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Date : 20040902

Dossier : A-401-04

Référence : 2004 CAF 283

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                               CHINA CERAMIC PROPPANT LTD.

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                                        CARBO CERAMICS INC.

                                                                                                                                                  intimée

                              Audience tenue à Ottawa (Ontario), les 1er et 2 septembre 2004

                         Jugement rendu à l'audience, à Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                        LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20040902

Dossier : A-401-04

Référence : 2004 CAF 283

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                              CHINA CERAMIC PROPPANT LTD.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                       CARBO CERAMICS INC.

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

                         (Exposés à l'audience, à Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2004)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                L'appelante ne nous a pas convaincus que le juge des requêtes (le juge) a commis une erreur qui justifierait notre intervention en accordant une injonction provisoire.


[2]                L'avocat de l'appelante a soutenu que le juge avait erronément tiré une conclusion préliminaire selon laquelle l'appelante avait contrefait le brevet et que cela avait indûment influencé sa conclusion sur la question de la prépondérance des inconvénients. Il ne fait aucun doute que le juge s'est exprimé parfois en des termes imprudents et inadéquats sur les questions de la contrefaçon et de l' « entrée hâtive » qui peuvent donner cette impression. Cependant, lorsque nous plaçons dans leur contexte les passages qui ont été portés à notre attention, nous estimons qu'il n'a pas préjugé du fond de ces questions et que les observations que l'appelante a formulées à cet égard ne sont pas fondées.

[3]                Le débat devant nous s'est centré sur la conclusion que le juge a tirée sur la prépondérance des inconvénients, sur sa définition du statu quo et sur l'incidence juridique de sa conclusion concernant l' « entrée hâtive sur le marché » que l'appelante aurait faite. Nous reproduisons les paragraphes 29 à 35 de ses motifs :

[29] Le terme « entrée hâtive » est utilisé pour décrire la situation où la partie titulaire du brevet perd une partie de sa part de marché à cause d'une violation de brevet en prévision de l'expiration du brevet. Le contrefacteur du brevet se trouve à tirer un avantage indu de la situation en préparant son entrée avant l'expiration du brevet

[30] En l'espèce, la défenderesse est entrée sur le marché vers la fin de la période de validité du brevet, ce qui soulève clairement la question de l'entrée hâtive sur le marché.

[31] Un employé de la demanderesse atteste que la défenderesse vend un agent de soutènement à base de céramique à un des clients de la demanderesse et que ce client a pratiquement cessé d'acheter l'agent de soutènement de la demanderesse. La défenderesse ne conteste pas cette affirmation, et elle ne soutient pas non plus qu'il ne s'agit pas effectivement d'une entrée hâtive sur le marché.

[32] La Cour est d'avis que la défenderesse a fait une entrée hâtive sur le marché et qu'elle a de ce fait obtenu un avantage pour lequel une condamnation à des dommages-intérêts serait insuffisante.

En faveur de qui joue la prépondérance des inconvénients?


[33] Plusieurs facteurs jouent en faveur de la demanderesse sur la question de la prépondérance des inconvénients : la demanderesse s'est engagée à verser les dommages-intérêts auxquels elle pourrait être condamnée, la défenderesse est entrée sur le marché en sachant que la demanderesse était titulaire du brevet; la demanderesse a dépensé des sommes considérables en recherche et développement pour créer son agent de soutènement à base de céramique.

[34] Il ne fait cependant pas de doute que la défenderesse subirait un préjudice irréparable si l'injonction devait être accordée. L'actionnaire unique et président de la défenderesse affirme ce qui suit :

[traduction] Une injonction provisoire causerait de graves difficultés financières à la défenderesse puisque l'agent de soutènement à base de céramique est le seul produit vendu par la défenderesse et que le marché canadien est le seul marché où la défenderesse exerce des activités commerciales. En fait, si l'injonction est accordée, la défenderesse pourrait être forcée à mettre définitivement et entièrement fin à ses activités commerciales.

[35] Il appert donc que la prépondérance des inconvénients ne joue en faveur ni de l'une ni de l'autre partie. Dans de tels cas, la jurisprudence a établi qu'on devrait privilégier le statu quo. Cela ne veut pas dire que la situation, telle qu'elle existe immédiatement avant la présentation de la requête, ne devrait pas être modifiée, mais plutôt que le contrefacteur ne devrait pas être autorisé à continuer à faire affaire dans le marché. Par conséquent, la prépondérance des inconvénients joue en faveur de la demanderesse. [Renvois omis.]

[4]                Commençons avec la question de la prépondérance des inconvénients. Il nous apparaît, à la lecture des motifs du juge, qu'il l'a évaluée en fonction du moment où l'intimée a présenté sa demande d'injonction. Il a affirmé que la prépondérance des inconvénients n'apparaissait favoriser aucune des parties au litige et que, par conséquent, il fallait maintenir le statu quo. Il a ensuite commencé à « revoir » la question du statu quo pour finalement conclure que la prépondérance des inconvénients favorisait l'intimée et qu'il y avait lieu d'accorder l'injonction provisoire. Il était d'avis que le statu quo, en l'espèce, était la situation qui existait avant l'entrée de l'appelante sur le marché que l'intimée occupait en grande partie en raison d'un brevet qui venait à expiration le 16 février 2005.


[5]                L'appelante soutient que le juge a commis une erreur dans son appréciation du statu quo parce que le statu quo devrait être la situation qui avait cours au moment où la demande d'injonction a été faite.

[6]                Selon nous, le juge est arrivé à la bonne conclusion sur la question de la prépondérance des inconvénients, mais les motifs qu'il a exposés nécessitent quelques précisions.

