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Date : 20001221

Dossier : A-581-98

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                         LONDON LIFE INSURANCE COMPANY,

                                                                                                                                           appelante,

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                               intimée.

AUDIENDE TENUE à Toronto (Ontario), le jeudi 23 novembre 2000

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 21 décembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE ROTHSTEIN

ONT SOUSCRIT :                                                                                                   LE JUGE STONE

                                                                                                                               LE JUGE EVANS


Dossier : A-581-98

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2000

CORAM :       MONSIEUR LE JUGE STONE

MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                         LONDON LIFE INSURANCE COMPANY,

                                                                                                                                           appelante,

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                               intimée.

                                                                   JUGEMENT

L'appel est accueilli avec dépens devant la Cour et la Cour canadienne de l'impôt, le jugement de la Cour canadienne de l'impôt daté du 24 août 1998 est annulé dans la mesure où il refuse toute « autre mesure de redressement » et le dossier de la demande de crédits de taxe sur les intrants formulée par l'appelante relativement aux améliorations locatives en cause est renvoyé au ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nouvelle cotisation conforme aux motifs du jugement rendus en l'espèce par le juge Rothstein.

                 A.J. Stone                                 

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


Date : 20001221

Dossier : A-581-98

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                         LONDON LIFE INSURANCE COMPANY,

                                                                                                                                           appelante,

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                               intimée.

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                L'appel vise une décision de la Cour canadienne de l'impôt. La question est de savoir si London Life a droit à des crédits de taxe sur les intrants (CTI) suivant la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise[1] relativement aux produits et aux services nécessaires pour améliorer les locaux qu'elle a loués à bail aux fins de l'exploitation de son entreprise.


LES FAITS

[2]                Au cours de ses années d'imposition 1991 et 1992, London Life a loué des locaux commerciaux destinés à ses bureaux de ventes régionaux. Conformément aux conditions de ses baux, London Life a touché de la part de ses locateurs des allocations aux fins d'améliorations locatives d'un montant approximatif de 2 200 000 $. Sur ce montant, London Life a perçu auprès des locateurs, au titre de la TPS, environ 155 000 $.

[3]                Conformément aux conditions des baux, London Life a apporté aux locaux loués des améliorations locatives dont le coût s'est élevé à environ 2 100 000 $. Au total, elle a versé à ses entrepreneurs et à ses fournisseurs, au titre de la TPS, environ 147 000 $ pour les divers biens et services dont elle a fait l'acquisition à cette fin. London Life a ensuite demandé des CTI de 147 000 $ devant être défalqués de la somme de 155 000 $ qu'elle devait au titre de la TPS au ministre du Revenu national relativement aux allocations aux fins d'améliorations locatives qu'elle avait touchées.

LA COTISATION ÉTABLIE PAR LE MINISTRE


[4]                Le ministre a refusé les CTI pour le motif que London Life était une entreprise de « services financiers » , soit des « fournitures exonérées » aux fins des dispositions relatives à la TPS[2]. Comme l'exploitation de l'entreprise de « services financiers » de London Life ne constituait pas une « activité commerciale » suivant ces dispositions et comme les améliorations locatives avaient été apportées afin de faciliter l'exploitation de l'entreprise de « services financiers » de la London Life, le ministre a résolu que la contribuable n'avait pas droit à des CTI.

LA DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT

[5]                Dans des motifs succincts, le juge de la Cour canadienne de l'impôt confirme la cotisation du ministre. Il conclut :

La London Life a acquis les améliorations locatives en vue d'effectuer des fournitures dans le cadre de son entreprise d'assurance exonérée. Par conséquent, les améliorations n'ont pas été effectuées dans le cadre d'une « activité commerciale » et [les CTI] ne s'applique[nt] pas à la TPS payée relativement à ces améliorations.[3]

LA THÈSE DE LONDON LIFE

[6]                London Life soutient que, suivant ses conventions de bail et en contrepartie des allocations aux fins d'améliorations locatives versées par ses locateurs, elle a fourni les améliorations locatives à ces derniers. Les améliorations locatives n'étaient pas des « fournitures exonérées » puisqu'il ne s'agissait pas de « services financiers » . Les améliorations reflétaient plutôt une « activité commerciale » indépendante comportant la fourniture aux locateurs de biens et de services assujettis à la TPS. London Life estime donc avoir droit à des CTI pour compenser la TPS exigible à l'égard des allocations aux fins d'améliorations locatives qui lui ont été versées.


