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Date : 20020620

Dossier : A-224-01

Référence neutre : 2002 CAF 269

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                                CARGILL LIMITÉE

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                            SYNDICAT NATIONAL DES EMPLOYÉS

                                                       DE CARGILL LIMITÉE (CSN)

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                 Audiences tenues à Montréal (Québec), les 19 et 20 juin 2002.

                              Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 20 juin 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                               LE JUGE NADON


Date : 20020620

Dossier : A-224-01

Référence neutre : 2002 CAF 269

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                                CARGILL LIMITÉE

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                            SYNDICAT NATIONAL DES EMPLOYÉS

                                                       DE CARGILL LIMITÉE (CSN)

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                              MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                                           (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec)

                                                                      le 20 juin 2002.)

LE JUGE NADON

[1]                 Nous sommes tous d'avis que le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) ne pouvait, dans le cadre d'une demande de précisions présentée par le défendeur, réexaminer et modifier l'ordonnance rendue le 23 juin 2000 concernant l'applicabilité de l'alinéa 87.7(1) du Code canadien du travail (le Code) aux faits de l'instance.


[2]                 Nul doute que le Conseil pouvait sous l'article 18 du Code, exercer ce pouvoir dans la mesure où les conditions d'application de cet article étaient rencontrées.

[3]                 Selon le défendeur, l'ordonnance rendue par le Conseil le 21 mars 2001 n'a pas modifié l'ordonnance du 23 juin 2000, elle en a tout simplement précisé la portée. L'alinéa 87.7(3) du Code permettait au Conseil d'apporter toutes les précisions nécessaires relativement à la mise en oeuvre de son ordonnance.

[4]                 À la lecture de l'ordonnance du 23 juin 2000 et de celle du 21 mars 2001 dont la demanderesse recherche l'annulation, il nous apparaît évident que le Conseil a modifié son ordonnance du 23 juin 2000. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer le deuxième paragraphe du dispositif de l'ordonnance du 23 juin 2000 au texte du dispositif de l'ordonnance du 21 mars 2001.

L'ordonnance en date du 23 juin 2000

2) s'assurer que son personnel syndiqué, membre du syndicat requérant, nécessaire à l'amarrage, l'appareillage, le chargement de grains de tout tel navire, à son entrée et à sa sortie desdites installations portuaires, soit affecté à ces activités;

L'ordonnance en date du 21 mars 2001

COMPTE TENU DE CE QUI PRÉCÈDE, quant au deuxième paragraphe du dispositif, les mots « personnel syndiqué ... nécessaire » signifient :

-       le personnel requis pour l'amarrage et l'appareillage des navires céréaliers, ce qui inclut tous les navires céréaliers qui arrivent ou partent des installations portuaires de Cargill à Baie-Comeau pour chargement ou déchargement;

-       le personnel requis pour toutes les activités de chargement de grains de tout tel navire, ce qui inclut toutes les activités de déplacement ou de transport du grain de son lieu d'entreposage jusqu'à son chargement.


DE PLUS, pour plus de précision, lorsqu'un navire arrive pour le chargement, les activités visées incluent la préparation du grain, son déplacement et son acheminement vers le peseur, le pesage du grain et son déplacement vers les tuyaux appropriés, l'ouverture des valves appropriées pour le chargement du grain dans le navire et, par la suite, le placement et le balancement du grain par les opérateurs de tracteurs dans la cale du navire.

ET DE PLUS, le personnel de maintenance normalement requis pour une activité de chargement devra également être appelé au travail.

ET DE PLUS, si une activité de chargement requiert normalement d'autre personnel syndiqué, ce personnel devra être appelé au travail.

[5]                 Cette comparaison mène inévitablement à la conclusion que le Conseil a étendu la portée de sa première ordonnance en ce qu'il a complètement révisé, inter alia, la notion de « chargement » qui y apparaît. À cet égard, il est pertinent de noter que la notion de chargement, et de son étendue, avait été fortement débattue dans le cadre de la demande du défendeur sous l'alinéa 87.7(1) du Code.

[6]                 La position de la demanderesse, que l'on retrouve dans ses prétentions écrites du 12 avril 2000, est à l'effet que puisque seules les opérations de débardage sont visées par l'alinéa 87.7(1), la notion de chargement prend alors tout son sens, c'est-à-dire, le chargement du grain sur les navires océaniques et les opérations accessoires effectuées sur le pont de ces navires. Sont exclues de ces opérations de débardage, les activités de l'élévateur qui comprennent le déchargement du grain des vraquiers. Sont aussi exclues, selon la thèse mise de l'avant par la demanderesse, les opérations de manutention du grain entre les entrepôts et les points de chargement.


[7]                 Selon la demanderesse, l'objet de l'alinéa 87.7(1) est d'assurer, lors d'une grève ou d'un lock-out, le mouvement du grain canadien, et non celui du grain étranger. Ce qui explique, entre autres, pourquoi le déchargement du grain étranger n'est pas assujetti à l'alinéa 87.7(1).

[8]                 Quant à la position du défendeur, on peut la retrouver dans des représentations écrites aussi datées le 12 avril 2000. Il n'est pas surprenant de lire que le défendeur est en désaccord complet avec la position de la demanderesse et plus particulièrement en ce qui a trait aux opérations assujetties à l'alinéa 87.7(1). Selon le défendeur, ces opérations ne sont pas limitées au chargement du grain canadien sur des navires océaniques mais comprennent toutes les opérations relatives au chargement, déchargement et manutention du grain.

