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Date : 19990412

Dossier : A-869-97

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 12 AVRIL 1999

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :


COCA-COLA LTÉE et EMBOUTEILLAGE COCA-COLA LTÉE,


appelantes,

(demanderesses),

- et -


MUSAADIQ PARDHAN, faisant affaires sous le nom de

UNIVERSAL EXPORTERS,

1106972 ONTARIO LIMITED, faisant affaires sous le nom de

UNIVERSAL EXPORTERS,

MONSIEUR UNTEL et MADAME UNETELLE et

LES AUTRES PERSONNES INCONNUES DES DEMANDERESSES

QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, EXPORTENT

DES PRODUITS COCA-COLA TRANSBORDÉS

OU EN FONT LE COMMERCE,


intimés,

(défendeurs).


JUGEMENT

     L'appel est rejeté avec dépens.

     " B.L. Strayer "

                                             J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


Date : 19990412

Dossier : A-869-97

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :


COCA-COLA LTÉE et EMBOUTEILLAGE COCA-COLA LTÉE,


appelantes,

(demanderesses),

- et -


MUSAADIQ PARDHAN, faisant affaires sous le nom de

UNIVERSAL EXPORTERS,

1106972 ONTARIO LIMITED, faisant affaires sous le nom de

UNIVERSAL EXPORTERS,

MONSIEUR UNTEL et MADAME UNETELLE et

LES AUTRES PERSONNES INCONNUES DES DEMANDERESSES

QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, EXPORTENT

DES PRODUITS COCA-COLA TRANSBORDÉS

OU EN FONT LE COMMERCE,


intimés,

(défendeurs).

AUDITION TENUE à Toronto (Ontario), le mardi 2 mars 1999.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le lundi 12 avril 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE STRAYER

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE LINDEN

     LE JUGE ROBERTSON

Date : 19990412

Dossier : A-869-97

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :


COCA-COLA LTÉE et EMBOUTEILLAGE COCA-COLA LTÉE,


appelantes,

(demanderesses),

- et -


MUSAADIQ PARDHAN, faisant affaires sous le nom de

UNIVERSAL EXPORTERS,

1106972 ONTARIO LIMITED, faisant affaires sous le nom de

UNIVERSAL EXPORTERS,

MONSIEUR UNTEL et MADAME UNETELLE et

LES AUTRES PERSONNES INCONNUES DES DEMANDERESSES

QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, EXPORTENT

DES PRODUITS COCA-COLA TRANSBORDÉS

OU EN FONT LE COMMERCE,


intimés,

(défendeurs).


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRAYER

Introduction

[1]      Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle le juge Wetston a radié, le 27 novembre 1997, la déclaration des demanderesses dans une action en dommages-intérêts pour usurpation de leurs marques de commerce et diminution de la valeur de l'achalandage lié à ces marques.

Les faits

[2]      L'action a été intentée le 19 décembre 1995. Les faits allégués par les appelantes, que vous devons tenir pour avérés aux fins de l'appel, révèlent que les appelantes Coca-Cola Ltd. (CCL) et Embouteillage Coca-Cola Ltd. (ECCL) sont respectivement le propriétaire ou concédant des marques déposées de Coca-Cola au Canada et le licencié et fabricant des produits Coca-Cola au Canada. Les intimés [Traduction] " distribuent, entreposent, expédient, transbordent et exportent " des produits fabriqués par ECCL. Aucune allégation ne porte qu'ils vendent de telles marchandises au Canada.

[3]      Les appelantes ont obtenu une " Ordonnance conservatoire " prononcée par le juge Joyal, vraisemblablement pour préserver la preuve, le jour où l'action a été intentée, et une injonction interlocutoire, le 8 janvier 1996. Le 29 juillet 1997, elles ont demandé une nouvelle ordonnance conservatoire.