[7]                De prime abord, la thèse de London Life paraît contraire à l'intuition. London Life n'a pas conclu ses conventions de bail dans le but de fournir des améliorations locatives à ses locateurs. L'acquisition d'améliorations locatives visait ultimement à rehausser son entreprise de services financiers comportant la réalisation de « fournitures exonérées » . Dans cette optique, London Life ne devrait pas bénéficier de CTI pour les biens et les services de construction obtenus aux fins des améliorations locatives puisqu'elle ne se livrait pas à une « activité commerciale » .

[8]                Toutefois, l'examen attentif des dispositions législatives applicables, des bulletins d'interprétation du ministre et du détail des opérations m'incite à tirer la conclusion contraire.

ANALYSE

Paragraphe 169(1)

[9]                Le paragraphe 169(1) prévoit le mode de calcul du crédit de taxe sur les intrants. De façon générale, le CTI résulte de la multiplication de la TPS payée pour le produit ou le service par le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle le bien ou le service a été utilisé dans le cadre des activités commerciales.

[10]            Voici l'extrait pertinent du paragraphe 169(1) :


169. (1) Sous réserve de la présente partie, le crédit de taxe sur les intrants d'une personne, [...] relativement à un bien ou à un service [...] qui lui est fourni, correspond au résultat du calcul suivant si, [...] la taxe relative [...] à la fourniture devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable_:

A x B

_:

A     représente la taxe relative [...] à la fourniture [...];

B      représente

[...]

b) dans le cas où le bien ou le service est acquis [...] par la personne pour utilisation dans le cadre d'améliorations apportées à une de ses immobilisations, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne utilisait l'immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après sa dernière acquisition [...] de tout ou partie de l'immobilisation;

c) dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis [...] le bien ou le service pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

169. (1) Subject to this Part, where property or a service is supplied to [...] a person and, [...] tax in respect of the supply [...] becomes payable by the person or is paid by the person without having become payable, the input tax credit [...] is the amount determined by the formula

                                                                                                                              A x B

where

A      is the total of all tax in respect of the supply [...]; and

B      is

                                 [...]

(b) where the property or service is acquired [...] by the person for use in improving capital property of the person, the extent (expressed as a percentage) to which the person was using the capital property in the course of commercial activities of the person immediately after the capital property or a portion thereof was last acquired [...] by the person, and

(c) in any other case, the extent (expressed as a percentage) to which the person acquired [...] the property or service for consumption, use or supply in the course of commercial activities of the person.

[11]            Dans le cadre de l'examen du paragraphe 169(1), il convient tout d'abord de déterminer si l'alinéa b) ou c) s'applique. London Life prétend que seul l'alinéa 169(1)c) est applicable. Le ministre fait valoir que l'alinéa 169(1)b) est la disposition applicable et, subsidiairement, que même si l'alinéa 169(1)c) s'applique, il n'appuie pas la thèse de London Life.

Alinéa 169(1)b)


[12]            Vu les faits de l'espèce, je ne crois pas que le paragraphe 169(1)b) s'applique. Cette disposition prévoit que le bien ou le service doit être acquis « pour utilisation dans le cadre d'améliorations apportées à une [des] immobilisations » . Selon le ministre, l'immobilisation en question correspond aux biens en location de London Life. Le bien ou le service acquis s'entend des améliorations locatives.

[13]            À mon avis, l'argumentation du ministre ne résiste pas à l'analyse, car les améliorations locatives ne sauraient constituer des « améliorations » au sens de la Loi. Le paragraphe 123(1) définit les « améliorations » comme des biens ou des services fournis en vue d'améliorer une immobilisation « dans la mesure où la contrepartie... est incluse dans le calcul du prix de base rajusté... de l'immobilisation [de la personne] pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu » .

