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Date : 20001110

Dossier : A-216-99

CORAM :       Le juge Décary

Le juge McDonald

Le juge Malone

ENTRE :                                                                                                        

ARGUS HOLDINGS LTD.,

appelante,

- et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Audience tenue à Vancouver, en Colombie Britannique, le vendredi 15 septembre 2000

Jugement rendu à Ottawa, en Ontario, le vendredi 10 novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                     Le juge McDonald

ONT SOUSCRIT :                                                                                                        Le juge Décary

                                                                                                                                    Le juge Malone


                    Date : 20001110                                                                                                             

   Dossier : A-216-99

CORAM:        Le juge Décary

Le juge McDonald

Le juge Malone

ENTRE :

ARGUS HOLDINGS LTD.,

                                                                           

                                                                                                                                          appelante,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                          

                                                                                                                                           intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

     

LE JUGE McDONALD

[1]       Il s'agit d'un appel visant la décision de la Cour canadienne de l'impôt publiée à la page 597 du recueil 99 D.T.C. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a confirmé la nouvelle cotisation fiscale établie par l'intimée en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) [la « Loi » ].


[2]       La principale question en litige aux fins de l'appel est de savoir si le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu à tort que l'appelante a déduit une somme à titre de provision pour l'année d'imposition 1991 en vertu de l'alinéa 20(1)m) de la Loi.

Voici les extraits pertinents de l'alinéa 20(1)m) :


20. (1) Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien -- Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

m) Provision relative à certaines marchandises et à certains services [à venir] -- sous réserve du paragraphe (6), lorsque des sommes visées à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, une somme raisonnable à titre de provision dans le cas :

...

(ii) de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année,

20. (1) Deductions permitted in computing income from business or property -- Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), (b) and (h), in computing a taxpayer's income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto:                                                                                                                                      

(m) reserve in respect of certain goods and services --subject to subsection (6), where amounts described in paragraph 12(1)(a) have been included in computing the taxpayer's income from a business for the year or a previous year, a reasonable amount as a reserve in respect of

...

(ii) services that it is reasonably anticipated will have to be rendered after the end of the year.


[3]       Les faits pertinents peuvent être énoncés succinctement. L'appelante a été constituée en personne morale en février 1980. Elle exploite un club de racquetball à Langley, en Colombie-Britannique. Elle perçoit des frais d'adhésion uniques auprès de toute personne qui devient membre du club.


[4]       Le différend qui oppose l'appelante et l'Administration fiscale résulte de la manière dont l'appelante a comptabilisé ces frais d'adhésion. Le comptable de l'appelante, M. Robert Schultz, a comptabilité les frais comme s'ils n'avaient pas été gagnés l'année où ils ont été perçus. Il les a comptabilisés suivant la méthode de l'amortissement linéaire comme un revenu touché chaque mois sur une période de dix ans à compter du versement des frais d'adhésion par le membre. Ainsi, chaque mois, à compter de l'encaissement, l'appelante a inclus 1/120 des frais d'adhésion dans le calcul de son revenu.

[5]      L'administrateur, président et actionnaire majoritaire de l'appelante, M. Gregory Andron, a témoigné à l'audience quant aux motifs pour lesquels l'appelante avait décidé d'amortir les frais d'adhésion sur une période de dix ans. M. Andron a soutenu que, peu après l'ouverture du club, des membres s'étaient inquiétés de ce qu'il adviendrait de leurs frais d'adhésions si l'établissement fermait ses portes. M. Andron aurait alors promis, le cas échéant, de rembourser les frais d'adhésion au prorata sur la base d'une période correspondant aux dix premières années d'exploitation.

[6]     Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a estimé que l'existence d'une telle politique de remboursement n'était pas suffisamment étayée par la preuve. Voici ce qu'il dit au paragraphe 10 de ses motifs :

Aucun contrat d'adhésion au club n'a été produit en preuve, et M. Andron a indiqué dans son témoignage que le contrat d'adhésion type ne contenait aucune clause obligeant l'appelante à rembourser une partie des frais d'adhésion dans quelque circonstance que ce soit. Il ne reste que le témoignage de M. Andron, qui a soutenu avoir fait une promesse de remboursement à certains membres potentiels ayant posé des questions dans les circonstances décrites précédemment. Si l'appelante avait été contrainte de suspendre ses activités, j'ignore comment elle aurait pu faire la distinction entre les membres à qui une promesse de remboursement avait été faite et ceux qui n'avaient posé aucune question lorsqu'ils avaient adhéré au Club. En l'absence d'une modalité explicite dans le contrat d'adhésion, il aurait peut-être été difficile pour un membre de prouver qu'une promesse de remboursement lui avait été faite.


[7]     Par conséquent, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les frais d'adhésion avaient été gagnés l'année de leur perception et que rien ne justifiait leur amortissement. Il a donc examiné ensuite la question de savoir si l'appelante avait ou non déduit une somme à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) de la Loi. Ce faisant, il ne s'est pas laissé influencer par la terminologie employée dans les livres comptables de l'appelante.

