Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19981008


Dossier : A-242-98

CORAM          LE JUGE DESJARDINS
             LE JUGE LINDEN
             LE JUGE LÉTOURNEAU     

ENTRE

     SHELL CANADA LIMITÉE,

     (demanderesse)

     intimée,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     (intimé)

     appelant,

Audience tenue à Toronto, les lundi et mardi 5 et 6 octobre 1998.

Jugement prononcé à l"audience à Toronto, le jeudi 8 octobre 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE DESJARDINS


Date : 19981008


Dossier : A-242-98

CORAM          LE JUGE DESJARDINS
             LE JUGE LINDEN
             LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE

     SHELL CANADA LIMITÉE,     

     (demanderesse)

     intimée,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     (intimé)

     appelant.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l"audience à Toronto, le jeudi 8 octobre 1998)

LE JUGE DESJARDINS

[1]      Le présent appel vise une décision du juge des requêtes qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par Shell Canada à l"encontre de la décision rendue par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) en vertu de l"article 57 du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes1.

[2]      La question qui se pose consiste à se demander si le ministre a eu raison de confirmer une décision du gestionnaire de Pétrole et gaz des Indiens du Canada (PGIC) qui, pour les années 1983 à 1988, a soustrait la valeur des crédits d"impôt à l"investissement (CII) gagnés par Shell sous le régime de la Loi de l"impôt sur le revenu (la Loi) de la déduction demandée par cette société pour frais de traitement, appelés aussi la déduction pour amortissement du gaz (la DPAG). Le gestionnaire a agi sous le régime du paragraphe 21(1) dudit Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes et en vertu du paragraphe 2(4) de l"annexe I de ce règlement1. Le paragraphe 2(4) de l"annexe I prévoit ce qui suit :

(4) Where gas is processed by a method other than gravity, the royalty on the gas obtained therefrom shall be calculated on the actual selling price of that gas, but such costs of processing as the Manager may from time to time consider fair and reasonable, calculated on the total of the basis and the supplementary royalty portion of production, shall be allowed.

     [Emphasis added]

(4) Lorsque le gaz est traité par une méthode autre que la gravité, la redevance pour le gaz produit de cette façon est calculée d"après le prix de vente réel de ce gaz, mais doivent être déduits les frais de traitement, que le gestionnaire peut juger justes et équitables de temps à autre, calculés sur le total de la partie de la redevance de base et de la redevance supplémentaire de la production.

     [Je souligne]

[3]      Le juge des requêtes a conclu que le ministre avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire en appliquant le règlement de manière rétroactive et en privant Shell de la possibilité de répondre aux observations que PGIC lui avait transmises.

[4]      De 1983 à 1988, Shell Canada a, pour établir les redevances sur le gaz naturel qu"elle devait payer à PGIC, en fiducie au bénéfice de la bande indienne Stoney de l'Alberta, calculé sa DPAG conformément aux Guidelines for the Calculation and Reporting of Gas Cost Allowance for Natural Gas and Associated By-Products on Indian Lands (les lignes directrices), publiées par la Direction des ressources minérales des Indiens (Ouest) en juillet 19821. Ainsi, Shell a calculé sa DPAG en fonction du coût des immobilisations pertinentes1.

[5]      Rien dans ces lignes directrices n"indique qu"en vertu du paragraphe 2(4) de l"annexe I du règlement, il faut soustraire les CII des frais de traitement.

[6]      Pendant les années concernées, les déclarations de revenus de Shell ont été traitées sur la base de la bonne foi. On a vérifié les prix par rapport aux prix de référence connus, et on a surveillé et examiné la vraisemblance de la production et des rapports de production. À la fin de 1985, il a été décidé de procéder à des vérifications en bonne et due forme2.

[7]      Toutefois, PGIC, même vers le 11 octobre 1990, n"avait pas encore adopté de politique définitive établissant que les CII réduisaient les coûts en capital. Au contraire, la pratique existante était d"accepter l"opinion selon laquelle le CII ne réduisait pas ces coûts3.

