Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20041022

Dossiers : A-261-03

A-36-04

Référence : 2004 CAF 348

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

LA SECTION LOCALE 2213 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE

en son propre nom et au nom de tous les membres de

LA SECTION LOCALE 2213 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE EMPLOYÉS PAR AIR CANADA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

LE SYNDICAT NATIONAL DE L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA),

LA SECTION LOCALE 1990 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE et

AIR CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                    Audience tenue à Toronto (Ontario), le 6 octobre 2004.

                                        Motifs du jugement prononcés le 22 octobre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE SEXTON

                                                                                                                               LE JUGE EVANS


Date : 20041022

Dossiers : A-261-03

A-36-04

                                                                                                                Référence : 2004 CAF 348

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

LA SECTION LOCALE 2213 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE

en son propre nom et au nom de tous les membres de

LA SECTION LOCALE 2213 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE EMPLOYÉS PAR AIR CANADA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

LE SYNDICAT NATIONAL DE L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA),

LA SECTION LOCALE 1990 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE et

AIR CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LINDEN

[1]                Les présentes demandes constituent de nouveaux chapitres qui s'ajoutent à la saga judiciaire faisant suite à la fusion d'Air Canada (AC) et de Lignes aériennes Canadien International ltée (LACI) le 4 janvier 2000. Des questions d'ancienneté découlant de l'intégration de l'unité de négociation regroupant les préposés aux ventes et aux services sont au coeur du présent litige.


[2]                La demanderesse, la section locale 2213 du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (la section locale 2213), sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), l'une en date du 14 mai 2003 (la décision d'incorporation) et l'autre en date du 24 décembre 2003 (la décision de réexamen). La décision du 14 mai 2003 incorporait dans une ordonnance une décision rendue le 25 septembre 2001 par l'arbitre Thomas Joliffe. La décision de réexamen rejetait la demande d'annulation de la décision d'incorporation présentée par la demanderesse. La section locale 2213 sollicite maintenant le contrôle judiciaire de ces deux décisions. (Elle a également présenté à la Cour fédérale du Canada une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision arbitrale, laquelle n'a pas encore été tranchée (T-1919-01).)


[3]                Le 4 janvier 2000, AC s'est portée acquéreur de LACI et la fusion des deux transporteurs aériens s'en est suivie. Les préposés aux ventes et aux services à AC étaient représentés par la section locale 2213. Les préposés aux ventes et aux services à LACI, ainsi que certains préposés au fret, au chargement et à la manutention des bagages, étaient représentés par la section locale 1990 du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (la section locale 1990). Le 22 septembre 2000, le Conseil a jugé que AC et LACI constituaient un employeur unique (en vertu de l'article 35 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2). Le Conseil a ensuite déclaré que la procédure prévue aux paragraphes 18.1(2), (3) et (4) du Code canadien du travail (le Code) serait engagée et elle a demandé aux parties de « s'entendre dans un délai raisonnable sur la détermination des unités de négociation et le règlement de toute question découlant de la révision » .

[4]                Le 24 janvier 2001, le Conseil a déterminé la composition de la nouvelle unité de négociation des ventes et des services à AC. Les préposés aux ventes et aux services des sections locales 1990 et 2213 ont été regroupés dans une nouvelle unité de négociation des ventes et des services devant être représentée par la section locale 2213. Les préposés au fret, au chargement et à la manutention des bagages qui étaient représentés par la section locale 1990 ont été également intégrés à cette nouvelle unité de négociation. Toutefois, les fonctions liées aux services de fret, au chargement et à la manutention des bagages ont été transférées à une autre unité de négociation à AC.

[5]                La section locale 1990 a convenu d'adopter la majeure partie de la convention collective de la section locale 2213 avec AC, mais le paragraphe traitant de l'ancienneté prêtait à controverse. L'adoption de la convention collective de la section locale 2213 se traduisait par ailleurs par des augmentations salariales et des améliorations au régime de pension pour les employés de la section locale 1990.


