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Date : 20040401

Dossier : A‑334‑03

Référence : 2004 CAF 144

 

 

CORAM :      LE JUGE STRAYER

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

 

 

ENTRE :

 

 

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                                                                                                           demandeur

 

                                                                             et

 

                                              POLARIS INFLATABLE BOATS LTD.

 

                                                                                                                                        défenderesse

 

 

 

 

                         Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 mars 2004

 

                         Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er avril 2004

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                          LES JUGES STRAYER ET SEXTON


 

Date : 20040401

Dossier : A‑334‑03

Référence : 2004 CAF 144

 

 

CORAM :      LE JUGE STRAYER

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

 

 

ENTRE :

 

 

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                                                                                                           demandeur

 

                                                                             et

 

                                              POLARIS INFLATABLE BOATS LTD.

 

                                                                                                                                        défenderesse

 

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision dans laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) a refusé d’accorder les frais au demandeur malgré que celui-ci ait réussi à repousser la plainte déposée par la défenderesse.

 

[2]               Les motifs avancés par le TCCE pour expliquer le refus d’accorder les frais au demandeur sont rédigés comme suit :

 


 

Même s’il a conclu que la plainte n’est pas fondée, le Tribunal est d’avis que les circonstances très particulières de l’espèce justifient de ne pas accorder le remboursement des frais à TPSGC. En réalité, il conclut que le fait qu’aucune raison n’a été donnée aux termes de l’annexe C du plan d’évaluation pour expliquer la notation de Polaris a certainement été un facteur important parmi les facteurs qui ont contribué au dépôt de la plainte. Lorsque TPSGC applique une grille de notation comme celle qui a été appliquée en l’espèce, à savoir une grille d’application très large qui laisse une latitude considérable aux évaluateurs, il est raisonnable que les soumissionnaires s’attendent à ce que TPSGC présente les justifications des résultats obtenus. Le Tribunal estime que, à cause de la structure de l’annexe C qui comprenait une colonne vierge relativement au nombre maximum de points possibles, il est raisonnable de s’attendre à ce que les raisons qui expliquaient la notation seraient communiquées. Si, en premier lieu, on avait communiqué à Polaris certaines justifications eu égard à ses résultats, Polaris aurait très bien pu décider de ne pas déposer de plainte et TPSGC n’aurait pas engagé de frais dans la présente affaire. Pour les motifs qui précèdent, chaque partie assumera ses propres frais. (Motifs du TCCE, page 8.)

 

 

 

[3]               Le TCCE est arrivé à cette conclusion malgré le fait qu’il a mentionné à la page 3 de ses motifs qu’après avoir reçu une copie du sommaire de son évaluation, la défenderesse avait décliné l’invitation de participer à un entretien final organisé par TPSGC au cours duquel une explication des résultats allait être donnée.

 

[4]               Le demandeur fait valoir qu’en refusant de lui accorder les frais, le TCCE ne fait qu’appliquer sa politique illégale qui consiste à refuser d’accorder les frais à la Couronne (voir Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525, 2003 CAF 199). À titre subsidiaire, le demandeur soutient que la décision de refuser de lui accorder les frais est manifestement déraisonnable.

 


[5]               La présente demande fait partie de plusieurs demandes ont été présentées pour contester le refus du TCCE d’accorder les frais à la Couronne malgré que celle-ci ait obtenu gain de cause. Dans Procureur général du Canada c. EDS Canada Ltd., 2004 CAF 122, la Cour a conclu que la décision du TCCE de refuser d’accorder les frais à la Couronne, qui avait eu gain de cause, était manifestement déraisonnable. L’arrêt de la Cour dans l’affaire Procureur général du Canada c. Educom TS Inc. et al., 2004 CAF 130, qui a été rendu entre-temps, va dans le même sens. À la page 2 de cet arrêt, la Cour a fourni quelques explications utiles en citant le passage suivant de l’arrêt EDS :

[4]   Les pouvoirs du Tribunal en matière d’attribution de frais sont énoncés dans la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.) :

 

 

 

30.16 (1) Les frais relatifs à l'enquête - même provisionnels - sont, sous réserve des règlements, laissés à l'appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés.

 

 

 

 

 

(2) Le Tribunal peut, sous réserve des règlements, désigner les créanciers et les débiteurs des frais, ainsi que les responsables de leur taxation ou autorisation.

 

 

 

 

 

 

30.16 (1) Subject to the regulations, the Tribunal may award costs of, and incidental to, any proceedings before it in relation to a complaint on a final or interim basis and the costs may be fixed at a sum certain or may be taxed.

 

 

(2) Subject to the regulations, the Tribunal may direct by whom and to whom any costs are to be paid and by whom they are to be taxed and allowed.

 

 

[5]   Il s’agit d’une de ces nombreuses affaires dans lesquelles le procureur général soutient devant notre Cour que le Tribunal a illégitimement refusé ses frais à l’État en raison de présumées irrégularités entachant la procédure de passation du marché public qui ne viciaient pas l’attribution du marché mais qui étaient négligeables et qui n’avaient aucun rapport avec le rejet de la soumission du plaignant ou avec sa décision de porter plainte devant le Tribunal. L’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525, 2003 CAF 199, illustre bien ce type d’affaires.