[4]      Le 12 mars 1996, les intimés ont déposé une défense et demande reconventionnelle modifiée. Dans cette défense, ils n'ont pas fait valoir que l'ensemble ou une partie de la déclaration ne révélait aucune cause d'action raisonnable. Ce n'est que le 2 juin 1997 qu'ils ont présenté l'avis de requête en cause en l'espèce. Cet avis de requête sollicitait, notamment, une ordonnance radiant le paragraphe 12, la deuxième phrase du paragraphe 17, la première phrase du paragraphe 18 et la totalité des paragraphes 19, 20, 21, 22 et 25 de la déclaration. Les voici :

         [Traduction]         
         12.      CCL et ECCL ont constamment respecté la législation canadienne touchant la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation et ses règlements d'application en ce qui concerne ses produits vendus sous les marques de commerce de COCA-COLA. Les magasins de détail qui achètent les produits COCA-COLA ont le droit de s'attendre que les produits COCA-COLA soient conformes à toutes les lois canadiennes régissant l'emballage et l'étiquetage.         
         *******************************         
         17.      Les produits offerts en vente, vendus, exportés, distribués et expédiés à partir du Canada par les défendeurs ( les produits transbordés) sont des produits fabriqués par ECCl exclusivement à des fins d'utilisation à l'intérieur du marché canadien. La vente de produits transbordés à l'extérieur du Canada constitue une violation de la convention de licence conclue entre CCL et ECCL et une violation des droits afférents aux marques de commerce détenus par les propriétaires des célèbres marques de commerce COCA-COLA dans d'autres ressorts. (La phrase contestée est en italiques).         
         *******************************         
         18.      Les produits COCA-COLA transbordés par les défendeurs sont emballés et étiquetés uniquement aux fins de leur vente au Canada. Les contenants des produits identifient CCL comme fabricant et propriétaire de la marque de commerce des produits transbordés. (La phrase contestée est en italiques).         
         *******************************         
         19.      Les défendeurs n'ont pas :         
              a)      veillé à ce que le produits COCA-COLA soient étiquetés en conformité avec les lois des pays ou les marchandises doivent être livrées;         
              b)      obtenu les licences nécessaires pour vendre les produits COCA-COLA dans d'autres ressorts.         
         *******************************         
         20.      L'utilisation décrite des marques de commerce COCA-COLA sur les produits COCA-COLA par les défendeurs a eu et continue d'avoir pour effet de tromper et de créer de la confusion entre l'utilisation non autorisée des marques de commerce COCA-COLA par les défendeurs et l'utilisation autorisée légitime des marques de commerce COCA-COLA par CCL et ECCL.         
         *******************************         
         21      Par leurs actes, les défendeurs ont usurpé et sont réputés continuer d'usurper les marques de commerce COCA-COLA, contrevenant ainsi aux articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce.         
         *******************************         
         22      Les activités illégales des défendeurs entraînent un grave diminution de la valeur de l'achalandage lié aux marques de commerce COCA-COLA, contrevenant ainsi au paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce.         
         *******************************         
         25.      La demanderesse invoque les dispositions de la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation, L.R.C. (1985), ch. C.38, et du Règlement sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation, C.R.C. ch. 417.         

[5]      Étant donné que les défendeurs ont répondu à la déclaration maintenant contestée, le juge des requêtes a statué qu'ils ne pouvaient pas présenter de requête en radiation sous le régime de l'ancienne règle 419, sauf en s'appuyant sur l'alinéa 419a) : c'est-à-dire en alléguant que les paragraphes contestés ne révèlent aucune cause raisonnable d'action. En s'appuyant sur ce fondement, il a jugé que les paragraphes 17, 18, 19, 21 et 22 ne révélaient aucune cause raisonnable d'action. Puis, il a conclu comme suit :

         [32]      Au cours de l'audience, les parties ont convenu que si la Cour décidait que les paragraphes ci-dessus doivent être radiés, ceux-ci constitueraient le coeur de l'action. Il est donc évident que l'action ne peut être accueillie. Dans ce contexte, la déclaration intégrale doit être radiée sans autorisation de l'amender ...         