[6]                L'ancienneté, comme c'est le cas pour tous les travailleurs, revêt une grande importance pour les préposés aux ventes et aux services puisqu'elle influe sur de nombreux aspects de leur vie au travail. L'ancienneté est importante parce que, comme ailleurs, elle détermine, dans des conditions de concurrence, l'accès aux postes vacants, les mutations et le lieu de travail, la postulation des horaires et le choix des heures de travail, la mise en disponibilité et les droits de rappel et le choix des périodes de vacances. L'ancienneté n'intéresse toutefois pas la classification des tâches, des salaires et des postes.

[7]                L'intégration des listes d'ancienneté constituait une préoccupation majeure pour les deux sections locales. Comme elles n'arrivaient pas à s'entendre, elles ont décidé que la question de l'intégration des listes d'ancienneté des deux groupes devait être tranchée par un arbitre. Les sections locales 1990 et 2213, AC et le Conseil ont convenu que l'arbitre Thomas Joliffe statuerait sur la question de l'ancienneté. Toutes les parties ont accepté de se plier à la décision arbitrale et elles ont aussi convenu que cette décision serait incorporée à une ordonnance du Conseil (décision d'incorporation). Ces arrangements ont été consignés dans un protocole d'entente signé le 28 janvier 2001.


[8]                Devant l'arbitre, la section locale 2213 a fait valoir que la liste d'ancienneté de la section locale 1990 devrait être raboutée, c'est-à-dire que tous les employés de cette section locale devraient être ajoutés au bas de la liste d'ancienneté de la section locale 2213. Subsidiairement, le cas advenant que le raboutage ne soit pas la solution retenue, la section locale 2213 a proposé que les employés devraient être intégrés à la liste d'ancienneté suivant un ratio de cinq pour un, ce qui signifie que la liste d'ancienneté fusionnée commencerait avec les cinq employés ayant le plus d'ancienneté à AC suivis de l'employé ayant le plus d'ancienneté à LACI, puis des cinq autres employés ayant le plus d'ancienneté à AC suivis du deuxième employé ayant le plus d'ancienneté à LACI, et ainsi de suite. La section locale 2213 a allégué que les membres de la section locale 1990 qui avaient occupé des postes liés aux services de fret, au chargement et à la manutention des bagages et qui faisaient maintenant partie du groupe des ventes et des services devaient assurément être ajoutés au bas de la liste d'ancienneté.

[9]                La section locale 1990 a préconisé l'imbrication des listes. Elle a allégué que les listes d'ancienneté des deux groupes devraient être intégrées de manière que l'employé le plus ancien des deux groupes soit suivi du second employé le plus ancien des deux groupes, et ainsi de suite. La section locale 1990 a fait valoir que les méthodes d'intégration par raboutage et par application d'un ratio seraient injustes pour ses membres, puisque bon nombre d'entre eux verraient leur ancienneté considérablement réduite. En outre, dans le contexte d'une fusion, LACI avait comme ligne de conduite de procéder à l'imbrication des listes d'ancienneté en fonction de la date d'embauche des employés.


[10]            La section locale 2213 ne voulait pas de l'imbrication des listes d'ancienneté pour plusieurs raisons. Comme premier motif, elle a allégué que cette méthode ne faisait pas partie de la ligne de conduite observée à AC par le passé. Même si d'autres transporteurs aériens, dont LACI, avaient souvent eu recours à la méthode d'imbrication pour intégrer des employés provenant d'autres unités de négociation dans le contexte d'une fusion, cette ligne de conduite n'avait pas été suivie à AC. Les travailleurs d'autres unités de négociation qui joignaient les rangs d'une catégorie protégée par la convention collective de la section locale 2213 étaient toujours ajoutés au bas de la liste, et ce, même s'ils provenaient d'une autre unité de négociation à AC. Seul un changement de catégorie au sein de la section locale 2213 permettait de conserver l'ancienneté. Il serait donc injuste de procéder à l'imbrication des deux listes compte tenu de cette situation.


