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Date : 20000504


Dossier : A-54-97

CORAM :      Le juge STONE, J.C.A.

         Le juge EVANS, J.C.A.

         Le juge MALONE, J.C.A.


ENTRE :



PAVLA CIHAL


appelante


- et -




LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


intimé










Audience tenue à Toronto (Ontario), le jeudi 4 mai 2000.


Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario),

le jeudi 4 mai 2000.





MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :              Le juge EVANS, J.C.A





Date : 20000504


Dossier : A-54-97

CORAM :      Le juge STONE, J.C.A.

         Le juge EVANS, J.C.A.

         Le juge MALONE, J.C.A.


ENTRE :


PAVLA CIHAL


appelante


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


intimé



MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus à l'audience tenue à Toronto (Ontario),

le jeudi 4 mai 2000).


LE JUGE EVANS


  1. .      INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'un appel de la décision du juge Rothstein, rendue le 10 janvier 1997, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 31 juillet 1992, par laquelle la Commission a rejeté les revendications du statut de réfugié au Canada de l'appelante, de son fils et d'un ami de la famille.

[2]      Il y a deux moyens d'appel. Premièrement, le juge des requêtes a commis une erreur en ne concluant pas que le temps qui s'est écoulé avant que la Commission ne puisse entendre les revendications était déraisonnable, plus particulièrement compte tenu de l'âge de l'appelante, qui a maintenant 91 ans, et de son état de santé physique et émotionnelle fragile; dans ces circonstances, le rejet de sa revendication du statut de réfugié constituerait un déni des principes de justice fondamentale contraire à l'article 7 de la Charte. Deuxièmement, le juge des requêtes a commis une erreur en confirmant la conclusion de la Commission selon laquelle la crainte de persécution de l'appelante n'était pas fondée.


  1. .      LES FAITS

[3]      Il n'est nécessaire de ne donner qu'un bref aperçu des faits. L'appelante, de nationalité Tchèque, est arrivée au Canada en avril 1989 et elle a revendiqué le statut de réfugié peu de temps après. Sa revendication était fondée sur le dur traitement qu'elle et son mari avaient subi de la part des autorités tchèques à la suite de l'entrée au pouvoir du Parti communiste en 1948, comme la saisie de leur commerce, l'emprisonnement de M. Cihal, les interrogatoires et les fouilles de leur maison par les policiers, le fait d'être étiquettés publiquement comme des « ennemis de l'état » , des restrictions relatives à leur éducation et à leur emploi, et l'imposition d'une taxe qui a eu pour effet de priver l'appelante de son revenu.

[4]      Toutefois, au milieu des années 50, ils travaillaient tous les deux dans des restaurants et des tavernes. Bien qu'ils n'aient jamais retrouvé le statut social et économique dont ils avaient joui avant 1948, leurs vies se sont considérablement améliorées après que M. Cihal eut été relâché en 1953 et qu'ils eurent été nommés à des postes de gérance dans des meilleurs établissements.

[5]      Toutefois, la police a continué de s'intéresser à eux. Il a été mis en preuve qu'en 1968, un tribunal du travail avait exigé de l'appelante qu'elle cesse de critiquer les communistes. De plus, le fils de l'appelante a témoigné que la police avait continué de visiter le domicile de ses parents, peut-être une ou deux fois par année, jusqu'en 1979. Il n'a pas été mis en preuve que la surveillance s'était poursuivie après cette date et il s'avère même que l'appelante et son fils avaient quitté le pays pour aller visiter des pays d'Europe occidentale en 1987, pour ensuite revenir à Prague sans que les autorités tchèques n'interviennent.

[6]      L'époux de l'appelante est décédé en 1980. L'appelante a elle-même eu un accident vasculaire cérébral en 1981 et elle a subi des traitements contre le cancer, mais on a découvert par la suite qu'elle n'en souffrait pas. De plus, elle a souffert d'une dépression et elle était trop instable émotionnellement pour comparaître devant la Commission.

[7]      L'appelante a présenté sa revendication du statut de réfugié au mois d'avril 1989 et la Commission a commencé l'audition en juin 1991, audition qui a duré 7 jours et qui s'est terminée en décembre 1991. La Commission a rendu sa décision le 31 juillet 1992.