[6]      Le juge Wetston n'a pas rejeté l'action et on ne lui a pas demandé de la rejeter. Par la suite, le juge MacKay, sur présentation d'une requête, a rejeté l'action le 2 mai 1998 en raison de la décision rendue par le juge Wetston, portée en appel devant nous, et il a annulé l'injonction interlocutoire. Sa décision a également été portée en appel dans le dossier A-335-98, que la Cour a entendu en même temps que le présent appel. Il est entendu que le sort de cet appel est lié à la décision que rendra la Cour dans le présent appel visant la décision du juge Wetston.

Questions en litige

[7]      J'estime que la Cour doit trancher les questions suivantes :

(1)      Le juge Wetston a-t-il eu raison de trancher la requête en radiation alors que les défendeurs avaient répondu à l'acte de procédure des appelantes environ quinze mois avant d'en demander la radiation?
(2)      Le juge Wetston aurait-il dû refuser de trancher la requête en radiation pour cause de retard?
(3)      Le juge Wetston a-t-il commis des erreurs de droit en interprétant le terme " emploi " figurant dans la Loi sur les marques de commerce et, pour cette raison, donné une interprétation erronée des articles 19 et 20 et des paragraphes 4(3) et 22(1) et radié à tort certaines allégations de la déclaration?
(4)      Le juge Wetston a-t-il commis une erreur en radiant la déclaration intégralement sans autoriser les appelantes à la modifier?

Analyse

(1) Réponse à l'acte de procédure

[8]      Selon moi, le juge Wetston a appliqué correctement la jurisprudence bien établie émanant de la Cour, selon laquelle il faut normalement demander la radiation d'un acte de procédure avant d'y répondre, mais il est possible de présenter, à tout moment sous le régime de l'alinéa 419a) des anciennes règles, une requête en radiation fondée sur l'absence de cause raisonnable d'action. Le juge Wetston a, à bon droit, limité son examen de la requête à ce moyen, qui ne lui permettait évidemment pas de prendre en compte d'autres éléments de preuve que le simple libellé de l'acte de procédure contesté.


(2) Retard

[9]      Le juge Wetston a conclu que, compte tenu des circonstances, il n'y avait pas eu de retard excessif et il a refusé d'accorder un redressement fondé sur ce moyen. Je suis d'avis que cette décision relevait de son pouvoir discrétionnaire et les appelantes n'ont établi aucun motif qui justifierait que la Cour l'infirme.


(3) Les intimés ont-il " employé " les marques de commerce de façon à engager leur responsabilité en vertu des articles 19 et 20 et des paragraphes 4(3) et 22(1) de la Loi sur les marques de commerce?

[10]      Le juge Wetston a appliqué la règle du premier emploi pour conclure que les défendeurs n'avaient pas " employé " les marques de commerce. Selon sa perception de la jurisprudence, lorsque des marchandises sont introduites dans le commerce par le titulaire de la marque et sont subséquemment acquises par une autre partie dans le cours normal des affaires, le fait que cette dernière revende ces mêmes marchandises ne constitue pas une usurpation. Voici les propos qu'il a tenus sur ce point :

         [Les défendeurs] n'ont pas fabriqué de produits Coca-Cola contrefaits en vue de les vendre au pays ou à l'étranger. Ils n'ont pas employé une marque créant de la confusion sur des produits de cola semblables à ceux qu'ils ont vendus au Canada ou exportés en vue de les vendre à l'étranger. Si l'on tient pour avérés les faits allégués par les demanderesses, les défendeurs ont simplement acheté de grandes quantités de produits de Coca-Cola véritables auprès d'un tiers détaillant pour ensuite les exporter en vue de les revendre à l'étranger, à l'encontre de l'intention manifeste des demanderesses...         