[11]            Comme deuxième motif, lequel constituait pour l'essentiel un développement du premier argument, la section locale 2213 a avancé que les listes d'ancienneté ne devraient pas être imbriquées parce que la convention collective et les conditions de travail de la section locale 1990 permettaient d'accumuler l'ancienneté dans des possibilités qui n'étaient pas offertes à la section locale 2213. Ainsi, un employé de la section locale 1990 qui arrivait d'une autre unité de négociation à l'intérieur de LACI mais à l'extérieur de la section locale 1990 pouvait conserver son ancienneté. L'employé de LACI joignait simplement les rangs de la section locale 1990 avec son ancienneté. Par contre, les employés de la section locale 2213 ne pouvaient conserver leur ancienneté en pareille situation; ils étaient plutôt placés au bas de la liste. La section locale 2213 a fait valoir qu'imbriquer les listes d'ancienneté des deux groupes serait une erreur car cela avantagerait injustement les employés de la section locale 1990 qui ont pu en pareille situation conserver leur ancienneté ou désavantagerait injustement les employés de la section locale 2213 qui ont en pareille situation perdu leur ancienneté. La section locale 2213 a estimé que le tiers de ses travailleurs avait perdu son ancienneté en passant à l'unité de négociation de la section locale 2213 depuis une autre unité de négociation au sein d'AC. La date d'adhésion à une catégorie de la section locale 2213 est devenue, au lieu de la date d'embauche initiale, la date à partir de laquelle l'ancienneté était calculée à AC. Les employés de la section locale 1990 avaient également la possibilité d'accumuler l'ancienneté lorsqu'ils étaient « en congé » . Cette possibilité a été fortement restreinte à l'égard des employés de la section locale 2213.

[12]                        Comme troisième motif pour expliquer pourquoi elle ne favorisait pas la méthode de l'imbrication, la section locale 2213 a invoqué le fait que cela aurait une incidence négative sur le classement relatif. Elle a prétendu qu'un employé de la section locale 2213 occupant un certain rang-centile d'ancienneté (sur 100 employés) perdrait des rangs une fois l'intégration réalisée. Par contre, les travailleurs de la section locale 1990 verraient leur rang-centile augmenter. Les parties ne s'entendaient pas quant à l'ampleur exacte des désavantages et des avantages. À cet égard, l'arbitre a privilégié la preuve du témoin expert, M. Walker, qui a estimé que, avec la méthode d'imbrication, les employés de la section locale 2213 seraient désavantagés de 2,2 p. 100, tandis que les membres de la section locale 1990 seraient avantagés de 2,3 p. 100, l'écart total étant de 4,5 p. 100.

[13]            Finalement, la section locale 2213 a allégué que, pour décider de la façon d'intégrer les listes d'ancienneté, il fallait prendre en compte certains facteurs économiques. Elle a affirmé que LACI se dirigeait vers la faillite avant que AC s'en soit portée acquéreur et que, pour cette raison, les employés de la section locale 1990 devraient être inscrits au bas de la liste afin que la totalité des risques relatifs à de possibles pertes d'emploi soit assumée par eux, et non par les travailleurs d'AC qui n'était pas acculée à la faillite.


[14]            L'instruction a nécessité quinze jours d'audience devant l'arbitre Joliffe qui a dû se pencher sur une preuve documentaire, des témoignages de vive voix et des rapports d'expert en quantité volumineuse. Dans la décision qu'il a rendue le 25 septembre 2001, l'arbitre a tranché en faveur de la méthode d'imbrication pour les employés du service à la clientèle des deux groupes (à l'exclusion peut-être du groupe de Winnipeg) en précisant ce qui suit : [traduction] « Je conclus que les listes d'ancienneté des deux groupes de préposés qui formeront la nouvelle unité des ventes et du service à la clientèle devraient être intégrées, ou imbriquées, en partant du principe que les employés touchés conservent leur ancienneté [¼] » (page 81).

