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Date: 19980626


Dossiers: A-836-97

Coram :          LE JUGE DENAULT

             LE JUGE DÉCARY

             LE JUGE LÉTOURNEAU

Entre :

     JACQUES LAUZON

     Requérant

     - et -

     COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE

     L'IMMIGRATION DU CANADA

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intimés

Audiences tenues à Montréal, Québec, le lundi 22 juin et le vendredi 26 juin 1998.

Jugement rendu à Montréal, Québec, le vendredi 26 juin 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE DÉCARY


Date: 19980626


Dossier: A-836-97

Coram:      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

Entre :

     JACQUES LAUZON

     Requérant

     - et -

     COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE

     L'IMMIGRATION DU CANADA

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intimés

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal

     le vendredi, 26 juin 1998)

LE JUGE DÉCARY

[1]      La question que soulève cette demande de contrôle judiciaire, réduite à sa plus simple expression, est la suivante: qui du prestataire appelant ou de son employeur est responsable de rembourser au receveur général le montant des prestations reçues par le prestataire alors qu'il était sous le coup d'un congédiement, lorsqu'il s'avère que ce congédiement était abusif et que l'employeur a été contraint de verser à titre d'indemnité une partie du salaire dont le prestataire avait été privé?

[2]      Les articles pertinents de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985, c. U-1, telle que modifiée ("la Loi") sont les articles 37 et 38, que voici:


37. Lorsqu'un prestataire reçoit des prestations au titre d'une période et que, soit en application d'une sentence arbitrale ou d'un jugement d'un tribunal, soit pour toute autre raison, l'employeur ou une personne autre que l'employeur se trouve par la suite tenu de lui verser une rémunération, notamment des dommages-intérêts pour congédiement abusif, au titre de la même période et lui verse effectivement la rémunération, ce prestataire est tenu de rembourser au receveur général à titre de remboursement d'un versement excédentaire de prestations les prestations qui n'auraient pas été payées si, au moment où elles l'ont été, la rémunération avait été ou devait être versée.

38. (1) Lorsque, soit en application d'une sentence arbitrale ou d'un jugement d'un tribunal, soit pour toute autre raison, un employeur ou une personne autre que l'employeur se trouve tenu de verser une rémunération, notamment des dommages-intérêts pour congédiement abusif, à un prestataire au titre d'une période et a des motifs de croire que des prestations ont été versées à ce prestataire au titre de la même période, cet employeur ou cette autre personne doit vérifier si un remboursement serait dû en vertu de l'article 37, au cas où le prestataire aurait reçu la rémunération et, dans l'affirmative, il est tenu de retenir le montant du remboursement sur la rémunération qu'il doit payer au prestataire et de le verser au receveur général.

(2) Lorsqu'un prestataire a reçu des prestations au titre d'une période et que, soit en application d'une sentence arbitrale ou d'un jugement d'un tribunal soit pour toute autre raison, la somme ou une partie de ces prestations est ou a été retenue sur la rémunération, notamment des dommages-intérêts pour congédiement abusif, qu'un employeur de cette personne est tenu de lui verser au titre de la même période, cet employeur est tenu de verser cette somme ou cette partie des prestations au receveur général à titre de remboursement d'un versement excédentaire de prestations.

37. Where a claimant receives benefit in respect of a period and, pursuant to a labour arbitration award or court judgment, or for any other reasons, an employer or any other person subsequently becomes liable to pay earnings, including damages for wrongful dismissal, to that claimant in respect of the same period and pays the earnings, that claimant shall pay to the Receiver General as repayment of an overpayment of benefit an amount equal to the benefits that would not have been paid if the earnings had been paid or payable at the time the benefit was paid.

38. (1) Where pursuant to a labour arbitration award or court judgment, or for any other reason, an employer or other person becomes liable to pay earnings, including damages for wrongful dismissal, to a claimant in respect of a period and has reason to believe that benefit has been paid to the claimant in respect of that period, that employer or other person shall ascertain whether an amount would be repayable under section 37 if the earnings were paid to the claimant and if so shall deduct that amount from the earnings payable to the claimant and remit that amount to the Receiver General as repayment of an overpayment of benefit.

(2) Where a claimant receives benefit in respect of a period and pursuant to a labour arbitration award or court judgment, or for any other reason, the liability of an employer to pay that claimant earnings, including damages for wrongful dismissal, in respect of the same period is or was reduced by the amount of the benefit or by a portion thereof, the employer shall remit that amount or portion thereof to the Receiver General as repayment of an overpayment of benefit.


