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Date : 20050308

Dossier : A-217-04

Référence : 2005 CAF 91

CORAM :       LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                     EOMAL FERNANDOPULLE

                                         TERENCIA KUMARI FERNANDOPULLE

                                                                                                                                            appelants

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                  Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 14 février 2005

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 mars 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20050308

Dossier : A-217-04

Référence : 2005 CAF 91

CORAM :       LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                     EOMAL FERNANDOPULLE

                                         TERENCIA KUMARI FERNANDOPULLE

                                                                                                                                            appelants

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW


[1]                La Cour statue sur l'appel d'un jugement de la Cour fédérale daté du 18 mars 2004 : Fernandopulle c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2004 CF 415; [2004] A.C.F. no 491 (QL). Le juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait refusé de reconnaître aux appelants le statut de « réfugié[s] au sens de la Convention » aux termes de l'alinéa 96a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. (La Commission a également estimé que M. Eomal Fernandopulle n'était pas une personne à protéger aux termes de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais cette conclusion n'est pas contestée dans le présent appel.)

[2]                L'expression « réfugié au sens de la Convention » est définie à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, dont voici les passages pertinents :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a)         soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays....

(a)        is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries....

[3]                Cette définition reprend essentiellement le libellé de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (28 juillet 1951) à laquelle le Canada est partie.


[4]                Les appelants sont des citoyens du Sri Lanka. Ils vivaient à Dankotuwa, à une quarantaine de kilomètres au nord de Colombo. M. Fernandopulle est arrivé au Canada en août 2001 et il a demandé l'asile. Sa mère, Mme Terencia Kumari Fernandopulle, est arrivée au Canada en septembre 2002 et elle a aussi présenté une demande d'asile. La Commission a examiné en même temps les deux demandes d'asile.

[5]                Le père de M. Fernandopulle s'est enfui du Sri Lanka en 1996 pour se rendre en Inde, où il vivrait encore. Le frère aîné de M. Fernandopulle est arrivé au Canada en juillet 1997 et la qualité de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnue. M. Fernandopulle a un autre frère, qui demeure toujours au Sri Lanka.

[6]                Les demandes d'asile des appelants reposent sur une crainte justifiée d'être persécutés du fait de leur race ou de leur appartenance à un groupe ethnique, en l'occurrence les Tamouls. La Commission a estimé que le récit que les deux appelants avait donné de ce qui leur était arrivé était crédible et elle a accepté les allégations contenues dans l'exposé circonstancié de leur formulaire de renseignements personnels. M. Fernandopulle affirmait qu'il avait été détenu, interrogé et battu par la police, laquelle l'avait accusé de collaborer avec les rebelles tamouls. La plus récente détention remontait à juillet 2001. Mme Fernandopulle affirmait que sa maison avait été pillée par des émeutiers cinghalais et que la police l'avait harcelée, ainsi que les membres de sa famille, et avait perquisitionné chez elle à plusieurs reprises. Aussi, la police avait arrêté, détenu et agressé physiquement son mari et ses fils.


[7]                Le Sri Lanka est depuis des années déchiré par une guerre civile acharnée qui oppose le gouvernement à la minorité ethnique tamoule. Beaucoup de Tamouls ont quitté le Sri Lanka pour demander l'asile dans d'autres pays, dont le Canada. Un cessez-le-feu a été déclaré en décembre 2001 et il était toujours respecté au moment de l'audience de la Commission. Tout de suite après le cessez-le-feu, la plupart des barrières et des postes de contrôle ont été supprimés à Colombo, ce qui a permis aux habitants de la ville de circuler librement pour la première fois depuis sept ans. Le 22 février 2002, le gouvernement sri-lankais et les rebelles tamouls ont conclu une trêve et une entente de négociation en vue de résoudre le conflit. Suivant la preuve dont disposait la Commission, le cessez-le-feu s'est traduit par une amélioration substantielle de la situation des Tamouls qui habitent dans des zones à majorité cingalaise. De plus, suivant la preuve présentée à la Commission, le frère de M. Fernandopulle qui demeure au Sri Lanka n'a pas été arrêté après juillet 2001 et les visites de la police au domicile familial ont cessé après décembre 2001.