[7]                Dans Garden Cottage Foods Ltd. c. Milk Marketing Bd., [1984] A.C. 130, à la page 140, lord Diplock a défini le statu quo comme étant [traduction] « l'état de la situation qui avait cours pendant la période qui a précédé la demande d'une injonction permanente » . Notre Cour a, dans de nombreux arrêts, statué que le statu quo, lorsqu'il n'y a pas une prépondérance des inconvénients, est l'état de la situation au moment où la demande est présentée ou entendue : voir Sharpe, J., Injunctions and Specific Performance, Canada Law Book Inc., Aurora, 203, page 2-43, note de bas de page 133, Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991) 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.). En conséquence, la Cour a généralement refusé l'injonction demandée : voir Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., précité, Signalisation de Montréal Inc. c. Services de béton universels ltée et al. (1992) 46 C.P.R. (3d) 199 (C.A.F.), Procter and Gamble Pharmaceuticals Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (1996), 116 F.T.R. 99 (C.F. 1re inst.).


[8]                La Cour a reconnu dans Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc. (1989) 24 C.P.R. (3d) 1, aux pages 13 et 14, qu'il peut y avoir des facteurs, tel celui de la force de la preuve présentée par l'une des parties, qui favoriseront cette partie sur le plan de la prépondérance des inconvénients alors que par ailleurs les parties semblent sur un pied d'égalité quant aux autres facteurs. Nous croyons que l'un de ces facteurs en l'espèce est que le juge a estimé que l'appelante avait fait une « entrée hâtive » sur le marché en ayant en vue l'expiration prochaine du brevet de l'intimée, causant ainsi à l'intimée une perte d'une partie du marché qu'elle aurait conservé après l'expiration de son brevet, de même qu'un désavantage que l'octroi de dommages-intérêts ne saurait combler.

[9]                L'appelante fut réputée par le juge avoir fait une « entrée hâtive » sur le marché. Bien qu'il ait improprement formulé sa conclusion en terme de présomption, il ressort clairement de ses motifs qu'il a tiré une conclusion de fait selon laquelle l'appelante était entrée sur le marché dans le but de tirer un avantage avant l'expiration du brevet, qu'elle savait que ce brevet existait, qu'elle a consciemment pris le risque d'entrer sur le marché et qu'elle « s'est engagée en pleine connaissance de cause dans la [...] situation de contrefaçon [alléguée] » ; voir Lubrizol Corp. et al. c. Imperial Oil Ltd. (1989) 22 C.P.R. (3d) 493 (1re inst.), conf. par (1989) 26 C.P.R. (3d) 461 (C.A.F.).

[10]            L'intimée a présenté au juge une preuve qui étayait suffisamment les graves accusations d' « entrée hâtive » qu'elle avait portées contre l'appelante. Cela dit, nous sommes d'accord avec le juge Martin quant à l'approche qu'il a adoptée dans Aluma Systems Ltd. c. J. Fitzmaurice Ltd. (1987), 17 C.P.R. (3d) 419, à la page 423 :


Il me semble que, puisqu'elle connaissait les risques que comportaient les gestes qu'elle se proposait de faire avant de lancer son système sur le marché et qu'elle a choisi de prendre ce risque plutôt qu'une autre mesure appropriée pour déterminer si son système violerait les revendications des demanderesses, Canada Scaffold ne peut maintenant se plaindre que la date à laquelle il conviendrait de maintenir le statu quo devrait être fixé à une date antérieure à celle à laquelle elle a introduit son produit sur le marché.

Accepter la thèse de l'appelante selon laquelle le statu quo devrait être fixé au moment où la demande d'injonction a été déposée permettrait non seulement à l'appelante de continuer la contrefaçon alléguée, mais de continuer aussi son « entrée hâtive » avec la bénédiction de la Cour.

[11]            Le juge a aussi conclu que l'appelante serait incapable de verser des dommages-intérêts parce qu'elle ne possède pas de biens au Canada, qu'elle n'a pas d'employés et qu'elle a affirmé dans un affidavit que sa situation financière était précaire, au point qu'elle ne pouvait pas retenir les services d'un avocat dans une poursuite pour contrefaçon.

[12]            Dans les circonstances, ces facteurs, en plus de la force de la preuve présentée par l'intimée, de la force que le juge a reconnue aux arguments de l'intimée, de la force des engagements de l'intimée de payer des dommages-intérêts et du moment auquel l'appelante est entrée sur le marché, favorisent, selon nous, l'intimée quant à la prépondérance des inconvénients. Le juge n'a donc pas commis d'erreur en arrivant à cette conclusion, même s'il l'a fait de façon un peu laconique.


[13]            À l'audience, les parties ont convenu que le juge n'aurait pas dû accorder l'injonction provisoire pour jusqu'à la fin du procès pour contrefaçon parce que, de toute évidence, le brevet expirera avant que le procès soit terminé.

[14]            Pour ces motifs, l'appel ne sera accueilli que pour modifier l'ordonnance du juge de manière à ce que l'injonction provisoire expire le 16 février 2005. À tous autres égards, l'appel sera rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

                   « Gilles Létourneau »                    

Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                A-401-04

Appel d'une ordonnance décernée par le juge Shore le 28 juillet 2004 dans le dossier T-909-04.

INTITULÉ :               CHINA CERAMIC PROPPANT LTD.

c.

CARBO CERAMICS INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :                            LES 1er ET 2 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR           (LES JUGES LÉTOURNEAU, NOËL ET SEXTON)

PRONONCÉS

À L'AUDIENCE PAR :                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

COMPARUTIONS :

Trevor McDonald

POUR L'APPELANTE                                    

Martha Savoy                                                                   

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANTE                                    

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE                                          

                                                                                                           


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