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Date: 200012015


Dossier: A-636-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 DÉCEMBRE 2000

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SHARLOW

         LE JUGE MALONE

ENTRE :


CANDOR ENTERPRISES LIMITED


DEMANDERESSE


et


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL


DÉFENDEUR



JUGEMENT

     Les demandes de contrôle judiciaire dans le présent dossier ainsi que dans les dossiers A-637-98, A-638-98, A-639-98, A-640-98, A-641-98 sont rejetées avec dépens. Une copie de ce jugement sera versé dans chaque dossier.

                             « Robert Décary »

                            

                                 J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.






Date: 200012015


Dossier: A-636-98


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SHARLOW

         LE JUGE MALONE

ENTRE :


CANDOR ENTERPRISES LIMITED


DEMANDERESSE


et


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL


DÉFENDEUR






Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le mercredi 27 septembre 2000

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 15 décembre 2000



MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE DÉCARY

LE JUGE MALONE






Date: 200012015


Dossier: A-636-98


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE SHARLOW

         LE JUGE MALONE

ENTRE :


CANDOR ENTERPRISES LIMITED


DEMANDERESSE


et


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL


DÉFENDEUR


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SHARLOW


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision [[1998], A.C.I. no 804] par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a confirmé, le 14 septembre 1998, une décision du ministre du Revenu national selon laquelle l'emploi que le demandeur Ross Pentz avait exercé auprès de la demanderesse Candor Enterprises Limited entre le 6 janvier 1995 et le 6 janvier 1996 et entre le 29 avril et le 17 décembre 1996 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, 1970-71-72, ch. 48, ou un emploi ouvrant droit à pension en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. 8.

[2]      Les demandeurs ont interjeté six appels devant la Cour de l'impôt en vue de contester ces décisions : 96-98(CPP), 96-99(CPP), 96-1877(UI), 96-1878(UI), 97-875(UI), 97-992(UI). Les appels ont été entendus ensemble par la Cour de l'impôt et ont été rejetés. Six demandes distinctes de contrôle judiciaire ont été présentées (A-636-98, A-637-98, A-638-98, A-639-98, A-640-98, A-641-98) et ont ensuite été réunies en une seule instance, sous le numéro A-636-98, par une ordonnance du juge Linden en date du 3 décembre 1998.

[3]      Il est reconnu que le règlement des questions en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage sera déterminant pour l'application du Régime de pensions du Canada et que les faits pertinents sont les mêmes pour les deux périodes en cause.

Les faits

[4]      La demanderesse Candor Enterprises Ltd. a été constituée en société le 6 novembre 1992 en vertu de la Companies Act de la Nouvelle-Écosse, R.S.N.C. 1989, ch. 81. Lorsqu'elle a été constituée, Candor comptait une seule actionnaire, Carla Elizabeth Hutton, mais en 1994, cette dernière a épousé le demandeur Ross Pentz et a adopté le nom de famille de son conjoint. Pour plus de commodité, j'appellerai cette actionnaire Mme Pentz même si certains des faits pertinents datent d'avant son mariage.

[5]      Candor exploitait initialement une entreprise de sylviculture et une ferme forestière sur un terrain boisé de 100 acres à Waterville (Nouvelle-Écosse). Mme Pentz, qui travaillait à plein temps comme technicienne s'occupant d'archives médicales, avait une expérience restreinte dans le domaine de la sylviculture. En ce qui concerne l'entreprise de Candor, Mme Pentz comptait sur son conjoint.

[6]      M. Pentz est un expert-forestier chevronné. Il avait travaillé au ministère des Ressources naturelles pendant deux ans et pour le Lunenberg Forestry Group pendant environ sept ans comme directeur responsable de la sylviculture et de la commercialisation. Son salaire horaire s'élevait à 14 $. M. Pentz travaillait également comme expert-conseil privé dans le domaine de la gestion de terrains boisés et comme directeur d'une coopérative forestière. Il est titulaire de permis de mesureur, de classeur d'arbres de Noël et d'opérateur antiparasitaire.

[7]      M. Pentz a commencé à travailler à temps partiel pour Candor en 1993. Il gagnait 12,50 $ l'heure. Il exécutait toutes sortes de travaux : plantation d'arbres, abattage, taille aux cisailles, tenue de livres et administration. Il était également chargé d'obtenir des contrats pour Candor et de négocier les conditions y afférentes.