 

 


[6]   Dans l’arrêt Georgian College, la Cour a estimé que le refus du Tribunal d’accorder les frais à l’État dans cette affaire constituait un exercice illégitime du pouvoir discrétionnaire que la Loi conférait au Tribunal. La Cour a déclaré (aux paragraphes 25 à 28) que le pouvoir du Tribunal en matière d’attribution de frais s’exerçait essentiellement selon les mêmes principes que ceux auxquels obéit l’adjudication des dépens devant les tribunaux judiciaires. Selon un de ces principes, à moins de circonstances spéciales, les frais sont ordinairement accordés à la partie qui obtient gain de cause. En conséquence, la Cour a estimé (au paragraphe 37) que le Tribunal avait commis une erreur en refusant d’accorder les frais à l’État en appliquant la politique générale consistant à inciter les soumissionnaires non retenus à porter plainte devant le Tribunal pour de présumées irrégularités entachant la procédure de passation du marché public.

 

 

[7]   Selon l’avocat du procureur général, depuis que notre Cour a rendu l’arrêt Georgian College, le Tribunal a accordé les frais à l’État dans quatre des treize affaires dans lesquelles il a donné gain de cause à l’État. Compte tenu de ces statistiques et du principe général suivant lequel les dépens suivent le sort du principal - principe qui s’applique au Tribunal - il semble que, pour des raisons qu’il n’a pas explicitées en l’espèce, le Tribunal hésite à accorder les frais à l’État lorsqu’il rejette une plainte.

 

 

[6]               Dans EDS (et dans Educom), la Cour n’a pas jugé bon de conclure, comme l’y invitait la Couronne, que le TCCE défiait délibérément la décision qu’elle a rendue dans Georgian College. Elle a plutôt conclu que la décision ne pouvait pas résister à un examen approfondi malgré la très grande retenue dont il convenait de faire preuve à l’égard de la façon dont le TCCE exerçait son pouvoir discrétionnaire :

[14]   Si le Tribunal veut s’autoriser des irrégularités apparemment négligeables et insignifiantes qu’il décèle dans les documents de passation du marché public pour s’écarter du principe général suivant lequel les dépens suivent le sort du principal, il lui incombe d’exposer avec suffisamment de précisions la nature de ces irrégularités et leur influence sur l’attribution des frais. Faute de conclusion justifiée suivant laquelle les irrégularités ont nui au soumissionnaire dans sa réponse à la DP ou l’ont incité à porter plainte, le fait que TPSGC et MDN sont les auteurs de la DP ne justifie logiquement pas la décision de refuser ses frais à l’État en cas de rejet de la plainte.

 

 

 


[7]               L’irrégularité décelée en l’espèce ne se trouvait pas dans les documents de passation du marché public. Le TCCE a plutôt remis en question la grille de notation utilisée dans le cadre du processus d’évaluation. Plus précisément, il a conclu que la grille en question étant une grille _ très large qui laisse une latitude considérable aux évaluateurs _, il était nécessaire de présenter une justification des résultats obtenus. Il est important de noter que le TCCE a refusé d’enquêter sur le motif de plainte voulant que le plan d’évaluation fût ambigu et subjectif, qui avait été avancé par la défenderesse (lettre du TCCE à la défenderesse en date du 14 février 2003, dossier de la demande, volume 1, onglet 3).

 

[8]               Si l’on garde à l’esprit le fait que la défenderesse n’a jamais prétendu avoir été induite en erreur par les résultats, qu’elle n’a jamais fait valoir que les frais ne devaient pas être accordés à la Couronne malgré que celle-ci ait eu gain de cause parce que TPSGC avait omis d’expliquer les résultats et qu’elle a déposé sa plainte après avoir décliné l’invitation de TPSGC de la rencontrer et de lui expliquer les résultats, il était manifestement déraisonnable de la part du TCCE de conclure que c’est l’omission de TPSGC d’expliquer les résultats qui a amené la défenderesse à déposer la plainte.

 

[9]               Comme la Cour l’a mentionné dans l’arrêt EDS, et comme elle l’a répété dans l’arrêt Educom, il semble que, pour des raisons qui demeurent inexpliquées, le TCCE hésite à accorder les frais à la Couronne lorsqu’il rejette une plainte. Le résultat déplorable de cette approche est que le TCCE force ainsi les plaignants à assumer des frais additionnels pour défendre devant la Cour des décisions foncièrement erronées.


[10]           J’accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens, j’annulerais la décision du Tribunal de refuser d’accorder les frais à la Couronne, et je renverrais l’affaire au TCCE avec l’instruction que ce dernier accorde à la Couronne les frais raisonnables qu’elle a engagés.

 

 

                                                                                     _ Marc Noël _        

                                                                                                     Juge              

 

_ Je souscris aux présents motifs

B.L. Strayer, juge _

                                                                                                           

 

_ Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge _

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                             COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                      A‑334‑03

 

APPEL VISANT UNE DÉCISION DU TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR EN DATE DU 23 JUIN 2003, DOSSIER NO PR‑2002‑060.

 

INTITULÉ :                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

POLARIS INFLATABLE BOATS LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE  DE L’AUDIENCE :                          LE 31 MARS 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

 

DATE DES MOTIFS :    LE 1ER AVRIL 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Susanne Pereira

Ministère de la Justice

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John R. Shewfelt

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Miller Thomson LLP, Vancouver

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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