Décisions de la Cour d'appel fédérale

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OTTAWA (ONTARIO), le 25 juillet 1997

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE STONE

         LE JUGE McDONALD

Entre :      A-626-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-627-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     ANNE T. MUSIAL,

     intimée.

     A-628-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-629-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     DAVID MUSIAL,

     intimé.

     JUGEMENT

             La demande fondée sur l'article 28 est accueillie, la décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt pour une nouvelle audition devant un juge différent, d'une façon qui tienne compte des motifs du jugement rendu ce jour.

                                 "Julius A. Isaac"

                        

                         Juge en chef

Traduction certifiée conforme         

                             François Blais, LL. L.

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE STONE

         LE JUGE McDONALD

Entre :      A-626-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-627-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     ANNE T. MUSIAL,

     intimée.

     A-628-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-629-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     DAVID MUSIAL,

     intimé.

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le mardi 6 mai 1997.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 25 juillet 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      LE JUGE EN CHEF

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :      LE JUGE STONE

     LE JUGE McDONALD

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE STONE

         LE JUGE McDONALD

Entre :      A-626-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-627-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     ANNE T. MUSIAL,

     intimée.

     A-628-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-629-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     DAVID MUSIAL,

     intimé.

     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE EN CHEF

             Il s'agit de demandes de contrôle judiciaire d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt, prononcé le 10 juillet 1996, accueillant les appels des intimés à l'encontre de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) statuant que les intimés n'occupaient pas, pendant les périodes pertinentes, un emploi assurable chez Bayside Drive-In Ltd. (la société payeuse), au sens de la Loi sur l'assurance-chômage1. Les demandes ont été entendues ensemble, et les présents motifs s'appliquent à chacune d'elles. Une copie des motifs sera déposée dans chacun des dossiers mentionnés dans l'intitulé de la cause.

Les faits

             La société payeuse est une société dûment constituée en vertu des lois de la Nouvelle-Écosse. Elle exploite un restaurant à repas-minute sur une base saisonnière, soit du 1er avril au 30 novembre de chaque année. Pendant toute la période pertinente, la société payeuse appartenait à une famille et était exploitée par elle, et les actions en circulation étaient réparties également (33 1/3 %) entre l'intimée Anne Musial ("Anne"), son conjoint, Gregory Musial ("Gregory"), et leur fils, l'intimé David Musial ("David"). Avant 1990, David n'avait qu'une participation de 5 % dans la société payeuse, mais cette année-là, ses parents lui ont transféré le reste des actions jusqu'à concurrence de sa participation actuelle de 33 1/3 %.

             David, Gregory et Anne travaillaient tous les trois pour la société payeuse au cours des périodes pertinentes. Toutefois, l'emploi de Gregory auprès de la société payeuse n'est pas en cause étant donné qu'il n'a pas appelé devant la Cour de l'impôt de la décision du ministre concernant l'assurabilité de son emploi.

             David a travaillé comme chef de l'exploitation à la société payeuse du 1er avril au 30 novembre de chacune des années 1992, 1993 et 1994. Ses fonctions consistaient à faire les commandes, à payer le personnel, à assurer le nettoyage et l'entretien, à faire la cuisine au besoin, et à fermer l'établissement à la fin de chaque journée de travail. Bien qu'il ait travaillé environ 40 heures par semaine du 1er avril au 30 novembre, David n'a été rémunéré pour ses services que du début de mai à octobre de chaque année. En 1992, il a touché un salaire de 12 500 $ et une prime d'actionnaire de 6 000 $. En 1993, il a reçu un salaire de 13 000 $ et une prime d'actionnaire de 8 000 $. En 1994, il a touché un salaire de 13 500 $ et une prime d'actionnaire de 10 000 $. En outre, il a touché son plein salaire pendant ses vacances qu'il a pris au mois d'août de chaque année.