[15]            La décision de l'arbitre Joliffe s'appuyait sur la conclusion voulant que l'imbrication des listes d'ancienneté soit la norme observée dans le secteur du transport aérien et que cette façon de faire soit juste eu égard à toutes les circonstances. Il a estimé que les deux groupes étaient remarquablement semblables dans leur composition, tant du point de vue des chiffres que de celui de l'ancienneté. Cette similarité aidait à faire en sorte que l'imbrication des listes soit juste. Il a décidé qu'il devait être fait abstraction de la situation économique des deux transporteurs avant la fusion.

[16]            Le Conseil, tel qu'il avait été convenu, a incorporé la décision arbitrale à une ordonnance datée du 14 mai 2003.


[17]            Tel qu'il a été mentionné précédemment, la section locale 2213 a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision arbitrale à la Cour fédérale du Canada et elle a aussi demandé au Conseil de procéder au réexamen de la décision d'incorporation. Le Conseil a accepté de réexaminer la décision d'incorporation, mais il a en définitive rejeté la demande correspondante dans une ordonnance rendue le 24 décembre 2003. Le Conseil n'a cependant pas fourni les motifs de sa décision avant le 10 septembre 2004.

[18]            La section locale 2213 demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision d'incorporation datée du 14 mai 2003 et de la décision de réexamen datée du 24 décembre 2003. Les parties ont convenu que la décision sur laquelle la Cour doit principalement se pencher est celle du réexamen et que l'issue de la demande de contrôle judiciaire de la décision d'incorporation et de la demande de contrôle judiciaire de la décision arbitrale, toujours pendante devant la Cour fédérale du Canada, dépendra du sort de cette décision.

Norme de contrôle           

[19]            Il ressort de l'analyse pragmatique et fonctionnelle réalisée en l'espèce que la décision de réexamen du Conseil ne devrait être modifiée que si elle est « manifestement déraisonnable » (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, [1998] A.C.S. no 46).


[20]            Premièrement, l'absence de droit d'appel dans le Code canadien du travail et la présence d'une clause privative explicite (article 22 du Code) militent en faveur d'une grande retenue judiciaire à l'égard des décisions du Conseil. La clause privative a été qualifiée de clause « étanche » et « générale » (Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations de travail), [1995] 1 R.C.S. 157, [1995] A.C.S. no 4; Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S. 432, [1996] A.C.S. no 72).

[21]            Deuxièmement, il convient pour la Cour de faire preuve d'une grande retenue parce que les décisions à l'étude appartiennent au domaine d'expertise particulier du Conseil (Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations de travail), [1996] 1 R.C.S. 369, [1996] A.C.S. no 14 ). La question de l'intégration des listes d'ancienneté est « polycentrique » de par sa nature, ce qui renforce davantage la notion de retenue judiciaire. La Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit dans l'arrêt Pushpanathan (précité, paragraphe 56) :

[¼] mais certains problèmes exigent la prise en compte de nombreux intérêts simultanément et l'adoption de solutions de nature à assurer en même temps un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes. Quand un régime administratif ressemble davantage à ce modèle, les cours de justice feront preuve de retenue.

[22]            Troisièmement, l'objet des dispositions et de la législation applicables indique qu'il s'agit d'un processus réparateur qui est censé être davantage fondé sur les intérêts que sur les droits afin de favoriser un règlement positif des différends.


[23]            Quatrièmement, la question de l'intégration des listes d'ancienneté est, dans un continuum, plus factuelle que juridique. Les questions mixtes de fait et de droit qui sont plus factuelles que juridiques font l'objet d'une plus grande retenue judiciaire (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; [2002] A.C.S. no 31).

[24]            En résumé, il ressort de l'approche pragmatique et fonctionnelle que la décision du Conseil ne devrait être modifiée que si elle est manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle. Cette qualification est cohérente avec la décision Telus Advanced Communications c. Syndicat des travailleurs en télécommunications (2002 CAF 310, [2002] A.C.F. no 1235), où la Cour a reconnu que les décisions rendues par le Conseil en vertu du paragraphe 18(1) du Code devraient être révisées suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable. (Voir également Assoc. des pilotes d'Air Canada c. Assoc. des pilotes de lignes aériennes, [2003] 4 C.F. 162 (C.A.F.).)