[3]      Notre Cour a été appelée à interpréter ces articles dans P.G. Canada c. Ellis, (1992), 145 N.R. 265 (C.A.F. version anglaise seulement). Elle s'est alors dite d'avis

                 [...] que lorsque l'événement particulier prévu au paragraphe 38(2) de la Loi est considéré comme étant survenu, que la responsabilité à l'égard de la Commission soit expressément régie ou non par la transaction, le paragraphe 38(2) en question a priorité sur l'imposition d'une responsabilité conjointe prévue aux articles 35 et 37 [...]                 

[4]      La lecture que nous faisons de ces articles et de cette décision est la suivante.

[5]      Le prestataire congédié injustement qui a reçu des prestations relatives à des semaines à l'égard desquelles l'indemnité lui est versée par son employeur, doit rembourser le montant des prestations reçues. C'est l'article 37.

[6]      L'employeur qui a des motifs de croire que des prestations ont été payées à l'employé congédié a l'obligation, avant de payer l'indemnité à ce dernier, de vérifier auprès de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada ("la Commission") si des prestations sont remboursables par cet employé. Le cas échéant, l'employeur est tenu de déduire de l'indemnité le montant des prestations remboursables par l'employé et de remettre ce montant au receveur général. C'est le paragraphe 38(1).

[7]      L'employeur qui verse une indemnité à son employé mais qui retient, conformément à l'obligation que lui impose le paragraphe 38(1), le montant des prestations que doit rembourser le prestataire aux termes de l'article 37, doit rembourser au receveur général le montant des prestations retenues. C'est le paragraphe 38(2).

[8]      L'employeur qui omet de vérifier auprès de la Commission et qui, en conséquence, ne retient pas le montant des prestations pourtant payées et ne le verse pas au receveur général, en violation de l'obligation que lui impose le paragraphe 38(1), s'expose à une sanction que ce paragraphe ne précise pas, mais qui pourrait bien être le remboursement des sommes que par son incurie il a fait perdre au receveur général. Il n'est pas nécessaire, pour les fins des présents motifs, de dire de quel recours il peut s'agir. Ce qui nous apparaît toutefois certain, contrairement aux prétentions de la procureure du requérant, c'est que le manquement de l'employeur à l'obligation que lui impose le paragraphe 38(1) de vérifier et, le cas échéant, de retenir les montants en question, n'a pas comme corollaire la libération du prestataire de l'obligation que lui impose l'article 37 de rembourser ce qu'il a reçu.

[9]      L'article 37 n'est applicable, par définition, que si l'employeur a fait défaut de retenir les prestations. Ce serait vider cet article de son sens que de dire que le seul fait que l'employeur ait manqué à son obligation de vérifier " l'employeur, dans ce cas, ne retient rien et, donc, n'encaisse rien " permet au prestataire qui, pourtant, encaisse, de conserver ce qu'il reçoit indûment. L'arrêt Ellis décide simplement que là où l'employeur a retenu, c'est lui, plutôt que le prestataire qui n'encaisse rien, que le receveur général doit poursuivre. En ce sens, le paragraphe 38(2) a priorité, comme l'a dit la Cour dans Ellis, sur le paragraphe 37; ce n'est toutefois pas vraiment de priorité dont il s'agit, mais plutôt d'applicabilité: l'article 37 et le paragraphe 38(2) visent deux situations distinctes et s'appliquent, à l'exclusion l'un de l'autre, selon la situation: selon que l'indemnité versée tient compte ou ne tient pas compte des prestations reçues par l'employé pendant son congédiement, c'est l'employeur ou le prestataire qui s'enrichit aux dépens de l'état et qui devra rembourser.

[10]      Cela dit, qu'en est-il, en l'espèce?

[11]      Le 22 juillet 1991, le prestataire formule une demande de prestations après avoir été congédié. La Commission avise aussitôt l'employeur de l'obligation qui serait sienne, dans l'hypothèse où le congédiement était jugé abusif, d'effectuer les retenues décrites à l'article 38 sur le paiement "de tout salaire rétroactif" qui serait versé "par suite du règlement ou de la sentence arbitrale rendue". (Dossier de la demande, à la p. 31).

[12]      Le 16 juin 1992, un commissaire du travail accueille la plainte de congédiement abusif déposée par le prestataire et ordonne à l'employeur de le réintégrer dans son emploi et de lui verser "l'équivalent du salaire et des autres avantages dont [l'a] privé le congédiement". (Dossier, à la p. 56).

[13]      Le 7 août 1992, dans le cadre d'une entente générale de retour au travail, l'employeur s'engage à verser au prestataire un montant dont le quantum doit être négocié entre les parties. (Dossier, à la p. 59).

[14]      Le 20 août 1992, les procureurs du prestataire font part à l'employeur de la réclamation de leur client. Ce dernier réclame une somme de $20,248.20, dont il déduit une somme de $3,540.12 pour rémunération reçue pendant la période du congédiement et une somme de $2,772.00 pour "chômage reçu" pendant cette dite période. La réclamation est ainsi réduite à une somme de $13,936.08. (Dossier, à la p. 63).