             Anne était également employée par la société payeuse du 1er avril au 30 novembre de chacune des années 1992, 1993 et 1994. Elle travaillait environ 48 heures par semaine. Son travail consistait à établir le calendrier de travail du personnel, à en assurer la supervision et à faire le nettoyage du restaurant. En 1992, bien qu'elle ait travaillé pendant la saison complète, Anne n'a été rémunérée pour ses services que du 7 juillet au 17 novembre. Pendant cette période, elle a reçu un salaire de 10 500 $ et une prime d'actionnaire de 5 000 $. En 1993, elle n'a été rémunérée que du 28 juin au 12 novembre. Pendant cette période, elle a reçu un salaire de 12 500 $ et une prime d'actionnaire de 10 000 $. Elle a également touché son plein salaire pendant les vacances qu'elle a prises en octobre de chaque année. Pour les raisons indiquées ci-dessous, son emploi au cours de l'année 1994 n'est pas en cause.

             Par comparaison, les employés qui n'étaient pas actionnaires de la société payeuse étaient rémunérés au taux de 5,75 $ à 6 $ l'heure, et ont reçu 4 % de leur salaire à la fin de chaque saison, au lieu de vacances.

             Le 12 juin 1995, les intimés ont présenté une demande fondée sur l'alinéa 61(3)a) de la Loi afin que le ministre détermine si Gregory, Anne et David exerçaient un emploi assurable à la société payeuse pendant les années 1992, 1993 et 19942.

             Dans des lettres datées du 3 novembre 1995, les intimés étaient informés que le ministre avait conclu que Gregory, Anne et David n'exerçaient pas un emploi assurable chez la société payeuse. Le ministre a statué, conformément à l'alinéa 3(2)c) de la Loi, qu'ils exerçaient un emploi exclu en raison du lien de dépendance existant entre la société payeuse et eux-mêmes. Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

     3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus [...]         
     3. (2) Les emplois exclus sont les suivants :         
     [...]         
     c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :         
         (i)      la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,         
         (ii)      l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;         

             Gregory n'a pas contesté la décision du ministre. Les intimés Anne et David ont interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi3. L'appel de David concernait son emploi à la société payeuse pour les années 1992, 1993 et 1994. Anne en a appelé de la décision uniquement concernant son emploi pour les années 1992 et 1993. Elle n'a pas contesté la décision du ministre concernant son emploi de 1994 parce qu'elle n'a pas réuni le nombre minimum de semaines d'emploi assurable requis pour obtenir des prestations en vertu de la Loi, que son emploi ait ou non été assurable au sens du paragraphe 3(1).

Le jugement de la Cour de l'impôt

             Le juge de la Cour de l'impôt a infirmé la décision prise par le ministre et a accueilli les appels des intimés. Dans les motifs de son jugement prononcés à l'audience le 27 juin 1996, le juge a statué qu'il était en droit d'entendre les appels comme "des procès de novo" parce que, à son avis, le ministre n'avait pas accordé suffisamment de poids aux faits dont il était saisi; plus précisément, le travail effectué par les intimés et leur contribution à la rentabilité de la société payeuse. Son dispositif sur cette question préliminaire indique ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Comme l'a conclu la Cour d'appel fédérale dans les affaires Tignish et Ferme Richard, pour être en mesure d'examiner ces appels comme des procès de novo, je dois tout d'abord conclure que le ministre, en prenant sa décision, a agi de façon non appropriée ou arbitraire ou ne disposait pas de tous les faits pertinents ou n'a pas accordé suffisamment d'importance à ces faits. Pour en arriver à cette conclusion initiale, la preuve déposée et la crédibilité du témoin sont importantes. Dans ces appels, plusieurs pièces ont été produites et le seul témoignage a été donné par Gregory Musial, qui a parlé non seulement au nom de la société payeuse, mais aussi au nom des deux travailleurs [Anne et David]. À cause de ce témoignage et de la crédibilité de Gregory Musial, que la Cour accepte, j'ai conclu que je suis en droit de traiter ces appels comme des procès de novo. Le ministre semble avoir conclu que le changement dans le contrôle des actions, jumelé aux salaires apparemment importants payés pour les heures travaillées, était essentiel. Je ne crois pas que le ministre ait donné suffisamment d'importance au travail effectué par les travailleurs et à leur contribution à la rentabilité de la société payeuse.         