[14]            London Life fait valoir que la contrepartie qu'elle a payée pour les améliorations locatives n'était pas incluse dans le coût en capital, c'est-à-dire le prix de base rajusté de ses biens en location, de sorte qu'il n'y a pas eu d'améliorations aux fins de l'alinéa 169(1)b). Elle soutient que, suivant la Loi de l'impôt sur le revenu ( « LIR » )[4], le seul montant à inclure dans le prix de base rajusté est l'excédent du coût des améliorations locatives sur le montant touché au titre des allocations aux fins d'améliorations locatives. En l'occurrence, le coût des améliorations n'est pas supérieur au montant des allocations. En effet, London Life n'a acquis que 2 100 000 $ d'améliorations locatives, soit environ 100 000 $ de moins que les 2 200 000 $ versés par ses locateurs.


[15]            La LIR prévoit que les paiements incitatifs se rapportant précisément au coût des améliorations locatives sont habituellement compris dans le revenu du locataire en application du sous-alinéa 12(1)x)(vii) de la LIR, à moins que le locataire ne choisisse de réduire le coût en capital des améliorations locatives en fonction des allocations incitatives sous le régime du paragraphe 13(7.4) de la LIR. Lorsque le locataire choisit de se prévaloir du paragraphe 13(7.4), comme London Life en l'espèce, le paiement incitatif est exclu du revenu par l'application du sous-alinéa 12(1)x)(vii) et réduit d'autant le coût en capital des améliorations. En l'occurrence, le choix a entraîné l'exclusion des allocations incitatives du revenu d'entreprise de London Life aux fins de l'impôt sur le revenu jusqu'à concurrence du montant dépensé pour les améliorations locatives. Cependant, comme le coût des améliorations locatives était inférieur au montant des allocations incitatives touchées par London Life et versées par ses locateurs pour effectuer les améliorations, le coût des améliorations locatives n'a pas été ajouté au prix de base rajusté des biens en location de London Life.

[16]            Parce qu'il n'en a pas résulté de majoration du prix de base rajusté des biens en location, les améliorations locatives ne constituaient pas des « améliorations » au sens du paragraphe 123(1). Par conséquent, étant donné que l'alinéa 169(1)b) s'applique lorsque le bien ou le service est « acquis... pour utilisation dans le cadre d'améliorations apportées à une [des] immobilisations » , il n'est pas applicable en l'espèce.


[17]            London Life fait en outre valoir que l'alinéa 169(1)b) ne s'applique pas, car les améliorations locatives ont été fournies aux fins d'améliorer non pas ses immobilisations, les biens en locations, mais plutôt les immobilisations des locateurs. Compte tenu de la conclusion que je tire au sujet de la définition des « améliorations » , il n'est pas nécessaire de trancher cette question.

Alinéa 169(1)c)

[18]            L'alinéa 169(1)c) s'applique « dans les autres cas » . Comme j'ai déterminé que la seule autre disposition susceptible d'application (l'alinéa 169(1)b)) ne s'applique pas, l'alinéa 169(1)c) doit être applicable en l'espèce. La question qui se pose aux fins de cet alinéa est de savoir si les biens ou les services, c'est-à-dire les intrants de construction destinés à l'amélioration des locaux loués, ont été acquis par London Life pour « utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales » . Le terme « activité commerciale » est défini au paragraphe 123(1)[5]:

123(1) « _activité commerciale_ » Constituent des activités commerciales exercées par une personne_:

a) l'exploitation d'une entreprise;

                                           [. . .]

c) les activités comportant la fourniture d'immeubles ou de droits sur des immeubles.

La présente définition exclut:

d) les activités exercées par une personne, dans la mesure où elles comportent la réalisation par celle-ci d'une fourniture exonérée;

                                  [. . .]

123(1) "commercial activity" means

(a) any business carried on by the person,

                                  [. . .]

(c) any activity engaged in by a person that involves the supply of real property or of a right or interest in respect of real property by that person,

but does not include

(d) any activity engaged in by a person to the extent that it involves the making of an exempt supply by the person,               

                                  [. . .]


[19]            London Life reconnaît que son entreprise principale consiste à fournir des services financiers et qu'il ne s'agit pas d'une activité commerciale puisqu'elle comporte la réalisation d'une fourniture exonérée. Elle reconnaît de plus que s'il était déterminé que les améliorations locatives ont été acquises pour utilisation dans le cadre de l'exploitation de son entreprise de services financiers, le pourcentage qui représenterait la mesure dans laquelle les améliorations locatives sont utilisées dans le cadre d'activités commerciales serait de 0 %, de sorte qu'elle n'aurait droit à aucun CTI.