[8]                La Commission a rejeté les demandes des appelants après avoir conclu que, bien qu'il y ait une possibilité qu'ils puissent se faire harceler à Dankotuwa en raison de leur origine ethnique, la preuve était insuffisante pour établir que les appelants avaient raison de craindre d'être persécutés compte tenu de la situation actuelle au Sri Lanka. Le juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision présentée par les appelants, mais il a facilité l'appel à notre Cour en certifiant la question suivante en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés :


[TRADUCTION]

Lorsqu'une personne qui demande l'asile a été victime de persécution, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est-elle tenue d'appliquer la présomption réfutable visée au paragraphe 45 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés selon laquelle :

« [...] une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu'elle en a déjà été la victime pour l'une des causes énumérées dans la Convention de 1951 [...] »

ou, cette présomption ne fait-elle pas partie du droit canadien?

[9]                Cette question certifiée est la seule question de droit soulevée dans le présent appel. L'avocate du ministre affirme qu'il ne faut pas y répondre parce que, suivant la jurisprudence de la Cour, il ne faut répondre à une question certifiée que si la réponse à cette question a un effet déterminant sur l'issue de l'appel (Oppong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 193 N.R. 306; 37 Imm. L.R. (2d) 83, autorisation de pourvoi refusée à [1996] S.C.C.A. no 140 (QL)). Il s'agit d'une application du principe que le tribunal doit refuser de statuer sur un appel théorique sauf dans certaines circonstances bien définies (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).


[10]            L'avocate du ministre soutient qu'aucune réponse à la question certifiée ne pourrait avoir d'incidence sur l'issue de l'appel. Le ministre rappelle que la Commission n'a pas conclu que Mme Fernandopulle a ou a déjà eu raison de craindre d'être persécutée. Quant à M. Fernandopulle, le ministre fait valoir que, même s'il a déjà eu raison dans le passé de craindre d'être persécuté, il y a de nombreux éléments de preuve suivant lesquels la situation actuelle au Sri Lanka a eu pour effet de supprimer tout motif de crainte.

[11]            L'avocat des appelants soutient que la question certifiée n'est pas théorique, parce que si la Cour y répond en faveur des appelants, la Commission sera contrainte de réexaminer leurs demandes d'asile en fonction d'un cadre analytique totalement différent. Ce cadre exigerait que toute la preuve soit réexaminée de novo et il n'appartient pas à la Cour de déterminer si le résultat serait nécessairement le même. Bien que j'aie des doutes quant au bien-fondé de la thèse de l'avocat des appelants sur ce point, je suis disposée à accorder le bénéfice du doute aux appelants et à répondre à la question certifiée.

[12]            Si j'ai bien compris leur argument, les appelants avancent deux propositions connexes. Suivant la première, si une personne a été victime de persécution dans le pays de sa nationalité pour l'un des motifs énumérés à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social ou opinion politique), il faut alors, en droit, conclure que cette personne a raison de craindre d'être persécutée pour l'un de ces motifs et il faut donc lui reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention, à moins qu'il n'y ait un motif de conclure que cette personne n'a plus de raison de craindre d'être persécutée parce que, par exemple, la situation a changé dans son pays d'origine. L'avocat des appelants qualifie la première proposition de présomption de droit réfutable.


[13]            Selon la seconde proposition avancée par l'avocat des appelants, dès lors que la présomption de droit réfutable joue une fois qu'il a été prouvé que l'intéressé a été persécuté dans le passé pour l'un des motifs énumérés à l'article 96, la Commission commet une erreur de droit si elle impose au demandeur d'asile la charge de démontrer que cette présomption n'est pas réfutée par un changement de situation dans son pays d'origine. Si j'ai bien compris, la seconde proposition dépend de la première, parce que si la présomption de droit réfutable avancée par les appelants ne joue pas, le demandeur a la charge d'établir tous les éléments de sa demande d'asile, y compris l'existence d'une crainte justifiée de persécution.