                 [Les italiques ne figurent pas dans l'original]4



             Le juge de la Cour de l'impôt a ensuite examiné le bien-fondé de la décision prise par le ministre. S'appuyant sur la preuve déposée à l'audition de l'appel, il a statué que, compte tenu de toutes les circonstances de l'emploi, il était raisonnable de conclure, d'après la prépondérance des probabilités, que les intimés et la société payeuse auraient conclu des contrats de travail à peu près semblables s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance. Par conséquent, il a conclu que le ministre avait commis une erreur en refusant d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) et de conclure qu'il n'y avait pas de lien de dépendance entre les intimés et la société payeuse aux fins de la Loi. Par conséquent, il a accueilli les appels des intimés.

Analyse

             L'alinéa 3(2)c) de la Loi exclut d'un emploi assurable le travailleur qui a un lien de dépendance avec la société payeuse. Le sous-alinéa 3(2)c)(i) dispose expressément que la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance doit être "déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu". Il n'est pas contesté en l'espèce que les intimés sont des "personnes liées" au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu5. Le sous-alinéa 251(2)b)(ii) stipule expressément qu'une société et une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société sont des "personnes liées". Les dispositions pertinentes de l'article 251 sont les suivantes :

     251.(1) Pour l'application de la présente loi :         
         a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;
         [...]         
     (2) Pour l'application de la présente loi, sont des "personnes liées" ou des personnes liées entre elles :         
         a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;                 
         b) une société et         
             [...]                         
             (ii)      une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,                         
             [...]         

             Au sous-alinéa 3(2)c)(ii), toutefois, le législateur a conféré au ministre le pouvoir discrétionnaire de décider que des "personnes liées" n'ont pas de lien de dépendance pour les fins de la Loi lorsque le ministre, compte tenu de toutes les circonstances, est convaincu que ces personnes liées auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. Les mots "si le ministre du Revenu national est convaincu" utilisés au sous-alinéa 3(2)c )(ii) indiquent clairement que le législateur avait l'intention d'accorder au ministre un pouvoir discrétionnaire de nature administrative au niveau de la décision à prendre. En l'espèce, le ministre a refusé d'exercer ce pouvoir discrétionnaire en faveur des intimés. La question préliminaire dont était saisi le juge de la Cour de l'impôt était donc de savoir si le ministre avait pris sa décision d'une manière licite.

             Dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Jencan Ltd.6, la présente Cour a récemment eu l'occasion de réaffirmer les principes régissant le contrôle par la Cour canadienne de l'impôt des décisions prises par le ministre aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Je n'ai pas l'intention de reprendre en détail l'analyse qui est contenue dans les motifs de ce jugement. Pour les fins des présentes demandes de contrôle judiciaire, il suffira de réaffirmer les principes directeurs qui ont d'abord été énoncés par la présente Cour dans l'arrêt Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N.7.

             D'après l'arrêt Tignish, précité, la Cour de l'impôt doit effectuer une analyse en deux étapes au cours de l'audition d'un appel concernant une décision prise par le ministre aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii). À la première étape de l'analyse, l'examen effectué par la Cour de l'impôt doit se


limiter à s'assurer que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon légale. Si, et seulement si, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon qui est contraire à la loi, la Cour de l'impôt pourra ensuite procéder à une analyse du bien-fondé de la décision. Ce n'est qu'en limitant de cette façon la première étape de son analyse que la Cour de l'impôt fait preuve du degré de retenue judiciaire exigé quand elle est saisie d'un appel concernant une décision discrétionnaire.