[8]      Pendant qu'il travaillait pour Candor, M. Pentz exploitait également une entreprise distincte pour son propre compte, soit une entreprise agricole et un terrain boisé. M. Pentz possédait ses propres outils, un camion et une presse, qu'il utilisait dans le cadre de l'exploitation de sa propre entreprise et dans son travail chez Candor. Candor possédait également certains outils que M. Pentz utilisait.

[9]      Candor ne payait pas M. Pentz pour l'utilisation de ses petits outils, mais elle le payait pour l'utilisation de sa presse en fonction du nombre d'arbres, comme le faisaient les tiers pour lesquels M. Pentz travaillait à forfait. M. Pentz comptabilisait le revenu tiré du compactage d'arbres à titre de revenu d'entreprise. Candor payait également M. Pentz pour l'utilisation de son camion selon un taux journalier si celui-ci devait utiliser le camion dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise de Candor.

[10]      Après son mariage, en 1994, M. Pentz a continué à travailler chez Candor, mais au cours des deux années suivantes, l'entreprise de Candor a pris de l'essor de façon à inclure des travaux de peinture, des contrats de mise en copeaux et des travaux de scellement de voies d'accès. M. Pentz exécutait ces travaux en plus de s'occuper des opérations forestières, tout en continuant à exploiter sa propre entreprise. L'une de ses tâches consistait à trouver du travail pour Candor et à négocier les conditions auxquelles ces travaux seraient exécutés.

[11]      Les conditions de travail de M. Pentz auprès de Candor n'ont jamais été énoncées par écrit, mais certaines écritures de paie et d'autres documents font foi de paiements, notamment des chèques oblitérés. Dans la plupart des cas, les conditions des contrats que M. Pentz passait en son nom personnel et au nom de Candor étaient fixées oralement, et bien souvent il n'existait à leur égard que des factures ou des bordereaux de dépôt.

[12]      M. Pentz n'a jamais été actionnaire de Candor et n'a pas prêté d'argent à Candor. Il arrivait parfois que Candor lui devait de l'argent, mais qu'elle n'en avait pas et M. Pentz acceptait alors d'être payé plus tard.

[13]      La question de la mesure dans laquelle le travail effectué par M. Pentz était assujetti au contrôle de Mme Pentz a été débattue. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que M. Pentz n'était assujetti à aucune supervision et à aucun contrôle dans l'exercice de ses fonctions ou en ce qui concerne la façon dont il s'acquittait de ses fonctions. Voici ce que le juge a dit au paragraphe 34 de ses motifs :

     [TRADUCTION]
     Il est reconnu que Carla Pentz aurait visité certains emplacements et qu'elle aurait discuté de certaines choses avec le travailleur [M. Pentz], mais la preuve présentée à l'audience n'était pas convaincante et portait sur un bon nombre de questions générales. Toutefois, lorsque la Cour s'est vue obligée de poser d'autres questions aux témoins afin de comprendre le fonctionnement de l'entreprise du payeur [Candor], il semblait clair que le ministre avait eu raison de conclure que Carla Pentz ne s'occupait pas des activités ou de la gestion courantes de l'entreprise du payeur au sens où on l'entend dans ce domaine ou sur le marché.

[14]      Candor exploitait une entreprise saisonnière, de sorte qu'elle n'avait pas besoin des services de M. Pentz tout l'année durant. Les périodes pendant lesquelles M. Pentz ne travaillait pas pour Candor parce qu'il n'y avait pas de travail sont appelées dans la preuve des périodes de « mise à pied » .

[15]      La première période de mise à pied qui nous intéresse a commencé le 6 janvier 1996. La décision du ministre se rapportant à la période antérieure, allant du 6 janvier 1995 au 6 janvier 1996, est énoncée dans une lettre en date du 1er août 1996 adressée à Candor. La lettre se lit comme suit :

     [TRADUCTION]
     Cette lettre se rapporte à la demande que vous avez présentée en vue d'obtenir un règlement sur la question de l'assurabilité, aux fins de l'assurance-chômage [...] de l'emploi que Ross Pentz a exercé auprès de votre entreprise du 6 janvier 1995 au 6 janvier 1996.
     Il a été décidé que cet emploi n'était pas assurable, et ce, pour la raison suivante : il existait entre le travailleur et vous-même un lien de dépendance, de sorte qu'il s'agissait d'un emploi exclu. Subsidiairement, l'emploi n'était pas assurable ou n'ouvrait pas droit à pension étant donné que le travailleur n'était pas employé en vertu d'un contrat de louage de services. Il n'y avait pas de relation employeur-employé.
     [...]
     La décision dont cette lettre fait état est [...] fondée sur le paragraphe 3(1) de la Loi sur l'assurance-chômage [...].