[20]            Or, vu les circonstances de la présente affaire, London Life dit que l'acquisition des biens et des services de construction aux fins des améliorations locatives comportait la fourniture d'immeubles à ses locateurs, c'est-à-dire une activité commerciale comportant la réalisation d'une fourniture taxable. C'est cette activité particulière, plutôt que ses activités plus générales, qui serait pertinente pour trancher en l'espèce. À cet égard, London Life met l'accent sur les conditions de ses baux :

1.     Les allocations aux fins d'améliorations locatives versées par les locateurs étaient liées à la fourniture des améliorations locatives;

2. Une fois apportées, les améliorations locatives devenaient immédiatement la propriété des locateurs.


[21]            London Life était tenue de percevoir auprès les locateurs la TPS exigible à l'égard des allocations aux fins d'améliorations locatives qui lui étaient versées. Comme la TPS s'appliquait à ces allocations, il s'ensuit nécessairement que London Life réalisait une fourniture taxable pour les locateurs. La seule fourniture taxable possible pourrait être les améliorations locatives. Il s'agit d'une conclusion compatible avec la condition des baux suivant laquelle, une fois apportées, les améliorations devenaient immédiatement la propriété des locateurs.

Paragraphe 141.01(2)

[22]            Les parties et le juge de première instance se sont également fondés sur le paragraphe 141.01(2). Suivant les notes techniques publiées en février 1994 par le ministère des Finances[6], l'article 141.01 vise à clarifier et à appuyer l'exigence de répartir les intrants en application du paragraphe 169(1) aux fins des CTI, compte tenu du pourcentage représentant la mesure dans laquelle ils sont utilisés pour effectuer des fournitures taxables et des fournitures non taxables.


[23]            Une personne est donc réputée avoir acquis un bien ou un service pour utilisation dans le cadre de ses activités commerciales dans la mesure où elle l'a acquis afin d'effectuer, moyennant contrepartie, une fourniture taxable. À l'inverse, lorsqu'elle acquiert le bien ou le service afin d'effectuer une fourniture non taxable ou à une autre fin que celle d'effectuer une fourniture, la personne est réputée ne pas l'avoir acquis pour utilisation dans le cadre de ses activités commerciales.

[24]            Voici l'extrait pertinent du paragraphe 141.01(2)[7] :

141.01(2) Malgré le paragraphe 141(5), la personne qui acquiert [...] un bien ou un service pour consommation ou utilisation dans le cadre de son initiative est réputée, pour l'application de la présente partie, l'acquérir [...] pour consommation ou utilisation:

a) dans le cadre de ses activités commerciales, dans la mesure où elle l'acquiert [...] afin d'effectuer, pour une contrepartie, une fourniture taxable dans le cadre de l'initiative;

b) hors du cadre de ses activités commerciales, dans la mesure où elle l'acquiert [...]:

(i) afin d'effectuer, dans le cadre de l'initiative, une fourniture autre qu'une fourniture taxable effectuée pour une contrepartie,

(ii) à une fin autre que celle d'effectuer une fourniture dans le cadre de l'initiative.

141.01(2) Notwithstanding subsection 141(5), where a person acquires [...] property or a service for consumption or use in the course of an endeavour of the person, the person shall, for the purposes of this Part, be deemed to have acquired [...] the property or service

(a) for consumption or use in the course of commercial activities of the person, to the extent that the property or service is acquired [...] by the person for the purpose of making taxable supplies for consideration in the course of that endeavour; and

(b) for consumption or use otherwise than in the course of commercial activities of the person, to the extent that the property or service is acquired [...] by the person

(i) for the purpose of making supplies in the course of that endeavour that are not taxable supplies made for consideration, or

(ii) for a purpose other than the making of supplies in the course of that endeavour.


