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Date : 20020109

Dossier : A-81-01

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 9 JANVIER 2002.

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

MARIANNA GEE

intimée

JUGEMENT

L'appel est accueilli et la décision du juge des demandes est infirmée. Les dépens ne sont pas adjugés.

                « B.L.Strayer »                

            Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020109

Dossier : A-81-01

Référence neutre : 2002 CAF 4

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

MARIANNA GEE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le mardi 22 novembre 2001.

JUGEMENT prononcé à Ottawa (Ontario), le mercredi 9 janvier 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                                LE JUGE STRAYER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                     LE JUGE SHARLOW


Date : 20020109

Dossier : A-81-01

Référence neutre : 2002 CAF 4

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

MARIANNA GEE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRAYER

Introduction

[1]         Le présent appel porte sur la question de savoir dans quelle mesure, s'il en est, la Commission canadienne des droits de la personne peut tenir compte d'un règlement entre un employeur et une employée concernant une accusation de harcèlement avant que l'employée dépose une plainte auprès de la Commission au sujet de la même question.


Les faits

[2]         L'intimée est entrée au service du ministère du Revenu national, l'appelant en l'espèce, en 1989. Dès le début de son emploi jusqu'à la fin de l'été 1991, son supérieur immédiat était Douglas McLean. Pendant cette période, elle a consigné un certain nombre d'incidents de harcèlement ou de comportement discriminatoire présumé de la part de son superviseur. Elle s'est prévalue de différents recours internes et a également déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) en février 1993. La CCDP a rejeté cette plainte en s'appuyant sur l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. 1985, ch. H-6) au motif que plus d'un an s'était écoulé depuis les événements faisant l'objet de la plainte. En décembre 1993, elle a déposé à l'interne une plainte de harcèlement à l'encontre de McLean, une enquête interne a été effectuée, et sur les 24 allégations 8 ont été jugées fondées : 6 au titre du harcèlement, 1 au titre de la discrimination et 1 au titre d'un exercice abusif de pouvoir. (Voir les paragraphes 6 et 7 des conclusions du juge des demandes). Par la suite, elle a déposé une autre plainte auprès de la CCDP en janvier 1995, en fournissant d'autres renseignements tirés des enquêtes internes. En février 1995, la CCDP a de nouveau rejeté sa plainte au motif que plus d'un an s'était écoulé depuis les événements faisant l'objet de la plainte et que, comme des mesures correctives avaient été prises par l'employeur, il n'était pas justifié d'accorder une prolongation du délai prévu à l'alinéa 41(1)e).


[3]         Néanmoins, l'intimée n'était pas satisfaite des mesures qui avaient été prises par l'employeur pour répondre à ses préoccupations. Celles-ci découlaient du fait qu'elle avait posé sa candidature à un poste de AU-03 en octobre 1991. Elle s'était classée au cinquième rang de la liste d'admissibilité, ce qui n'était pas suffisant pour obtenir une nomination permanente. À son avis, elle ne s'est pas mieux classée à cause des observations discriminatoires faites par son superviseur dans son évaluation. Comme aucun redressement qu'elle jugeait satisfaisant ne lui avait été accordé, une réunion a eu lieu en octobre 1995 avec le nouveau sous-ministre adjoint, l'administrateur régional des relations de travail et un représentant de son syndicat, l'Institut professionnel de la foncton publique du Canada. Cette réunion a donné lieu à un mémoire d'entente prévoyant ce qui suit :

[TRADUCTION]

MÉMOIRE D'ENTENTE

ENTRE : Mme Marianna Gee et le ministère du Revenu national (ci-après Revenu Canada)

Revenu Canada reconnaît les difficultés personnelles qu'a connues Mme Marianna Gee et qui l'ont amenée à déposer une plainte de harcèlement personnel contre son ancien superviseur, Douglas McLean. Les parties désignées ci-dessus ont convenu de régler toutes les questions découlant de la plainte de harcèlement déposée par Mme Gee et des résultats de l'enquête, au moyen des conditions de règlement suivantes :

1.              Revenu Canada accepte, sous réserve du droit d'appel prévu dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, de nommer sans concours Mme Gee à un poste de gestionnaire d'unité de vérification, AU-03.