[16]      La deuxième période de mise à pied qui nous intéresse a commencé le 17 décembre 1996. La décision du ministre se rapportant à la période antérieure, allant du 22 avril au 17 décembre 1996, est énoncée dans une lettre en date du 5 mai 1997 adressée à Candor. La lettre se lit comme suit :

     [TRADUCTION]
     Cette lettre se rapporte à la demande que vous avez présentée en vue d'obtenir un règlement sur la question de l'assurabilité, aux fins de l'assurance-chômage, de l'emploi que Ross Pentz a exercé auprès de votre entreprise du 22 avril au 17 décembre 1996.
     Il a été décidé que cet emploi n'était pas assurable, et ce, pour la raison suivante : le travailleur n'était pas employé en vertu d'un contrat de louage de services. Il n'y avait pas de relation employeur-employé.
     [...]
     La décision dont cette lettre fait état est [...] fondée sur l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage [...]

[17]      Les parties pertinentes de l'article 3 de la Loi sur l'assurance-chômage se lisent comme suit :

3(1) Insurable employment is employment that is not included in excepted employment and is


(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by piece, or partly by time and partly by piece, or otherwise;

...


(2) Excepted employment is

...

(c) subject to paragraph (d), employment where the employer and employee are not dealing with each other at arm's length and, for the purposes of this paragraph,

(i)      the question of whether persons are not dealing with each other at arm's length shall be determined in accordance with the provisions of the Income Tax Act, and
ii)      where the employer is, within the meaning of that Act, related to the employee, they shall be deemed to deal with each other at arm's length if the Minister of National Revenue is satisfied that, having regard to all the circumstances of the employment, including the remuneration paid, the terms and conditions, the duration and the nature and importance of the work performed, it is reasonable to conclude that they would have entered into a substantially similar contract of employment if they had been dealing with each other at arm's length; ...

3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services

ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps soit aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance et, pour l'application du présent alinéa :

(i)      la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii)      l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance; [...]

[18]      Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté les appels et a confirmé les décisions du ministre en se fondant sur le fait qu'aucun contrat de louage de services n'avait été passé. Le juge reconnaissait qu'il n'était pas nécessaire de se demander si le ministre avait commis une erreur en concluant que Candor et M. Pentz avaient entre eux un lien de dépendance, mais il a fait savoir qu'il n'aurait pas modifié cette décision. Candor et M. Pentz sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du juge de la Cour de l'impôt.

Décision selon laquelle il n'y avait pas de contrat de louage de services -- norme de contrôle

[19]      Il est soutenu au nom des demandeurs qu'en ce qui concerne la question préliminaire de l'existence d'un contrat de louage de services, soit la question en cause à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en effectuant un contrôle judiciaire de la décision du ministre au lieu de rendre une décision judiciaire indépendante comme il aurait dû le faire.

[20]      L'approche correcte, sur ce point, est expliquée comme suit par le juge en chef Isaac (tel était alors son titre), dans la décision Ministre du Revenu national c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187, (1997), 215 N.R. 352 (C.A.F.), au paragraphe 24 :

     La décision par laquelle le ministre a conclu, en vertu de l'alinéa 3(1)a), que l'emploi exercé par le salarié n'était pas régi par un contrat de louage de services, constitue une décision quasi-judiciaire qui est, en appel, susceptible d'un contrôle indépendant de la part de la Cour de l'impôt.

[21]      Certaines remarques que le juge de la Cour de l'impôt a faites dans ses motifs auraient peut-être été plus appropriées dans le cadre d'un contrôle judiciaire que dans le cadre d'un appel devant la Cour de l'impôt, mais à mon avis le juge de la Cour de l'impôt n'a pas omis de rendre une décision judiciaire indépendante à ce sujet. J'ai lu les motifs du juge de la Cour de l'impôt au complet et je conclus qu'il a tenu compte des hypothèses factuelles qui étaient énoncées dans les actes de procédure du ministre par rapport à l'ensemble de preuve dont il disposait, comme il était tenu de le faire, et qu'il a conclu à l'existence d'un fondement valable permettant de conclure qu'aucun contrat de louage de services n'avait été passé. À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas appliqué la mauvaise norme de contrôle.

