nouvel impôt frappant les grandes sociétés sera appliqué [...] Grâce à cet impôt sur les grandes sociétés, toutes les compagnies importantes paieront des impôts fédéraux et contribueront donc à la diminution du déficit [...] Au cours de la première année complète d'application, l'impôt sur les grandes sociétés [...] devraient accroître les recettes fédérales d'environ 965 millions de dollars.

De même, lors de la présentation du projet de loi C-28 à la Chambre des communes, le ministre des Finances, Gilles Loiselle, a déclaré ce qui suit (Débats des Communes, 23-11-1989, à la page 1:22) :

Laissez-moi vous rappeler le contexte dans lequel ces mesures budgétaires sont présentées. Le gouvernement s'est engagé à réduire le déficit et le fardeau que notre dette nationale fait peser sur notre économie.

Plus particulièrement, le ministre Loiselle a ajouté que la partie I.3 « assurera que les grandes sociétés paient des impôts fédéraux et contribuent ainsi à la maîtrise de la dette publique » .

[53]            Un autre des grands objectifs visés par l'impôt spécial sur les grandes sociétés était d'assurer à toutes les sociétés un taux d'imposition plus bas qu'il aurait autrement été si la totalité des recettes fiscales prélevées auprès des sociétés avait été maintenue. Ainsi, l'imposition de l'impôt spécial sur les grandes sociétés protège les sociétés plus petites contre un fardeau fiscal plus lourd (voir ministère des Finances, Documents budgétaires 1989, à la page 41, et Rapport du Comité technique sur l'imposition des entreprises (Ottawa, ministère des Finances, décembre 1997) à la page 4:19).


[54]            Toutefois, ces objectifs législatifs généraux ne revêtent qu'une importance secondaire lorsqu'il s'agit de savoir si le prêt consenti par l'Impériale a entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi, aux fins de l'analyse de la DGAE. Ces objectifs servent uniquement à donner un aperçu du contexte dans lequel se situent les dispositions qu'invoque l'Impériale pour réclamer l'avantage fiscal découlant du traitement de son prêt comme prêt donnant droit à une « déduction pour placements » au sens du paragraphe 181.2(4).

[55]            David M. Williamson donne les explications suivantes au sujet du calcul de l'impôt spécial sur les grandes sociétés dans son article intitulé « Large Corporations Tax » , publié dans les Actes de la 42e Conférence fiscale (Toronto, Association canadienne d'études fiscales, 1989) à la page 11:5-11 :

[TRADUCTION] En premier lieu, on calcule le montant du capital ainsi défini duquel on soustrait la déduction pour placements pour obtenir le capital total. Du capital total ainsi obtenu on soustrait l'exemption de dix millions de dollars. Le capital net total qui en résulte est ensuite multiplié par le taux d'imposition applicable.

Par souci de commodité, nous reproduisons de nouveau les dispositions de la Loi qui créent l'impôt en question :

181.1. (1) Toute société est tenue de payer, en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition, un impôt égal à 0,225 % de l'excédent éventuel de son capital imposable utilisé au Canada pour l'année sur son abattement de capital pour l'année.

181.1. (1) Every corporation shall pay a tax under this Part for each taxation year equal to 0.225% of the amount, if any, by which

a) its taxable capital employed in Canada for the year

exceeds

b) its capital deduction for the year.


[56]            Le capital imposable de la société est diminué des dépenses qui donnent droit à la « déduction pour placements » laquelle est définie au paragraphe 181.2(4). Voici les dispositions qui nous intéressent dans le présent appel :

181.2 (4) La déduction pour placements d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition correspond au total des montants dont chacun représente la valeur comptable à la fin de l'année d'un élément d'actif de la société qui est, selon le cas :

                        ...

181.2 (4) The investment allowance of a corporation (other than a financial institution) for a taxation year is the total of all amounts each of which is the carrying value at the end of the year of an asset of the corporation that is

                        ...

b) un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière;

                        ...

(b) a loan or advance to another corporation (other than a financial institution),

                        ...

d) une dette du passif à long terme d'une institution financière;

                        ...

(d) long-term debt of a financial institution,

                        ...