2.              Revenu Canada accepte de plus d'accorder à Mme Gee vingt (20) jours « d'autres congés rémunérés » .

3.              Les parties reconnaissent que le présent règlement restera confidentiel et sera appliqué sans publicité et sans créer de précédent, et ne portera préjudice à aucune position que les parties pourront adopter dans l'avenir sur des questions similaires ou identiques.


4.              Mme Gee accepte les conditions du présent règlement à titre de dédommagement intégral et final pour les incidents allégués dans sa plainte et libère définitivement Revenu Canada contre toute autre plainte ou cause d'action découlant de ces faits. (Dossier d'appel, p. 147)

Ce mémoire a été signé par le sous-ministre adjoint au nom de l'appelant et par l'intimée, en novembre 1995. Le représentant syndical ne l'a pas signé.

[4]         Il convient de noter que le mémoire reconnaît [TRADUCTION] « les difficultés personnelles qu'a connues Mme Marianna Gee [...] » , il atteste que les parties ont convenu [TRADUCTION] « de régler toutes les questions découlant de la plainte de harcèlement déposée par Mme Gee [...] » , et il indique que l'appelant a accepté de nommer sans concours l'intimée à un poste de gestionnaire d'unité de vérification, AU-03, mais « sous réserve du droit d'appel prévu dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique [...] » .


[5]         En fait, 33 appels ont été formés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique par d'autres employés à l'encontre de la nomination sans concours de l'intimée au poste de AU-03. Devant le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, le ministère appelant a reconnu qu'il ne pouvait défendre la nomination. Pour le faire, il lui aurait fallu être en mesure d'évaluer officiellement les qualités de l'intimée au regard de celles des 33 appelants. Au cours de la même audience, le syndicat de l'intimée, l'Institut professionnel de la fonction publique, a appuyé les appelants contre l'intimée, en faisant valoir qu'il ne fallait pas remédier à une plainte de discrimination ou de harcèlement (qui ont été reconnus en l'espèce) en procédant à une nomination sans concours, ce qui est contraire au principe du mérite. Par conséquent, le 7 mai 1996, le Comité a accueilli les appels. L'intimée a perdu son statut de AU-03 et est revenue à un poste de AU-02 à un salaire inférieur. Immédiatement après la décision du Comité, elle a demandé un congé pour cause de stress. En septembre 1996, elle a été mutée à un poste chez Conseils et Vérification Canada où elle a gagné un traitement inférieur à celui d'un poste de AU-03 jusqu'en avril 1998, date à laquelle elle a été promue vérificateur principal, ce qui a porté son traitement à un niveau supérieur à celui qu'elle touchait au ministère appelant, au poste de AU-03 qu'elle avait temporairement occupé pour ensuite perdre.

[6]         Le 15 avril 1998, l'intimée a déposé une autre plainte auprès de la CCDP, se plaignant encore de la discrimination exercée contre elle par le ministère appelant après sa première nomination en novembre 1989. Elle a réitéré l'essentiel des plaintes antérieures déposées devant la CCDP, y compris son échec à se faire nommer à un poste de AU-03 en 1991, attribuable à son avis à une évaluation discriminatoire. Elle a résumé la série de recours internes qu'elle a utilisés, y compris les griefs, et elle a décrit la réunion qui a eu lieu en octobre 1995, à l'issue de laquelle une entente a été conclue et a donné lieu au mémoire mentionné ci-dessus. Elle a dit qu'au cours de cette réunion le représentant du ministère l'avait assurée que le ministère défendrait sa nomination sans concours, s'il y avait des appels. Elle a ensuite décrit les positions énoncées au cours de l'audition devant le Comité d'appel, comme il est indiqué ci-dessus, sa rétrogradation subséquente à un poste de AU-02 et sa mutation à un poste permanent à Conseils et Vérification Canada.