Question de savoir si un contrat de louage de services doit être un contrat « véritable »

[22]      Au dernier paragraphe des motifs du juge de la Cour de l'impôt, il est question d'un contrat de louage de services « véritable » , par opposition à un simple contrat de louage de services ou, comme le prévoit le libellé de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage, un « contrat de louage de services exprès ou tacite » . Il est soutenu qu'en employant le mot « véritable » , le juge de la Cour de l'impôt appliquait un critère additionnel de « bonne foi » qui n'est pas prévu par la loi.

[23]      Il est peut-être redondant d'employer le mot « véritable » pour qualifier le mot « contrat » dans ce contexte, mais cela ne veut pas dire qu'un critère juridique non prévu par la loi est employé. À mon avis, l'alinéa 3(1)a) laisse implicitement entendre le caractère « véritable » du contrat de louage de services. Ainsi, si l'existence de pareil contrat est alléguée et si l'allégation est rejetée parce que l'on ne croit pas la preuve, ou parce qu'un document dans lequel les conditions du contrat sont censément énoncées n'est pas un document véritable, il faut conclure qu'aucun contrat de louage de services n'a été passé. Cette conclusion est peut-être mieux énoncée dans ces termes, mais il ne serait pas inexact de dire qu'aucun contrat de louage de services véritable n'a été passé.

Critère juridique permettant de déterminer si un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise est en cause

[24]      Les principes à appliquer pour déterminer s'il existe un contrat de louage de services sont bien établis dans la jurisprudence, et notamment dans l'arrêt qui fait autorité, Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553, 1986 2 C.T.C. 200, 87 D.T.C. 5025 (C.A.F.). Il est soutenu au nom des demandeurs que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas appliqué ces principes correctement et qu'il a omis de tenir compte de certains des facteurs du « critère comprenant quatre éléments » énoncé dans l'arrêt Wiebe Door.

[25]      En l'espèce, comme dans la plupart des cas où la question de l'assurabilité d'un emploi est en cause, le juge de la Cour de l'impôt faisait face à deux théories contradictoires. La Couronne a soutenu que le travail que M. Pentz effectuait pour Candor était du travail qu'il faisait dans le cadre de l'exploitation de sa propre entreprise. M. Pentz a admis qu'il possédait sa propre entreprise, mais il a soutenu qu'il était également un employé de Candor et que son emploi auprès de Candor était indépendant de sa propre entreprise.

[26]      Un grand nombre des faits non contestés pourraient être considérés comme compatibles avec l'une ou l'autre théorie, parce qu'il a été admis que M. Pentz possédait sa propre entreprise. Ainsi, le fait que Candor payait M. Pentz au taux horaire fixe de 12,50 $ est également compatible avec la théorie selon laquelle M. Pentz était un employé rémunéré à l'heure qu'avec la théorie selon laquelle M. Pentz fournissait ses services à titre d'entrepreneur indépendant. De même, le fait que M. Pentz était rémunéré séparément pour l'utilisation de sa presse peut avoir en partie déplacé de M. Pentz à Candor le risque financier que comportait la possession de cette presse, mais il en va de même pour toutes les entreprises qui louent du matériel à d'autres personnes de sorte que cela est compatible avec la conclusion selon laquelle les paiements constituaient un revenu tiré de l'entreprise de M. Pentz et que les services que M. Pentz fournissait à Candor en utilisant la presse faisaient partie de l'entreprise de ce dernier.

[27]      Je ne me propose pas d'examiner tous les points que les demandeurs ont soulevés à l'appui de la prétention selon laquelle le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en appliquant le critère comprenant quatre éléments qui a été énoncé dans l'arrêt Wiebe Door. Il suffit de dire que la lecture des motifs du juge m'a convaincue qu'il était parfaitement au courant des principes directeurs et de la façon dont ces principes devaient s'appliquer. Il se peut qu'un autre juge qui disposerait de la même preuve n'accorde pas la même importance aux divers facteurs. Toutefois, cela ne peut pas justifier en soi l'annulation de sa décision. Je ne puis rien trouver qui montre qu'en retenant la théorie de la Couronne plutôt que celle des demandeurs, le juge de la Cour de l'impôt a mal compris ou a appliqué d'une façon erronée les principes pertinents ou qu'il a commis à quelque autre égard une erreur.