             Les motifs précis qui justifient l'intervention de la Cour relativement à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi, y compris le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, sont bien connus8. Le juge de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision prise par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était convaincu que le ministre avait commis une ou plusieurs des erreurs suivantes pouvant donner lieu à examen : (i) le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié; (ii) le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii); ou (iii) le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent. Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et donc, que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

             En l'espèce, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que son intervention était justifiée en appel parce que, à son avis, le ministre n'avait pas donné "suffisamment d'importance au travail effectué par les employés et à leur contribution à la rentabilité de la société payeuse". L'opinion selon laquelle l'omission du ministre de donner "suffisamment d'importance" (c'est-à-dire suffisamment de poids) à des faits précis constitue un motif permettant de conclure qu'il a commis une erreur pouvant donner lieu à examen n'est pas appuyée par la jurisprudence de la présente Cour et, en toute déférence, est erronée sur le plan des principes. En remettant en cause non pas la pertinence ou la véracité des faits sur lesquels s'est appuyé le ministre, mais simplement l'importance qu'il a attaché aux différents faits qu'il a par ailleurs examinés de façon appropriée, le juge de la Cour de l'impôt a en fait infirmé la décision discrétionnaire du ministre sans avoir d'abord conclu que cette décision avait été prise d'une façon contraire à la loi. En agissant ainsi, il a substitué de façon inappropriée sa propre évaluation indépendante de la preuve à celle du ministre, usurpant ainsi le pouvoir discrétionnaire que le législateur a manifestement et sans aucune ambiguïté confié au ministre.

             Il n'y a pas d'indication dans les motifs du jugement tendant à établir que le ministre a commis une erreur pouvant donner lieu à examen en exerçant son pouvoir discrétionnaire. Par exemple, il n'y a pas d'indice attestant que le ministre n'a pas tenu compte d'un facteur pertinent ayant trait aux circonstances de l'emploi des intimés. Si le ministre a examiné tous les facteurs pertinents pour en venir à sa décision, qu'il n'a pas tenu compte de facteurs non pertinents, le juge de la Cour de l'impôt n'avait pas le droit d'intervenir dans cette décision simplement parce qu'il aurait accordé plus d'importance à certains faits et moins à d'autres, contrairement à ce que le ministre a fait.

             L'omission de restreindre son analyse préliminaire à un examen de la légalité de la décision prise par le ministre semble découler du fait que, dès que le juge de la Cour de l'impôt a été convaincu que le ministre avait commis une erreur dans son évaluation de la preuve, l'appel a été transformé en "procès de novo".

             L'expression "de novo" a tout d'abord été utilisée dans le contexte de l'arrêt Tignish , précité. Le juge Desjardins a déclaré au nom de la Cour que si la Cour de l'impôt conclut que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) d'une façon contraire à la loi, l'appel devant la Cour de l'impôt devient une "situation de novo". Le juge Desjardins donne ensuite la définition suivante de l'expression "de novo" tirée du Blacks's Law Dictionary9 :

     De novo : À nouveau; de nouveau; une deuxième fois. Le bref A venir de novo a pour effet de convoquer un jury pour la reprise d'un procès ordonné par un tribunal supérieur.         
     Procès de novo : Instruire de nouveau une affaire, comme si la cause n'avait pas déjà été entendue et comme si aucune décision n'avait encore été rendue.         
     Audience de novo : Généralement, entendre de nouveau ou pour la deuxième fois : suppose que le procès en entier est instruit comme la première fois et qu'il y a révision de l'audience antérieure. Au cours d'une audience "de novo", la Cour instruit l'affaire comme un tribunal de première instance et non comme un tribunal d'appel .         