[8]      Vers mai 1991, PGIC a informé ce secteur d"activité que son consultant Peat Marwick lui avait recommandé de déduire les CII des coûts en capital dans le calcul des déductions pour amortissement. PGIC a demandé la collaboration de ce secteur d"activité pour mettre au point une méthode faisable et raisonnable permettant de gérer les déductions au titre du CII5.

[9]      PGIC savait qu"il était difficile de relier les CII à des dépenses précises et s"est fait dire que souvent des compagnies s"étaient prévalues de dépenses admissibles relativement aux CII, sans recevoir les crédits en raison de leur statut fiscal de société6. PGIC estimait, cependant, qu"il devait aller de l"avant et mettre en application un mécanisme quelconque pour récupérer les CII7.

[10]      Le 14 octobre 1995, le gestionnaire a décidé de réclamer à Shell des redevances supplémentaires exigibles pour les années 1983 à 1988, sachant pertinemment que, ce faisant, il donnait une application rétroactive au règlement8. Le ministre a confirmé la décision du gestionnaire.

[11]      L"avocat de l"appelant soutient que le gestionnaire avait le droit d"agir comme il l"a fait en exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 2(4) de l"annexe I du règlement. Shell, affirme-t-il, ne jouissait d"aucun droit acquis dans la manière de calculer la DPAG.

[12]      Nous souscrivons à l"opinion du juge des requêtes selon laquelle le gestionnaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en agissant de la sorte et que le ministre a commis une erreur en confirmant la décision du gestionnaire.

[13]      Une loi est dite rétroactive9 non seulement lorsqu"elle enlève des droits acquis ou y porte atteinte, mais aussi lorsqu"elle crée une nouvelle obligation, impose un nouveau devoir ou fixe une nouvelle incapacité relativement à des événements déjà passés10.

[14]      De 1983 à 1988, Shell a établi ses déclarations de redevances conformément aux lignes directrices connues. En ajoutant, dans le calcul de la DPAG, un nouvel élément à ceux proposés par ces lignes directives, le gestionnaire a imposé à Shell une nouvelle obligation qui n"était envisagée ni par la loi ni par le règlement. Au contraire, bien que la loi ne traite pas de la rétroactivité, le paragraphe 2(4) de l"annexe montre clairement que le gestionnaire doit admettre la déduction des frais de traitement qu"il peut " juger justes et équitables de temps à autre "11.

[15]      Le tribunaux ont interprété l"expression " de temps à autre " comme étant de nature prospective12. Par conséquent, il ressort manifestement que le règlement interdit le calcul rétroactif et que la décision du ministre était contraire aux dispositions législatives.

[16]      Le juge des requêtes a invoqué un second motif pour considérer que le ministre avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire.

[17]      Lorsqu"elle lui a présenté ses observations, en appel de la décision du gestionnaire, Shell a expressément demandé au ministre d"être informée des observations de PGIC, de manière à avoir la possibilité de répliquer à cette réponse13.

[18]      Shell n"a jamais reçu de copie des observations faites par PGIC, ni de copie de la pièce jointe, un exemplaire d"un rapport fait par le cabinet d"experts-comptables Peat Marwick, dans lequel ce cabinet conseillait à PGIC de déduire les CII de la DPAG. PGIC, de son côté, a pu réfuter l"allégation faite au ministre par Shell, parce que le ministre lui a demandé de fournir des renseignements14 et que Shell15 lui avait transmis une copie des observations qu"elle avait faites au ministre.

[19]      Le juge des requêtes a conclu que l"avis professionnel, donné par un grand cabinet d"experts-comptables à PGIC et présenté par celui-ci au ministre à l"appui de ses observations, était non seulement pertinent, mais aussi important. Nous partageons cette opinion.

[20]      Le recours dont le ministre était de la nature d"une révision de la décision du gestionnaire. Shell avait le fardeau de prouver qu"une telle décision, appuyée par PGIC, était non fondée en droit. Toutefois, elle n"a pas joui du droit d"être informée de ce qui a constitué un élément clé de la décision du gestionnaire.