Conclusions de fait

[28]      Il est soutenu au nom des demandeurs que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur à l'égard de trois conclusions de fait qui étaient essentielles à la décision qu'il a rendue, à savoir qu'il n'y avait pas de contrat de louage de services. L'une est la conclusion selon laquelle Candor n'avait comme actif que des liquidités. Cela est conforme aux hypothèses factuelles que le ministre a émises, mais cela va à l'encontre de la preuve présentée par M. Pentz, selon laquelle Candor possédait certains petits outils, qu'elle avait des contrats continus et qu'elle avait une certaine clientèle. Une autre conclusion est celle selon laquelle M. Pentz avait la faculté d'organiser son propre travail et qu'il pouvait décider à quels moments il serait inscrit sur le livre de paie de Candor et à quels moments il travaillerait pour son propre compte. Cette conclusion est elle aussi conforme à l'hypothèse factuelle émise par le ministre, mais elle va à l'encontre de la preuve présentée par M. Pentz. La troisième conclusion est celle selon laquelle M. Pentz était propriétaire d'un appareil de mise en copeaux et de matériel de peinture, point sur lequel le ministre n'a émis aucune hypothèse factuelle et à l'égard duquel il n'existe aucune preuve directe.

[29]      Le juge de la Cour de l'impôt n'était pas obligé de retenir la preuve présentée par Mme Pentz ou par M. Pentz en ce qui concerne ces questions factuelles. Quant aux deux premières conclusions de fait susmentionnées, le juge de la Cour de l'impôt a rejeté la preuve de M. et Mme Pentz de sorte qu'il ne restait que les hypothèses factuelles non réfutées du ministre. Le juge n'a pas commis d'erreur en se fondant sur ces hypothèses.

[30]      Quant au troisième point, je ne puis constater dans la preuve aucun fondement permettant au juge de tirer la conclusion qu'il a tirée au sujet de la question de savoir qui était propriétaire de l'appareil de mise en copeaux et du matériel de peinture. Toutefois, compte tenu du reste de la preuve, qui étaye amplement la conclusion selon laquelle il n'y avait pas de contrat de louage de services, je ne puis accorder beaucoup d'importance à cette conclusion factuelle.

Conclusion -- contrat de louage de services

[31]      Pour les raisons ci-dessus énoncées, je suis convaincue que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur en concluant qu'aucun contrat de louage de services n'avait été passé entre Candor et M. Pentz au cours des périodes pertinentes. Cela suffit pour rejeter cette demande de contrôle judiciaire. Toutefois, un certain nombre de questions ont été débattues au sujet du sous-alinéa 3(2)c)(ii) et j'aimerais faire des remarques sur les questions les plus importantes.

Sous-alinéa 3(2)c)(ii) -- contrat passé entre des personnes n'ayant entre elles aucun lien de dépendance

[32]      L'existence d'un contrat de louage de services ne détermine pas l'assurabilité de l'emploi dans tous les cas. Lorsque l'employé et l'employeur sont « liés » l'un à l'autre au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supp.), une autre question se pose en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Il s'agit de savoir si « le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance » .

[33]      En l'espèce, il est certain qu'au cours des périodes en question, M. Pentz et Candor étaient « liés » puisque M. Pentz était le conjoint de l'unique actionnaire de Candor. S'il avait conclu à l'existence d'un contrat de louage de services, le ministre aurait donc dû tenir compte du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Ou, s'il avait conclu qu'aucun contrat de louage de services n'avait été passé, le ministre aurait par ailleurs pu conclure que s'il y avait un contrat de louage de services, en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), l'emploi était un « emploi exclu » : MRN c. succession Schnurer, [1997] 2 C.F. 545, (1997), 208 N.R. 339 (C.A.F.).

[34]      De fait, dans sa lettre du 1er août 1996, le ministre indique qu'il a pris ces autres décisions à l'égard de la période allant du 6 janvier 1995 au 6 janvier 1996. Toutefois, la lettre du 5 mai 1997 du ministre, qui se rapporte à la période allant du 29 avril au 17 décembre 1996, ne traite pas du sous-alinéa 3(2)c)(ii). En ce qui concerne cette période, le sous-alinéa 3(2)c)(ii) est invoqué pour la première fois dans les actes de procédure du ministre qui ont été déposés devant la Cour de l'impôt en réponse aux avis d'appel.