[9]                 Face à deux thèses contradictoires, le Conseil a rendu son ordonnance du 23 juin 2000 limitant les opérations assujetties à son ordonnance à celles relatives à l'amarrage, l'appareillage et le chargement de grain sur le navire. L'ordonnance ne couvre pas le déchargement des vraquiers ni la manutention du grain. À la lecture de l'ordonnance du 23 juin 2000, l'on ne peut que conclure que le Conseil a opté pour la thèse de la demanderesse. Dans ces circonstances, comment peut-on prétendre que l'ordonnance du 21 mars 2001 ne constitue pas une modification de l'ordonnance du 23 juin 2000. À notre avis, une telle prétention ne peut être que mal fondée.


[10]            S'appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.S.C. 848 et sur l'alinéa 87.7(3) du Code, le défendeur soutient que le Conseil pouvait réexaminer la question relative à l'alinéa 87.7(1). Nous ne croyons pas que l'alinéa 87.7(3) puisse être interprété comme le suggère le défendeur, à savoir que le Conseil pouvait réexaminer une question qui avait été déjà décidée. L'alinéa 87.7(3) a pour objet évident de permettre au Conseil de traiter et de décider toute question relative à l'application de l'alinéa 87.7(1). C'est ce qu'a fait le Conseil lorsqu'il a rendu son ordonnance du 23 juin 2000. Par ailleurs, l'alinéa ne peut permettre au Conseil de réexaminer, annuler ou modifier cette ordonnance. Pour ce faire, il fallait s'en remettre à l'article 18 du Code si cet article pouvait recevoir application.

[11]            Dans l'arrêt Chandler, précité, le juge Sopinka, pour la majorité, discutait de l'application et de la portée du principe functus officio dans le cadre de décisions rendues par les tribunaux administratifs et il en préconisait une application assouplie. Aux pages 861 et 862, le juge Sopinka s'exprimait comme suit :

[...]

En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., précité.

Le principe de functus officio s'applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d'une cour de justice dont la décision peut faire l'objet d'un appel en bonne et due forme. C'est pourquoi j'estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l'objet d'un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l'intérêt de la justice, afin d'offrir un redressement qu'il aurait par ailleurs été possible d'obtenir par voie d'appel.


Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu'une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d'exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante. C'était le cas dans l'affaire Grillas, précitée.

[12]            Il est important de retenir des propos du juge Sopinka que :

i)          lorsque le tribunal administratif a rendu une décision « finale » concernant une question, il ne peut revoir la question, inter alia, parce qu'il a changé d'avis ou qu'il a erré;

ii)         il faut assouplir la portée du principe du functus officio lorsque la Loi habilitante permet au tribunal de regarder à nouveau la question afin qu'il exerce pleinement sa compétence;

iii)         si le tribunal a omis de décider une question qui était devant lui et en regard de laquelle il avait le pouvoir de trancher, il est préférable de lui permettre de compléter sa tache;

iv)        si le tribunal devait choisir comment il réglerait la question devant lui et qu'il a choisi une façon précise de la régler, il ne lui est dès lors pas loisible de reconsidérer la question pour en arriver à une autre solution.


[13]            Nous sommes d'avis que le Conseil, ayant opté pour la thèse de la demanderesse selon laquelle les opérations assujetties à l'alinéa 87.7(1) étaient restreintes aux opérations dites « de débardage » , ne pouvait rendre une autre ordonnance, dans le cadre de la demande de précisions du défendeur, modifiant l'ordonnance rendue le 23 juin 2000. De ce fait, le Conseil a commis une erreur justifiant notre intervention.

[14]            Avant de conclure, il est important de noter les propos du juge Chouinard de la Cour d'appel du Québec dans Commission scolaire Harricana c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de l'enseignement du nord-est québécois [1988] R.J.Q. 947 selon lesquels une sentence arbitrable ayant pour but de préciser ou éclaircir une sentence arbitrale rendue antérieurement, ne peut créer des droits plus étendus que ceux résultant de la première sentence. À la page 948, le juge Chouinard, au nom de la Cour d'appel, écrit ce qui suit :

Une telle sentence dite « précisionnelle » ne peut être en elle-même un ordre de faire ou de ne pas faire et, partant, ne peut donner ouverture à l'outrage au tribunal. En effet, préciser, éclaircir ou faire connaître la signification d'une décision arbitrale rendue précédemment ne peut créer de nouveaux droits plus étendus que ceux conférés par la décision initiale. Au surplus, les termes mêmes utilisés comme les motifs au soutien de cette seconde sentence ne démontrent en rien la volonté de créer de nouvelles obligations à la commission scolaire, intimée.

  

À notre avis, l'ordonnance du 21 mars 2001 a pour effet de créer de nouveaux droits.

[15]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse sera accueillie et l'ordonnance du Conseil en date du 21 mars 2001 sera annulée. La demanderesse aura droit à ses dépens.

  

                                                                                         "Marc Nadon"                

                                                                                                             j.c.a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION D'APPEL

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                   

DOSSIER :                       A-224-01

INTITULÉ :              CARGILL LIMITÉE

                                                                                          demanderesse

                                                         et

                  SYNDICAT NATIONAL DES EMPLOYÉS

                             DE CARGILL LIMITÉE (CSN)

                                                         

                                                                                                  défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Montréal (Québec)

DATE DES AUDIENCES :                                        les 19 et 20 juin 2002

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : L'HONORABLE JUGE NADON, j.c.a.

Y ONT SOUSCRIT :                                        L'HONORABLE JUGE DÉCARY, j.c.a.

L'HONORABLE JUGE NOËL, j.c.a.

DATE DES MOTIFS :                                     20 juin 2002

COMPARUTIONS:

Me Jean-Pierre Belhumeur                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Me Réjeanne Choinière                                                    POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                             

Stikeman Elliott                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Laplante et associés                                              POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

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