Ayant conclu que les intimés ne s'étaient pas livrés à des activités qui constituent un " emploi ", le juge des requêtes pouvait affirmer que leurs activités ne contrevenaient pas aux

article 19 et 20 ni aux paragraphes 4(3) et 22(1) de la Loi sur les marques de commerce, chacune de ses dispositions engageant la responsabilité du défendeur uniquement en cas d'" emploi " d'une marque de commerce. Il n'a pas non plus jugé que le fait que les appelantes aient étiqueté les produits uniquement aux fins de leur revente au Canada pouvait enclencher la responsabilité des intimés par application de l'article 8 de la Loi qui créait simplement, à son avis, une garantie entre le cédant et le cessionnaire dans le cadre de leur lien contractuel.

[11]      Voici les dispositions pertinentes de la loi :

2. In this Act,

     "trade-mark" means

         (a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by others . . . .

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

     "marque de commerce" Selon le cas:

     (a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres . . . .
              * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *         
     "use", in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services.
"emploi" ou "usage" À l'égard d'une marque de commerce, tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

4.(1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packgages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

4.(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à un tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

              * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *         

8. Every person who in the course of trade transfers the property in or the possession of any wares bearing, or in packages bearing, any trade-mark or trade-name shall, unless before the transfer he otherwise expressly states in writing, be deemed to warrant, to the person to whom the property or possession is transferred that the trade-mark or trade-name has been and may be lawfully used in connection with the wares.

8. Quiconque, dans la pratique du commerce, transfère la propriété ou la possession de marchandises portant une marque de commerce ou un nom commercial, ou de colis portant une telle marque ou un tel nom, est censé, à moins d'avoir, par écrit, expressément déclaré le contraire avant le transfert, garantir à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée que cette marque de commerce ou ce nom commercial a été et peut être licitement employé à l'égard de ces marchandises.


19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

              * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *         

20.(1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

     (a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or
     (b) any bona fide use, other than as a trade-mark,
         (i) of the geographical name of his place of business, or
         (ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

20(1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne:

(a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;
(b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce:
     (i) soit le nom géographique de son siège d'affaires,

         (ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce.


22.(1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

22(1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.

[12]      Les intimés ont plaidé devant la présente Cour que les activités qu'on leur reproche ne peuvent pas équivaloir, en droit, à un emploi ou, subsidiairement, ne constituent pas un emploi donnant ouverture à une poursuite. Dans les deux cas, ils invoquent la théorie du premier emploi ou de l'" épuisement " des droits : une fois les marchandises portant les marques de commerce des appelantes vendues par elles dans le cours normal de leurs affaires, la revente subséquente des mêmes marchandises portant les mêmes marques de commerce ne peut pas constituer un emploi ni un emploi donnant ouverture à une poursuite.

[13]      Les avocats n'ont pas porté à notre attention de jurisprudence portant directement sur la signification du terme " emploi " figurant dans la Loi sur les marques de commerce, telle qu'elle pourrait s'appliquer au problème particulier de l'exportation des marchandises du propriétaire d'une marque de commerce déposée qui portent cette marque.

[14]      Compte tenu de l'ensemble de la Loi sur les marques de commerce et de l'objet fondamental des règles de droit touchant les marques de commerce, je crois qu'il faut conclure que ces activités ne constituent pas un " emploi " au sens de la Loi et, en particulier, au sens de l'article 19 qui confère au propriétaire d'une marque de commerce le droit exclusif à l'emploi de cette marque au Canada.

[15]      Je citerai d'abord la phrase utilisée par M. Fox en guise d'introduction à son ouvrage The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition1 :

         [Traduction] Le fondement du droit en matière de marques de commerce est le suivant : lorsqu'une personne sait que des marchandises n'ont pas été fabriquées par un commerçant donné et qu'elle vend ces marchandises en prétendant qu'il s'agit de marchandises de ce commerçant, elle cause un préjudice à ce commerçant.         