[7]         Cette plainte a fait l'objet d'une enquête par la CCDP et l'enquêteur a remis un rapport qui recommandait ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il est recommandé que la Commission examine cette plainte même si le fait générateur s'est produit plus d'un an avant la réception de la plainte.

Il est recommandé que la Commission ne prenne pas d'autres mesures étant donné que la situation qui a donné lieu à la plainte a fait l'objet d'un redressement en ce sens qu'un mémoire d'entente a été signé entre la plaignante et l'intimé. (Dossier d'appel, p. 238)

Ce rapport a été remis aux deux parties qui ont présenté des observations à son sujet et la Commission était alors saisie du rapport d'enquête et des observations auxquelles était joint un certain nombre d'autres documents. Il sera fait référence ci-dessous à ces observations et autres documents lorsqu'ils seront pertinents à l'analyse.

[8]         Le 23 avril 1999, la Commission a informé par écrit l'intimée de sa décision. Les paragraphes pertinents sont les suivants :

[TRADUCTION]

Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné les rapports qui vous ont été communiqués précédemment ainsi que toutes les observations déposées en réponse aux rapports. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, aux termes de l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d'examiner votre plainte (P47628), même si les actes qui en font l'objet se sont produits plus d'un an avant la réception de la plainte.

De plus, la Commission a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu'aucune autre mesure n'est justifiée au vu du mémoire d'entente signé par les parties. (Dossier d'appel, p. 304)


Le sous-alinéa 44(3)b)(i) autorise la Commission à prendre les mesures suivantes à la réception d'un rapport d'enquête :


b) . . . rejette la plainte, si elle est convaincue

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié . . . .

(b) . . . dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted . . . .



[9]         L'intimée a demandé le contrôle judiciaire de cette décision de la Commission au motif que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la plainte en raison de l'entente conclue entre les parties en novembre 1995. En section de première instance, le juge des demandes a statué que la Commission avait traité l'entente comme une libération et lui avait donné l'effet juridique de faire obstacle à toute plainte subséquente devant la Commission. Il a caractérisé ce fait de renonciation à la protection de la Loi, une décision qui va à l'encontre des principes de droit généraux. À son avis, la Commission s'est appuyée sur une considération non pertinente, soit une entente illégale. Il a donc accordé l'ordonnance recherchée, annulant la décision de la CCDP et renvoyant la question à la CCDP ou à un tribunal désigné « [...] au vu de la preuve qui lui est présentée, sans tenir compte du mémoire d'entente entre les parties [...] » . Il ordonné à la CCDP « de toute façon, d'envoyer une lettre à Mme Gee, approuvée par son avocat et signée par son président, attestant qu'elle n'est pas en faute dans toute cette question jusqu'à ce jour [...] » . Il a également adjugé les dépens à l'encontre de la CCDP sur la base avocat-client. Les dépens sur la base avocat-client n'étaient pas demandés dans l'avis de demande de contrôle judiciaire, et le défendeur ne les avait pas non plus réclamés à l'audience. L'avocat a affirmé que le juge des demandes n'avait pas signalé à l'appelant qu'il envisageait d'adjuger les dépens sur cette base.

[10]       L'appelant conteste dans le présent appel l'annulation de la décision de la CCDP et l'adjudication des dépens sur la base avocat-client.

Les questions en litige

[11]       L'appel soulève donc la question de savoir si le juge des demandes a eu raison de statuer que le mémoire d'entente n'aurait pas dû être pris en considération de quelque façon que ce soit par la CCDP, et d'adjuger les dépens sur la base avocat-client.

Analyse

[12]       Il convient de noter tout d'abord que, dans la décision à l'étude mettant en cause cet appelant, la Commission agissait en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) qui l'autorise à rejeter une plainte si elle est convaincue que « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié » (cité au paragraphe 8 ci-dessus). (Dans ses motifs le juge des requêtes a également traité d'une décision prise par la Commission en vertu de l'alinéa 41c) selon laquelle elle n'avait pas compétence pour entendre une plainte contre le syndicat de l'intimée. Pour autant que je puisse en juger, le juge des demandes n'était pas saisi de cette question et nous n'en sommes pas non plus saisis.)