             [les soulignements sont du juge Desjardins dans Tignish, précité]10

             Je reconnais que si le juge de la Cour de l'impôt est convaincu que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi, la Cour de l'impôt se trouve dans une situation de novo en ce sens qu'elle doit procéder à un examen indépendant de la preuve afin d'évaluer le bien-fondé de la décision du ministre. Malheureusement, toutefois, l'utilisation de l'expression "de novo" a, dans certains cas, engendré de la confusion concernant la nature de l'instance dans un appel devant la Cour de l'impôt aux termes du paragraphe 70(1) concernant une décision prise par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c )(ii). En toute déférence, cette confusion peut être due en partie à une mauvaise interprétation de la déclaration du juge Décary dans Ferme Emile Richard et Fils Inc. c. M.R.N. et al. indiquant que, lorsque le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire de façon illégale, l'instance devant la Cour de l'impôt se transforme en un appel de novo11.

             Les instances devant la Cour de l'impôt ne sont pas et ne peuvent être transformés en procès ou en appel de novo au sens formel de cette expression, comme l'a à tort supposé en l'espèce le juge de la Cour de l'impôt. Comme il ressort des définitions données ci-dessus, une audience de novo est une audience au cours de laquelle un tribunal de révision détermine les faits et les questions en se fondant uniquement sur la preuve dont il est saisi, sans tenir compte de la décision du tribunal inférieur.

             Au cours de l'audition d'un appel fondé sur le paragraphe 70(1), la Cour de l'impôt a une fonction de contrôle. Parce que la décision prise par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) découle de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, les principes judiciaires reconnus exigent que le tribunal fasse preuve de retenue à l'égard du pouvoir discrétionnaire que le ministre a exercé, à moins qu'il ne soit démontré d'après la prépondérance des probabilités que le ministre a exercé ce pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi. Ce n'est que dans ce cas que la Cour de l'impôt est en droit d'effectuer une évaluation indépendante de la preuve afin de réévaluer la justesse de la décision du ministre. À cette étape, il n'y a pas de nouvelle audience et les parties ne recommencent pas de nouveau dans le sens qu'elles n'ont pas à produire de nouveau leur preuve et à présenter de nouveau leurs arguments. Au contraire, la Cour de l'impôt doit effectuer une évaluation indépendante de la preuve en s'appuyant sur le dossier dont elle est déjà saisie. Ainsi, bien que l'examen de la preuve par la Cour de l'impôt à la deuxième étape de l'analyse soit de novo, l'appel en lui-même n'est pas et ne peut être transformé en procès de novo.

             Cette distinction serait peut-être de peu de conséquence si ce n'était que le concept voulant que la compétence de la Cour de l'impôt soit transformée en "appel" ou en "procès" de novo n'avait pas dans certains cas mené à un examen prématuré du bien-fondé des décisions du ministre prises aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi; c'est-à-dire sans avoir d'abord clairement conclu que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à


la loi. Le cas en l'espèce en est un exemple. L'objet du contrôle effectué par la Cour de l'impôt est de s'assurer que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon légale. Si tel est le cas, l'examen prend fin. La Cour de l'impôt n'a pas le droit de traiter l'instance comme un "procès de novo" simplement parce qu'elle en serait venue à une conclusion différente sur le bien-fondé de l'affaire si elle l'avait entendue en première instance. Toutefois, c'est précisément ce que le juge de la Cour de l'impôt a fait en l'espèce. En agissant de la sorte, il a commis une erreur de droit.

             Pour tous ces motifs, je suis d'avis d'accueillir les demandes de contrôle judiciaire, d'infirmer la décision du juge de la Cour de l'impôt et de renvoyer les affaires à la Cour canadienne de l'impôt pour une nouvelle audience devant un juge différent, d'une façon qui tienne compte des présents motifs.

                                 "Julius A. Isaac"

                        

                         Juge en chef

"Je souscris à ces motifs,

A.J. Stone, juge"

"Je souscris à ces motifs,

F.J. McDonald, juge"

Traduction certifiée conforme         

                             François Blais, LL. L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE STONE

         LE JUGE McDONALD

Entre :

     A-626-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-627-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     ANNE T. MUSIAL,

     intimée.