[8]      Il est arrivé à la conclusion que, en excluant du calcul de son revenu une partie des frais d'adhésion, l'appelante avait en effet déduit une somme à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) de la Loi. Voici ce qu'il dit au paragraphe 27 de ses motifs :

L'appelante tenait un compte de passif intitulé "Frais d'adhésion différés". C'est dans ce compte qu'elle conservait une partie des frais d'adhésion déjà reçus mais non encore inclus dans le revenu parce que cette portion était mise de côté jusqu'à ce qu'elle soit incluse dans le revenu des années ultérieures. Ce compte constituait donc une provision au sens de l'alinéa 20(1)m) parce qu'il reportait sur une année ultérieure un revenu déjà reçu. La tenue de livres et la comptabilité de l'appelante avaient pour effet de créer une "provision", qu'elle soit appelée ainsi ou non.

[9]       Il a ensuite statué que le solde du compte « Frais d'adhésion différés » de l'appelante devait être inclus dans le calcul du revenu suivant l'alinéa12(1)e) de la Loi. Il a invoqué la décision I.B. Pedersen Limited c. La Reine, 94 D.T.C. 1085 (C.C.I.) à l'appui de sa conclusion selon laquelle peu importe que le contribuable ait droit ou non à la provision, s'il a déduit une somme à titre de provision l'année précédente, le montant doit être inclus dans le calcul du revenu en vertu de l'alinéa 12(1)e) de la Loi.


[10]       Signalons tout d'abord que la Cour d'appel n'est pas appelée à se prononcer sur la question de l'amortissement. La question en litige aux fins du présent appel n'est pas de savoir si les frais d'adhésion devraient ou non être imposés en totalité l'année de leur perception. L'appelante a reconnu que leur amortissement sur dix ans était inapproprié.

[11]       La question à trancher est la suivante : le juge de la Cour canadienne de l'impôt a-t-il eu tort de conclure que l'appelante avait déduit une somme à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) de la Loi?

[12]      À cette fin, il faut déterminer s'il existe une différence fondée sur des principes entre :

1.                   exclure du calcul du revenu une partie du montant total des frais d'adhésion et

2.                   inclure dans le calcul du revenu le montant total des frais d'adhésion et déduire par la suite une partie de ce montant à titre de provision conformément à la loi?

[13]      Ces deux méthodes comptables ont le même effet. Seule une partie du montant total des frais d'adhésion est imposée au cours d'une année donnée. Le solde est reporté - ce qui correspond exactement au fonctionnement de la provision visée à l'alinéa 20(1)m) de la Loi.

[14]       En outre, il est bien établi que ce n'est pas la qualification comptable d'un montant qui détermine sa déductibilité, mais plutôt sa nature véritable. Même si les livres comptables de l'appelante ne qualifient pas les montants de provisions il peut néanmoins s'agir de provisions dans les faits. Voir par exemple Dixie Lee (Maritimes) Ltd. c. La Reine, 88 D.T.C. 6108 (C.F 1re inst.) et Monsieur Silencieux Ltée c. La Reine, [1974] 2 C.F. 671, 74 D.T.C. 6615 (C.F. 1re inst.).


[15]       Dans Monsieur Silencieux Ltée, le juge Walsh fait les remarques suivantes concernant l'importance à accorder aux écritures dans les états financiers :

Le fait que la demanderesse ait, dans ses états financiers, désigné la somme mise de côté comme : "provision pour marchandises vendues non livrées" alors qu'il ne s'agit peut-être pas à proprement parler d'une vraie réserve, au sens où l'emploi de ce terme est recommandé par les auteurs faisant autorité en matière de comptabilité, n'a pas trop d'importance. Ce qui importe, ce n'est pas la qualification donnée à la somme mise de côté, mais le but pour lequel elle l'a été et il faut déterminer s'il s'agit d'une réserve que la Loi de l'impôt sur le revenu permet de déduire du revenu aux fins d'imposition. [Non souligné dans l'original.]

[16]      Partant, je ne peux conclure que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur manifeste et dominante en déterminant que l'appelante avait déduit un montant à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) de la Loi.

[17]       L'appel n'est pas réglé pour autant. Il reste à déterminer si le solde du compte « Frais d'adhésion différés » devrait être imposé en totalité pour l'année d'imposition 1992 de l'appelante suivant l'alinéa 12(1)e) de la Loi.

[18]       Cette disposition exige du contribuable qu'il inclue dans le calcul de son revenu tout montant déduit à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) pour l'année d'imposition précédente. En voici le libellé :



12. (1) Sommes à inclure dans le revenu -- Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables_:                                                                      

...

e) Provision relative à certaines marchandises et à certains services -- les sommes qui ont été dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise par le contribuable pour l'année précédente :

(i) soit déduites en vertu de l'alinéa 20(1)m) (y compris celles substituées, en vertu du paragraphe 20(6), à de telles sommes) ou m.1) ou du paragraphe 20(7),

(ii) soit déduites en vertu de l'alinéa 20(1)n);

12. (1)    Income Inclusions --There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from a business or property such of the following amounts as are applicable:

                                                                                            

...