[13]       La présente Cour a à plusieurs reprises indiqué le degré de retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l'égard de la Commission lorsqu'elle décide, après la réception d'un rapport d'enquête, si elle doit rejeter la plainte ou la renvoyer à un tribunal. Par exemple, il a été déclaré dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier ([1999] 1 C.F. 113 (C.A.)) :

L'exercice du pouvoir discrétionnaire

[38] La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude à l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 42 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis » , « devrait » , « normalement ouverts » , « pourrait avantageusement être instruite » , « des circonstances » , « estime indiqué dans les circonstances » , qui ne laisse aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.


Plus récemment, dans l'arrêt Zundel c. Procureur général du Canada et al. ((2000) 267 N.R. 92, au paragraphe 5), la présente Cour a endossé une décision de la Section de première instance ([1999] 4 C.F. 289, aux paragraphes 46 à 49), selon laquelle la norme de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission prise en vertu de l'article 44, c'est-à-dire celle de déférer après enquête une question à un tribunal, devait être de savoir si la décision s'appuyait sur un motif rationnel. Dans l'arrêt Bradley c. Procureur général du Canada ((1999) 238 N.R. 76), la présente Cour a statué que la norme de contrôle d'une décision prise par la Commission en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi de rejeter une plainte au lieu de nommer un conciliateur était celle de la décision raisonnable. Avec respect, je suis d'accord avec mes collègues sur ce point et j'accepte que la norme de contrôle relative à l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui est conféré au sous-alinéa 44(3)b)(i) de rejeter une plainte est celle de la décision raisonnable. C'est la norme qu'il faut appliquer en l'espèce. Pour les motifs qui suivent, je ne peux en toute déférence souscrire à l'opinion du juge des demandes qui a qualifié la décision de la Commission en l'espèce, c'est-à-dire la décision de rejeter la plainte, de refus d'examiner la plainte parce qu'elle en était empêchée par le mémoire d'entente de novembre 1995. À son avis, une telle entente était invalide parce qu'elle était contraire à l'ordre public, qu'elle constituait une renonciation à la protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que la Commission avait donc commis une erreur de droit en lui donnant un effet quelconque. Comme il sera expliqué ci-dessous, je crois que la Commission a effectivement examiné la plainte et par conséquent nous devons vérifier si la décision qui en a résulté selon laquelle il n'était pas justifié de prendre d'autres mesures s'appuyait sur un motif rationnel.


[14]       Il convient de faire observer à cette étape que nous intervenons dans la présente instance parce que la Commission n'a pas pris la peine de s'exprimer clairement dans la lettre qu'elle a envoyée à l'intimée pour l'informer de sa décision, comme il est indiqué ci-dessus au paragraphe 8 : [TRADUCTION] « aucune autre mesure n'est justifiée au vu du mémoire d'entente signé par les parties » . Il est vrai que ni les tribunaux administratifs ni les cours judiciaires ne sont habituellement tenus de fournir des motifs détaillés. Néanmoins, une explication soigneuse et détaillée des motifs n'est pas seulement une question importante pour les parties, mais aussi un exercice salutaire pour le décideur qui s'assure ainsi que sa conclusion se fonde sur un motif valable. L'absence de motifs clairs donne naissance à ce genre de litige inutile dont nous sommes actuellement saisis.


[15]       En l'absence de motifs clairs, toutefois, la Cour doit examiner les documents dont la Commission était saisie et le résultat qui a été atteint et vérifier si ce résultat s'appuie sur un motif rationnel. En l'espèce, un enquêteur de la Commission a fait enquête et un rapport a été envoyé à la Commission avec une recommandation. Étaient jointes à ce rapport les observations faites par les parties concernant le contenu du rapport, qu'elles ont eu la possibilité de lire avant qu'il soit transmis à la Commission, de même qu'un certain nombre d'autres documents connexes rédigés tout au long de cette histoire. Il convient de noter que, dans ses recommandations (citées ci-dessus au paragraphe 7), l'enquêteur laissait entendre qu'il n'était pas justifié de prendre d'autres mesures parce que [TRADUCTION] « la situation qui a donné lieu à la plainte a fait l'objet d'un redressement en ce sens qu'un mémoire d'entente a été signé [...] » . Bien que la Commission n'ait pas retenu la mention du « redressement » dans sa décision, elle a accepté la recommandation. À moins que la Cour « [n'intervienne] à la légère dans les décisions prises par la Commission [...] » , ce qui n'était pas l'intention du législateur, comme la présente Cour l'a reconnu dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (précité), je ne crois pas que nous devrions infirmer la décision de la Commission simplement parce qu'elle n'a pas été bien exprimée.