[14]            En ce qui concerne la première proposition, l'argument des appelants repose principalement sur la deuxième phrase du paragraphe 45 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. L'objectif déclaré du Guide est énoncé dans son avant-propos, dont voici le paragraphe final :

Le Guide est destiné aux fonctionnaires des États contractants qui sont chargés de procéder à la reconnaissance du statut de réfugié. Je formule par ailleurs l'espoir qu'il présentera également intérêt et utilité pour tous ceux qui, de toujours, ont eu à s'occuper d'une manière ou d'une autre du sort des réfugiés.


[15]            Le paragraphe 45 figure dans le chapitre du Guide intitulé « Interprétation des conditions » , sous la rubrique « Craindre avec raison d'être persécuté » , une expression qui est censée avoir le même sens qu'à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés « craignant avec raison d'être persécutée » . Le paragraphe 45 du Guide est ainsi libellé (j'ai souligné la deuxième phrase sur laquelle les appelants fonde leur argument) :

45. Mis à part les cas envisagés au paragraphe précédent [situations d'urgence où des groupes entiers ont été déplacés et où on ne peut procéder, pour des raisons purement pratiques, à une détermination cas par cas de la qualité de réfugié de chaque membre du groupe], il appartient normalement à la personne qui réclame le statut de réfugié d'établir, elle-même, qu'elle craint avec raison d'être persécutée. On peut supposer qu'une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu'elle en a déjà été la victime pour l'une des causes énumérées dans la Convention de 1951. Cependant, la crainte d'être persécuté n'est pas censée être réservée aux personnes qui ont déjà été persécutées; elle peut également être le fait de celles qui veulent éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient l'être.

[16]            L'avocat des appelants signale que la phrase soulignée crée une présomption de droit réfutable suivant laquelle une personne a raison de craindre d'être persécutée pour l'un des motifs énumérés lorsqu'elle a déjà victime de persécutions dans le passé et que, comme le Canada est partie à la Convention, le Guide fait partie du droit canadien.

[17]            Il convient à mon avis de consulter le Guide pour y trouver des balises guidant l'interprétation des éléments de la définition que la loi donne du réfugié au sens de la Convention, parce que cette définition incorpore par renvoi l'essentiel des dispositions correspondantes de la Convention. Le Guide n'a cependant pas force de loi. Il ne donne que des indications.


[18]            Ceci étant dit, il me semble que, même si la deuxième phrase du paragraphe 45 du Guide est considérée comme faisant autorité sur la question de la reconnaissance du statut de réfugié lorsqu'il est prouvé que l'intéressé a déjà été victime de persécutions, je ne puis considérer que ce paragraphe est censé créer la présomption de droit proposée par l'avocat des appelants ou qu'il a effectivement créé une telle présomption. Suivant l'interprétation que j'en fais, cette phrase explique simplement que les éléments de preuve relatifs à des persécutions passées peuvent appuyer la conclusion de fait que le demandeur d'asile a raison de craindre d'être persécuté. Il s'ensuit nécessairement que la question de savoir s'il y a lieu de tirer une telle conclusion dans un cas déterminé dépend de l'ensemble de la preuve, y compris des éléments de preuve relatifs à la situation actuelle dans le pays d'origine.