En d'autres termes, le droit en matière de marques de commerce vise essentiellement à empêcher la tromperie quant à la provenance de marchandises et de services, lorsque leur créateur a adopté une marque distinctive pour ces marchandises et ces services.

[16]      La définition d'une marque de commerce donnée par l'article 2, précité, indique clairement que la marque est employée pour distinguer ses marchandises et services de ceux d'autres personnes. L'article 4, adopté par renvoi dans l'article 2 comme définition du terme " emploi ", indique qu'une marque de commerce est employée lors du transfert de marchandises sur lesquelles elle est apposée, la marque de commerce identifiant, par définition, le créateur des marchandises.

[17]      On peut donc constater que la personne qui effectue des opérations subséquentes touchant les marchandises, dans le cadre desquelles elles sont transmises à un autre propriétaire et la marque de commerce qu'elles portent pour en identifier le créateur demeure intacte, ne peuvent être considérées comme employant cette marque pour distinguer les marchandises " fabriquées ... par elle " de celles fabriquées par d'autres, comme le voudrait la définition du terme " marque de commerce " prévue à l'article 2.

[18]      Cette conception de l'emploi est renforcée par la jurisprudence, qui met l'accent sur la tromperie comme élément essentiel de l'usurpation. Dans l'affaire Imperial Tobacco Co. of India Ltd. c. Bonnan2, les intimés vendaient des marchandises fabriquées par la société British American Tobacco Company Ltd. en Inde, faisant ainsi concurrence à cette société. Le Comité judiciaire du Conseil privé a fait la remarque suivante :

         [Traduction] Les intimées, n'ayant pas souscrit d'engagement, vendent des produits fabriqués par la British American Company comme tels " savoir des cigarettes Wills' Gold Flake fabriquées par cette société. Il n'y a pas de mensonge ni de tentative pour tromper ...         

Le Comité judiciaire a ajouté :

         [Traduction] Rien n'empêche un commerçant d'acheter des produits à un fabricant et de les vendre en lui faisant concurrence, même dans un pays dans lequel le fabricant ou son représentant était auparavant le seul importateur.         

Il n'y avait donc pas usurpation3.

[19]      Cette jurisprudence a été suivie par la Cour dans l'arrêt Smith & Nephew Inc. c. Glen Oak Inc. et autre4. Dans cette affaire l'intimée, ayant obtenu une licence d'une société allemande pour vendre les produits NIVEA au Canada, a demandé un injonction interdisant à l'appelante, titulaire d'une licence que lui avait octroyée le propriétaire allemand de la marque de commerce pour fabriquer et vendre ces produits au Mexique, d'importer au Canada les produits fabriqués au Mexique. L'injonction lui a été accordée par la Section de première instance, mais elle a été annulée par notre Cour. L'affaire a été traitée comme soulevant une pure question de droit et la Cour est arrivée à la conclusion que la Loi sur les marques de commerce ne conférait aux intimées aucun droit leur permettant d'empêcher l'importation de ces produits au Canada. Le juge Hugessen a affirmé, au nom de la Cour :

         Les produits qui sont mis dans le circuit commercial par le propriétaire d'une marque déposée ne sont pas des produits contrefaits simplement parce qu'ils sont arrivés sur un marché géographique donné sur lequel le propriétaire de la marque ne veut pas qu'ils soient distribués.5         

Après avoir cité la jurisprudence susmentionnée, le juge Hugessen a ajouté :

         À mon avis, le droit canadien n'est pas différent. En tant que licenciée canadienne et importatrice de produits portant les marques déposées de BDF, Smith & Nephew ne peut pas se plaindre de la vente au Canada d'autres produits qui sont aussi fabriqués par BDF ou en vertu d'une licence octroyée par BDF et qui portent les mêmes marques. Il ne peut pas y avoir de tromperie quant à la source des produits, qui sont exactement ce qu'ils sont censés être...         