[16]       Avant d'examiner les autres documents dont était saisie la Commission, il faut reconnaître que l'on ne s'est pas appuyé sur ces documents dans l'argumentation présentée au juge des demandes. Ce dernier a donc limité son examen au texte de la lettre communiquant la décision de la Commission et à l'entente dont il est question dans cette lettre. Toutefois, devant nous, l'argumentation a été élargie; c'est-à-dire que la Commission disposait de documents de base considérables pouvant expliquer sa décision, et qu'en réalité le mémoire d'entente n'était qu'un des éléments pris en compte. À tort ou à raison, il n'est pas rare que des arguments soient modifiés considérablement entre l'instruction et l'appel et cette pratique est acceptée dans la jurisprudence moderne dans la mesure où les nouveaux arguments se fondent sur la même preuve que celle dont était saisi le tribunal de première instance. C'est le cas en l'espèce.



[17]       En fait, nous pouvons constater, d'après le rapport de l'enquêteur et les pièces jointes à son rapport, que la Commission avait devant elle un certain nombre de « circonstances » , résumées ci-après, qui pouvait la justifier d'exercer le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie pour rejeter la plainte comme le prévoit le sous-alinéa 44(3)b)(i). (Les renvois entre parenthèses désignent les pages du dossier d'appel.) Les premiers actes de discrimination qui ont fait l'objet d'une plainte se sont produits en 1991 et 1992. Depuis cette époque, la conduite discriminatoire alléguée faisant l'objet de la plainte est l'omission de [TRADUCTION] « prendre des mesures correctives appropriées » (233). Une enquête interne sur la plainte de harcèlement a été effectuée en 1992 ou 1993 (238 et 263) et le ministère a reconnu que l'intimée avait effectivement été victime de harcèlement (238, 263 et 264). Le rapport d'évaluation discriminatoire préparé par son superviseur en juillet 1991 a été, par suite de son grief et de l'enquête, réécrit le 7 janvier 1993 (238). Elle a déposé une plainte auprès de la Commission le 25 février 1993 et la Commission a refusé d'examiner cette plainte au motif qu'elle était hors délai (c'est-à-dire que les actes ou les omissions faisant l'objet de la plainte s'étaient produits plus d'un an avant le dépôt de la plainte, comme le prévoit l'alinéa 41e) de la Loi). Après que l'enquête interne en 1994 eut établi qu'il y avait eu harcèlement et discrimination, et après que la plaignante eut obtenu ce qu'elle considérait comme une réponse insatisfaisante du ministère, elle a déposé une autre plainte auprès de la Commission en janvier 1995. Encore une fois, le 7 février 1995, la Commission a refusé d'examiner sa plainte (8). C'est dans ce contexte que le mémoire d'entente (précité, paragraphe 3) a été signé en novembre 1995. Il convient de noter que le mémoire s'ouvre sur un préambule dans lequel Revenu Canada [TRADUCTION] « reconnaît les difficultés personnelles qu'a connues Mme Marianna Gee et qui l'ont amenée à déposer une plainte de harcèlement personnel [...] » . La plaignante prétend depuis le début qu'elle aurait dû être nommée à un poste de AU-03 en octobre 1991, si son superviseur n'avait pas versé à son dossier cette évaluation négative et discriminatoire. Toutefois, dans ses observations à la Commission, l'appelant a déclaré que si même la note que l'intimée avait obtenue pour ses références avait été égale aux candidats s'étant les mieux classés, cela ne l'aurait fait avancer que du cinquième au quatrième rang, et qu'en fait, aucune offre n'a été faite aux candidats trois et quatre (248). Pour ce qui est de sa plainte concernant le fait que l'appelant n'a pas respecté le paragraphe 1 du mémoire d'entente dans lequel il acceptait, [TRADUCTION] « sous réserve du droit d'appel » , de la nommer à un poste de AU-03 sans concours, elle s'est plaint qu'après le dépôt de 33 appels contre sa nomination le ministère a refusé d'appuyer sa nomination devant le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique. Par ailleurs, dans ses observations à la Commission, l'appelant a indiqué que par suite du dépôt des appels, [TRADUCTION] « le ministère n'était pas en mesure de défendre le mérite sans un processus d'évaluation. Cette position a été communiquée à la plaignante qui a refusé de se soumettre à un processus d'évaluation comparative. Le ministère était donc dans l'impossibilité de fournir ces renseignements à l'audition de l'appel [...] » (249). La Commission était également au courant des propres observations de la plaignante selon lesquelles, après que les appels eurent entraîné la perte de son poste de AU-03, elle a été mutée à Conseils et Vérification Canada où, depuis avril 1998, elle gagne plus que le traitement qu'elle aurait obtenu au poste de AU-03 qu'elle a perdu et qui fait l'objet de la plainte (244). C'est dans ce contexte que l'enquêteur a signalé dans son rapport à la Commission ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] la situation qui a donné lieu à la plainte a fait l'objet d'un redressement en ce sens qu'un mémoire d'entente a été signé entre les parties. (239)