[35]      Cette cour a dit à plusieurs reprises que le règlement ministériel de la question soulevée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) est de nature discrétionnaire et ne peut être infirmé par la Cour de l'impôt ou par cette cour que si le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, s'il a tenu compte de facteurs non pertinents ou s'il a agi en violation d'un principe de droit. Cela a donné lieu à une directive à l'intention de la Cour de l'impôt, à savoir que la Cour de l'impôt devait effectuer ce qui est appelé une enquête en deux étapes. En premier lieu, il s'agit de savoir si le ministre a commis l'une des erreurs énumérées. Ce n'est que si pareille erreur est commise que l'on passe à la seconde étape, soit un examen indépendant de la preuve visant à permettre de trancher la question à nouveau en se fondant sur la preuve dont disposait le ministre et sur la preuve qui peut être présentée en appel en vue de réfuter une hypothèse factuelle énoncée dans les actes de procédure que le ministre a déposés devant la Cour de l'impôt. Voir, par exemple, Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N. (1994), 185 N.R. 73 (C.A.F.); Ministre du Revenu national c. Bayside Drive-In Ltd. (1997), 218 N.R. 150 (C.A.F.), [1997] A.C.F. no 1019 (QL).

[36]      On peut se demander s'il est exact de qualifier de « discrétionnaire » un règlement pris par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) et si la procédure en deux étapes proposée dans ces affaires est nécessaire ou utile. Lorsqu'une loi exige que le ministre soit « convaincu » d'une question factuelle, les délibérations du ministre peuvent uniquement donner lieu à une décision factuelle. Je citerai la décision que le juge Marceau a rendue dans l'affaire Légaré c. Ministre du Revenu national, (1999), 246 N.R. 176 (C.A.F.), au paragraphe 4 :

     [4]      La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre: c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable.

[37]      Dans l'arrêt Pérusse c. Canada (Ministre du Revenu national), 2000 A.C.F. no 310 (C.A.F.), au paragraphe 15, le juge Marceau a donné des précisions au sujet de cette remarque (c'est moi qui souligne) :

     Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours "raisonnable" (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[38]      Quelle que soit la façon dont on qualifie le règlement pris par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) ou l'approche que doit adopter la Cour de l'impôt dans un appel de pareil règlement, il semble clair que la Cour de l'impôt n'est pas vraiment saisie de la question de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) à moins que la question soulevée par cette disposition n'ait d'abord été réglée par le ministre. À mon avis, cela donne à entendre que le ministre ne devrait pas invoquer pour la première fois le sous-alinéa 3(2)c)(ii) dans les actes de procédure déposés en réponse à un appel devant la Cour de l'impôt, puisqu'il n'aura pas pris de règlement susceptible de faire l'objet d'un appel.

[39]      Par conséquent, en l'espèce, si le juge de la Cour de l'impôt avait conclu à l'existence d'un contrat de louage de services, il aurait dû accueillir l'appel à l'égard de la période allant du 29 avril 1996 au 17 décembre 1996 puisque, pour cette période, il n'y avait pas de règlement ministériel fondé sur le sous-alinéa 3(2)c)(ii) qu'il aurait pu examiner. Étant donné qu'un règlement ministériel avait été pris en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) pour la période antérieure, allant du 6 janvier 1995 au 6 janvier 1996, le juge de la Cour de l'impôt aurait été obligé d'examiner l'appel de cette décision s'il avait conclu à l'existence d'un contrat de louage de services.

[40]      Toutefois, comme il en a ci-dessus été fait mention, le juge de la Cour de l'impôt a conclu avec raison en l'espèce qu'il n'y avait pas de contrat de louage de services pour les deux périodes en question. Il n'y a donc rien dans la présente affaire qui dépende de règlements que le ministre a pris ou a omis de prendre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) à l'égard de ces périodes.

Conclusion

[41]      Les demandes de contrôle judiciaire dans le présent dossier et dans les dossiers A-637-98, A-638-98, A-639-98, A-640-98, A-641-98 devraient être rejetées avec dépens.



                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     J.C.A.

« Je souscris à cet avis.

     Le juge Robert Décary. »

« Je souscris à cet avis.

     Le juge Brian Malone. »



Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :              A-636-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Candor Enteprises Limited c. le ministre du Revenu national
LIEU DE L'AUDIENCE :          HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 27 septembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Sharlow en date du 15 décembre 2000, auxquels souscrivent les juges Décary et Malone


ONT COMPARU :                 
Raymond G. Adlington                  POUR LA DEMANDERESSE

Kara Burry

John Bodurtha                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daley, Black & Moreira                  POUR LA DEMANDERESSE

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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