[57]            L'Impériale affirme que l'objet fondamental du paragraphe 181.2(4) est d'éviter la double imposition. L'avocat cite l'extrait suivant des Documents budgétaires de 1989, à la page 41 :

Une déduction pour placements sera prévue afin d'éviter une double imposition lorsque le capital d'une société n'est pas employé directement par celle-ci mais est investi dans une autre société. De façon générale, les actions d'autres sociétés, les prêts et avances à d'autres sociétés ainsi que les obligations, débentures, hypothèques et autres titres émis par d'autres sociétés constitueront des placements admissibles, dont le coût pourra être déduit par la société dans le calcul de son revenu imposable. Aucune déduction ne sera permise à l'égard des dépôts dans des institutions financières, des prêts à de telles institutions ou d'autres placements dans ces institutions (à part des actions ou des titres de créance à long terme de l'institution), puisque ces placements ne sont pas compris dans le capital de l'institution.


[58]            Il importe toutefois de noter que, même si REFCO n'est pas une institution financière, le prêt que l'Impériale lui a consenti n'aurait jamais pu faire partie du capital de REFCO aux fins de l'impôt spécial sur les grandes sociétés. Cette situation s'explique par le fait que le prêt a été consenti en décembre et qu'il devait être remboursé en janvier et que l'exercice de REFCO prenait fin le 30 juin. Ainsi, sous réserve de la DGAE, l'Impériale a le droit de réclamer une déduction pour placements au titre de ce prêt, même si le montant du prêt ne sera aucunement imposé.

[59]            Sauf erreur, la thèse de l'Impériale est donc que, comme les modalités de l'opération et la clôture de l'exercice des parties ne se solderaient par le paiement d'aucun impôt sur le montant du prêt, le législateur fédéral voulait, par le paragraphe 181.2(4), éviter même la possibilité d'une double imposition. Le ministre affirme toutefois que le paragraphe 181(4) démontre expressément la volonté du législateur fédéral qu'aucun montant ne soit inclus ou déduit du capital deux fois :

181. (4) Sauf intention contraire évidente, aucune des dispositions de la présente partie n'a pour effet d'exiger l'inclusion ou de permettre la déduction d'une somme dans le calcul du capital d'une société, de sa déduction pour placements, de son capital imposable ou de son capital imposable utilisé au Canada pour une année d'imposition, dans la mesure où cette somme est incluse ou déduite, selon le cas, dans le calcul de ces montants en vertu, en conformité ou en application de toute autre disposition de la présente partie.

181. (4) Unless a contrary intention is evident, no provision of this Part shall be read or construed to require the inclusion or to permit the deduction, in computing the amount of a corporation's capital, investment allowance, taxable capital or taxable capital employed in Canada for a taxation year, of any amount to the extent that that amount has been included or deducted, as the case may be, in computing the first-mentioned amount under, in accordance with or by reason of any other provision of this Part.


[60]            Malgré la présomption interprétative interdisant la double imposition de la même somme, présomption que l'on trouve au paragraphe 181(4) de la Loi, le ministre reconnaît que le prêt consenti par l'Impériale donne droit à une déduction pour placements en vertu des dispositions relatives à l'impôt spécial sur les grandes sociétés, même s'il n'était pas considéré, sur le plan fiscal, comme faisant partie du capital de l'Impériale ou de REFCO. La question qui se pose toutefois est celle de savoir si le fait de permettre à l'Impériale de conserver l'avantage fiscal auquel elle a droit en vertu du paragraphe 181.2(4) irait à l'encontre du principe clair et non ambigu sur lequel repose cette disposition.

[61]            L'ADRC avait envisagé l'application de la DGAE pour empêcher les contribuables de réclamer injustement des déductions pour placements. Voici ce qu'on trouve à cet égard dans le Bulletin d'interprétation IT-532 intitulé « Partie I.3 - Impôt des grandes sociétés » (13 octobre 2000) au paragraphe 56 :

L'ADRC envisagerait l'application de la disposition générale anti-évitement (article 245) lorsque les opérations n'ont pas été principalement effectuées pour des objets véritables autres que pour obtenir un « avantage fiscal » au sens du paragraphe 245(1), ce qui inclurait la réduction de l'impôt de la partie I.3. À titre d'exemple, la reclassification temporaire des éléments d'actif par ailleurs non admissibles aux fins de la déduction pour placements en éléments d'actif qui seraient admissibles, en particulier lorsque la reclassification est effectuée presque à la fin de l'exercice de la société, serait susceptible de faire l'objet d'un examen. [Non souligné dans l'original.]