Bien que la recommandation ne soit pas formulée aussi clairement que la Cour l'eut souhaité, et que la décision de la Commission ne fasse référence qu'à l'entente, je crois qu'il est équitable de conclure de la situation que la Commission avait [TRADUCTION] « tenu compte de toutes les circonstances de la plainte [...] » . Ces circonstances incluaient non seulement les allégations de discrimination et de harcèlement faisant l'objet de la plainte, mais également le fait qu'il y avait eu une enquête interne, une reconnaissance de la faute de la part du ministère, une tentative de règlement de tous les problèmes en suspens au moyen du mémoire d'entente de novembre 1995. Bien que l'on puisse prétendre que l'entente était imprévoyante et trompeuse parce qu'elle a promis à l'intimée une nomination sans concours, sous réserve d'un droit d'appel, alors qu'il était raisonnable de prévoir qu'un ou plusieurs appels seraient déposés, il n'était pas à mon avis déraisonnable pour la Commission d'accepter cette entente pour ce qu'elle semblait être et de tenir compte de l'explication du ministère quant à savoir pourquoi, au vu d'un refus de l'intimée de se soumettre à un processus d'évaluation, le ministère ne pouvait défendre la nomination devant le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique. Il était aussi légitime pour la Commission de tenir compte du fait qu'elle avait déjà, à deux reprises, rejeté des plaintes semblables déposées par l'intimée. Les plaintes antérieures de 1993 et 1995 traitaient des mêmes actes de harcèlement et de discrimination sur lesquels reposait la plainte de 1998, même si la plainte de 1998 incluait en plus des plaintes sur la conduite de l'appelant postérieurement à la signature du mémoire d'entente.


[18]       Le juge des demandes a estimé que cette référence au mémoire d'entente dans la décision de la Commission signifiait que la Commission avait refusé d'examiner la plainte parce que la plaignante avait renoncé à tout droit qu'elle aurait pu avoir de se plaindre en invoquant la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a jugé qu'il s'agissait d'un contrat contraire à l'ordre public qui aurait dû être considéré comme nul.

[19]       En toute déférence, ce n'est pas de cette façon que j'interprète la décision de la Commission. Il convient tout d'abord de noter que la Commission a adopté la recommandation de son enquêteur qui était double : [TRADUCTION] « que la Commission examine cette plainte même si plus d'un an s'est écoulé depuis les événements qui en font l'objet, et qu'elle conclut qu'il n'est pas justifié de prendre d'autres mesures [...] » . Ce texte parle d'un examen de la plainte et d'une décision de ne pas prendre d'autres mesures, comme l'audition devant un tribunal. Si la Commission avait l'intention de rejeter la plainte au motif que la plaignante avait renoncé à ses droits, on peut présumer qu'elle l'aurait dit clairement et qu'elle n'aurait pas « examiné » la plainte.