[25]            La Cour doit maintenant décider si la décision de réexamen rendue par le Conseil était manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle.

Analyse

Principes de l'intégration des listes d'ancienneté

[26]            La section locale 2213 a allégué que l'arbitre Joliffe aurait dû invoquer et appliquer les principes énoncés dans la décision du Conseil concernant le cas des pilotes (Air Canada (re), [2002] CCRI no 183). Celle-ci a été rendue le 10 juillet 2002, soit après la décision de l'arbitre Joliffe.


[27]            Plus particulièrement, la section locale 2213 a affirmé, concernant la décision no 183 du CCRI, que les paragraphes 138, 139, 141, 142, 143, 146 et 148 énoncent onze principes applicables à l'intégration des listes d'ancienneté et que ces principes auraient dû être invoqués et appliqués par l'arbitre. Par ailleurs, la section locale 1990 a allégué que certains des principes que la section locale 2213 a fait ressortir visaient expressément à guider les groupes de pilotes dans les négociations et n'étaient pas destinés à servir de principes généraux.

[28]            Toutefois, les deux parties s'entendent pour dire que chaque situation dépend des faits et des circonstances qui lui sont propres et que le principe fondamental vise à faire en sorte que l'intégration des listes d'ancienneté soit un processus juste et équitable, s'harmonisant avec des relations de travail productives et saines.

[29]            Il ne semble exister ni « formule instantanée » ni « formule magique » pour l'intégration des listes d'ancienneté. Cela ressort clairement de la nature de la décision arbitrale en l'espèce qui était axée sur les intérêts plutôt que sur les droits. Dans Syndicat canadien de la fonction publique, division du transport aérien (décision du CCRI no 266), le Conseil a examiné le mandat des arbitres de différend appelés à décider de l'intégration des listes d'ancienneté :   

[¼] on ne peut dire que le mandat de l'arbitre des différends est plus législatif que judiciaire. Sa tâche est différente de celle de l'arbitre des droits car il est appelé à trouver des critères acceptables pour trancher une question à laquelle il n'y a probablement ni bonne ni mauvaise réponse. [¼]


Le Code est muet sur les principes qui régissent l'arbitrage de différends résultant de la fusion d'unités de négociation, ce qui laisse considérablement de latitude aux parties pour régler les questions en litige. La seule condition qui leur est imposée c'est que le résultat doit favoriser des relations de travail saines et productives. Par conséquent, il n'existe pas de formule unique ou magique [¼]. Il n'y ni bonne ni mauvaise réponse, non plus qu'il existe de formule instantanée pour régler tous les différends possibles.

[30]            Il semble que le Conseil continue de soutenir qu'il n'existe aucune « approche préétablie ou méthode de premier choix » . Le Conseil a cité dans sa décision de réexamen (au paragraphe 68) le paragraphe suivant extrait de la décision concernant les pilotes avec approbation :

[175] Il convient enfin de formuler une dernière observation. Dans le cadre du présent réexamen, il est devenu évident qu'il n'existe aucune approche préétablie ou méthode de premier choix pour procéder à l'intégration de listes d'ancienneté en vertu du Code. La méthode retenue doit être celle qui est jugée acceptable après un examen attentif des faits et des droits établis en conformité avec le Code.

[31]            Une approche souple qui se veut juste et équitable et qui tient compte des faits particuliers de la situation semble correspondre au premier « principe » de l'intégration des listes d'ancienneté. En fait, il pourrait être injustifié de procéder comme la demanderesse le propose et d'appliquer rigoureusement la liste des « principes » énoncés dans une décision relative à l'intégration des listes d'ancienneté d'un autre groupe qui, même s'il présente des similitudes à certains égards avec le groupe visé en l'espèce, se différencie à d'autres égards. L'arbitre a fait la distinction entre les préposés aux ventes et aux services à la clientèle et les pilotes en ce qui a trait à la composition des groupes à fusionner et à l'importance générale de l'ancienneté. Les groupes de préposés aux ventes et aux services à la clientèle à fusionner étaient remarquablement semblables du point de vue de la composition, ce qui n'était pas le cas pour les pilotes. Le Conseil a également fait une distinction entre les préposés aux ventes et aux services à la clientèle et les pilotes en fonction de l'importance de l'ancienneté en précisant ce qui suit (paragraphe 45 de la décision de réexamen) :