[62]            De plus, dans la livraison du 11 janvier 2002 (numéro 22) de son bulletin Impôt sur le revenu - Nouvelles techniques, à la page 3, l'ADRC parle des cinq grands domaines auxquels la DGAE a été appliquée, notamment « l'évitement de l'impôt de la partie I.3 des grandes sociétés » . Les cas relatifs à l'évitement de l'impôt de la partie I.3


comportent normalement une acquisition temporaire et une disposition (après la fin de l'exercice de la société) de biens donnant droit à la déduction pour placements de manière à ce que l'impôt de la partie I.3 soit réduit. Les biens acquis de manière temporaire offrent un taux de rendement inférieur à celui de biens détenus de façon régulière.

[63]            De plus, des représentants de l'ADRC qui ont participé à la conférence annuelle de 2001 de l'Association canadienne des études fiscales ont fait savoir que l'application de la DGAE pour empêcher l'évitement de l'impôt spécial sur les grandes sociétés était une question qui suscitait un vif intérêt de la part de l'ADRC et qu'il s'agissait du domaine dans lequel la DGAE avait été le plus souvent appliquée (voir Greg Boehmer et Stephen Landau, « Update on Capital Tax and Interprovincial Tax Planning » , Actes de la 54e Conférence fiscale (Toronto, Association canadienne des études fiscales, 2002), à la page 24:12).

[64]            Toutefois, les vues exprimées par l'ADRC sur l'applicabilité de la DGAE n'ont pas force de loi. Elles ne permettent pas de savoir quel est le principe législatif fondamental des dispositions relatives à la déduction pour placement que ce prêt violerait. Elles n'ont pas non plus de valeur spéciale lorsqu'il s'agit d'interpréter ou d'appliquer la Loi.

[65]            Le principe contenu au paragraphe 181(4) qui interdit d'interpréter la Loi de manière à permettre la double imposition de la même somme ne s'applique pas aux faits de la présente espèce. Comme le prêt ne faisait pas partie du capital de REFCO à la fin de son exercice, il n'a jamais été « déduit » .


b) L'opération a-t-elle entraîné un « abus » dans l'application des dispositions de la Loi?

[66]            À notre avis, les « dispositions de la Loi » qui sont les plus utiles pour décider si l'opération a entraîné un « abus » sont celles qu'invoque le contribuable, en l'occurrence, celles qui ont trait à la déduction pour placements. D'autres dispositions peuvent servir à expliquer le contexte, comme c'est le cas par exemple des dispositions qui instaurent un régime distinct pour les institutions financières et qui expliquent pourquoi les prêts à court terme consentis à des institutions financières ne donnent pas droit à une déduction pour placements.

[67]            Toutefois, axer l'analyse de l'abus sur les principes sous-jacents à l'instauration et à la raison d'être de l'impôt spécial sur les grandes sociétés aurait pour résultat de faire tomber sous le coup de la DGAE pratiquement toutes les opérations conçues pour éviter ou réduire l'impôt spécial sur les grandes sociétés, ce qui serait contraire à l'objet du paragraphe 245(4), qui vise uniquement les opérations d'évitement qui ont entraîné un abus dans l'application de la Loi. L'avocat du ministre invoque trois arguments pour étayer sa thèse que le prêt a entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi.

[68]            En premier lieu, un des principes de base de la loi est de ne pas accorder de déduction pour placements dans le cas des prêts consentis à des institutions financières. On violerait ce principe si l'on permettait à l'Impériale de conserver l'avantage fiscal conféré par une déduction pour placements portant sur un prêt d'argent consenti à une filiale à part entière de la banque qui a garanti le prêt.


[69]            Nous ne partageons pas ces vues. La partie I.3 n'a pas pour principe de décourager les prêts à court terme à des banques. Ces prêts ne donnent pas droit à une déduction pour placements parce que les dispositions relatives à l'impôt spécial sur les grandes sociétés qui s'appliquent aux institutions financières excluent ces prêts de leur capital imposable (paragraphe 181.3(1)). Étant donné que REFCO n'est pas une institution financière, son capital imposable est calculé de la même manière que celui de toutes les autres sociétés qui ne sont pas des institutions financières.