[20]      Par conséquent, la revente de marchandises fabriquées par le propriétaire d'une marque de commerce, qui portent la marque de commerce de leur fabricant, ne peut pas être considérée, de façon réaliste, comme un emploi, par le vendeur, visant à tromper l'acheteur quant à la provenance des marchandises. Elle ne peut donc pas donner ouverture à une action pour usurpation fondée sur l'article 19 de la Loi, qui confère au propriétaire de la marque de commerce le droit exclusif à l'emploi de cette marque pour identifier ses marchandises. En l'espèce, un tel " emploi " par l'intimé n'est pas allégué.

[21]      En conséquence, je suis d'accord avec le juge des requêtes sur l'inexistence d'un " emploi ", au sens de la Loi , de la part des intimés et je suis d'avis qu'une action dirigée contre eux en vertu des articles 19 ou 20 ou des paragraphes 4(3) ou 22(1) ne pourrait être accueillie. Ces dispositions s'appuient toutes sur l'existence d'un " emploi " de la marque par le défendeur.

[22]      En ce qui concerne le paragraphe 4(3), les appelantes soutiennent qu'il crée une sorte de droit d'action automatique fondé simplement sur le fait d'exporter. Il me semble que le paragraphe dispose essentiellement, non pas que toute exportation de marchandises portant une marque de commerce est réputée constituer un emploi de cette marque de commerce, mais que l'" emploi " réel de cette marque est réputé, le cas échéant, être survenu au " Canada ". Je retiens l'analyse effectuée par le juge MacKay dans l'affaire Molson Companies Ltd. c. Moosehead Breweries Ltd. et autres6, selon laquelle le paragraphe 4(3) a pour objet de permettre aux producteurs canadiens qui ne vendent pas leurs marchandises localement, mais les expédient simplement à l'étranger, de démontrer qu'il y a eu emploi au Canada aux fins de faire enregistrer leur marque de commerce au Canada. Cela a été jugé important pour qu'ils puissent la faire enregistrer à l'étranger. En outre, comme l'a fait remarquer le juge des requêtes, le paragraphe 4(3) peut avoir de l'importance du fait qu'il permet d'intenter une action pour usurpation contre la personne qui exporte des marchandises contrefaites à partir du Canada sans en vendre localement. Mais je ne crois pas qu'il ait pour effet de créer un " emploi " au sens de la Loi dans les cas où des marchandises authentiques du propriétaire de la marque de commerce sont expédiées à partir du Canada.

[23]      Le juge Wetston a également tranché implicitement l'allégation d'usurpation figurant dans le paragraphe 21 de la déclaration et fondée sur le paragraphe 20(1), en s'appuyant sur l'absence d'allégation portant que l'emploi de la marque de commerce des appelantes sur leurs propres produits créait de la confusion (cette notion étant définie à l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce.)

[24]      Pour les motifs exposés plus haut, je ne décèle aucune erreur dans la conclusion tirée par le juge des requêtes et selon laquelle le paragraphe 22(1) ne donnait ouverture à aucune cause d'action étant donné que les faits invoqués dans la déclaration n'établissaient pas qu'il y avait eu " emploi " de la marque de commerce par les intimés.

[25]      Malgré ce qui précède, les intimés ont prétendu devant le juge Wetston et en l'espèce que l'article 8 de la Loi sur les marques de commerce interdit au défendeur de s'appuyer sur la théorie de l'épuisement d'un droit : si le propriétaire d'une marque de commerce a avisé un défendeur qu'il restreint l'" emploi " du produit, le droit d'engager une poursuite que confère l'article 19 à son propriétaire demeurerait intact. Aucune jurisprudence n'a été citée à l'appui de cette conception universelle des droits des propriétaires de marques de commerce. Le libellé de l'article 8 n'étaye pas non plus cette prétention. Le juge Wetston a statué, à bon droit selon moi, que l'article 8 crée simplement une garantie implicite, entre le cédant et le cessionnaire des marchandises, selon laquelle la marque de commerce apposée sur celles-ci peut être employée légalement relativement aux marchandises. C'est-à-dire qu'un lien contractuel doit exister entre le demandeur et le défendeur pour que cette garantie ait force exécutoire. Aucun lien de ce type n'est allégué en l'espèce. De plus, de par sa nature, cette garantie signifie que la marque de commerce peut être " employée " légalement relativement aux marchandises et, pour les motifs exposés plus haut, l'exportation par les intimés de Coca-Cola dans des contenants portant la marque de commerce Coca-Cola ne constitue pas un " emploi " de cette marque.