  1. .      ANALYSE

     Première question : un délai déraisonnable.

[8]      Nous sommes disposés à admettre que pour les fins de la présente affaire, un délai déraisonnable de la part de la Commission avant le commencement de l'audition d'une revendication du statut de réfugié peut justifier l'annulation d'une décision défavorable, cela constituant une violation de l'article 7 de la Charte. Toutefois, un tel argument ne fonctionnera que dans de très rares cas (Hernandez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 154 N.R. 231 (C.A.F.)), et la présente affaire n'est pas un de ces rares cas.

[9]      Le délai écoulé entre le moment où l'appelante a présenté sa revendication et le moment où l'audition a commencé devant la Commission a été d'un peu plus de deux ans. Bien que ce délai ne puisse certainement pas être qualifié d'expéditif, il n'était pas assez long, en tant que tel, pour être constitutionnellement suspect. Plus important encore, une grande partie du délai ne dépend pas d'une lenteur à agir de la Commission. Par exemple, la première audition était prévue pour le mois de septembre 1989, mais avait été reportée d'un mois à la demande des revendicateurs; l'audition prévue pour le mois suivant a été remise parce qu'un des revendicateurs avait besoin d'un interprète gestuel, besoin dont la Commission n'avait pas été avisée. D'autres délais ont été occasionnés parce que ce revendicateur ne pouvait comprendre que le langage gestuel utilisé en Europe. Une audition a été remise à la demande du fils de l'appelante parce que sa mère était malade; l'avocate de l'appelante a demandé une autre remise pour se préparer adéquatement.

[10]      Il n'est pas nécessaire de déterminer si le fait pour l'appelante de causer ces délais était fautif, délais qui en tout représentaient environ la moitié du temps qu'il a fallu pour commencer l'affaire. Madame Jackman a évalué qu'un délai maximal de six mois était imputable aux revendicateurs. Toutefois, il serait également inapproprié de blâmer la Commission pour le temps qu'il lui a fallu pour mettre les auditions en marche. La difficulté des revendicateurs à trouver un avocat qui les satisfasse, la mauvaise santé de l'appelante et les divers problèmes liés à l'interprétation ont grandement compliqué l'établissement du calendrier de cette cause.

[11]      Nous ne pouvons accepter l'argument selon lequel l'âge et l'état de santé de l'appelante ont rendu le délai déraisonnable. La Commission a une charge de travail très volumineuse. S'assurer que tout se déroule d'une façon efficace, ordonnée et juste constitue un défi considérable sur le plan de la gestion. Exiger de la Commission qu'elle accorde des auditions rapides à certains revendicateurs en raison de circonstances particulières compliquerait indûment sa tâche et créerait presque assurément des injustices envers les autres revendicateurs.

[12]      Il est allégué que si la revendication de l'appelante avait été entendue avant la « révolution de velours » , qui a eu lieu en Tchécoslovaquie en 1990, la revendication aurait été selon toute probabilité accueillie. Toutefois, la Cour n'a jamais admis qu'un délai cause un préjudice à des revendicateurs parce qu'ils se seraient probablement vu accorder le statut de réfugié si leur revendication avait été entendue plus tôt alors que les faits donnant lieu à une crainte fondée de persécution existaient encore.

     Deuxième question : le bien-fondé de la revendication

[13]      Selon l'argument de l'appelante, la Commission a commis une erreur en ne considérant pas le dur traitement que l'appelante et son époux ont subi à la fin des années 40 et au début des années 50 comme faisant partie de la surveillance policière continue dont ils faisaient l'objet. La Commission, selon l'avocate, n'a pas apprécié les événements d'une façon cumulative ni dans la perspective de la répression antérieure. De plus, la Commission a commis une erreur de droit en faisant relever les événements antérieurs de la discrimination plutôt que de la persécution.

[14]      Si elle n'avait pas commis ces erreurs, a soutenu Mme Jackman, la Commission aurait très bien pu conclure qu'en avril 1989, l'appelante avait une crainte fondée de persécution. Si tel avait été le cas, la Commission aurait dû examiner si, en raison de la perte du pouvoir du gouvernement communiste, l'appelante avait cessé d'être une réfugiée au sens de la Convention en vertu de l'alinéa 2(2)e) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Si cela avait été le cas, alors la Commission aurait eu à déterminer, en vertu du paragraphe 2(3), s'il existait pour l'appelante des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle avait quitté.