[19]            L'avocat des appelants affirme que l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, appuie l'existence de la présomption de droit réfutable qu'il plaide. L'affaire Ward portait sur une demande d'asile fondée sur des actes de persécution qui étaient le fait de quelqu'un d'autre que l'État dont le demandeur était un ressortissant et qui s'étaient produits dans des circonstances dans lesquelles il était admis que l'État ne pouvait pas le protéger. Un certain nombre de questions ont été abordées dans cette affaire, mais le seul passage du jugement qui nous intéresse en l'espèce est l'extrait suivant (le juge La Forest, au nom de la Cour, à la page 722, passages soulignés dans l'original) :


Il est clair que l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection : c'est un élément crucial lorsqu'il s'agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée, de sorte qu'il a objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l'État dont il a la nationalité. L'affirmation de Goodwin-Gill, qui est apparemment à l'origine de la proposition de la Commission, se lit ainsi, à la p. 38 [Guy S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, Oxford, Clarendon Press, 1983] :

[TRADUCTION] La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont elles-mêmes des éléments intimement liés. Les persécutés ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d'origine, alors que la preuve de l'absence de protection, que ce soit au niveau interne ou externe, peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au bien-fondé de la crainte. [Je souligne.]

Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l'absence de protection de l'État. La présomption touche le coeur de la question, qui est de savoir s'il existe une probabilité de persécution. Cependant, je ne vois rien de mal dans cela si la Commission est convaincue qu'il existe une crainte légitime et s'il est établi que l'État est incapable d'apaiser cette crainte au moyen d'une protection efficace. De là à formuler la présomption, il n'y a qu'un pas. Une fois établie l'existence d'une crainte et de l'incapacité de l'État de l'apaiser, il n'est pas exagéré de présumer que la crainte est justifiée. Bien sûr, la persécution doit être réelle - la présomption ne peut pas reposer sur des événements fictifs - mais le bien-fondé des craintes peut être établi à l'aide de cette présomption.

[20]            Ce passage - qui portait sur une situation factuelle fort différente de la présente - n'établit l'existence d'aucune sorte de présomption de droit en matière de demandes d'asile. La Cour y explique plutôt une situation de fait particulière qui était susceptible de la justifier de conclure, sur le plan des faits, au bien-fondé de la crainte d'être persécuté du demandeur d'asile.


[21]            L'existence de la présomption de droit réfutable préconisée par l'avocat des appelants est incompatible avec la jurisprudence canadienne. Ainsi, dans le jugement Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.F. 1re inst.), [1995] 1 C.F. 767 (confirmé pour d'autres motifs à (1997), 215 N.R. 174; 39 Imm. L.R. (2d) 103 (C.A.F.)), le juge Rothstein dit ceci au paragraphe 17 :

Avant d'examiner cette jurisprudence, je tiens à rappeler que toute personne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention doit démontrer, à l'appui de sa demande, qu'elle craint avec raison d'être persécutée à l'avenir. Les preuves ainsi produites peuvent établir que la personne en cause a, dans le passé, fait l'objet de persécutions systématiques, dans son pays d'origine. Mais, en soi, cela ne suffit pas. En effet, le critère applicable aux fins du statut de réfugié au sens de la Convention est un critère prospectif et non pas rétrospectif. Voir, par exemple, Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Mark (1993), 151 N.R. 213 (C.A.F.), à la page 215. S'il est important de démontrer l'existence de persécutions passées, c'est parce que cela sert de fondement à la crainte d'être persécutée à l'avenir. Ce qui compte vraiment, cependant, c'est de convaincre qu'on craint avec raison d'être persécuté à l'avenir.

[22]            La même idée est reprise dans l'arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.) où le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour, explique ce qui suit, au paragraphe 2 :


Nous ajouterions que la question du « changement de situation » risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun « critère » juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme « important » , « réel » et « durable » n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n'interviendrons pas.