[70]            Le fait que la société-mère de REFCO est une banque et qu'elle a garanti le prêt ne justifie pas de considérer que le prêt a été consenti à une institution financière ou encore qu'il va à l'encontre du principe suivant lequel les prêts à court terme ne donnent pas droit à une déduction pour placements. La seule utilité que revêt la garantie fournie par la banque est le fait que le prêt satisfait ainsi au premier critère d'emprunt de l'Impériale, en l'occurrence garantir le remboursement du principal. La partie I.3 n'a pas pour objet ou principe d'encourager les sociétés à consentir des prêts à des emprunteurs qui n'ont pas le même degré de solvabilité que celui que possèdent les institutions financières.


[71]            Deuxièmement, l'avocat du ministre fait valoir que le prêt permettait à l'Impériale d'obtenir indirectement ce qu'elle ne pouvait se procurer directement, en l'occurrence l'avantage fiscal que représente une déduction pour placements et la garantie commerciale d'un prêt consenti à une banque. À notre avis, cet argument ne démontre pas qu'il y a eu violation du principe de base des dispositions relatives à la déduction pour placements que l'on trouve à la partie I.3. Le prêt de l'Impériale donnait droit à la déduction pour placements et bénéficiait du type de garantie que peu d'emprunteurs sont en mesure d'offrir à part les banques et échappait à l'imposition entre les mains du prêteur, parce que le législateur fédéral n'a pas tenu compte des implications que comporte le fait que l'exercice des personnes morales qui sont parties à un prêt ne coïncide pas nécessairement.

[72]            Pour que cet argument puisse être retenu, l'avocat doit établir que l'Impériale a prêté indirectement de l'argent à une banque. Or, bien que REFCO soit une filiale à part entière d'une institution financière, ses activités sont différentes de celle de sa société-mère. Elle finance des comptes débiteurs et fournit des garanties contre l'insolvabilité des débiteurs de ces créances. C'est REFCO, et non la banque, qui pouvait utiliser l'argent prêté par l'Impériale. La banque et sa filiale sont deux personnes morales distinctes qui sont assujetties à des régimes fiscaux différents aux termes de la partie I.3 de la Loi. Ce n'est pas parce qu'une banque garantit un prêt qu'elle doit être considérée comme l'emprunteur de l'argent prêté (Federated Co-operatives Ltd. c. Sa Majesté la Reine, [2001] DTC 5414, à la page 5420 (C.A.F.)).


[73]            En bref, contrairement à la thèse défendue par le ministre, les opérations à l'examen en l'espèce ne sauraient être qualifiées de « dettes à court terme contractées par une institution financière » et ce, même si le groupe de gestion de l'encaisse de l'Impériale les a fait entrer dans la catégorie des placements sous la rubrique « produits bancaires » . En d'autres termes, il n'y a aucune contradiction entre l'effet de l'opération et sa forme juridique.

[74]            Troisièmement, l'avocat du ministre soutient que le principe fondamental des dispositions relatives à la déduction pour placements a été enfreint en permettant que le même montant de capital échappe à l'imposition tant entre les mains du prêteur qu'entre celles de l'emprunteur. Ainsi, le prêt consenti par l'Impériale à toute personne morale dont la date de clôture d'exercice est différente de la sienne devrait tomber sous le coup de la DGAE, à condition que le prêt soit consenti principalement dans le but de réduire ou d'éliminer l'impôt spécial sur les grandes sociétés dû par l'Impériale. L'avocat fait valoir que ce prêt irait à l'encontre des objectifs visés à la partie I.3, à savoir faire en sorte que les grandes sociétés paient un montant minimal d'impôts pour réduire le déficit en augmentant les recettes et protéger les petites sociétés contre les taux d'imposition élevés.

[75]            Comme nous l'avons déjà signalé, la difficulté que soulève cet argument est qu'il s'appliquerait à toute mesure de planification fiscale visant principalement à réduire le capital imposable d'une société. Or, il est évident que le législateur fédéral ne voulait pas que toutes les opérations d'évitement soient considérées comme entraînant un « abus » dans l'application de la Loi.