[21]      Par conséquent, l"appel est rejeté avec dépens.

     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

COUR D"APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE GREFFE :                  A-242-98

APPEL D"UN JUGEMENT RENDU PAR LA DIVISION DE PREMIÈRE INSTANCE LE 19 MARS 1998, " T-139-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Procureur général du Canada c. Shell Canada

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              les 5 et 6 octobre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (les juges Desjardins, Linden et Létourneau) PRONONCÉS À L"AUDIENCE par madame le juge Desjardins le 8 octobre 1998

ONT COMPARU :

James N. Shaw                  POUR L"APPELANT

Al Meghji

P.R.S. Levesque                  POUR L"INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  POUR L"APPELANT

Al Meghi

Bennett Jones Verchere

Calgary (Alberta)                  POUR L"INTIMÉE

__________________

1      DORS/94-753. Cet article est ainsi libellé :

57. (1) A person who is dissatisfied with a decision, direction, action or omission of the Executive Director under these Regulations may, within 60 days after the decision, direction or action or, in the case of an omission, within 60 days after the day on which the omission was discovered or ought to have been discovered, apply in writing to the Minister for a review of the decision, direction, action or omission
(2) The Minister shall review an application made pursuant to subsection (1) and advise the applicant in writing of the final decision in the matter.
57. (1) Quiconque n"est pas satisfait d"une décision ou d"un ordre du directeur exécutif ou de toute mesure prise ou omise par lui selon le présent règlement, peut, dans les 60 jours suivant la décision, l"ordre ou la mesure ou, dans le cas d"une omission, dans les 60 jours suivant le jour où l"omission a été ou aurait dû être découverte, demander par écrit au ministre de réviser la décision, l"ordre, la mesure ou l"omission en cause.
(2) Le ministre doit réviser la demande visée au paragraphe (1) et aviser le demandeur par écrit de sa décision finale.



2      Le règlement alors en vigueur était celui qui est publié au chapitre 963 de la C.R.C.

3      D.A. à la page 48.

4 1      D.A. à la page 28.

5 2      D.A. à la page 145.

36 4      D.A. à la page 165.

7 5      D.A. aux pages 167 et 239.

8      6D.A. aux pages 239 et 240.

9 7      D.A. à la page 167.

10 8      D.A. aux pages 168 et 169. Voir aussi la page 245 où on constate que PGIC, dans l"observation qu"il a transmise au ministre, soutient que le gestionnaire le droit de prendre des décisions et d'établir des règles rétroactives.

11 9      Pour une définition de la rétroactivité, voir l"arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. M.R.N. , [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 279.

12 10      Yen Ben Tew c. Kenderaan Bas Mara (1983), A.C. 553, à la page 558. Voir aussi l"arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission , [1989] 1 R.C.S. 301, aux pages 317 et 318.

13 11      Le paragraphe 21(1) du règlement mentionne aussi l"expression anglaise " from time to time " (alors traduite par " au besoin "). Il prévoit ce qui suit :

21. (1) Except as otherwise provided in a special agreement under subsection 5(2) of the Act, the royalty on oil and gas obtained from or attributable to a contract area shall be the royalty computed in accordance with Schedule I, as amended from time to time, and shall be paid to Her Majesty in right of Canada in trust for the Indian band concerned.
     [Emphasis added]
21. (1) Sauf indication contraire dans un accord spécial visé au paragraphe 5(2) de la Loi, la redevance sur le pétrole et le gaz obtenu d"une zone sous bail ou attribuable à cette zone est celle calculée selon l"annexe I, telle que modifiée au besoin , et est payable à Sa Majesté du chef du Canada, en fiducie, à l"intention de la bande d"Indiens concernée.
     [Je souligne]

14 12      The Attorney General of Alberta and The Minister of Lands and Mines of Alberta and Huggard Assets Limited and The Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 427, aux pages 437 à 441; infirmé pour d"autres motifs par [1953] A.C. 420 (C.P.).

15 13      D.A. aux pages 81 et 120.

16 14      D.A. à la page 169.

17 15      D.A. à la page 171.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.