[26]      Pour ces motifs, je suis d'avis que la conclusion du juge des requêtes, selon laquelle les intimés n'ont pas " employé " la marque de commerce d'une façon qui engage leur responsabilité en vertu des paragraphes 4(3) ou 22(1) ni des articles 19 ou 20 de la Loi sur les marques de commerce , est juste.

[27]      Bien que certaines autres conclusions du juge des requêtes n'aient pas été contestées sérieusement devant la Cour, je tiens à signaler que je souscris à sa conclusion portant que les paragraphes 17, 18 et 19 ne révèlent aucune cause raisonnable d'action devant la Cour. Plus particulièrement, en ce qui concerne le paragraphe 17, la Cour ne peut statuer sur l'exécution d'un accord de licence qui ne serait pas accessoire à un droit sur une marque de commerce invoqué devant la Cour, et aucun tel droit n'a été invoqué en l'espèce. Il ne revient pas non plus à la Cour de se prononcer sur les droits des autres propriétaires des " célèbres marques de commerce COCA-COLA dans d'autres ressorts ".


(4) Y a-t-il lieu de radier la déclaration intégralement sans en autoriser la modification?

[28]      En ce qui a trait à la première partie de cette question, le juge des requêtes a conclu expressément que les paragraphes 17, 18, 19, 21 et 22 ne révèlent aucune cause raisonnable d'action. Comme en témoigne la citation figurant plus haut, il a conclu, au paragraphe [32] de ses motifs, en soulignant que, pendant l'audition

         les parties ont convenu que si la Cour décidait que les paragraphes ci-dessus doivent être radiés, ceux-ci constitueraient le coeur de l'action         

Il a ensuite radié l'action. Lors de l'audition de l'appel, les avocats semblaient avoir des points de vue divergents quant à ce dont ils avaient convenu au cours de l'audition devant le juge des requêtes. Aucune preuve n'ayant été présentée à la Cour sur ce point, nous devons nous en remettre à la conclusion tirée par le juge des requêtes sur ce qui s'est passé et nous tenons pour acquis que son affirmation signifie qu'il a été convenu que, si " le coeur de l'action " disparaissait, aucune action ne pouvait tenir. Quoi qu'il en soit, j'estime que cette évaluation de la déclaration était juste. Il n'a pas été démontré à la Cour dans le cadre de la plaidoirie que la déclaration contenait des allégations valables isolément, pouvant étayer une action devant la Cour. Le juge des requêtes n'a donc selon moi commis aucune erreur en radiant la déclaration intégralement.

[29]      Quant à la deuxième partie de la question concernant la décision de ne pas permettre aux appelantes de modifier leur déclaration, je n'ai pas réussi à trouver, dans les documents, quelque indication que ce soit du fait que les appelantes aurait demandé l'autorisation de la modifier. Quoi qu'il en soit, cette question relève du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes et aucun élément n'a été établi devant la Cour pour étayer la prétention selon laquelle il aurait commis une erreur susceptible de contrôle dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