[25]            Selon moi, le paragraphe 141.01(2) appuie la thèse de London Life. La définition figurant au paragraphe 141.01(1) précise que le terme « initiative » s'entend notamment de « la réalisation de fournitures d'immeubles » . En l'occurrence, l'initiative correspond à la fourniture d'améliorations locatives aux locateurs, c'est-à-dire la réalisation de fournitures d'immeubles. London Life a acquis les intrants de construction afin d'effectuer des fournitures taxables, soit les améliorations locatives, au bénéfice de ses locateurs, moyennant contrepartie, soit l'allocation aux fins d'améliorations locatives. Elle est donc réputée avoir acquis les intrants de construction aux fins d'améliorations locatives pour utilisation dans le cadre de ses activités commerciales.

Mémorandum du ministre

[26]            Cette interprétation est étayée par le plus récent mémorandum sur la TPS/TVH [8] publié par le ministre en août 1999. Suivant le mémorandum, lorsque le locateur verse une allocation aux fins d'améliorations locatives, on considère que le locataire a effectué une fourniture taxable au bénéfice du locateur en ce qui concerne les biens et les services destinés aux améliorations locatives pour lesquelles l'allocation est versée. Il ressort du document que le locataire peut demander un CTI relativement à la TPS payée sur les intrants de construction. En voici le paragraphe 46 :

Si le bailleur [ou locateur] verse un paiement comptant incitatif au preneur pour que ce dernier effectue les améliorations, le preneur [ou locataire] est considéré comme ayant effectué au bailleur une fourniture taxable des intrants relatifs à la construction (c.-à-d. les services de construction et les matériaux de construction) qui ont servi à l'amélioration du bien loué et dont le paiement représente la contrepartie. Le preneur, s'il est un inscrit aux fins de la TPS/TVH, doit exiger et percevoir la TPS/TVH sur le paiement qu'il a reçu du bailleur. Le bailleur, s'il est un inscrit aux fins de la TPS/TVH, peut demander un CTI pour la TPS/TVH payée ou payable sur le paiement comptant incitatif fait au preneur. En outre, le preneur peut demander des CTI pour la TPS/TVH payée ou payable sur les achats utilisés pour améliorer le bien. [Non souligné dans l'original.]


Le ministre paraît estimer que le locateur qui verse une allocation aux fins d'améliorations locatives paie les améliorations locatives et les acquiert (ce qui est légalement le cas, vu les conditions des baux en l'espèce) pour les fournir au locataire. En fournissant des améliorations locatives au locateur, soit des fournitures d'immeubles, le locataire exerce une activité commerciale, même s'il exploite subséquemment dans les locaux loués une entreprise comportant la réalisation de fournitures exonérées.

[27]            Ce dernier point est crucial en l'espèce étant donné que l'entreprise que London Life exploite dans les locaux loués ne comporte que la réalisation de fournitures exonérées.

[28]            Une modification apportée dans le mémorandum d'août 1999 par rapport au Bulletin d'information technique[9] du 15 avril 1991 portant sur la question est un autre indice que le ministre préconise la même interprétation que London Life[10]. Dans le Bulletin d'information technique du 15 avril 1991, le ministre dit ce qui suit :

Le locataire pourrait réclamer un crédit de taxes sur les intrants pour recouvrer la TPS payée sur les achats utilisés en vue d'apporter des améliorations au bien, dans la mesure où celles-ci sont utilisées dans le cadre d'une activité commerciale.      [Non souligné dans l'original.]

Les mots « dans la mesure où celles-ci sont utilisées dans le cadre d'une activité commerciale » ont été supprimés dans le mémorandum du mois d'août 1999.


[29]            Avant le mémorandum d'août 1999, on pouvait certainement soutenir que, selon le ministre, la fourniture des améliorations locatives conformément aux conditions du bail ne constituait pas en elle-même une « activité commerciale » . Partant, des CTI ne pouvaient être demandés que « dans la mesure où [les améliorations] sont utilisées dans le cadre d'une activité commerciale » , c'est-à-dire lorsque le locataire exerçait une activité commerciale dans les locaux loués. Qu'il s'agisse d'une modification ou d'une précision, il ressort de la suppression de ces mots que, pour le ministre, l'entreprise devant être exploitée dans les locaux loués n'est pas déterminante quant au droit du locataire à un CTI. Le locataire peut donc bénéficier d'un CTI pour le seul motif qu'il a fourni des améliorations locatives au locateur en échange de l'allocation aux fins d'améliorations locatives que lui a versée le locateur.