[20]       En fait, comme il a déjà été noté, il y avait d'autres éléments importants dans l'entente à part le paragraphe dans lequel l'intimée libère Revenu Canada [TRADUCTION] « contre toute autre plainte ou cause d'action découlant de ces faits » . Le préambule [TRADUCTION] « reconnaît les difficultés personnelles qu'a connues Mme Marianna Gee [...] » , un important aveu de faute. Il indique également que les parties


[TRADUCTION]

ont convenu de régler toutes les questions découlant de la plainte de harcèlement déposée par Mme Gee et des résultats de l'enquête [...] »

Le paragraphe 1 prévoit que l'intimée sera nommée à un poste de AU-03 sans concours, [TRADUCTION] « sous réserve du droit d'appel » . Bien que l'intimée semble considérer cette promesse comme illusoire et faite de mauvaise foi, la Commission était certainement saisie de documents lui indiquant que le ministère n'était pas en mesure de défendre sa nomination devant le Comité d'appel à cause de son propre refus de se soumettre à un processus d'évaluation. Le paragraphe 2 du mémoire d'entente accordait à l'intimée 20 jours de congés rémunérés. Ce sont toutes des questions qu'il était loisible à la Commission de prendre en compte et qui, à mon avis, constituent un motif rationnel de conclure comme elle l'a fait.


[21]       Concernant le paragraphe 4 du mémoire d'entente, la présumée libération, je trouve difficile de qualifier ce paragraphe comme l'a fait le juge des demandes, d'entente pour renoncer à la protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce n'était pas, par exemple, un contrat de travail ou une convention collective par laquelle l'employée a accepté individuellement ou collectivement de renoncer aux protections contre la discrimination prévue par cette Loi. Il s'agissait plutôt d'une partie d'un règlement d'un différend permanent sur des conditions d'emploi où la plaignante avait déjà présenté en vain deux plaintes à la Commission canadienne des droits de la personne, qui les avait rejetées parce qu'elles avaient été déposées hors délai. La dernière de ces plaintes avait été rejetée quelque dix mois avant le mémoire d'entente. Ce mémoire traitait du règlement des mêmes plaintes se rapportant aux événements de 1991 à 1993 et à cette époque les parties ne pensaient vraisemblablement pas que l'objet de ces plaintes pouvait être la source d'une autre plainte à la Commission.

[22]       Le juge des demandes a statué qu'il s'agissait « [d']une entente qui n'aurait pas dû exister et qui ne peut pas exister en droit » (DA22). Par conséquent, comme l'entente était un contrat non existant, il s'agissait manifestement d'une considération dont la Commission ne pouvait tenir compte pour rejeter la plainte. Il s'est appuyé principalement sur la décision du juge McIntyre de la Cour suprême du Canada dans Commission des droits de la personne de l'Ontario c. Etobicoke ([1982] 1 R.C.S. 202, aux pages 213 et 214), mais il convient de noter que le juge McIntyre s'est appuyé principalement sur les déclarations que l'on trouve dans Halsbury's Laws of England. Au paragraphe 421, de la page 29, du volume 9 de la quatrième édition, il est déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] Renonciation. En règle générale, une personne peut, dans un contrat valide, renoncer aux avantages que lui accorde une loi du Parlement ou, comme on dit, elle peut renoncer à l'application de la loi, à moins qu'il ne puisse être établi qu'il serait contraire à l'ordre public de permettre ce contrat. La loi peut toutefois imposer des conditions en des termes tels qu'on ne puisse y renoncer par contrat; et, dans certains cas, il est expressément prévu qu'un tel contrat sera nul.

À titre d'exemple d'exception à la règle générale, un contrat entre un employeur et un employé par lequel ce dernier accepte de renoncer à une obligation que la loi impose à l'employeur pour des motifs de sécurité ne lie généralement pas l'employé.