*******************************

[30      Avant de clore ces motifs, j'aimerais souligner l'argument des appelantes portant que le juge des requêtes a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que d'autres juges ont accordé une injonction interlocutoire en l'espèce parce qu'il existait une question sérieuse à trancher. Un juge responsable des requêtes, saisi d'une requête fondée sur l'alinéa 419a) des anciennes règles, n'est pas lié par de telles décisions rendues dans des instances interlocutoires connexes. Il devait plutôt examiner la question précise qui lui était soumise et qui n'a pas été soulevée dans les autres affaires : celle de savoir si, en tenant pour avérée chacune des allégations de la déclaration, celle-ci ne contenait aucune cause raisonnable d'action en droit. Depuis l'arrêt American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd7, il est établi qu'en ce qui a trait aux injonctions interlocutoires et aux autres ordonnances semblables, le critère de la " question sérieuse à trancher " n'exige que rarement une analyse approfondie du bien-fondé de l'instance. Le juge doit estimer, à partir d'un examen limité des questions en litige, si la partie qui demande l'ordonnance peut faire valoir des prétentions valables. Par contre, le juge saisi d'une requête en radiation fondée sur l'absence d'une cause raisonnable d'action doit tenir le contenu de tous les actes de procédure pour établi et examiner expressément et en profondeur la question de savoir si les allégations peuvent constituer, en droit, une cause d'action. L'argument invoqué par le appelantes sur ce point est donc selon moi totalement dénué de fondement.

[31]      Enfin, l'avocat des appelantes a insisté dans une certaine mesure sur le fait qu'il s'agissait d'une affaire sans précédent au Canada, portant sur des " exportations parallèles " plutôt que sur des " importations parallèles ". Pour cette raison, il a soutenu que la Cour doit en permettre l'instruction. J'ai soigneusement soupesé cet argument, mais il me semble tout aussi possible qu'il s'agisse d'une affaire sans précédent parce que personne ne se serait imaginé que le propriétaire d'une marque de commerce pourrait, en s'appuyant sur les règles de droit en matière de marques de commerce, faire valoir son droit à des restrictions telles que celles en cause en l'espèce. Peu importe les prétentions que les appelantes peuvent faire valoir en droit des contrats au Canada et à l'étranger, ou en vertu des lois régissant les marques de commerce ou la protection des consommateurs à l'étranger, je suis d'avis que les conclusions de juge des requêtes quant à la possibilité d'exercer un recours sous le régime de la Loi sur les marques de commerce sont justes.



Dispositif

[32]      L'appel doit donc être rejeté avec dépens.

     " B.L. Strayer "

                                                     J.C.A.

Je souscris à ces motifs

     A.M. Linden, J.C.A.

Je souscris à ces motifs

     J.T. Robertson, J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              A-869-97

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE (le juge Wetston) LE 27 NOVEMBRE 1997

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Coca-Cola Ltée et autre c.

                             Musadiq Pardhan et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          2 mars 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      les juges Strayer, Linden et Robertson

PRONONCÉS LE :                  12 avril 1999

ONT COMPARU :

Me Christopher Pibus

Me Scott Jolliffe                  POUR LES APPELANTES

Me James Buchan

Me Ronald Dimock

Me David Reeve                  POUR LES INTIMÉS

Me David Seed

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Christopher J. Pibus              POUR LES APPELANTES

Gowling, Strathy & Henderson

Toronto (Ontario)

Me David A. Seed                  POUR LES INTIMÉS

Muir & Seed

Burlington (Ontario)

__________________

     1      1972, 3e éd., à la page 1.

     2      1924 A.C. 755, aux pages 762 et 763 (Chambre des lords).

     3      Voir aussi Champagne Heidsieck c. Buxton (1930), 47 R.P.C. 28, à la p. 36; Revlon Inc. c. Cripps & Lee Ltd., [1980] F.S.R. 85, à la p. 113; Wella Canada Inc. c. Pearlon Products Ltd. (1984), 4 C.P.R. (3d) 287 (H.C. Ont.).

     4      (1996), 68 C.P.R. (3rd) 153.

     5      Id., à la p. 158.

     6      32 C.P.R. (3rd) 363, aux p. 371 et 372.

     7      [1975] A.C. 396 (Chambre des lords).

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