La rémunération ainsi que les conditions de travail des préposés aux ventes et aux services à la clientèle, y compris leur classification professionnelle sont fixes, ce qui signifie qu'ils n'ont pas besoin de poser leur candidature pour être affectés à l'appareil de leur choix, au lieu de travail désiré avec le statut professionnel voulu comme le font les pilotes. L'ancienneté concurrente revêt certes de l'importance, mais pas autant que pour l'unité de négociation des pilotes.

[32]            Dans sa décision de réexamen, le Conseil a estimé que l'arbitre avait procédé à un examen attentif de tous les faits pertinents avant de choisir une méthode d'intégration des listes d'ancienneté préservant « en grande partie » les droits négociés des parties et qu'il n'avait pas commis d'erreur de principe.

[33]            L'application des mêmes principes à toutes les intégrations de listes d'ancienneté, comme le préconise la section locale 2213, imposerait une rigidité inutile à un processus qui exige de la souplesse. L'arbitre et le Conseil n'ont pas agi de façon clairement irrationnelle en ayant recours à une approche souple dans le but d'en arriver à une solution juste et équitable.

Date de l'intégration des listes d'ancienneté


[34]            La demanderesse a allégué que le défaut de l'arbitre de fixer une date pour l'intégration des listes d'ancienneté constitue une erreur. Dans la décision de réexamen, le Conseil a jugé qu'il n'était pas nécessaire de fixer une date. Avec la méthode d'imbrication, les listes d'ancienneté sont habituellement imbriquées suivant la date d'ancienneté de chacun. Par conséquent, la date à laquelle l'intégration a réellement lieu revêt peu d'importance. Dans le cas des travailleurs de la section locale 1990, la date d'ancienneté correspondra habituellement à la date d'embauche, tandis que, dans le cas des travailleurs de la section locale 2213, il s'agira normalement de la date d'adhésion à une catégorie de cette section locale. Dans l'un ou l'autre des cas, la date de l'intégration n'aura aucune incidence sur la date d'ancienneté.

[35]            Dans la preuve d'expert produite au nom des parties, les dates d'ancienneté inscrites sur les listes d'ancienneté datées du 3 janvier 2000 étaient constamment utilisées pour évaluer les effets de l'imbrication. Il appert que l'arbitre Joliffe prévoyait que les travailleurs conserveraient leur ancienneté telle qu'elle était au 3 janvier 2000, lorsqu'il a affirmé à la page 81 de sa décision que les listes d'ancienneté : [traduction] « [¼] devraient être intégrées, ou imbriquées, en partant du principe que les employés touchés conservent leur ancienneté » . Tel qu'il a été mentionné précédemment, la date d'ancienneté correspond habituellement à la date d'embauche dans le cas de la section locale 1990 et à la date d'adhésion à une catégorie dans le cas de la section locale 2213.

[36]            À mon avis, par conséquent, la conclusion du Conseil selon laquelle il n'était pas nécessaire de fixer une date d'intégration n'était pas manifestement déraisonnable.

Analyse de l'incidence de l'imbrication


[37]            La demanderesse a également allégué que, dans l'analyse de l'incidence de l'imbrication des listes d'ancienneté, la date utilisée par l'arbitre, à savoir le 3 janvier 2000, n'était pas la bonne. Le Conseil a accepté d'entendre une preuve supplémentaire sur ce point, compte tenu de la décision rendue récemment dans le cas des pilotes. La demanderesse a soutenu que les dates appropriées pour évaluer l'incidence de l'imbrication étaient soit le 26 septembre 2002 (date à laquelle le Conseil a décidé que les préposés aux ventes et aux services à la clientèle seraient représentés par une seule unité de négociation regroupée) ou le 24 janvier 2001 (date à laquelle le Conseil a décidé qu'il regroupait les unités de négociation).