[15]      Malgré l'éloquence de Mme Jackman et la sympathie que nous éprouvons à l'égard de sa cliente, nous ne pouvons accepter cet argument. Il est vrai, comme l'a fait remarquer le juge Rothstein, que la Commission n'a pas formulé dans ces motifs une conclusion expresse selon laquelle le traitement que les Cihal ont subi de 1948 à 1953 constituait de la persécution, alors qu'il s'agissait manifestement de persécution.

[16]      Il n'apparaît pas clairement que les références faites par la Commission aux [traduction] « actes discriminatoires commis par le passé » (dossier d'appel, p. 651) se rapportent aux événements qui se sont déroulés au milieu des années 50 ou à ceux qui se sont produits avant. Toutefois, la référence aux actes discriminatoires commis après 1951 donne à penser que la Commission a considéré les événements d'avant 1951 comme de la persécution. D'un autre côté, la Commission refuse plus loin d'admettre que l'appelante a été persécutée par le passé (dossier d'appel, p. 653).

[17]      Néanmoins, malgré cette ambiguïté, la Commission a examiné les faits globalement et a conclu qu'en avril 1989, l'appelante n'avait pas de crainte fondée de persécution : les interventions de la police avaient grandement diminué depuis 1948 et avaient complètement cessé en 1979, dix ans avant que l'appelante ne revendique le statut de réfugié.

[18]      La question de savoir si les faits admis ont satisfait à l'exigence législative est une question mixte de faits et de droit sur laquelle la Commission a compétence : Nina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F. 1re inst., A-735-92, le 24 novembre 1994), au paragraphe 28. Sur ce genre de question, la Commission a droit à une certaine retenue judiciaire et la Cour ne devrait pas intervenir à moins qu'elle ne soit convaincue que la Commission avait clairement tort : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[19]      Contrairement à la question en litige dans Pushpanathan (précité), la question de droit en l'espèce pour déterminer si l'appelante a été persécutée au sens de la loi ne peut pas « aisément être séparé[e] des faits non contestés de l'affaire » et n'aura pas « une grande valeur comme précédent » (paragraphe 47).

[20]      Étant donné que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle judiciaire en arrivant à la conclusion que l'appelante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention en avril 1989, il n'était pas nécessaire d'examiner si la persécution antérieure constituait des raisons impérieuses au sens du paragraphe 2(3) justifiant le refus de l'appelante de retourner en ce qui s'appelle aujourd'hui la République tchèque.


  1. .      CONCLUSION

[21]      Pour ces motifs, nous rejetterions l'appel de la décision du juge des requêtes qui a confirmé le refus de la Commission d'accorder à l'appelante le statut de réfugié. Nous sommes d'avis que de demander au ministre l'autorisation de demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire est un moyen plus approprié pour l'appelante d'obtenir réparation, bien que nous comprenions aussi que même si sa demande présentée en vertu du paragraphe 114(2) était accueillie, l'appelante ne serait peut-être pas éligible à l'assurance-santé.


« John M. Evans »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                  A-54-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          PAVLA CIHAL

appelante

                         - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L'IMMIGRATION


intimé

DATE DE L'AUDIENCE :              LE JEUDI 4 MAI 2000
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                  LE JUGE EVANS

Rendus à Toronto (Ontario), le jeudi 4 mai 2000.


ONT COMPARU :                  M me Barbara Jackman

                                         pour l'appelante

                         M. Ian Hicks

                                         pour l'intimé


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Jackman, Waldman & associés

                         Avocats

                         281, avenue Eglinton Est

                         Toronto (Ontario)

                         M4P 1L3

                                         pour l'appelante

                         Morris Rosenberg

                         Sous-procureur général du Canada

                                         pour l'intimé

COUR D'APPEL FÉDÉRALE

Date : 20000504
Dossier : A-54-97


ENTRE :
PAVLA CIHAL
appelante
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
intimé









MOTIFS DU JUGEMENT
DE LA COUR
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