                       

(e) Reserves for certain goods and services --any amount

                                               

(i) deducted under paragraph 20(1)(m) (including any amount substituted by virtue of subsection 20(6) for any amount deducted under that paragraph), paragraph 20(1)(m.1) or subsection 20(7), or

(ii) deducted under paragraph 20(1)(n),

in computing the taxpayer's income from a business for the immediately preceding year

                              


[19]       L'appelante fait valoir que, suivant cet alinéa, c'est le montant réel déduit du revenu l'année précédente qui doit être inclus dans le calcul du revenu l'année suivante. Elle invoque à l'appui de sa prétention l'arrêt La Reine c. Regina Shoppers Mall Limited, 91 D.T.C. 5101 (C.A.F.).

[20]       Selon moi, cet arrêt n'écarte pas le principe de droit reconnu selon lequel ce n'est pas la qualification comptable qui est déterminante, mais bien la véritable nature du montant déduit. La jurisprudence invoquée par l'avocat de l'appelante n'appuie sa thèse que jusqu'à un certain point.


[21]      Il est inutile, aux fins du présent appel, de trancher la question de savoir si oui ou non l'alinéa 12(1)e) de la Loi exige du contribuable qu'il inclue dans le calcul de son revenu seulement les montants qui ont effectivement été déduits à titre de provision en vertu de l'alinéa 20(1)m). Pour les motifs qui suivent, j'estime que le solde du compte « Frais d'adhésion différés » ne devrait pas être inclus en entier dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1992.

[22]       Dans Canderel Limitée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au paragraphe 36, le juge Iacobucci fait remarquer que la comptabilité générale vise habituellement à fournir une image comparative du bénéfice d'une année à l'autre, tandis que le calcul du revenu aux fins de l'impôt

... vise seulement à produire, pour le bénéfice du contribuable et du percepteur d'impôts, une image fidèle du revenu pour chaque année d'imposition [Non souligné dans l'original.]

[23]      Assujettir à l'impôt le solde du compte « Frais d'adhésion différés » pour l'année d'imposition 1992 déformerait sensiblement l'image du revenu de l'appelante, car ce solde a été gagné en partie au cours d'années d'imposition antérieures. L'appelante n'a ni gagné ni touché la somme de 441 154 $ en entier pendant son année d'imposition 1992. Des parties de ce montant se rapportent à d'autres années d'imposition. En somme, le montant ne représente pas le bénéfice tiré par l'appelante de son activité commerciale en 1992, mais celui réalisé pendant les années d'imposition 1982 à 1991. Partant, inclure en totalité la somme de 441 154 $ dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1992 ne donnerait pas une image fidèle du revenu de la contribuable.


[24]       Avec égards, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur en tentant de remédier aux montants insuffisants inclus dans le calcul du revenu déclaré par l'appelante de 1982 à 1991 par l'ajout de ces montants au revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1992. Il a omis de déterminer si, en incluant en totalité le montant de 441 154 $ dans le calcul du revenu pour l'année 1992, il en résulterait une image fidèle du revenu de l'appelante.

DISPOSITIF

[25]       L'appel est accueilli avec dépens, la décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt est annulée et le dossier est renvoyé au ministre du Revenu national pour qu'il rende une nouvelle décision en considérant que les frais d'adhésion sont imposables l'année de leur perception.

                                                                                                       

     F.J. McDonald

                                                         

            J.C.A.

Je souscris.

Robert Décary

Je souscris.

B. Malone

Traduction certifiée conforme

                                                     

Claire Vallée, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-216-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     ARGUS HOLDING LTD. c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        15 septembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT de la Cour, auxquels souscrivent les juges Décary et Malone, rendus par le juge McDonald en date du 10 novembre 2000.

ONT COMPARU :

Me David R. Davies                                                      pour l'appelante

Me Robert Carvalho                                                      pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons, avocats fiscalistes                                  pour l'appelante

Vancouver (C.-B.)

Me Morris Rosenberg                                                   pour l'intimée

Sous-procureur général du Canada


Date : 20001110

Dossier : A-216-99

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 10 NOVEMBRE 2000

CORAM :                                                                   Le juge Décary

Le juge McDonald

Le juge Malone

ENTRE :

                                                       ARGUS HOLDINGS LTD.,

                                                                                                                                           appelante,

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                               intimée.

                                                                   JUGEMENT

             L'appel est accueilli avec dépens, la décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt est annulée et le dossier est renvoyé au ministre du Revenu national pour qu'il rende une nouvelle décision en considérant que les frais d'adhésion sont imposables l'année de leur perception.

                  Robert Décary                    

                                                                                                                                                           

                                                                                                                       J.C.A                          .

Traduction certifiée conforme

                                                      

Claire Vallée, LL.B.

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