[38]            Le Conseil a conclu que l'arbitre avait à bon droit utilisé la date du 3 janvier 2000. Il a estimé qu'une date postérieure aurait exagéré les effets négatifs sur la section locale 2213 parce qu'environ 780 nouveaux employés avaient été ajoutés à la liste à l'été 2000 (en raison principalement du fait que les employés de LACI ne pouvaient pas travailler à AC puisque les questions relatives à la convention collective n'avaient pas encore été réglées). Compte tenu du fait que ces nouveaux employés étaient des recrues, le Conseil a jugé qu'il était approprié de les ajouter au bas de la liste d'ancienneté fusionnée. La date implicitement choisie par l'arbitre avait cet effet. Le Conseil a estimé que l'utilisation de cette date était juste et équitable.

[39]            Abstraction faite de la date choisie, la section locale 2213 a allégué que la méthode d'imbrication serait injuste pour ses travailleurs parce qu'elle aurait une incidence négative sur leur classement relatif. Des experts ont témoigné devant l'arbitre sur cette question tant pour la section locale 2213 que pour la section locale 1990. L'arbitre a préféré la preuve de M. Walker, l'expert de la section locale 1990, qui a conclu que l'effet combiné serait d'environ 4,5 p. 100. Il a estimé que les employés de la section locale 2213 seraient désavantagés de 2,2 p. 100, tandis que les membres de la section locale 1990 seraient avantagés de 2,3 p. 100, par suite de l'intégration des listes d'ancienneté au moyen de la méthode d'imbrication.


[40]            La section locale 2213 allègue que l'analyse de M. Walker est imparfaite puisqu'elle exclut le groupe de travailleurs qui ont tiré avantage d'un programme de départ volontaire (PDV) offert par Air Canada. La section locale 2213 prétend que, lorsque ce groupe est inclus dans une analyse de l'incidence, ses travailleurs sont désavantagés dans une plus large mesure que ce que M. Walker a déterminé.

[41]            L'arbitre a bien compris les conséquences de l'exclusion de ce groupe. En excluant le groupe du PDV, la similarité de l'ancienneté entre les groupes était renforcée. Les listes d'ancienneté des sections locales 2213 et 1990 étaient remarquablement semblables, tant au plan de l'ancienneté qu'au plan des chiffres, lorsque ce groupe d'employés de longue date était exclu de la section locale 2213. Il n'était pas déraisonnable de la part de l'arbitre d'exclure ce groupe, parce que son exclusion fait en sorte que l'analyse révèle l'incidence réelle sur les employés à la suite d'une intégration par imbrication, et non l'incidence plus théorique alléguée par la section locale 2213.

[42]            Le Conseil a également examiné la proposition faite par la section locale 2213, suivant laquelle l'intégration par application d'un ratio serait plus juste. Le Conseil a mentionné que l'application d'un ratio mènerait peut-être, au moins en théorie, à une intégration plus précise si elle était assortie d'une définition minutieuse des catégories, d'une entente sur la date d'intégration la plus pertinente et d'une analyse de divers autres facteurs pertinents. Toutefois, le Conseil n'a pas estimé, eu égard aux circonstances, que les arguments avancés par la section locale 2213 justifiaient la modification de la décision rendue par l'arbitre.


[43]            Le Conseil a estimé que, sur la foi des éléments de preuve contradictoires, l'arbitre n'avait pas rendu une décision entachée d'une erreur et que l'incidence de l'imbrication des listes d'ancienneté n'était pas « inacceptable » . Il a en outre conclu ce qui suit au paragraphe 67 des motifs de la décision de réexamen :

Compte tenu des faits nouveaux, c'est-à-dire des données et analyses supplémentaires portées ultérieurement à la connaissance du Conseil, l'examen de facteurs tels que les rapports contradictoires des experts en ce qui concerne la signification et l'interprétation de ces faits nouveaux, et l'incertitude qui en résulte, la décision conjointe des parties d'accepter les conclusions de l'arbitre sous réserve d'un contrôle judiciaire, l'ampleur de la perte d'ancienneté relative, les utilisations de l'ancienneté dans le contexte de la vente et du service à la clientèle, et les autres facteurs et circonstances exposés dans les observations des parties, ne permet pas au Conseil d'établir que les circonstances ou les faits nouveaux justifient le réexamen de la décision de l'arbitre.