     A-628-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     BAYSIDE DRIVE-IN LTD.,

     intimée.

     A-629-96

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     requérante,

     - et -

     DAVID MUSIAL,

     intimé.

     MOTIFS DU JUGEMENT


COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  A-629-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sa Majesté la Reine c. David Musial
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 6 mai 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      le juge en chef

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :      le juge Stone

                         le juge McDonald

DATE :                      le 25 juillet 1997

ONT COMPARU :

Valerie Miller                  pour la requérante

Personne n'a comparu              pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  pour la requérante

David Musial

New Waterford (N.-É.)              pour l'intimé


COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  A-628-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sa Majesté la Reine c. Bayside Drive-In Limited
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 6 mai 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      le juge en chef

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :      le juge Stone

                         le juge McDonald

DATE :                      le 25 juillet 1997

ONT COMPARU :

Valerie Miller                  pour la requérante

Personne n'a comparu              pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  pour la requérante

Aucun procureur inscrit au dossier      pour l'intimée


COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  A-627-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sa Majesté la Reine c. Anne T. Musial
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 6 mai 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      le juge en chef

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :      le juge Stone

                         le juge McDonald

DATE :                      le 25 juillet 1997

ONT COMPARU :

Valerie Miller                  pour la requérante

Personne n'a comparu              pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  pour la requérante

Anne Musial

New Waterford (N.-É.)              pour l'intimée


COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  A-626-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sa Majesté la Reine c. Bayside Drive-In Limited
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 6 mai 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      le juge en chef

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :      le juge Stone

                         le juge McDonald

DATE :                      le 25 juillet 1997

ONT COMPARU :

Valerie Miller                  pour la requérante

Personne n'a comparu              pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  pour la requérante

Aucun procureur inscrit au dossier      pour l'intimée

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1      L.R.C. (1985), ch. U-1, abrogée par L.C. 1996, ch. 23 [la Loi].

2      Le paragraphe 61(3) de la Loi se lit en partie comme suit :
         61.(3) Dans le cas d'une demande de prestations faite en vertu de la présente loi, la Commission peut demander au ministre de déterminer les points suivants :
             a) le fait qu'il y a ou qu'il y a eu exercice d'un emploi assurable;
             [...]
         L'employé en cause ou l'employeur - effectif ou présenté comme tel - de celui-ci, peut aussi, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où la décision de la Commission lui a été notifiée, présenter les mêmes demandes au ministre.

3      Le paragraphe 70(1) est rédigé dans les termes suivants :
         70.(1) La Commission ou une personne que concerne le règlement d'une question par le ministre ou une décision sur appel au ministre, en vertu de l'article 61, peut, dans les quatre-vingt-dix jours de la communication du règlement ou de la décision dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l'impôt sur demande à elle présentée dans ces quatre-vingt-dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt de la manière prescrite.

4      Motifs du jugement, pages 1 et 2.

5      L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, et ses modifications [la Loi de l'impôt sur le revenu].

6      (Non publié), dossier A-599-96, le 24 juin 1997 (C.A.F.).

7      (1994), 185 N.R. 73 (C.A.F.) [Tignish].

8      Voir les observations de Lord Macmillan dans D.R. Fraser and Co. Ltd. v. M.N.R, [1949] A.C. 24, à la p. 36 (C.P.), citées avec approbation par la Cour suprême du Canada dans Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1974] R.C.S. 875, p. 877. Voir également Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, pp. 76-77; et Canada c. Purcell, [1996] 1 C.F. 644, p. 653 (C.A.), par le juge Robertson.

9      (St. Paul, Minn. : West Publishing, 1990).

10      Tignish, précité, p. 9 de la version française (A-555-93).

11      (1994), 178 N.R. 361, p. 363 (C.A.F.).

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