[30]            Bien que les mémorandums du ministre n'aient pas force obligatoire, ils peuvent contribuer à l'explication et à la compréhension des dispositions législatives. La Cour suprême du Canada et la Cour ont tenu compte des bulletins d'interprétation et des mémorandums du ministre lorsque la disposition en cause dans une affaire n'était pas claire. Dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine[11], l'ancien juge Dickson a dit ce qui suit à la page 37 :

Les politiques et l'interprétation administratives ne sont pas déterminantes, mais elles ont une certaine valeur et, en cas de doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un « facteur important » : le juge de Grandpré dans l'arrêt Harel c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851, à la p. 859.


[31]            Dans Vaillancourt c. Sous-ministre M.R.N.[12], le juge Décary a dit ce qui suit à la page 674 :

Il est acquis que les bulletins d'interprétation ne constituent que l'opinion du ministère du Revenu national, ne lient ni le ministre, ni le contribuable, ni les tribunaux et ne constituent un facteur important dans l'interprétation de la Loi qu'en cas de doute sur le sens de cette législation. Cela dit, je constate que les tribunaux recourent de plus en plus souvent à ces bulletins et qu'ils paraissent facilement enclins à voir une ambiguïté dans la Loi -- ce qui permet d'y recourir -- lorsque l'interprétation donnée dans un bulletin contredit carrément l'interprétation que le ministère propose dans un cas donné ou permet l'interprétation que propose le contribuable. Lorsque le contribuable s'adonne à une activité commerciale en réponse à une invitation expresse de l'Administration et que la légalité de cette activité est confirmée dans un bulletin d'interprétation, ce n'est que justice que de rechercher accessoirement dans ce bulletin le sens de la législation en cause. Ainsi que le souligne le professeur Côté dans Interprétation des lois : « l'argument d'autorité tiré de l'interprétation administrative n'a jamais autant de force de persuasion que lorsqu'il est invoqué contre l'Administration, que le juge met ainsi en contradiction avec elle-même.

Dans la présente affaire, l'interprétation de London Life selon laquelle la fourniture des améliorations locatives aux locateurs constitue une activité commerciale est compatible avec le mémorandum du ministre datant du mois d'août 1999 et portant sur la question. Cela est d'autant plus vrai si l'on tient compte de la modification apportée par ce mémorandum au Bulletin d'information technique du 15 avril 1991.

[32]            Je ne vois aucune explication convaincante du refus du ministre d'interpréter les dispositions en cause conformément au mémorandum d'août 1999. L'incompatibilité de la thèse défendue par le ministre en l'espèce avec l'interprétation préconisée dans le mémorandum du mois d'août 1999 permet de mettre en doute la validité de l'interprétation mise de l'avant pour son compte dans le cadre du présent appel.


[33]            Certes, le but ultime de London Life est de louer des locaux améliorés afin d'y exploiter son entreprise de services financiers consistant à effectuer des fournitures exonérées. Toutefois, lorsque les opérations de location à bail sont considérées indépendamment, London Life fournit les améliorations locatives aux locateurs en contrepartie des allocations aux fins d'améliorations locatives. À leur tour, les locateurs fournissent les locaux améliorés à London Life pour l'exploitation de son entreprise de services financiers. De cette manière, la fourniture des améliorations locatives par London Life aux locateurs constitue une activité commerciale.

[34]            Par conséquent, London Life devrait avoir droit à des CTI relativement à la TPS payée sur les biens et les fournitures de construction acquis aux fins des améliorations locatives, soit 147 000 $, ce montant devant être défalqué de la TPS qu'elle est tenue par ailleurs de verser au ministre, soit 155 000 $, pour les allocations aux fins d'améliorations locatives qu'elle a touchées.