Cela laisse entendre qu'il faut, dans chaque situation, examiner les clauses du contrat pour s'assurer qu'elles ne sont pas contraires à l'ordre public. Même en supposant qu'une entente visant à ne pas déposer une autre plainte, au sujet de questions qui ont déjà fait l'objet de plaintes infructueuses à la Commission, serait contraire à l'ordre public, la Commission n'a pas traité le paragraphe 4 du mémoire d'entente comme ayant cet effet. Elle a plutôt examiné la plainte, a fait tenir une enquête, et a ensuite simplement décidé qu'il n'était pas justifié de prendre d'autres mesures. Il faut donc qu'elle ait ignoré cette partie du mémoire d'entente qui, d'après le juge des demandes, est contraire à l'ordre public, mais qu'elle ait tenu compte du reste de l'entente. Je ne vois rien dans l'arrêt Etobicoke ou dans le passage tiré de Halsbury's sur lequel la Cour suprême s'est appuyée dans cette affaire comme exigeant que la Commission ignore l'ensemble du contrat. Le contrat portait sur le règlement d'un différend dans lequel l'employeur reconnaissait qu'il y avait eu faute de sa part et promettait d'accorder ce redressement extraordinaire que constitue une nomination sans concours. Je ne crois pas que la Commission était saisie d'une preuve telle qu'elle aurait été forcée d'ignorer cette entente parce qu'elle était coercitive, frauduleuse ou faite de mauvaise foi. Le juge des demandes a laissé entendre aux paragraphes 36 et 37 de ses motifs que l'entente était invalide pour des raisons de cette nature. Il s'est dit d'avis que la Commission, en déclarant que l'entente était valable et qu'elle pouvait être exécutée, « a traité d'une question de droit qui excède sa compétence » . Pourtant, au paragraphe 39, il a en fait pris la Commission à partie pour avoir traité le contrat comme pertinent étant donné qu'il s'agissait « [d']une entente qui n'aurait pas dû exister et qui ne peut pas exister en droit » . Cela revient à dire que la Commission avait le droit de décider d'une question de droit concernant l'invalidité du contrat, mais pas sa validité. Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire que nous décidions des limites des pouvoirs de la Commission de connaître elle-même de questions de droit.

[23]       Je suis plutôt d'avis qu'il y avait un motif rationnel à la conclusion à laquelle est parvenue la Commission. Cette décision, malgré la façon non satisfaisante dont elle a été formulée, mais compte tenu de toutes les circonstances dont la Commission avait le droit de tenir compte, ne peut être considérée comme déraisonnable.

Les dépens

[24]       Comme nous sommes parvenus à cette conclusion, les dépens tels qu'ils ont été adjugés doivent être annulés et il n'est pas nécessaire de formuler d'autres observations sur ce point.

[25]       Bien que l'appelant ait gain de cause dans le présent appel et aurait normalement droit à ses dépens, je tiens compte du fait que l'intimée a dû assumer le coût de ce litige en partie à cause du manque de clarté dans la décision de la Commission. Je serais donc d'avis de ne pas adjuger les dépens contre elle.


Dispositif

[26]       L'appel devrait être accueilli, la décision du juge des demandes devrait être annulée, et il ne devrait pas y avoir d'adjudication des dépens.

             « B.L.Strayer »                

Juge                                   

« Je souscris à ces motifs,

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris à ces motifs,

Karen R. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  A-81-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                    MINISTRE DU REVENU NATIONAL

et

MARIANNA GEE

LIEU DE L'AUDIENCE :                         WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 22 NOVEMBRE 2001

MOTIFS DU JUGEMENT :              LE JUGE STRAYER

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

DATE :                                                          LE 9 JANVIER 2002

COMPARUTIONS:

Gérald L. Chartier                                   POUR L'APPELANT

Gloria Mendelson                                          POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                           POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Gloria Mendelson, M.A., L.L.B.                   POUR L'INTIMÉE

Winnipeg (Manitoba)

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