[15]      Le 10 décembre 1992, l'employeur et le prestataire, par transaction, s'entendent sur une indemnité de $8,000.00, sans autres précisions. (Dossier, à la p. 64).

[16]      Le 12 janvier 1993, la Commission répartit la somme ainsi reçue de huit mille dollars (nous faisons grâce de certains montants additionnels qui ne sont pas en litige) à compter de la semaine commençant le 14 juillet 1991. Elle informe du même coup le prestataire de son obligation de rembourser les prestations payées au cours de la période en question. (Dossier, à la p. 66). Le montant du trop-payé sera établi à $4,500.00.

[17]      Le prestataire s'objecte au remboursement des prestations reçues au motif que ce n'est pas lui, mais son employeur qui est responsable de ce remboursement aux termes de l'article 38. Le juge-arbitre en vient à la conclusion qu'il n'y a aucune preuve au dossier à l'effet que l'employeur aurait retenu quelque somme que ce soit et qu'en conséquence le paragraphe 38(2) ne s'applique pas. Relativement à la lettre du 20 août 1992, le juge-arbitre en tire la conclusion suivante:

                 Quoique le représentant syndical réduit la somme initiale des prestations de chômage reçues de sa réclamation, cela ne signifie pas que l'employeur a retenu la somme.                 
                      [Dossier, à la p. 217]                 

[18]      Cette inférence ne résiste pas à l'analyse non plus qu'à la preuve qui a été faite des circonstances conduisant à l'établissement d'une somme de $8,000.00 en règlement final de la réclamation du prestataire. Le juge-arbitre n'avait d'autre choix, à notre avis, que d'appliquer l'arrêt Ellis dans lequel l'entente finale qui était intervenue entre l'employeur et le prestataire était à toutes fins utiles semblable à celle intervenue en l'espèce.

[19]      La procureure de la Commission plaide que la Cour ne devrait appliquer le paragraphe 38(2) que lorsque les documents en preuve font expressément état du fait que l'employeur a effectivement retenu le montant des prestations remboursables par son employé. C'est là imposer un fardeau beaucoup trop lourd à un prestataire lorsque celui-ci se bat seul et que l'employeur ne participe pas au débat. La Cour, dans Ellis, a bien dit que le paragraphe 38(2) pouvait s'appliquer "que la responsabilité à l'égard de la Commission soit expressément régie ou non par la transaction".

[20]      L'inférence, la seule qui puisse être tirée de la preuve au dossier, est que le prestataire a réduit sa réclamation contre son employeur parce qu'il savait que ce dernier devait assumer envers la Commission l'obligation de rembourser le trop payé. C'est un cas où il n'est pas possible de croire que l'employeur, dûment avisé de ses obligations légales par la Commission et dûment informé par son employé que ce dernier déduisait le trop-payé de sa réclamation, ne savait pas ce qu'il faisait lorsqu'il a réglé à la baisse avec son employé la réclamation de ce dernier. Cette conclusion, bien sûr, ne vaut que pour le présent litige, auquel l'employeur n'est pas partie, et ne sert qu'à décider du bien-fondé des prétentions du prestataire à l'encontre de celles de la Commission eu égard à l'application des articles 37 ou 38(2) de la Loi.

[21]      La demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie, la décision du juge-arbitre sera annulée et le dossier sera renvoyé au juge-arbitre en chef ou au juge-arbitre qu'il désignera, avec instructions de rejeter l'appel du prestataire eu égard à la répartition, mais de soustraire du trop-payé dont le remboursement est exigible du prestataire la somme de $2,772.00.

     Robert Décary

     j.c.a.

MONTRÉAL, QUÉBEC

Le 26 juin 1998

     COUR FÉDÉRALE D'APPEL


Date: 19980626


Dossiers: A-836-97

Entre :

     JACQUES LAUZON

     Requérant

     - et -

     COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE

     L'IMMIGRATION DU CANADA

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intimés

    

     MOTIFS DU JUGEMENT

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION APPEL

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR :      A-836-97

INTITULÉ :      JACQUES LAUZON

     Requérant

     - et -

     COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE

     L'IMMIGRATION DU CANADA

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intimés

LIEU DES AUDIENCES :      Montréal (Québec)

DATES DES AUDIENCES :      les 22 et 26 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES DENAULT, DÉCARY ET LÉTOURNEAU)

LUS À L'AUDIENCE PAR:      l'Honorable juge Décary

En date du:      26 juin 1998

COMPARUTIONS :

Me Marie Pépin      pour le requérant

Me Carole Bureau et      pour les intimés

Me Francisco Couto

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SAUVÉ ET RAY      pour le requérant

(Avocats, Service juridique CSN)

Montréal (Québec)

George Thomson      pour les intimés

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

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