CONCLUSION


[35]            Accorder des CTI en l'espèce est compatible avec le principe qui sous-tend la Loi, soit éviter la double taxation. La TPS est exigible sur les allocations aux fins d'améliorations locatives touchées par London Life en contrepartie de l'amélioration des locaux loués. Si des CTI ne sont pas accordés pour la TPS payée relativement aux intrants de construction nécessaires aux améliorations locatives, puis défalqués de la TPS exigible sur les allocations aux fins d'améliorations locatives, les mêmes articles feront l'objet d'une double taxation. Comme l'a signalé l'auteur de Canada GST Service, David M. Sherman, dans son éditorial sur la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans la présente affaire :

[TRADUCTION] Des principes justifient l'octroi des CTI [dans ce cas]. Sinon, la TPS se retrouve « bloquée » et devient irrécouvrable simplement parce qu'elle passe entre les mains d'une entité effectuant des fournitures exonérées. Si le locateur a assumé le coût des améliorations directement ou par l'entremise de London Life en tant que mandataire, les CTI auraient clairement été accordés.[13]

[36]            Comme l'avocate de London Life l'a fait remarquer dans sa plaidoirie, si le locateur apporte des améliorations et inclut leur coût dans le loyer ou si le locataire apporte les améliorations et obtient une diminution de loyer en conséquence, il n'y a pas de double taxation. Le fait que London Life a jugé plus efficace de toucher des allocations aux fins d'améliorations locatives, d'effectuer elle-même les améliorations locatives et de les céder aux locateurs de façon que ces derniers puissent lui fournir les locaux améliorés en location ne devrait pas l'empêcher de bénéficier de CTI ni l'assujettir à la double taxation.


[37]            Pour ces motifs, l'appel est accueilli avec dépens devant la Cour et la Cour canadienne de l'impôt, la décision de la Cour canadienne de l'impôt est annulée à cet égard et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nouvelle cotisation conforme aux présents motifs.

                                                                                                                           « Marshall Rothstein »                

J.C.A.

Je souscris.

A. J. Stone

Je souscris

John M. Evans J.A.

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-581-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         London Life Insurance Company

c.

Sa Majesté la Reine

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            23 novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Rothstein, auxquels souscrivent les juges Stone et Evans, en date du 21 décembre 2000.

ONT COMPARU :

Me Jane Bailey                                       pour l'appelante

Me Harry Erlichman

Me Michael U. Ezri                                            pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Tory Tory

Toronto (Ontario)                                              pour l'appelante

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    pour l'intimée.



[1]            L.R.C. (1985), ch. E-15, modifiée.

[2]            Ibid., partie IX, annexe V, partie VII.

[3]            London Life Insurance Company c. Canada, [1998] G.S.T.C. 93-1, à la p. 93-5 (C.C.I.); par. 21.

[4]            L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), modifiée.

[5]            Cette définition a été modifiée dans L.C. 1993, ch. 27, par. 10(1). La modification s'appliquait dès après septembre 1992. Elle n'est pas pertinente aux fins de statuer sur le présent appel.

[6]            Ministère des Finances, notes techniques, février 1994, paragraphe 141.01(2) - Acquisition afin d'effectuer une fourniture.

[7]            Le paragraphe 141.01(2) a été modifié, son nouveau libellé s'appliquant dès après septembre 1992. La modification n'est pas pertinente aux fins de statuer sur le présent appel.

[8]            Série des mémorandums TPS/TVH, 19.4.1 « Immeubles commerciaux - Ventes et locations » , août 1999.

[9]            Revenu Canada, Bulletin d'information technique B-054 : Application de la taxe sur les produits et services (TPS) à l'égard des incitatifs à louer, 15 avril 1991.

[10]           David Sherman affirme dans Canadian Tax Research: A Practical Guide, 3e éd., Scarborough, Carswell, 1997, à la p. 163, que [TRADUCTION] « les Bulletins d'information technique font état sous l'angle technique de modifications récemment apportées à la politique administrative sur des points habituellement très précis. Bon nombre d'entre eux sont publiés à titre de documents temporaires -- sous forme de communiqués de presse techniques -- puis sont annulés lorsque leur contenu est intégré à un mémorandum sur la TPS » . Les indications concernant les améliorations locatives et les allocations aux fins d'améliorations locatives contenues dans le Bulletin d'information technique du 15 avril 1999 ont été modifiées et intégrées au mémorandum d'août 1999, puis le Bulletin d'information technique du 15 avril 1991 a été annulé.

[11]           [1983] 1 R.C.S. 29.

[12]           [1991] 3 C.F. 663 (C.A.).

[13]           London Life Insurance Co. c. Canada, précité, à la page 93-8.


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