[76]            Ainsi, si l'avocat du ministre avait raison, le prêt consenti aux sociétés dont le capital est de beaucoup inférieur à dix millions de dollars tomberait également sous le coup de la DGAE s'il s'agit d'une opération d'évitement. En conséquence, si l'Impériale avait pu réclamer à titre de déduction pour placements le montant du prêt consenti à toute société ayant une date de clôture d'exercice différente ou dont le capital est inférieur à dix millions de dollars, nous ne voyons pas comment on pourrait prétendre que le principe fondamental des dispositions relatives à la déduction pour placements serait violé si l'emprunteur se trouve être la filiale à part entière de l'institution financière qui a garanti le prêt. À notre avis, les principes ou les objectifs des dispositions relatives à la déduction pour placements de la Loi ne permettent pas d'en arriver à une telle conclusion.

[77]            Par ailleurs, le fait que les modalités de l'opération étaient tout à fait ordinaires est pertinent pour trancher la question de savoir si le prêt a entraîné un abus. Ainsi, le prêt satisfaisait aux critères employés par l'Impériale pour investir son excédent d'encaisse. En outre, il portait intérêt et ce, malgré le fait que, sans avantage fiscal, le véritable taux de rendement était un peu moins élevé que celui que l'Impériale aurait autrement obtenu, parce qu'elle avait versé des honoraires à la banque qui avait pris les mesures nécessaires pour organiser le prêt. Le terme du prêt et la garantie étaient conformes aux pratiques commerciales courantes. Le prêt ne comportait aucun élément artificiel qui n'aurait pas visé un but commercial.


[78]            En bref, le prêt avait un objet commercial authentique et ce, même si son objet principal était d'épargner de l'impôt, comme le juge de la Cour de l'impôt l'a estimé lorsqu'il a conclu que le prêt était une opération d'évitement. S'agissant d'une déduction pour placements, une conclusion d' « abus » ne peut reposer sur le fait que l'Impériale a augmenté son pourcentage de l'encaisse investi dans un « produit bancaire » pour obtenir un taux de rendement plus élevé grâce à l'économie d'impôt ainsi réalisée sans pour autant diminuer que la garantie afférente au prêt consenti à la banque. Il est difficile de qualifier cette opération d'audacieuse ou de hasardeuse.

[79]            L'Impériale s'est sans doute prévalue d'une lacune dans la législation fiscale, en l'occurrence l'absence de dispositions traitant des conséquences découlant de la différence de dates de clôtures d'exercice de personnes morales. Mais, comme nous l'avons déjà signalé, ce fait ne saurait en soi être considéré comme un « abus » dans l'application de la loi. D'ailleurs, le législateur fédéral était parfaitement en mesure de prévoir que de grandes sociétés consentent des prêts à court terme à d'autres grandes sociétés dont la date de clôture d'exercice est différente de celle de la leur, permettant ainsi aux sociétés prêteuses et aux sociétés emprunteuses de se soustraire à l'impôt spécial sur les grandes sociétés jusqu'à concurrence du montant des prêts.


[80]            Le régime établi par le législateur fédéral invitait ainsi pratiquement les sociétés à se servir de la différence de dates de clôture de leur exercice pour calculer leur capital imposable. Par contraste, le législateur fédéral a empêché les contribuables de recourir à un stratagème tout aussi prévisible visant à se soustraire à l'impôt spécial sur les grandes sociétés, en partageant le capital entre les sociétés apparentées de manière à ce que chacune d'entre elles possède une valeur en capital inférieure à dix millions de dollars. Les sociétés apparentées doivent se partager une somme unique de dix millions de dollars déductible (paragraphes 181.5(1) et (2)).

[81]            Pour résumer, il y a trois raisons pour lesquelles le prêt consenti par l'Impériale à REFCO est une opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'a pas entraîné, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la Loi relatives à la déduction pour placements. Premièrement, le prêt n'allait pas à l'encontre de l'objectif que visait le législateur fédéral en prévoyant qu'un prêt à court terme consenti à une institution financière ne donne pas droit à une déduction pour placements. Deuxièmement, comme le prêt consenti à REFCO n'a pas été consenti à une institution financière, il ne permettait pas à l'Impériale de faire indirectement ce qu'elle ne pouvait pas faire directement. Troisièmement, le prêt était une opération commerciale ordinaire ne comportant aucun élément artificiel et cette opération avait été entreprise à la fois à des fins fiscales et à des fins non fiscales.