[23]            Le principe établi par ces décisions est bien résumé en l'espèce au paragraphe 10 des motifs du juge de première instance :

Je conviens avec le défendeur [le ministre] que la persécution passée n'est pas suffisante en soi pour établir une crainte de persécution future, même si cette persécution peut constituer la base de la crainte actuelle. Quant aux répercussions d'un changement de situation au pays, la Cour d'appel fédérale a dit qu'il n'y avait aucun critère juridique distinct à appliquer dans l'examen d'une demande de statut de réfugié au sens de la Convention lorsque la situation a changé dans le pays d'origine du demandeur et que la seule question à résoudre est celle de savoir si, au moment de l'audition de la demande, le demandeur a raison de craindre d'être persécuté en cas de renvoi (Yusuf c. Canada (M.E.I.) (1995), 179 N.R. 111, à la page 12 (C.A.F.). [...]

[24]            Je n'oublie pas l'argument de l'avocat des appelants suivant lequel d'autres pays qui sont parties à la Convention, dont les États-Unis, reconnaissent la présomption de droit réfutable qu'il préconise, ce qui appuierait sa proposition que cette présomption réfutable fait partie intrinsèque de la Convention et, partant, du droit du Canada. Toutefois, l'avocat du ministre souligne que d'autres pays signataires de la Convention, dont le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la plupart des pays européens, ne reconnaissent pas l'existence d'une telle présomption de droit, bien qu'ils semblent reconnaître l'existence d'une présomption de fait semblable à celle dont il est question dans la jurisprudence canadienne. Il semble que le libellé de la Convention soit suffisamment général pour se prêter à plusieurs méthodes d'analyse différentes de cette question.


[25]            Je suis d'avis de rejeter l'appel et de répondre comme suit à la question certifiée :

La deuxième phrase du paragraphe 45 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ne crée pas de présomption de droit ou de présomption de droit réfutable qu'il faut appliquer lors de l'examen des demandes d'asile présentées sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Une personne démontre le bien-fondé de sa demande d'asile en prouvant l'existence d'une crainte justifiée de persécution pour l'un des motifs énumérés à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La preuve des persécutions dont le demandeur a déjà été victime peut justifier la conclusion de fait qu'il a raison de craindre d'être persécuté à l'avenir, mais cette conclusion ne sera pas nécessairement tirée. Si, par exemple, la preuve démontre que la situation a changé au pays d'origine depuis que les persécutions ont eu lieu, il faut évaluer ces éléments de preuve pour déterminer si la crainte demeure justifiée.

                                                                                                                                     _ K. Sharlow _                 

                                                                                                                                                     Juge                         

« Je souscris aux présents motifs

M. Nadon, juge _

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge _

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-217-04

(APPEL D'UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRAL RENDU LE 18 MARS 2004 DANS LE DOSSIER IMM-3069-03)

INTITULÉ :                                                                EOMAL FERNANDOPULLE,

TERENCIA KUMARI FERNANDOPULLE

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 14 FÉVRIER 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                               LE 8 MARS 2005

COMPARUTIONS :

David Matas

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES APPELANTS

Nalini Reddy

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES APPELANTS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ


Date : 20050308

Dossier : A-217-04

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2005

CORAM :       LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                     EOMAL FERNANDOPULLE

                                         TERENCIA KUMARI FERNANDOPULLE

                                                                                                                                            appelants

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                                   JUGEMENT

L'appel est rejeté et la réponse suivante est donnée à la question certifiée :


La deuxième phrase du paragraphe 45 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ne crée pas de présomption de droit ou de présomption de droit réfutable qu'il faut appliquer lors de l'examen des demandes d'asile présentées sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Une personne démontre le bien-fondé de sa demande d'asile en prouvant l'existence d'une crainte justifiée de persécution pour l'un des motifs énumérés à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La preuve des persécutions dont le demandeur a déjà été victime peut justifier la conclusion de fait qu'il a raison de craindre d'être persécuté à l'avenir, mais cette conclusion ne sera pas nécessairement tirée. Si, par exemple, la preuve démontre que la situation a changé au pays d'origine depuis que les persécutions ont eu lieu, il faut évaluer ces éléments de preuve pour déterminer si la crainte demeure justifiée.

                                                                                                                                      _ M. Nadon _                 

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.

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