[44]            Il faut noter que la section locale 2213 a allégué que les préposés au fret, au chargement et à la manutention des bagages de la section locale 1990, qui font maintenant partie de l'unité des préposés aux ventes et aux services, devraient être placés au bas de la liste d'ancienneté. Je ne suis pas persuadé qu'il était clairement irrationnel de ne pas traiter ce groupe différemment, simplement parce que les fonctions correspondantes ont été transférées à une autre unité de négociation. Ce groupe figurait dans l'analyse de l'incidence réalisée par M. Walker, une incidence qui n'a pas été jugée inacceptable dans toutes les circonstances.

[45]            Je ne suis pas convaincu que le Conseil a fait erreur dans son évaluation de l'incidence de l'imbrication sur la section locale 2213. Le Conseil a pris connaissance de la preuve contradictoire concernant l'incidence et il a estimé que cette incidence n'était pas « inacceptable » . Examinée de façon raisonnable, la preuve peut servir de fondement à la conclusion du Conseil qui n'est pas clairement irrationnelle.


[46]            La demanderesse a également soutenu que le Conseil a mal compris la nature des listes d'ancienneté, en ce qui a trait aux dates sur lesquelles l'ancienneté était fondée, mais je ne suis pas convaincu que cela était le cas. Le Conseil a simplement utilisé une description imprécise et abrégée de la situation dans la discussion. Il faut également noter que la demanderesse ne semble pas avoir fait ressortir l'importance des différentes méthodes de calcul de l'ancienneté pour la fusion des deux listes d'ancienneté, préférant mettre l'accent sur la méthode de raboutage plutôt que sur celle de l'imbrication.

[47]            En résumé, la décision de réexamen du Conseil n'était pas manifestement déraisonnable et, en conséquence, elle ne sera pas modifiée.

[48]            Les deux demandes seront rejetées, un seul mémoire de frais étant accordé aux défendeurs. Air Canada n'a pas réclamé de dépens et, par conséquent, aucuns dépens ne lui seront adjugés.

                                                                                                           

                                                                                   « A.M. Linden »                         

juge

                                                                                                                                     

« Je souscris aux présents motifs

      J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs

       John M. Evans, juge »

Traduction certifiée conforme


Jacques Deschênes, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                             A-261-03

A-36-04

INTITULÉ :                                              LA SECTION LOCALE 2213 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE en son propre nom et au nom de tous les membres de LA SECTION LOCALE 2213 DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE L'AUTOMOBILE EMPLOYÉS PAR AIR CANADA

c.

LE SYNDICAT NATIONAL DE                                                                                               L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE, DU                                                               TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS                                                                     ET TRAVAILLEUSES DU CANADA                                                                           (TCA-CANADA), LA SECTION LOCALE 1990                                                                       DES TRAVAILLEURS CANADIENS DE                                                                          L'AUTOMOBILE et AIR CANADA

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 6 OCTOBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DES MOTIFS DU

JUGEMENT :                                           LE 22 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Douglas J. Wray                                       POUR LA DEMANDERESSE

Denis W. Ellickson                            

Lewis Gottheil                                           POUR LE DÉFENDEUR,

TCA-CANADA

Stuart Rush, c.r.                                        POUR LE DÉFENDEUR

Bruce Stadfeld                                          TCA-CANADA, section locale 1990


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                              

Caley Wray                                               POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                   

Contentieux TCA-CANADA              POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)                                      TCA -CANADA

Rush Crane Guenther                              POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (C.-B.)                                     TCA -CANADA, section locale 1990

        


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