[82]            Le ministre ne nous a donc pas persuadés que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur justifiant la révision de sa décision en accueillant l'appel interjeté par l'Impériale de la nouvelle cotisation établie à son égard.


c) L'opération a-t-elle entraîné un « abus » dans l'application des dispositions de la loi « lue dans son ensemble »

[83]            L'avocat du ministre fait valoir que, pour décider s'il y a eu « abus » , la Cour doit tenir compte du contexte législatif plus large dans lequel s'inscrit l'impôt spécial sur les grandes sociétés, et non seulement des dispositions relatives à la déduction pour placements. L'avocat soutient en particulier qu'il ressort de la Loi que le capital d'une société à la fin de son exercice est censé représenter la valeur de son capital pendant toute l'année et que, par conséquent, qu'il constitue une base valable pour calculer l'impôt spécial sur les grandes sociétés dû par un contribuable déterminé. Ainsi, comme le prêt consenti à REFCO a eu pour effet de ramener le capital de l'Impériale à la clôture de son exercice à un niveau bien inférieur à celui où il s'était situé pendant la plus grande partie de l'année, ce prêt a violé le principe législatif suivant lequel une seule date doit être retenue comme élément fiable et commode pour établir la moyenne du capital de la société pendant toute la durée de l'année d'imposition.

[84]            Nous ne sommes pas d'accord avec le ministre pour dire qu'il existe un principe qui prévoit clairement que le capital d'une société à la clôture de son exercice doit être représentatif de son capital pendant toute la durée de celui-ci et que l'Impériale a contrevenu à ce principe en consentant des prêts de 30 jours à la toute fin de son exercice. La valeur du capital d'une société ne peut être mesurée qu'à une date bien précise et il n'y a rien qui permette de penser que la valeur calculée à cette date représente la valeur du capital de cette société pendant toute l'année en question.


[85]            Si le législateur fédéral avait voulu se servir de la valeur moyenne du capital d'une société pendant toute la durée de l'année pour calculer l'obligation fiscale de cette société en ce qui concerne l'impôt spécial sur les grandes sociétés, il aurait pu obliger les sociétés à déclarer la valeur de leur capital à divers moments au cours de l'année et il aurait calculé l'impôt spécial sur les grandes sociétés en fonction de la valeur moyenne du capital. Cette façon de procéder aurait toutefois imposé aux contribuables un fardeau administratif très lourd. On peut donc penser que le législateur fédéral a retenu une date d'évaluation unique - la clôture de l'exercice de la société - par pur souci de commodité.

[86]            Par ailleurs, il n'y a rien dans les pièces auxquelles nous avons été renvoyés qui appuie l'argument du ministre selon lequel l'impôt prévu à la partie I.3 est calculé à partir du principe que la valeur du capital d'une société à la clôture de son exercice est représentatif de sa valeur pendant toute l'année. Contrairement à la Loi sur l'imposition des corporations de l'Ontario, L.R.O. 1990 ch. C-40, la partie I.3 ne prévoit pas qu'un prêt doit être consenti pour une certaine période minimale pour pouvoir donner droit à une déduction pour placements.

[87]            En résumé, le ministre n'a pas réussir à établir que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur qui justifierait la révision de sa décision lorsqu'il a conclu qu'aucun abus n'avait été commis puisque le prêt n'allait à l'encontre d'aucun principe clair et non ambigu énoncé à la partie I.3 de la Loi considérée dans son ensemble.


F.        DISPOSITIF

[88]            Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.

                    « B.L. Strayer »                             Juge                     

                                                                                   « A.M. Linden »              

                                                                                                     Juge                    

                                                                                « John M. Evans »          

                                                                                                     Juge                   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         A-548-02

INTITULÉ :                                        SA MAJESTÉ LA REINE c. COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 1er OCTOBRE 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (les juges Strayer, Linden et Evans)

DATE DES MOTIFS :                       LE 26 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Ian MacGregor                          POUR L'APPELANTE

et Deen Olsen                                                   

Al Meghji                                              POUR L'INTIMÉE

et Gerald Grenon                                              

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ian MacGregor                          POUR L'APPELANTE

et Deen Olsen

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)                                              

Al Meghji                                              POUR L'INTIMÉE

et Gerald Grenon

Osler Hoskin & Harcourt sarl

Calgary (Alberta)



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